Les crotalinae de guyane

On estime qu’un peu plus de cinq millions de personnes seraient mordues chaque année dans le monde par des serpents. Parmi elles, on compte entre 100 000 et 125000 décès par an. Ce sont surtout les pays en voie de développement de l’hémisphère Sud qui déplorent les plus fortes incidence et morbidité, la faute aux fortes densités humaine et ophidienne, à l’agriculture pratiquée selon des méthodes traditionnelles et au système de soins défaillant. Ce triste constat a mené l’OMS à qualifier les envenimations ophidiennes de « maladie tropicale négligée » en 2007 (1). En Guyane française, les dernières statistiques mentionnent une incidence annuelle inférieure à 50 morsures pour 100 000 habitants (2), assez proche de celle observée dans l’état voisin d’Amapá au Brésil (3). Ce chiffre passerait à presque 600 pour 100 000 en forêt primaire (2,4). La surface du département étant recouverte à plus de 90% par ce type d’habitat, on comprend aisément le risque encouru par les populations guyanaises dès lors qu’elles s’y aventurent. Parmi les appels passés au SAMU au motif d’agression par la faune sauvage, la morsure ophidienne tient d’ailleurs la seconde place (15,6% des appels) derrière les piqûres d’hyménoptères (36,9%) (5). Ce sont bien évidemment les Crotalinés qui causent l’immense majorité des cas, avec des séquelles parfois dévastatrices. L’immunothérapie antivenimeuse est le seul traitement spécifique de cette affection officiellement validé par l’OMS. Il y a deux ans, le Centre Hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni a choisi de se doter d’un antivenin : l’Antivipmyn Tri® et est actuellement pilote dans son utilisation en Guyane française. Nous proposons d’évaluer son efficacité avec un an et demi de recul. Avant cela, penchons nous sur le risque d’envenimation. De façon générale, pour qu’un organisme venimeux présente un danger : il faut que son venin soit toxique pour l’homme,qu’il dispose d’un appareil vulnérant permettant de l’injecter et que les rencontres entre l’homme et cet animal soient fréquentes. Pour estimer le risque d’envenimations par les Crotalinés, il nous faut étudier chacun des trois paramètres de cette triade. L’étude de leur fonction venimeuse passe par la zoologie et la biochimie. Les déterminants de la rencontre entre hommes et serpents sont à rechercher dans l’écologie des ophidiens, la démographie humaine de l’Ouest guyanais et les représentations culturelles en vigueur dans les différentes communautés.

LES CROTALINAE DE GUYANE 

Les serpents sont classiquement divisés en 18 familles dont quatre seulement détiennent des représentants venimeux : les Lamprophiidae, les Colubridae, les Elapidae et les Viperidae (6). La sous-famille des Crotalinae – également orthographié Crotalinés – comprend les Viperidae d’Amérique et quelques uns présents en Asie. Ils se distinguent des Vipéridés de l’Ancien Monde – c’est à dire les Viperinae – par la présence d’une fossette loréale, organe thermosensible aidant à la détection des proies. Leur aspect général rejoint néanmoins celui des Viperinae : le corps est robuste, la queue courte et la tête triangulaire avec un cou fortement marqué. La pupille est verticale et elliptique. L’écaillure céphalique est généralement constituée de petites écailles identiques aux dorsales. L’appareil venimeux est lui aussi similaire, caractérisant la denture solénoglyphe : portés à l’avant d’un os maxillaire court et mobile autour de l’articulation préfrontale, les crochets – de taille considérable – sont canaliculés et se redressent au moment de la morsure (figure 1). La glande à venin se trouve en région temporale, sa lumière communique avec les canalicules des crochets. Elle est entourée d’une musculature striée propre, assurant une injection volontaire du venin sous pression. Ce type d’appareil vulnérant est de loin le plus redoutable pour l’homme car particulièrement adapté à l’immobilisation des grosses proies .

Les Crotalinae guyanais comprennent six espèces réparties en trois genres : Bothrops, Lachesis et Crotalus. La distinction du genre et de l’espèce repose sur des clés de détermination basées sur des caractères morphologiques. La coloration est souvent peu retenue dans ces clés car sujette à de fortes variations individuelles (8). Les clés les plus communément admises s’appuient sur l’écaillure .

