La véritable cuisine mexicaine : point de vue des acteurs
Faire la promotion de la cuisine authentique et du taco traditionnel mexicains en France implique que les acteurs aient défini au préalable ces deux catégories.
L’authentique cuisine mexicaine
« L’authentique cuisine mexicaine est basée presque que sur des produits frais. Et il y a beaucoup de fait-main et il y a beaucoup de produits qui sont sans conservateurs.
Par exemple en France, on a des tortillas proposées mais elles durent neuf mois dans une armoire. Et c’est ça qui est vendu comme produit mexicain de qualité. C’est comme si on propose à un Français une baguette que ça fait cinq mois qu’elle est dans l’armoire. Non, c’est pas possible. Je ne vois pas dans une chaîne de distribution des sandwichs faits avec du pain que ça fait neuf mois qu’il est comme ça.
Donc la tortilla normalement elle est faite du jour. Et comme les baguettes, on a différentes tortillas : il y a la tortilla traditionnelle qui normalement est nixtamalisée ; c’est un procédé préhispanique avec de la chaux, et c’est ça qui permet aussi que la tortilla soit flexible. Si on ne fait pas ce procédé-là la galette ne se plie pas.
L’authentique c’est donc la qualité des produits et les techniques pour les faire. C’est comme la baguette, il y a plusieurs techniques, plusieurs farines, et ça change le produit. » (Maria Rosa. Annexe 2, pp. 154-158). Dans le discours de Maria Rosa, chargée du projet Auténtica Cocina Mexicana en Francia à la Chambre Économique du Mexique en France, ce qui semble primordial pour identifier l’authentique cuisine mexicaine, c’est d’une part la qualité des produits : leur fraîcheur et l’absence de conservateurs ; et d’autre part les techniques employées dans l’élaboration du plat. En effet, le « fait-main » est privilégié, ainsi que le procédé de nixtamalisation pour la confection des tortillas de maïs, ce que confirme Ingrid quand elle soutient que lorsque l’on « fait de la gastronomie mexicaine, il faut connaître les bases de la nixtamalisation » (Annexe 2, pp. 144-148).
Le taco traditionnel mexicain
Voici plusieurs extraits d’entretiens que je me propose d’analyser par la suite : « Pour parler d’un taco, il faut parler d’une tortilla nixtamalisée. L’idée pour moi, peut-être trop ambitieuse, c’est qu’il faut utiliser des bons ingrédients et la farine nixtamalisée » (Ingrid, annexe 2, pp. 144-148).
« Un vrai taco c’est simple : déjà c’est une tortilla de maïs, la plupart du temps, et c’est farci de n’importe quelle farce ou ragoût ou ingrédient, mais aussi c’est pour moi important de faire la rondeur de la tortilla, c’est pas énorme comme un burrito. Parce que O’tacos ce qu’ils font c’est énorme, avec une tortilla, des frites et surtout je pense que le plus grave c’est qu’ils mettent le ketchup ou la mayonnaise, la sauce samouraï, il y a une quantité impressionnante de sauces que l’on trouve d’habitude dans les kébabs. Et le vrai taco c’est pas ça. Un ingrédient très important dans les tacos c’est la sauce faite maison avec une diversité de piments qui n’ont pas besoin d’être piquants tout le temps. En France il faut s’adapter un petit peu, faire avec le goût des Français. Il y a des choses immanquables dans un taco, c’est le coriandre, l’oignon, le citron, la sauce. C’est ça je pense qu’il faut respecter.
