Les critères généraux et les propriétés générales du phénomène de figement

Les critères généraux et les propriétés générales du phénomène de figement 

Les critères généraux (ou propriétés générales) qui mettent en évidence le phénomène de figement s’appliquent au niveau lexical, syntaxique et sémantique. De manière générale, nos critères de figement se réfèrent à des tests bien précis, auxquels nous avons soumis les séquences de structure N (E + DET:G) N:G. En revanche, les propriétés de figement ne se réfèrent à aucun test, mais résultent d’observations qui nous aident souvent à mesurer le degré de figement. Nous présentons ci-dessous les critères que nous avons appliqués aux séquences de structure N (E + DET:G) N:G du grec moderne et qui prennent appui sur ceux proposés par G. Gross (1996a : 9-22). Les propriétés de figement sont présentées à la suite des critères. Notons que les critères sont exposés tout au long de ce chapitre selon l’ordre de leur application, à savoir :

– la polylexicalité (ou la combinatoire lexicale),
– la non-compositionnalité du sens ou les contraintes sémantiques,
– le blocage des propriétés transformationnelles (ou les contraintes syntaxiques),
– la non-actualisation des éléments constitutifs,
– la non-prédication des noms composés,
– le blocage des paradigmes synonymiques (ou les contraintes lexicales),
– la non-insertion,
– la coordination,
– le degré de figement.

Les deux propriétés que nous avons étudiées et qui sont étroitement liées aux critères de figement sont les suivantes :
– le défigement,
– l’étymologie.

La polylexicalité

« La première condition nécessaire pour qu’on puisse parler de figement est que l’on soit en présence d’une séquence de plusieurs mots et que ces mots aient, par ailleurs, une existence autonome. Cela exclut les suites formées à l’aide d’un affixe (i.e. préfixe, suffixe), qui relèvent de ce qu’on appelle la dérivation » (G. Gross 1996a: 9). Comme nous l’avons signalé dans I, 1.1.1, du point de vue du TAL, la séparation entre mots simples et mots composés (ou « multi-mots ») est purement graphique : un mot composé (ou « multi mot ») est une suite constituée d’au moins deux mots simples et un séparateur (M. Silberztein 1990). Nous admettons comme séparateurs des noms composés du grec moderne les séparateurs suivants : le blanc, le trait d’union et l’apostrophe :

ζώνη ασφαλείας
(ceinture de sécurité)
δακτυλικό αποτύπωµα
(empreinte digitale)
νόµος-πλαίσιο
(loi cadre)
εισιτήριο µετ’ επιστροφής
(billet aller retour) .

La non-compositionnalité du sens (ou les contraintes sémantiques)

La notion de compositionnalité repose traditionnellement sur le fait que « le sens d’une séquence donnée est le produit du sens de ses composants. Ainsi le sens d’une phrase est facteur de celui de son prédicat et de celui de ses arguments » (G. Gross 1996a : 10). Pour illustrer la notion de compositionnalité, prenons l’exemple de la phrase suivante :

Η Μαρία διαβάζει ένα βιβλίο
La-Nfs Maria-Nfs lit un-Gns livre-Gns
(Marie lit un livre)

Le sens de cette phrase est compositionnel, car il se déduit de celui de son prédicat et de celui de ses arguments. Cependant, dans les langues il existe également un nombre important de phrases qui ne sont pas compositionnelles. Ces phrases ne peuvent pas être interprétées littéralement, car les mots qui les composent n’y conservent pas leur sens habituel. Voici un exemple d’une phrase non-compositionnelle :

Μου ανεβαίνει το αίµα στο κεφάλι
Me-Gs monte le-Nns sang-Nns à la-Ans tête-Ans
(La moutarde me monte au nez) 

« Ce que nous venons de dire de la phrase s’applique également aux unités de niveau inférieur. Un groupe nominal s’interprète en fonction du sens ordinaire de ses éléments constitutifs : substantif-tête et modifieur, que ce modifieur soit une relative, un adjectif ou un complément de nom » (G. Gross 1996a : 11). Ceci est donc valable pour les séquences de structure N (E + DET:G) N:G que nous étudions dans le cadre de ce travail. Ainsi, dans l’exemple :

το βιβλίο της Μαρίας (=: το βιβλίο που ανήκει στη Μαρία)
(le livre de Marie) (=: le livre qui appartient à Marie)

le sens du groupe nominal est compositionnel, c’est-à-dire qu’il se déduit du sens ordinaire de ses éléments constitutifs. En revanche, dans l’exemple suivant :

το κουτί της Πανδώρας (≠: το κουτί που ανήκει στην Πανδώρα)
(la boîte de Pandore) (≠: la boîte qui appartient à Pandore)

le sens du groupe nominal n’est pas compositionnel, car on ne parle pas d’« une boîte qui appartient à Pandore », mais d’« une situation qui constitue la source de nombreux malheurs ». A l’instar des phrases qui donnent lieu à une double lecture (cf. G. Gross 1996a : 11), il existe également des groupes nominaux qui donnent lieu à deux lectures, une compositionnelle et une non-compositionnelle. Par exemple le groupe nominal πρίγκιπας του παραµυθιού/prince de la fable peut être interprété de manière compositionnelle et, dans ce cas, désigner le protagoniste d’une histoire imaginaire. Le même groupe nominal peut donner lieu à une lecture non-compositionnelle :

πρίγκιπας του παραµυθιού
(prince charmant)

Dans le deuxième cas, il ne se réfère pas au protagoniste d’une histoire imaginaire, mais il désigne l’homme idéal. Dans ce cas, nous sommes en présence d’une suite sémantiquement figée et contrainte lexicalement . Notons aussi que, selon E. Laporte (1988 : 121), « même lorsqu’on peut employer une locution dans le sens littéral, on a tendance à éviter de le faire, car l’interprétation idiomatique est préférée à l’interprétation littérale ».