Genre Bothrops

Communément appelés « grages » ou « fers de lances », le carénage de leurs écailles évoque la rugosité des râpes à manioc traditionnelles et la tête – nettement triangulaire – la pointe d’une flèche (figure 2). Quatre espèces sont décrites en Guyane.

Bothrops atrox 

Espèce la plus commune du territoire, c’est aussi la mieux adaptée aux zones anthropisées et donc la plus fréquemment retrouvée dans les cas d’envenimations (2). Les Indiens Kali’na la nomment kinodo, les Wayãpi yalala, les Noirs Marrons owroekoekoe et les brésiliens comboia ou jararaca. Largement répartie sur la partie Nord de l’Amérique du Sud, on la retrouve du Venezuela à l’Argentine en passant par la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Plateau des Guyanes et même Trinidad & Tobago (figure 3). Tout aussi ubiquitaire de par son habitat, B. atrox occupe le sol forestier, les savanes, les broussailles, les zones cultivées, les abattis… La présence de l’homme ne lui est nullement répulsive puisqu’on l’observe fréquemment à proximité des habitations en zone péri-urbaine (jardins, terrasses, carbets…). De taille moyenne (700 à 900 mm), sa livrée est généralement gris marron, terne et fortement homochrome à la litière forestière (figure 4). On peut y distinguer des motifs, faits de taches sombres et de « V » renversés, plus apparents chez les jeunes spécimens. La partie inférieure de la tête et l’extrémité de la queue sont jaunes pâles. Terrestre et essentiellement nocturne, B. atrox est actif avant la tombée de la nuit dès 17h30 – 18h. Il se nourrit de petits mammifères, de lézards, d’amphibiens et de reptiles (8). Vivipare, la femelle peut mettre bas jusqu’à 50 petits. De par sa fréquence et sa témérité, Bothrops atrox est le premier Crotalinae d’importance médicale en Guyane.

Bothrops brazili 

Appelée graj ti karo ou graj rouj par les créoles, topototo par les Kali’na, ulukukula par les Wayãpi, boesi-owroekoekoe par les Noirs Marrons et jararaca vermelha ou falsa surucucu par les brésiliens, cette espèce est beaucoup plus timide que la précédente. Présente dans tout le Bassin Amazonien et les Guyanes, elle affectionne les collines de forêts primaire et anciennement secondarisée. Elle semble s’adapter difficilement aux altérations humaines de son biotope et ne s’observe pas souvent. À peine plus grand en moyenne que B. atrox (850 à 1000 mm), sa couleur principale va du marron clair au jaune sable. Des motifs faits de triangles noirs symétriques se dessinent distinctement sur ses flancs, ils sont jointifs sur le sommet . La queue est sombre. Ses mœurs et régime alimentaire sont les mêmes que ceux de B. atrox (8).

Bothrops bilineatus 

Appelé jako par les créoles, kulewako yumo par les Kali’na, popokaisneki par les Noirs Marrons et jararaca verde ou cobra papagaio par les brésiliens. Il s’agit d’une espèce arboricole à queue préhensile, d’où les noms vernaculaires renvoyant au perroquet. Sa répartition est toujours en cours de précision, on atteste sa présence au Brésil (dans les états de Bahia, Minas Gerais, Espírito Santo, Mato Grosso, Rondônia, Acre, Amazonas, Pará et Amapá), au Vénézuela, en Colombie, en Équateur, au Pérou et dans les trois Guyanes (6). B. bilineatus mesure 600 à 800 mm en moyenne, il est vert clair avec des petits traits dorés disposés en quinconce de part et d’autre de la ligne vertébrale (figure 4). Ses écailles sont mouchetées de minuscules points gris sombres, principalement au niveau de la tête. Le ventre est jaune et délimité des flancs par une ligne longitudinale jaune de chaque côté. La queue est plus claire que le reste du corps et sert de leurre lors de la prédation. B. bilineatus est nocturne et ses proies sont essentiellement arboricoles :

oiseaux, lézards du genre Anolis, grenouilles des genres Osteocephalus et Hypsiboas et petits marsupiaux. Il évolue dans les strates arbustive et arborée de forêts primaire et secondaire dès 30 à 60 cm du sol (8). De façon surprenante, le jacquot a causé plus du tiers des envenimations recensées par Smalligan et al. entre 1997 et 2002 dans la province de Pastaza en Équateur (11). Il pourrait donc occuper la deuxième place derrière B. atrox en Guyane également.

