Les origines de l’invariance d’échelles
Une caractéristique intéressante des signaux EEGs est le comportement en loi de puissance du spectre fréquentiel (Yamaguchi (2003)). Ce type de comportement est bien connu car, on le retrouve dans différents domaines tels que l’hydrologie (Hubert et Carbonnel (2001)), la finance (Mandelbrot (1999)) ou le trafic internet (Crovella et Bestavros (1997)). En effet, ces signaux sont appelés invariants d’échelles, de part le lien déterministe ou statistique qui existe entre les différentes échelles. Historiquement, l’analyse multi-échelle puise ses sources en physique, plus particulièrement dans l’étude des turbulences. Les physiciens de la turbulence se sont très tôt rendus compte d’un aspect essentiel de ce type de signaux : il existe des composantes dynamiques sur une large gamme d’échelles. Afin de décrire ce comportement un concept extrêmement fécond fût introduit : la cascade d’énergie à travers les échelles, depuis les plus grandes vers les plus petites (Richardson (1922)).
Les mouvements correspondant à une échelle donnée, souvent décrits comme des tourbillons, engendrent des mouvements à des échelles plus petites. Ainsi, l’énergie transite depuis une grande échelle, à laquelle elle est injectée par des forces extérieures, jusqu’à des échelles plus petites, où elle est dissipée. Entre les deux échelles extrêmes, l’échelle d’injection et l’échelle dissipative, s’étend alors, selon cette description phénoménologique, toute une gamme d’échelles, les échelles dites inertielles, pour lesquelles l’énergie est seulement transférée, sans être atténuée. Il n’existe pas d’échelle caractéristique à l’intérieur de la gamme des échelles inertielles, ce qui signifie que l’énergie est transférée sans perte de la même façon à chaque échelle. La phénoménologie de la cascade d’énergie est ainsi intimement reliée à une hypothèse d’invariance d’échelle, qui suppose l’absence de toute échelle caractéristique. Cette hypothèse aboutit naturellement à des comportements en loi de puissance en fonction de l’échelle, pour les grandeurs statistiques utilisées pour caractériser la turbulence.
Les travaux de Yaglom (1966), Mandelbrot (1974) et Novikov (1971) sont parmi les premiers à avoir posé les bases d’une modélisation des champs turbulents par des mesures et des processus aléatoires invariants d’échelles. C’est à la suite des travaux sur la transformée en ondelettes de Grossmann et Morlet (1984) qu’une nouvelle grandeur statistique fût utilisée pour l’étude de l’invariance d’échelle. Par la suite, la version discrète introduite par Mallat (1989) fût renormalisée dans les travaux de Jaffard (2004) afin d’aboutir à un nouveau formalisme appelé « coefficients dominants ». Ces coefficients dominants appelés aussi wavelet leaders en anglais reposent sur une base mathématique solide et constituent un élément central de l’analyse multi-échelle. Ce formalisme offre une plus grande robustesse d’un point de vue statistique.
Les récentes applications au domaine médical
L’analyse multi-échelles permet, entre autres choses, l’estimation des propriétés d’invariance d’échelles. Elle est présente dans de nombreux champs tel que le domaine médical. Par exemple, Maxim et al. (2005) appliquent l’analyse multi-échelles au bruit en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) chez les patients atteints d’Alzheimer précoce. Ces travaux mesurent l’invariance d’échelle de ce bruit (signal BOLD) afin de différencier les sujets sains des patients. En effet, les travaux de Maxim et al. (2005) démontrent que dans certaines régions du cortex telles que les lobes temporaux, médians et latéraux, il est possible de distinguer le patient du sujet sain en s’appuyant sur l’invariance d’échelles du signal. L’analyse multi-échelles permet dans ce cas une identification des patients atteints d’Alzheimer précoce en plus d’apporter une meilleure compréhension de la physiopathologie. Les travaux de Brodu et al. (2012) dans le domaine du Brain computer interface (BCI) sont un autre exemple plus récent de l’utilisation des propriétés d’invariance d’échelles des signaux. Ces travaux portent plus précisément sur la réponse électrique neuronale d’un sujet en réaction à des mouvements imaginaires. En effet, le simple fait d’imaginer un mouvement alors que le sujet est immobile déclenche des variations de l’EEG dans des bandes fréquentielles spécifiques.