Les exemples que nous avons examinés jusqu’à présent représentent les deux extrêmes du phénomène de figement. Il s’agit soit de séquences compositionnelles (ou libres) soit de séquences qui mettent en jeu un figement qu’on pourrait appeler « total », puisque aucun des éléments de la séquence ne permet de choix ni au niveau lexical ni au niveau syntaxique. Cependant, comme nous le montrerons par la suite (cf. I, 2.2.9), la non-compositionnalité du sens est un phénomène scalaire : le degré de figement est un paramètre qui calcule les contraintes de nature lexicale, syntaxique et sémantique, affectant la relation entre les éléments constitutifs d’une suite donnée.

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE : DELIMITATION DE L’ETUDE
Chapitre 1. Travaux antérieurs
1.1 Survol de la littérature sur les noms composés en grec moderne
1.1.1 Classification des noms composés en grec moderne
1.2 Survol de la littérature sur les noms composés en français
Chapitre 2. La notion de figement
2.1 Introduction
2.2 Les critères généraux et les propriétés générales du phénomène de figement
2.2.1 La polylexicalité
2.2.2 La non-compositionnalité du sens (ou les contraintes sémantiques)
2.2.3 Le blocage des propriétés transformationnelles
2.2.4 La non-actualisation des éléments constitutifs
2.2.5 La non-prédication des noms composés
2.2.6 Le blocage des paradigmes synonymiques (ou les contraintes lexicales)
2.2.7 La non-insertion
2.2.8 La coordination
2.2.9 Le degré de figement
2.2.10 Le défigement
2.2.11 Etymologie
2.3 Distinction des N (E + DET:G) N:G par rapport au degré de leur figement
2.3.1 Les N (E + DET:G) N:G entièrement figés
2.3.2 Les N (E + DET:G) N:G semi-figés (ou productifs)
2.3.3 Conclusion
DEUXIEME PARTIE : LE RECENSEMENT DES DONNEES
Chapitre 3. Brève description du dictionnaire électronique morphologique
3.1 Introduction
3.2 Le dictionnaire électronique morphologique des noms composés du grec moderne
Chapitre 4. Le recensement
4.1 Introduction
4.2 Méthodes de recensement
4.2.1 Validation des entrées N (E + DET:G) N:G du DELAC existant
4.2.2 Méthode manuelle : compilation de grammaires et de dictionnaires d’usage
4.2.3 Méthode semi-automatique : application de motifs morphosyntaxiques à des corpus de textes écrits
4.2.4 Proposition de sous-catégorisation des N (E + DET:G) N:G
Chapitre 5. La variation
5.1 Introduction
5.2 Les noms composés binaires
5.2.1 Variantes lexicales
5.2.1.1 Possibilité de substitution des formes savantes par des formes démotiques
5.2.1.2 Possibilité de substitution des formes du grec par des emprunts
5.2.1.3 Possibilité de substitution par des formes en latin
5.2.1.4 Possibilité de substitution du nom-tête par son diminutif
5.2.1.5 Possibilité de substitution du deuxième composant nominal par une forme non-lexicale
5.2.1.6 Variation de nombre
5.2.2 Variantes orthographiques
5.2.3 Possibilité de substitution par des formes abrégées
5.2.4 Variantes phonologiques
5.2.5 Variantes syntaxiques
5.2.5.1 La réduction du déterminant
5.2.5.2 La réduction du nom-tête
5.2.5.3 La réduction du deuxième composant nominal
5.2.5.4 La permutation
5.2.5.5 Les variantes de type AN
5.2.5.6 Les variantes soudées
5.2.5.7 Les variantes en N Prép (E+DET) N
5.2.5.8 Les N (E+Prép) (E+DET:G) N:G
5.3 Les noms composés complexes (ou surcomposés) de structure N1 (E+DET:G) A:G N2:G
5.3.1 Variantes lexicales
5.3.1.1 Possibilité de substitution des formes savantes par des formes démotiques
5.3.1.2 Possibilité de substitution d’un mot par un autre mot du même registre
5.3.1.3 Possibilité de substitution du singulier par le pluriel
5.3.2 Variantes orthographiques
5.3.3 Possibilité de substitution par des formes abrégées
5.3.3 Variantes syntaxiques
TROISIEME PARTIE : STRUCTURE LEXICALE INTERNE
Chapitre 6. Les différentes catégories et sous-catégories des N (E + DET:G) N:G
6.1 Introduction
6.1 Les noms composés binaires de structure N (E+DET:G) N:G
6.3 Les noms composés complexes (ou surcomposés)
6.4 Les noms composés entièrement figés
6.5 Les syntagmes nominaux semi-figés (ou productifs)
6.6 Les entités nommées
6.7 Les termes de spécialité
6.8 Les syntagmes nominaux figés faisant partie d’une phrase simple figée et qui ont également un emploi autonome en dehors de celle-ci
Chapitre 7. La structure lexicale interne des noms composés N (E+DET:G) N:G
7.1 Introduction
7.2 Les déterminants
7.2.1 Les déterminants dans les noms composés de structure N (E+DET:G) N:G
7.2.1.1 Déterminants définis
7.2.1.1.1 Articles définis
7.2.1.1.1 Possessifs sans source
7.2.1.2 Déterminants indéfinis
7.2.1.2.1 Articles et adjectifs indéfinis
7.2.1.2.2 Déterminants numéraux
7.2.1.2.3 Déterminant zéro
Conclusion

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