Bothrops taeniatus 

Très peu commune en Guyane, cette espèce est surtout présente à l’Est des Andes : Colombie, Équateur, Pérou, Brésil. Les rares spécimens guyanais ont été collectés dans le sud du département, dans des zones difficiles d’accès. Tout comme B. brazili, elle paraît très sensible aux bouleversements écologiques engendrés par l’homme. Les Noirs Marrons la nomment boomowroekoekoe et les brésiliens jararaca tigrina. Mesurant 500 à 900 mm en moyenne, sa couleur est généralement gris-marron moucheté de taches sombres, l’iris est lui aussi moucheté de points jaunes et noirs ce qui permet d’accroitre l’homochromie avec l’écorce ou le lichen . Nocturne et arboricole à l’instar de B. bilineatus, elle affectionne les mêmes proies (8).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. LES CROTALINAE DE GUYANE
1. 1. Genre Bothrops
1. 2. Genre Lachesis
1. 3. Genre Crotalus
2. AUTRES SERPENTS VENIMEUX
3. L’OUEST GUYANAIS : CADRE GÉOGRAPHIQUE ET HUMAIN
3. 1. Formations végétales et foyers de peuplement ophidiens
3. 2. Climat, saisons et rythmes d’activité des serpents
3. 3. Les peuples de Guyane et leur rapport au serpent
3. 4. L’offre de soins dans l’Ouest guyanais
4. TOXICITÉ DES VENINS DE CROTALINÉS
4. 1. Toxicité théorique et expérimentale
4. 2. Toxicité clinique : le syndrome vipérin et sa physiopathologie
4. 3. Traitement recommandé
5. L’IMMUNOTHÉRAPIE ANTIVENIMEUSE
5. 1. Principe
5. 2. Bref historique de la sérothérapie
5. 3. Fabrication des sérums actuels
5. 4. Pharmacodynamie
5. 5. Pharmacocinétique
5. 6. Évaluation de l’efficacité
5. 7. Effets indésirables
5. 8. L’Antivipmyn Tri®
6. CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET JUSTIFICATION DE L’ÉTUDE
MATÉRIEL & MÉTHODES
1. Type d’étude
2. Recueil des données
3. Patients
Critères d’inclusion
Critères d’exclusion
4. Critères de jugement
5. Représentations graphiques et méthodes statistiques
RÉSULTATS
1. Comparabilité des deux groupes
2. Cinétique du TP
3. Cinétique du TCA ratio
4. Cinétique du fibrinogène
5. Critères de jugement secondaires
6. Délai d’administration de l’antivenin
7. Effets indésirables liés à l’immunothérapie
8. Situations cliniques remarquables
9. Modèle d’évolution spontanée des paramètres d’hémostase
DISCUSSION
1. INEFFICACITÉ DU SÉRUM ? LES RAISONS POSSIBLES
1. 1. Posologie insuffisante et limites de l’étude
1. 2. Inadéquation des espèces et para-spécificité infondée
1. 3. Altérations liées à la captivité
1. 4. Effet immunomodulateur des co-immunogènes
1. 5. Sous-populations de Bothrops atrox et faible immunogénicité des venins « ontogénétiques »
2. PERSPECTIVES POUR LA GUYANE
2. 1. Le diagnostic d’espèce par dosage immuno-enzymatique (EIA)
2. 2. Analyses protéomiques
2. 3. Changement de sérum et actualisation du protocole
2. 4. Changement de modèle animal
2. 5. Recherches ethnobotaniques. Se tourner vers les plantes ?
2. 6. Étudier l’immunité naturelle des populations anciennement et régulièrement confrontées aux Crotalinés
2. 7. Connaître le domaine vital de Bothrops atrox
2. 8. Urbanisation et impact sanitaire
CONCLUSION

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