LES CONTUSIONS ABDOMINALES
INTRODUCTION
La contusion abdominale est définie par un traumatisme fermé de l’abdomen sans solution de continuité entre la cavité péritonéale et l’extérieur. Elle peut survenir de façon isolée (agression, accident de sport…), ou entrer dans le cadre d’un polytraumatisme [1].
Elle est fréquente puisque l’abdomen constitue la troisième région du corps la plus lésée chez les accidentés, d’autre part, elle est grave puisque les lésions de l’abdomen sont responsables d’environ 10% des décès par traumatisme.
Dans notre contexte, les étiologies sont dominées par les accidents de la voie publique. L’examen clinique constitue une étape clé dans l’évaluation et la prise en charge des contusions abdominales. Cette prise en charge a considérablement évolué avec les données de l’imagerie et repose actuellement sur le traitement non opératoire dans beaucoup de situations.
Le pronostic dépend de la gravité des lésions initiales mais aussi de la rapidité et l’efficacité de leur prise en charge.
Le but de ce travail est de rapporter l’expérience du service de chirurgie générale au CHU Mohammed VI de Marrakech dans la prise en charge des contusions abdominales.
PATIENTS ET METHODES
Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 106 cas de contusions abdominales, hospitalisés au service de chirurgie générale sur une période de six ans allant du 01/01/2004 au 31/12/2009.
Les dossiers des patients ont été analysés selon une fiche d’exploitation (Annexe I) comportant les données suivantes :
• Données épidémiologiques
? Age
? Sexe
? Etiologies
? Mécanisme lésionnel
• Données cliniques
? Facteurs de comorbidité
? Signes généraux
? Signes fonctionnels
? Signes physiques
? Examen abdominal
? Etat respiratoire
? Etat hémodynamique
? Etat neurologique
? Recherche d’un poly traumatisme
• Données para cliniques
? Bilan biologique
? Numération et formule sanguine
? Groupage et rhésus
? Bilan hépatique
? Enzymes pancréatiques
? Radiographie standard
Mécanisme Lésionnel
Parmi les 97 cas où le mécanisme de la contusion était déterminé, 86 malades (88%) avaient un mécanisme direct, alors que seulement 11 (12%) avaient un mécanisme indirect.
Pour les 9 autres cas, le mécanisme était inconnu pour raison de difficultés d’entretien avec ces patients (troubles de conscience, états d’ivresse).
DONNES CLINIQUES
1- Facteurs de comorbidité
Les facteurs de comorbidité étaient rarement retrouvés.
On avait noté deux cas de diabète, un cas d’hypertension artérielle, un cas d’obésité, ainsi que des antécédents d’ulcère gastrique (1cas) et d’asthme (1cas).
Signes généraux
Douze pour cent (13 cas) des patients se sont présentés dans un tableau d’état de choc.
Trois patients se sont présentés dans un tableau de détresse respiratoire avec polypnée et dyspnée.
Nos patients étaient tous apyrétiques à l’admission.
Signes fonctionnels
Les signes fonctionnels étaient dominés par la douleur qui était présente chez 89,6% des patients. Elle était abdominale dans 87 cas (91,5%) et basithoracique chez seulement 08 patients (8,5%).
Données paracliniques
Bilan biologique
Numération et formule sanguine (NFS)
Elle a été réalisée chez 70 patients (66%).
Une anémie normochrome normocytaire a été retrouvée chez 40 patients (37,7%).
Une hyperleucocytose a été retrouvée dans 4 cas.
Aucun de nos patients n’avait de thrombopénie à l’admission.
Bilan hépatique
Le bilan hépatique a été réalisé dans 31 cas (29%). Il a montré une cytolyse dans 26 cas (24,5%) et une cholestase chez 4 patients (3,7%).
Enzymes pancréatiques
Le dosage des enzymes pancréatiques (amylasémie, lipasémie) n’a été réalisé que chez un seul patient devant une suspicion de traumatisme du pancréas et a été normal.
Radiographie standard
Abdomen sans préparation
La radiographie d’abdomen sans préparation a été effectuée chez 50 patients (47%). Elle avait objectivé :
• Des niveaux hydroaériques dans 4 cas (3,7%).
