Les cycles biogéochimiques dans l’océan
Le cycle du carbone
A L’échelle mondiale, l’océan est actuellement un puits de dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique, avec un flux global annuel net de l’atmosphère vers l’océan estimé à -1,7 gigatonnes an-1 .
Les réservoirs de carbone de l’atmosphère et de l’océan échangent du CO2 à l’interface aireau, ces échanges étant contrôlés par des processus physico chimiques et biologiques (Figure I.1). Les eaux froides aux hautes latitudes permettent une meilleure solubilité du CO2 atmosphérique. La plongée de ces eaux en profondeur (convection) isole le CO2 de l’atmosphère jusqu’à leur remontée en surface (upwelling) dans des zones plus chaudes favorisant le dégazage du CO2. C’est ce que l’on appelle la pompe physique ou pompe de solubilité. En complément, le CO2 atmosphérique est extrait via l’activité photosynthétique du phytoplancton dans la zone euphotique de l’océan et converti en carbone organique particulaire (POC). Cette production de matière organique (50 Gt an-1; Fiel et al., 1998) est appelée la production primaire qui devient la base de la chaine alimentaire marine. Comme l’a mentionné Falkowski (2012), le phytoplancton est moins visible que les arbres et plantes que nous observons durant notre vie quotidienne, mais son influence sur le cycle du carbone à l’échelle planétaire ne doit pas être sous-évalué. L’activité phytoplanctonique contribue en effet à environ à la moitié de la production primaire totale mondiale. Seulement 1-2 % du POC de la couche de surface est exporté dans les eaux profondes (Poulton et al., 2006) et potentiellement séquestré dans les sédiments. Le carbone fixé par le phytoplancton est soit transféré à des niveaux trophiques supérieurs (zooplancton), soit converti en détritus organiques particulaires et dissous qui seront consommés par la suite par le zooplancton et les microorganismes hétérotrophes et minéralisés en CO2 dans la zone euphotique. La fraction de matière organique exportée subit, à son tour, différentes transformations (dégradation bactérienne, respiration). L’ensemble de ces processus contrôle le cycle du carbone dans l’océan, et est appelé la pompe biologique. Alors que la pompe de solubilité du CO2 ne permet qu’une faible augmentation de la concentration en carbone inorganique dissous (DIC) avec la profondeur, la pompe biologique, quant à elle, est responsable en majeur partie du gradient vertical de la distribution du DIC dans l’océan (Passow and Carlson, 2012). Ce gradient est contrôlé par 1) l’absorption biologique du CO2, 2) le flux vertical de la matière particulaire produite, et 3) la dégradation de ces particules lors de leur sédimentation.
Malgré le fait que la pompe biologique ne permet pas de séquestrer le carbone anthropique sur des échelles de temps décennale et séculaire, son absence impliquerait une augmentation de la concentration en CO2 atmosphérique de 200 à 300 ppm (Heinze et al., 2015). L’intensité de la pompe biologique est fortement liée à la production primaire qui est ellemême contrôlée par différents facteurs : la température, la lumière et la biodisponibilité des nutriments. L’azote (N), le phosphore (P) et le fer (Fe) et d’autres métaux sont des éléments nutritifs pour les microorganismes marins et leurs spéciations physicochimiques ainsi que leurs abondances affectent la structure des communautés planctoniques et le cycle du carbone.
Le cycle de l’azote
L’azote en milieu marin peut se trouver sous différentes formes. On distingue le DIN (azote inorganique dissous), le DON (azote organique dissous) et le PON (azote organique particulaire). Le DIN est composé de nitrate (NO3- ), nitrite (NO2- ), ammonium (NH4+ ) et diazote (N2). La production primaire est alimentée par le DIN, et les variations d’abondance, de distribution et de temps de résidence de ces composés azotés affectent leur biodisponibilité. Introduit par Dugdale et Goering (1967), le modèle de production nouvelle et régénérée était basé sur les deux formes azotées, NO3- et NH4+ , dont leur contribution était considérée comme dominante dans la production primaire à l’échelle de l’océan global. Les formes NO2- avec des faibles concentrations et N2 biologiquement inerte, supposaient être faiblement biodisponibles pour le phytoplancton. Alors que NO3- alimentait la production nouvelle, on considérait NH4+ comme la source principale d’azote régénéré. L’injection de NO3- dans la zone euphotique est contrôlée par les apports atmosphériques et fluviaux et les remontées d’eaux profondes riches en NO3- produit par nitrification (Figure I.2).
Concept de la production nouvelle et régénérée
– production nouvelle : production primaire alimentée par des apports d’azote extérieurs à la zone euphotique, via les apports atmosphériques et fluviaux, le mélange vertical.
– production régénérée : production primaire alimentée par le recyclage interne de l’azote dans la zone euphotique, via la reminéralisation de la matière organique, les composés excrétés.
Au cours des deux dernières décennies, la vision du cycle de l’azote en milieu marin s’est élargie (Figure I.2), et la production primaire basée sur la fixation du N2 et l’absorption du DON a été reconnue. Dans les environnements oligotrophes, la fixation d’azote soutient jusqu’à 50 % de la production primaire nouvelle (Capone et al., 2005 ; Bonnet et al., 2009 ; Bonnet et al., 2015). Alors que le pool de DON semblait être uniquement utilisable par les bactéries hétérotrophes, il est désormais considéré qu’une fraction labile du DON, composée entre autres d’urée et d’aminoacides, peut être une source importante pour les autotrophes (Bronk et al., 2007).