Une des caractéristiques du taco est qu’il est nourrissant et peut être bon pour la santé. Déjà le maïs a des choses positives pour la santé ; on utilise le cactus qui a des propriétés anticancérigènes. Un taco ça peut être un repas très positif, il y a des choses très bonnes pour la santé. Et c’est ça le côté complètement opposé avec le french tacos : le fromage, les frites, plusieurs viandes, etc. » (Luis, annexe 2, pp. 148-150). « Sans parler d’authentique déjà, pour moi c’est une question d’étape plus que d’ingrédients. Un taco pour moi c’est une tortilla de maïs avec une farce qui soit soit un fromage, soit une viande, soit un légume. Donc un ingrédient qui soit mariné ou grillé ou autre, mais il faut que ce soit préparé. C’est pas juste un morceau de poulet que tu mets. Pour moi, ça c’est un repas à la vas-vite, c’est pas un taco travaillé. Donc un vrai taco travaillé, c’est la tortilla, la farce préparée, ensuite ta garniture : cebolla, enfin oignon, ensuite ça dépend de la farce, mais coriandre et finalement une sauce, que ce soit piquant ou pas. Donc c’est des couches pour moi, y’a un ordre. Tu peux pas mettre la coriandre et ensuite la farce. C’est une pyramide en fait. Si on fait un parallèle, c’est vraiment une pyramide de choses.
Les faux-amis de la cuisine mexicaine
La cuisine mexicaine possède des faux-amis en France. Elle serait confondue avec la cuisine tex-mex. Et le taco mexicain se serait répandu sous la forme francisée du french tacos.
Dans cette partie il s’agit de présenter ces deux types culinaires, leur insertion sur le marché alimentaire français et de comprendre en quoi ils participent à diffuser une image erronée de la cuisine mexicaine en France.
La cuisine tex-mex
La cuisine tex-mex est née aux États-Unis de la rencontre des populations mexicaine et texane au XIXème siècle. Elle s’est ensuite diffusée à travers tout le pays jusqu’à devenir une cuisine très largement consommée. Elle a fait son apparition en France dans les années 1980 dans le marché des cuisines exotiques. Cependant, les sources expliquant l’insertion de cette cuisine sur le marché français sont manquantes. Je fais l’hypothèse qu’elle a pu y parvenir à travers le processus d’américanisation de la culture française et de la diffusion cinématographique du genre western, dont les protagonistes – les cowboys – fascinent le public européen.
Aux origines :Le terme TexMex est une contraction du terme anglais Texas and Mexican Railway, nom donné en 1881 à la ligne de chemin de fer qui reliait Corpus Christi à Laredo dans un premier temps, pour s’étendre deux ans plus tard jusqu’au Mexique. Le terme tex-mex est aujourd’hui utilisé pour qualifier ce qui provient de la rencontre des cultures mexicaine et texane comme la cuisine ou la musique. Le Texas était un État mexicain jusqu’à la guerre qui opposa le Mexique aux États-Unis ; en 1845 il fut rattaché à ces derniers après une courte période d’indépendance.
La cuisine tex-mex comprend des apports culinaires mexicains comme l’utilisation de la tortilla (mais préparée avec de la farine de blé là où dans la cuisine mexicaine on utilise davantage la farine de maïs), de piments, d’avocats et de haricots rouges, ainsi que des apports de la cuisine texane notamment pour les épices (cumin, paprika, etc.). Les plats les plus emblématiques de cette cuisine régionale sont le chili con carne, les fajitas, les burritos et les nachos.
Les french tacos
Originaire de Rhône-Alpes, le french tacos a inondé le marché de la restauration rapide française en peu de temps. La cuisine fast-food est arrivée en Europe au début des années 1970 (Fumey, 2007), et l’on dénombre en 2015 un peu plus de 64 000 entreprises de ce secteur en France. Produit syncrétique qui s’apparente à la fois au kébab, au panini et au sandwich américain, le french tacos se compose d’une grande tortilla de blé, garnie de viande, de frites, de sauce au fromage ‘maison’ et pliée en rectangle, puis passée au grill. Il est tellement populaire auprès des jeunes notamment, qu’on le retrouve dans les menus de snacks parisiens au côté des crêpes, burgers, paninis et kébabs. Les enseignes les plus répandues : Tacos Avenue, Takos King et O’tacos se sont même développées en franchises et la dernière est présente sur tout le territoire français, en Belgique, au Luxembourg, ainsi qu’au Maroc, et même à New York aux États-Unis.
Comment ce produit s’est-il fait une place de choix dans le paysage culinaire urbain français au point de détrôner le kébab et le burger selon certains journalistes ?