• Un pneumopéritoine dans 2 cas (1,8%).
• Un tassement vertébral L1 dans 1 cas (0,9%).
Radiographie du thorax
La radiographie du thorax a été réalisée chez 42 patients (39,6%). Elle avait montré :
• Un épanchement pleural dans 10 cas (9,4%).
• des fractures de côtes dans 06 cas (5,6%).
• des foyers de contusion pulmonaire dans 03 cas (2,8%).
• un pneumothorax dans 03 cas (2,8%).
Tomodensitométrie (TDM)
Un scanner abdominal a été réalisé dans 57 cas soit 53,7% des patients.
Il avait montré un épanchement intra péritonéal dans 42 cas, un épanchement pleural dans 09 cas et un pneumopéritoine dans 03 cas.
Les lésions hépatiques étaient les plus fréquentes, présentes dans 37 cas (65%). Elles étaient à type de :
• Contusion hépatique dans 24 cas
• Fracture hépatique dans 11 cas
• Hématome sous capsulaire dans 02 cas Les lésions spléniques étaient retrouvées dans 19 cas (33,3%). Il s’agissait de :
• Contusion dans 06 cas
• Fracture dans 13 cas
D’autres lésions ont été retrouvées, il s’agissait de :
• Lésion pancréatique dans 02 cas
• Lésion rénale dans 07 cas
• Un hématome de la paroi vésicale
• Un hématome de la paroi colique
• Une plaie du grêle (tableau V)
Chirurgie secondaire
Une laparotomie secondaire était nécessaire chez seulement 03 patients :
• Dans un cas : au deuxième jour, devant l’apparition d’un syndrome infectieux avec défense abdominale, fièvre et hyperleucocytose sur la NFS. L’exploration chirurgicale a trouvé une plaie du grêle moyen pour laquelle on a réalisé une résection anastomose avec drainage chirurgical.
• Dans deux cas : au deuxième et au troisième jour, devant l’altération secondaire de l’état hémodynamique. L’exploration chirurgicale a trouvé un saignement rétro péritonéal dans un cas et un hémopéritoine secondaire dans le deuxième cas. Le geste chirurgical a consisté en une hémostase par tamponnement pour le premier cas et un drainage chirurgical dans le deuxième cas.
DISCUSSION
EPIDEMIOLOGIE
Age
Dans notre population d’étude, l’âge moyen est de 30,85 ans avec une nette prédominance du sujet jeune, ceci concorde avec les données de la littérature où la tranche la plus touchée est le sujet jeune âgé de 20 à 40 ans [2-4]. En effet, l’adulte jeune est plus exposé vue son activité : accidents de la voie publique, accidents de travail, accidents de sport.
L’enfant est par contre peu touché par les contusions abdominales dans notre série (4%) et cela intéresse les enfants d’âge scolaire où l’activité de l’enfant en dehors de la surveillance parentale commence à se développer.
Le faible taux d’enfants hospitalisés au service de chirurgie viscérale pour contusions abdominales peut être expliqué par le mode de recrutement qui consiste à adresser les enfants d’emblée vers un service de chirurgie infantile.
Sexe
La majorité, soit 85,84%, des victimes des contusions abdominales chez nos patients sont de sexe masculin, ce qui donne un sexe ratio de 6/1. Cette constatation est concordante avec les résultats de la littérature [4-7].
La prédominance du sexe masculin peut être expliquée par le fait que les hommes sont plus exposés aux différentes étiologies des contusions abdominales par leurs activités professionnelles plus importantes.
Etiologies
Accidents de la voie publique (AVP)
Les accidents de la voie publique étaient l’étiologie la plus importante dans notre série puisque 68 de nos patients soit 64% avaient des contusions abdominales secondaires à des AVP.
Une revue de la littérature montre que les AVP constituent la première cause des contusions abdominales [3, 8-14].
Le respect du code de la route, le port de ceinture, le respect de la limitation de vitesse et le respect des panneaux signalétiques peuvent diminuer de façon considérable ce risque de contusion abdominale.