Ces travaux se concentrent sur l’extraction de ces caractéristiques à partir de l’analyse multi-échelles afin d’identifier l’état mental dans lequel le patient se trouve. Les performances des outils développés dans ces travaux indiquent que les quantités issues de l’analyse multi-échelles peuvent être utilisées seules ou combinées à d’autres mesures afin d’identifier l’état mental du sujet. Ces travaux montrent que l’étude des propriétés d’invariance d’échelles possèdent clairement un potentiel discriminant à l’égard des signaux électrophysiologiques tels que l’IRMf et l’EEG. Il est donc légitime de s’interroger sur l’existence et la pertinence du rôle joué par l’invariance d’échelle au sein des signaux EEG intracrâniens. Les travaux de Brodu et al. (2012) et Maxim et al. (2005) présentent certaines similitudes avec ceux présentés dans ce mémoire car, dans les deux cas il est question d’effectuer la différentiation d’un état, mental dans Brodu et al. (2012) et pathologique dans Maxim et al. (2005). Les travaux présentés dans ce mémoire se placent dans la même optique en cherchant à mieux comprendre et caractériser un signal électrophysiologique en s’appuyant sur les liens existant entre les différentes fréquences du signal. Dans ce mémoire, la différenciation se fait entre la phase interictale et préictale des signaux EEG intracrâniens des patients épileptiques. Une bonne compréhension de l’épilepsie et des signaux EEG intracrâniens en particulier est nécessaire pour la discrimination des phases. Le chapitre suivant a pour but d’apporter ces connaissance primordiales.
L’EEG intracrânien
Localiser la zone épileptogène est une tâche compliquée qui se base en partie sur le comportement du patient lors des crises. Généralement, le travail de localisation se base aussi sur l’activité électrophysiologique. Elle peut être faite en faisant appel à différentes modalités telles que : l’électroencéphalogramme (EEG), l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), la tomographie par émission de positrons (TEP), la magnetoencephalographie (MEG), la tomographie par émission monophotonique (TEMP), l’imagerie par résonance magnétique (IRM) morphologique et l’évaluation neuropsychologique. Ces méthodes sont dites non invasives car elles sont simples à mettre en oeuvre et ne présentent aucun risque pour la vie du patient. L’évaluation pré-chirurgicale de l’épilepsie à pour objectif la recherche de zone épileptogène avec toutes les modalités énumérées précédemment. Il arrive que ces méthodes non invasives ne fournissent pas suffisamment d’information sur l’emplacement de la zone épileptogène. Dans ce cas, on peut envisager une méthode invasive comme l’EEG intracrânien.
Cette modalité permet une meilleure localisation de la zone épileptogène et par conséquent de meilleurs résultats. Si le patient a une épilepsie focale, il peut être candidat à la chirurgie qui consiste à retirer les tissus pathogènes. Il devra subir au préalable une pré-chirurgie afin de savoir exactement quelles sont les parties du cerveau à l’origine des crises. L’EEG conventionnel est un exemple de méthode exploratoire non invasive qui permet l’enregistrement de l’activité électrique du cerveau à l’aide d’électrodes placées sur le cuir chevelu. À l’inverse, l’EEG intracrânien est une méthode exploratoire invasive qui consiste à placer les électrodes dans le cerveau du patient. Les électrodes sont placées durant la pré-chirurgie dans les régions supposées être à l’origine des troubles neurologiques. Ce placement in situ permet d’explorer l’activité bioélectrique qui porte l’information sur la nature de l’épilepsie du patient. L’utilisation de l’EEG intracrâniens avec des électrodes présente trois principaux avantages. Le premier est de pouvoir accéder à des structures profondes dans le cerveau, comme l’amygdale et l’hippocampe. L’accès à ces structure profonde est un atout majeur car il per met une meilleure acquisition des OHFs qui sont des biomarqueurs de l’épilepsie.