Aux origines :Il est difficile de définir avec exactitude l’origine de ce tacos français ; les sources fiables manquent. Cependant, il est le sujet de nombreux articles de web médias depuis 2016 dont CLIQUE qui intitule son sujet : « ENQUÊTE : Les Tacos, nouveaux rois du fast-food français ». Dans cet article, il est fait mention d’un documentaire en cours sur le phénomène french tacos : Tacos Origins. J’ai pris contact avec son réalisateur, Bastien, sur le réseau social en ligne Facebook et nous avons convenu d’un rendez-vous pour en discuter. Bastien réalise un documentaire à titre personnel sur le « phénomène french tacos » comme il le nomme, qui sera diffusé courant septembre sur internet. Il possède un master d’histoire et vient d’un quartier populaire de la banlieue de Grenoble. Aujourd’hui il vit et travaille à Paris dans le domaine du montage vidéo. Ce qui l’a intéressé au sujet du french tacos, c’est la rapidité avec laquelle les enseignes se sont multipliées jusqu’à transformer complètement le paysage des fast-foods grenoblois : «au bout de deux ans à Grenoble t’avais plus un kébab qui faisait pas des tacos» (Bastien, annexe 2, pp. 158-161).
L’Alliance Taco Identité Mexicaine
Parallèlement à la certification Auténtica Cocina Mexicana en Francia mise en place par la Chambre Économique du Mexique en France, un autre projet est né de l’inquiétude de restaurateurs mexicains à Paris face à la menace que représentent les french tacos. « Depuis quelques années on a commencé à voir qu’il y a une menace sur les tacos mexicains, les vrais tacos. C’est surtout cette marque ou cette entreprise qui s’appelle O’tacos, qui a déjà pris le nom des tacos, qui est un nom, un patrimoine intangible de la cuisine mexicaine. Et ça correspond à des besoins commerciaux de ces derniers temps de globalisation.
Donc ça fait déjà un an que j’ai commencé avec cette idée d’impulser la revalorisation du taco de la façon dont on les fait, et bon j’ai parlé un peu avec les principaux personnages de la vraie cuisine mexicaine à Paris, et on a la même inquiétude. C’est pour ça qu’on a décidé de faire cette alliance, ce sera une alliance pour reconnaître le taco mexicain. On a un petit label qu’on est en train de dessiner. Ce ne sera pas vraiment quelque chose d’officiel par rapport à la difficulté de faire ça, mais on va faire un logo qui identifie tous les restaurants qui font de la vraie cuisine mexicaine. C’est surtout le taco, déjà par exemple c’est la Chambre économique du Mexique en France qui s’occupe de façon générale de la cuisine mexicaine. On est plutôt focalisé sur le taco car c’est la menace qui est la plus latente.
Le label n’est pas encore fait, je pense que ce sera prêt en septembre. » (Luis, annexe 2, pp. 148-150) .Luis est l’instigateur de ce projet appelé Alliance Taco Identité Mexicaine. Il est lui-même restaurateur et gérant de Maria&Juana. Luis est cuisinier et a travaillé dans divers restaurants mexicains de Paris avant de créer son entreprise Maria&Juana dont le principe est de sillonner Paris en tricycle et de vendre des tacos et du guacamole. Il se positionne sur les terrasses de bars, avec leur autorisation, ou travaille en partenariat avec des organisateurs d’événements (festivals, séminaires, entreprises). L’objectif de sa formule est de «ramener la manière de manger les tacos, les rituels qu’on fait les Mexicains : manger debout face aux gens qui préparent la nourriture» (Luis, annexe 2, pp. 148-150).
D’une cuisine nationale à une cuisine patrimoniale
La cuisine nationale mexicaine prend forme parallèlement à la construction de l’idée de nation mexicaine.
Construction de la cuisine nationale mexicaine
Durant la période coloniale, les Espagnols tentèrent d’imposer leur cuisine à base de blé aux communautés autochtones, et ainsi d’éradiquer leur culture du maïs. Le blé a bien été adopté, surtout au nord du pays, mais le maïs perdure et demeure l’ingrédient de base de la cuisine indienne (Pilcher, 2001). On observe alors un clivage à la fois régional, social et racial quant aux pratiques culinaires du Mexique de l’époque coloniale.