En complément de la fixation du N2 atmosphérique, les dépôts atmosphériques et les apports par les fleuves sont considérés comme des sources externes majeures d’azote pour l’océan global. Les apports fluviaux en azote sont estimés à ~29 Tg N.an-1 (Seitzinger et al., 2010 ;Tableau I.1). Duce et al. 2008 ses collaborateurs soulignent l’importance des apports atmosphériques d’azote anthropique (NOx et NH3) dans l’océan mondial. Entre 1860 et 2000, les dépôts atmosphériques en azote ont triplé (aujourd’hui ~ 67 Tg N.an-1) dont 80 % sont d’origine anthropique avec une accentuation pour les années à venir liée à une augmentation des émissions d’azote anthropique (4 fois plus élevée en 2030 selon des estimations). En considérant une assimilation biologique totale de cet azote nouveau, les dépôts atmosphériques d’azote anthropique actuels pourraient soutenir plus de 3 % de la production nouvelle dans l’océan mondial, et jusqu’à 20 % dans les régions où l’apport en azote par l’upwelling est limité.
Le cycle du phosphore
Le phosphore dans l’océan existe dans le pool particulaire et dissous. Dans chacune des deux fractions, P peut être sous forme inorganique et organique. Contrairement aux autres éléments biogéochimiques composant l’essentiel de la matière vivante (C, N, S, O, H), les réactions d’oxydo-réduction jouent un rôle très mineur dans le cycle de P, et sa forme dissoute inorganique (DIP) est majoritairement à l’état d’oxydation V (Jahnke, 1992). Ainsi pour désigner le DIP, nous utiliserons la forme phosphate (PO4 3-) dans le cycle de P (Figure I.3) et dans la suite du manuscrit.
Le cycle de P est régi par des processus abiotiques et biotiques (Alongi et al., 1992). Tandis que le PO4 3- est facilement assimilé par le phytoplancton, la matière organique phosphorée peut être hydrolysée par des enzymes synthétisées par les bactéries et le phytoplancton (e.g. la phosphatase alcaline), et assimilée ultérieurement (Paytan et McLaughlin, 2007). Le phosphore dissous est donc converti en phosphore organique particulaire (POP). A travers la précipitation et l’adsorption sur les particules argileuses riches en oxyde de fer et manganèse, PO4 3- peut être immobilisé sous forme particulaire appelé le PIP (phosphore inorganique particulaire ; Alongi et al., 1992). La sédimentation du phosphore particulaire participe ainsi à l’export de P de la colonne d’eau. Néanmoins, un faible pourcentage de P est séquestré dans les sédiments (moins de 1 % ; Benitez-Nelson, 2000) dû à la régénération de PO4 3- dans la colonne d’eau via sa dissolution/désorption sur la matière particulaire et l’hydrolyse de la matière organique dans la colonne d’eau.
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Table des matières
Chapitre I : Introduction générale
1. Les cycles biogéochimiques dans l’océan
1.1. Le cycle du carbone
1.2. Le cycle de l’azote
1.3. Le cycle du phosphore
1.4. Le cycle du fer
2. Le climat et l’océan
2.1. Climat d’aujourd’hui, climat du futur
2.2. Zoom sur l’acidification des océans
3. La Méditerranée, une zone Low Nutrient Low Chlorophyll (LNLC) sous pressions naturelles et anthropiques
3.1. La Méditerranée, une zone LNLC
3.2. Les apports atmosphériques
3.3. Un bassin sous pression anthropique
4. Objectifs de la thèse
Chapitre II : Matériels et méthodes
1. Introduction
2. Conditions ultra-propres pour l’analyse des éléments au niveau nanomolaire
2.1. Prérequis des conditions de travail en salle blanche
2.2. Du prélèvement à l’échantillonnage
2.2.1. Prélèvement à l’aide de pompe à soufflet en Teflon®
2.2.2. Prélèvement à l’aide de l’IWS III « Integrating Water Sampler »
2.2.3. Prélèvement à l’aide de bouteilles GO-FLO
2.2.4. Filtration et échantillonnage
3. Simulation de forçages atmosphériques
3.1. Acidification de l’océan : augmentation de la pression partielle en dioxyde de carbone (pCO2)
3.2. Ensemencement artificiel de poussière saharienne
3.2.1. Production d’un analogue d’aérosol saharien
3.2.2. Caractéristiques de l’analogue
3.2.3. Simulation d’un dépôt humide de poussières sahariennes
4. Méthodologie pour les expériences de simulation de forçages atmosphériques
4.1. En condition biotique : expériences en mésocosme (projet MedSea)
4.1.1. Objectif et site d’étude
4.1.2. Caractéristiques et utilisation des mésocosmes
4.2. En condition abiotique : expériences en minicosme (projet CHIPIE)
4.2.1. Objectif et site d’étude
4.2.2. Caractéristiques du minicosme
4.2.3. Méthodologie de l’expérience (Figure II.13)
5. Méthodes d’analyses
5.1. Analyse des éléments nutritifs sous forme inorganique dissoute
5.1.1. Analyse des phosphates (PO4
3-) et des nitrates (NO3-)
5.1.2. Analyses du fer dissous (DFe)
5.2. Analyses de la matière organique dissoute
5.2.1. Analyses du phosphore et azote organique dissous
5.3. Analyse du carbone organique dissous
5.4. Analyse de la matière colloïdale et particulaire
5.2.2. Analyse des particules exopolymériques transparentes (TEP)
5.2.1. Mesure de l’export de carbone
Chapitre III : Dynamique des nutriments à la suite d’un forçage atmosphérique: l’acidification des océans
1. Introduction
2. Dynamique des nutriments sous différents scénarios d’acidification de l’océan dans un système oligotrophe (projet MedSeA)
2.1. Résumé
2.2. Article
3. Conclusions et perspectives
3.1. Conclusions et perspectives vers des études multi-facteurs
3.2. Effet de la température et de l’acidification sur la dynamique des nutriments après un bloom printanier en baie de Villefranche sur mer
Conclusions générales