Chute d’un lieu élevé
Les chutes d’un lieu élevé représentent la deuxième cause de contusions abdominales dans notre série avec un pourcentage de 18%.
Des études montrent que la moitié des chutes rentrent dans le cadre des tentatives d’autolyse et que le sexe féminin est le plus touché par cette entité [2, 4, 7].
Dans notre série, il s’agissait plutôt de chute accidentelle.
D’autres études montrent que les contusions abdominales secondaires à des chutes d’un lieu élevé sont plus graves et rentrent souvent dans le cadre d’un poly traumatisme.
Ainsi, Q. Nguyen-Thanh et al. ont trouvé que les polytraumatisés avec contusion abdominale
sévère sont plus graves après chute d’une grande hauteur qu’après AVP [15].
Mécanisme indirect
Le mécanisme essentiel du choc indirect est la décélération, qui se voit au cours des accidents de la route, des chutes des lieux élevés, et s’explique par le fait que le corps s’arrête brutalement, alors que les organes continuent leur mouvement avec énergie cinétique, proportionnelle à leur masse et au carré de la vitesse [18].
La décélération peut être horizontale (collision frontale avec un véhicule roulant à grande vitesse) ou verticale (chute d’un lieu élevé). Ce mécanisme provoque des étirements des zones d’attaches des organes que sont les pédicules vasculaires, les mésos et les ligaments. Des ruptures ou des déchirures peuvent intéresser directement ces zones et être
à l’origine d’hémorragie, voire d’ischémie de l’organe. Les lésions peuvent également se produire dans l’organe lui même, à partir des points d’insertion des attaches [19].
Etat neurologique
L’examen neurologique recherche l’état de la conscience, les signes de localisation, l’état des pupilles et chiffre le score de Glasgow avant toute sédation. Il devra également noter l’évolution depuis le premier examen clinique (aggravation d’un coma, apparition d’un déficit, modifications pupillaires, crises convulsives) ainsi que les traitements institués depuis l’accident [29, 31].
Etat hémodynamique stable
L’interrogatoire doit bien préciser les circonstances de survenue de la contusion, ainsi que le terrain du patient et ses signes fonctionnels, avant de compléter par l’examen physique et les examens complémentaires.
Signes fonctionnels
L’interrogatoire quant il est possible, avec le patient mais aussi avec son entourage permet de mettre en évidence les circonstances du traumatisme, le terrain du patient et les signes fonctionnels qui permettent d’orienter le bilan lésionnel.
? Palpation
C’est l’étape capitale de l’examen clinique, elle doit être douce et minutieuse. Elle permet de révéler une hyperesthésie cutanée, une douleur avec possibilité d’irradiation, une tuméfaction, une défense localisée ou généralisée ou une contracture témoignant d’une irritation péritonéale.
La défense abdominale est un signe fréquent, elle constitue un bon signe d’appel qui oriente vers l’abdomen et n’affirme nullement l’existence d’une lésion viscérale.
La contracture abdominale est moins fréquente que la défense, elle constitue un excellent signe dont la présence, traduit à coup sûr l’existence d’une lésion abdominale.
La recherche de ces réactions pariétales exige une grande minutie avec des mains réchauffées mises à plat sur l’abdomen sans brusquer la paroi, la palpation douce doit commencer par le côté le moins douloureux quadrant par quadrant sans omettre les fosses lombaires.
Bilan radiologique
L’imagerie occupe aujourd’hui une place prépondérante dans la prise en charge précoce des contusions abdominales. Son objectif est de faire le bilan de toutes les lésions chez un patient souvent polytraumatisé, sans multiplier les déplacements et ne doit être demandée que si l’état hémodynamique est stable [37, 42].
Même si les examens standards gardent une place dans le cadre de l’urgence, il faut reconnaître que l’échographie abdominale et la tomodensitométrie ont considérablement modifié les données du problème : la disponibilité de ces examens en urgence est aujourd’hui impérative dans les centres d’accueil d’urgence [43].
CONCLUSION
Les contusions abdominales représentent un motif de consultation important aux urgences de chirurgie viscérale vue leur fréquence croissante et leur gravité potentielle.