La catégorie cuisine mexicaine est née dans le contexte de formation de la nation mexicaine que nous avons exposée précédemment, lorsque les élites créoles cherchaient à constituer un ensemble homogène après l’Indépendance. Ces élites boudent le modèle espagnol pour se tourner vers d’autres références culturelles, notamment françaises ; l’idée étant de se différencier des autres pays du continent, mais aussi de se distinguer des autres couches sociales du pays.
L’histoire de la cuisine mexicaine débute avec la publication dans les années 1830 de livres de cuisine afrancesados (francisés) édités et imprimés en France, dans lesquels se côtoient recettes françaises et recettes locales mexicaines (Bak-Geller Corona, 2008).
Ces livres traduits en espagnols sont largement diffusés sur le continent latino-américain à partir de 1849 lorsque de nouvelles éditions substituent à la dénomination estilo mexicano (style mexicain) celle de estilo americano (style américain). L’anthropologue Sarah Bak-Geller Corona (2008) précise que « jusqu’au milieu du XIXème siècle, il y a une absence de livres spécifiques aux différentes régions de l’ex-Empire espagnol, et les livres de cuisine ne font pas exception » (p.3).
La patrimonialisation de la cuisine
La patrimonialisation de la cuisine mexicaine, qui date de 2010, est un argument mis en avant par certains de mes interlocuteurs : « C’est la seule cuisine considérée patrimoine immatériel de l’humanité. Je veux dire la seule cuisine traditionnelle, car la cuisine française est aussi au patrimoine de l’humanité mais c’est le rituel, l’accompagnement avec du vin, les manières. […] Chaque plat a une signification, a un porqué [pourquoi] et est né pour quelque chose ; il y a un rituel. Je veux dire que tous les plats que nous préparons comportent un rituel, depuis le moment où les produits sont semés jusqu’à leur arrivée dans l’assiette. » (Mercedes, annexe 2, pp. 142-144). « Parce qu’il faut voir que la cuisine mexicaine, depuis 2010, elle est inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité, mais on n’a rien fait pour l’instant avec. » (Maria Rosa, annexe 2, pp. 154-158).
« Parce que la cuisine mexicaine, comme la française est patrimoine, et si c’est patrimoine, c’est pour quelque chose… parce que c’est tradition, et parce qu’il y a une raison de la faire, parce que la cuisine est très bonne. » (Alejandra, annexe 2, pp. 162-168).
« C’est surtout cette marque ou cette entreprise qui s’appelle O’tacos, qui a déjà pris le nom des tacos, qui est un nom, un patrimoine intangible de la cuisine mexicaine. […] Donc je pense que pour nous les Mexicains c’est important de préserver, de valoriser, de faire les choses de façon plus authentique comme on les fait au Mexique, pour ne pas perdre cette tradition, la culture du taco. » (Luis, annexe 2, pp. 148-150)
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Table des matières
Introduction
I. Les cuisines mexicaines en France
A. La véritable cuisine mexicaine : point de vue des acteurs
1. L’authentique cuisine mexicaine
2. Le taco traditionnel mexicain
B. Les faux-amis de la cuisine mexicaine
1. La cuisine tex-mex
2. Les french tacos
II. Les stratégies d’authentification de la véritable cuisine mexicaine en France
A. Labellisation
1. Auténtica Cocina Mexicana en Francia
2. L’Alliance Taco Identité Mexicaine
B. Mise en scène
1. Nom et auto-qualification
2. Décoration
3. Cuisine
C. Événements
1. Salons et marchés
2. Festival
3. Réseaux sociaux
III. Les enjeux de la promotion de la vraie cuisine mexicaine en France
A. Cuisine et identité
1. L’identité mexicaine
2. D’une cuisine nationale à une cuisine patrimoniale
3. Le taco
B. Cuisine et ressource économique
1. Stratégies marchandes
2. Concurrence sur le marché
Conclusion
Bibliographie
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