À l’inverse, l’électrocorticogramme (ECoG) qui consiste à placer une grille d’électrodes dans la couche sousdurale du cerveau ne permet pas l’accès à ces structures profondes. Le second avantage de l’EEG intracrâniens avec des électrodes est qu’il permet de mesurer avec une très grande précision spatiale l’activité cérébrale. Le troisième avantage de cette approche est qu’elle permet d’éviter l’atténuation du signal EEG. En effet, contrairement à l’EEG sur le cuir chevelu, l’EEG intracrânien offre un meilleur rapport signal sur bruit avec un contenu fréquentiel plus riche. Étant donné que l’acquisition se fait in situ, le signal mesuré ne passe pas à travers la boite crânienne qui comme un filtre le déforme, l’atténue et modifie l’étendu de sa bande spectrale. Par conséquent, le signal EEG intracrânien se prête à une investigation multi-spectrale sur toute une gamme de fréquences et d’échelles. Cependant, l’EEG intracrânien présent un inconvénient. Sa précision est telle que si l’électrode n’est pas située exactement dans la zone épileptogène, il est possible que le signal mesuré ne soit pas celui escompté. Donc, la grande précision de l’EEG intracrânien se révèle être à la fois un avantage et un inconvénient.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 L’ÉTAT DE L’ART SUR L’INVARIANCE D’ÉCHELLES
1.1 Les origines de l’invariance d’échelles
1.2 Les récentes applications au domaine médical
CHAPITRE 2 L’ÉPILEPSIE
2.1 Les crises
2.1.1 Les crises focales
2.1.1.1 Les crises focales simples
2.1.1.2 Les crises focales complexes
2.1.1.3 Les crises focales secondairement généralisées
2.1.2 Les crises généralisées
2.1.2.1 L’absence épileptique
2.1.2.2 Les crises myocloniques
2.1.2.3 Les crises cloniques
2.1.2.4 Les crises toniques
2.1.2.5 Les crises atoniques
2.1.2.6 Les crises tonico-cloniques
2.2 Le traitement
2.3 L’EEG intracrânien
2.4 L’anatomie du cerveau
CHAPITRE 3 L’INVARIANCE D’ÉCHELLES
3.1 La définition
3.2 L’exemple du mBf
CHAPITRE 4 LA TRANSFORMÉE EN ONDELETTES
4.1 La transformée en ondelettes continues
4.2 La transformée en ondelettes discrètes dyadiques
4.3 La transformée en ondelettes à coefficients dominants
CHAPITRE 5 LA RÉGULARITÉ ET L’EXPOSANT DE HÖLDER
5.1 La régularité
5.2 L’exposant de Hölder
5.3 Les singularités
CHAPITRE 6 L’ESTIMATEUR DES CUMULANTS
6.1 Le simulateur
6.1.1 Les processus en 1/f
6.1.2 L’implémentation du simulateur
6.2 L’estimateur
6.2.1 L’estimateur des processus en 1/f
6.2.2 L’estimateur d’invariance d’échelle au sens large
6.2.3 Rééchantillonage
CHAPITRE 7 L’APPLICATION AUX SIGNAUX ÉPILEPTIQUES RÉELS
7.1 Le test statistique
7.2 L’estimateur à double fenêtres et son application
7.3 La discussion
CONCLUSION
ANNEXE I LES RÉSULTATS CLINIQUES ET OUTILS MATHÉMATIQUES
BIBLIOGRAPHIE
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