Leur prise en charge initiale est primordiale. Elle doit être pluridisciplinaire associant des équipes médicales, chirurgicales et radiologiques disposant d’un maximum de moyens.
Le traitement conservateur occupe une place prépondérante dans la prise en charge thérapeutique.
Le plateau technique doit être complet et accessible en permanence aux équipes dédiées à la prise en charge des urgences. Il associe l’imagerie standard, échographie, TDM, artériographies diagnostiques et interventionnelles, la réanimation, l’anesthésie et la chirurgie.
Le couple échographie-TDM est d’un grand apport dans le bilan lésionnel.
En cas de moyens limités, l’équipe d’accueil doit prendre la décision d’une intervention de sauvetage pour assurer le transfert secondaire du patient dans les meilleures conditions.
Dans les centres équipés et préparés à l’accueil de ces traumatisés, le traitement « définitif » en un temps des lésions n’est plus un impératif. Il faut lui préférer le traitement pas à pas des lésions en fonction de leur urgence.
Dans notre contexte, les difficultés d’une prise en charge optimale sont souvent liées aux conditions de transfert qui ne sont pas toujours au point et à la limite des moyens de prise en charge diagnostiques et thérapeutiques.
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Table des matières
INTRODUCTION
PATIENTS ET METHODES
RESULTATS
I- DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES
1- FREQUENCE
2- AGE
3- SEXE
4- ETIOLOGIES
5- MECANISME LESIONEL
II- DONNEES CLINIQUES
1- FACTEURS DE COMORBIDITE
2- SIGNES GENERAUX
3- SIGNES FONCTIONNELS
4- SIGNES PHYSIQUES
4-1- Examen abdominal
4-2- Etat respiratoire
4-3- Etat hémodynamique
4-4- Etat neurologique
4-5- Recherche d’un polytraumatisme
III- DONNEES PARACLINIQUES
1-BILAN BIOLOGIQUE
1-1- Numération et formule sanguine
1-2- Groupage ABO et rhésus
1-3- Bilan hépatique
1-4- Enzymes pancréatiques
2-RADIOGRAPHIE STANDARD
2-1- Abdomen sans préparation
2-2- Radiographie du thorax
3- ECHOGRAPHIE ABDOMINALE
3-1- Epanchement péritonéal
3-2- Lésions viscérales
4- TOMODENSITOMETRIE
IV- PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE
1- MESURES DE REANIMATION A L’ADMISSION
2- LAPAROTOMIE D’EMBLEE
3- TRAITEMENT NON OPERATOIRE
4- CHIRURGIE SECONDAIRE
5- RESULTATS
DISCUSSION
I- EPIDEMIOLOGIE
1- AGE
Les contusions abdominales
2- SEXE
3- ETIOLOGIES
II- PHYSIOPATHOLOGIE
1- MECANISME DIRECT
2- MECANISME INDIRECT
3- EFFET « BLAST »
III- ETUDE CLINIQUE
1- ETAT HEMODYNAMIQUE INSTABLE
1-1- Etat hémodynamique
1-2- Etat respiratoire
1-3- Etat neurologique
2- ETAT HEMODYNAMIQUE STABLE
2-1- Signes fonctionnels
a- Douleur
b- Autres signes fonctionnels
2-2- Signes physiques
a- Examen abdominal
b- Lésions associées
c- Score d’ISS : « Injury Severity Score »
IV- EXAMENS COMPLEMENTAIRES
1- BILAN BIOLOGIQUE
2- BILAN RADIOLOGIQUE
3- PONCTION LAVAGE PERITONEALE
4- COELIOSCOPIE DIAGNOSTIQUE
5- BILAN ENDOSCOPIQUE
V- BILAN LESIONNEL
1- LESIONS ELEMENTAIRES
2- LESIONS PARTICULIERES
VI- TRAITEMENT
1- BUTS
2- MOYENS
3- INDICATIONS
4- RESULTATS
VII- ARBRE DECISIONNEL
VIII- PRONOSTIC
CONCLUSION
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