La notion d’ethos chez les Anciens : genèse d’un concept rhétorique et philosophique
Dans ce premier chapitre, nous exposerons les divers sens de la notion d’ethos, telle qu’elle était perçue par les Anciens – Cicéron en particulier – ainsi que son application dans le domaine de l’éloquence romaine. Pour ce faire, nous commencerons par étudier les différentes acceptions du terme et leurs implications rhétoriques et philosophiques ; puis, nous nous intéresserons aux définitions et aux pratiques que notre auteur lui attribue. Nous terminerons par l’étude de sa transposition en contexte romain : la persona, en nous fondant sur les travaux de Guérin (2009b ; 2011).
La notion d’ethos et ses évolutions
Dans l’Antiquité, et pour les Grecs en particulier, l’ethos était une notion essentielle pour expliquer le caractère, la manière d’être d’un individu, ses habitudes, son comportement. Les arts – la musique, la danse, mais aussi et surtout la tragédie et la comédie – imitaient et réalisaient cet ethos. Cependant, aujourd’hui, il trouve difficilement un équivalent français, si bien que la plupart du temps, il est simplement translitéré.
Cette notion se rencontre dans plusieurs disciplines – linguistique, sociologie, rhétorique pour l’Antiquité – mais chacune d’entre elles l’emploie avec une acception spécifique.
Définitions de l’ethos
Ainsi, Amossy (1999, p. 9) relie ethos rhétorique et analyse du discours, expliquant que « toute prise de parole implique la construction d’une image de soi. (…) Son style, ses compétences langagières et encyclopédiques, ses croyances implicites suffisent à donner une représentation de sa personne ». L’ethos est l’expression de l’être – ou plutôt du paraître – de l’individu qui se met en scène face à ses semblables. Cette conception del’ethos se comprend par le lien qui se forme entre le locuteur et son (ses) interlocuteur(s) et qui se réalise grâce à l’énonciation : puisque selon Benveniste (1980, p. 85) l’énonciation établit une « relation discursive au partenaire », les figures du locuteur et de l’allocutaire sont prises dans une relation de dépendance mutuelle. Aussi, d’après Kerbrat-Orecchioni (1980, p. 20), l’ethos traduit « l’image qu’ils [les deux partenaires de la communication, le locuteur et l’interlocuteur] se font d’eux-mêmes, qu’ils se font de l’autre, et qu’ils s’imaginent que l’autre se fait d’eux-mêmes ». Dans cette première définition, tout semble fondé sur l’élaboration de l’image que le locuteur se fait de lui-même à travers les yeux de l’autre, et réciproquement. L’ethos prend sens à deux. Guérin (2009b ; 2011) conçoit l’ethos en l’appliquant à la figure de l’orateur : « la notion d’ethos (caractère) permit de concevoir le rapport entre les qualités propres de l’orateur et la manière dont celui-ci devait les présenter ou les dissimuler à son auditoire » (2009b, p. 9). De nouveau, il est question de représentation de soi – vraie ou fausse (« présenter », « dissimuler ») – et de mise en scène qui induisent un jugement de la part d’autrui.
Citant Ducrot (1984, p. 171-233), il inscrit la notion dans le cadre de la situation d’énonciation : en effet, pour concevoir sa « théorie polyphonique de l’énonciation », Ducrot reprend la doctrine aristotélicienne et distingue : « deux èthe de l’orateur. L’un, baptisé λ, correspond à son ‘être au monde’. L’autre, baptisé L, désigne l’èthos que l’orateur crée au moyen du discours » (Guérin, 2009b, p. 9).
L’ethos n’est donc pas un concept donné, il se « crée », se modèle, se contrôle selon ce que l’individu veut donner à voir de sa personne. Guérin (2009b, p. 410-411) précise encore la possibilité d’appréhender la notion de deux façons, – appliquée à l’Antiquité – en se référant à Isocrate et à Aristote :
– dans la Rhétorique à Alexandre, Isocrate fait de l’ethos « une équivalence stricte entre qualités du discours et qualités de l’individu ».
– Aristote établissait quant à lui « une conception technique de l’ethos amenant à distinguer l’ethos produit par le discours de l’ethos réel de l’orateur » (Guérin, 2011, p. 410-411).
Deux approches de l’ethos grec donc, « l’une fondée sur la reproduction des qualités réelles de l’orateur, l’autre sur la construction technique d’une apparence » (ibid.).
Cependant, le temps passant et Rome s’hellénisant progressivement, les Romains adoptèrent ces conceptions de l’ethos grec mais en les modelant à l’image de leur système politique et social.
Nous le constatons par ces définitions, le support principal de l’ethos est la parole ; en somme, la façon d’utiliser la langue qui permet à l’individu d’atteindre le but visé par son discours. Or, comme le précise Benveniste (1976, p. 260), « le langage n’est possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet, en renvoyant à lui-même comme je dans son discours » : ce n’est qu’à cette condition que le langage , en tant que faculté cognitive, advient et que le locuteur, s’emparant alors de la langue , verbalise ce « je » qui le définit.
En conséquence, l’ethos ne peut se saisir que dans et par le discours.
L’usage du grec dans la construction de la figure de l’orateur romain
Avant de nous intéresser plus précisément à la notion de persona (section 3), nous allons nous focaliser sur les diverses manifestations de l’ethos de notre auteur, Cicéron : dans sa relation au domaine public d’abord, puis en considérant ses échanges privés, c’està-dire à l’échelle de son cercle d’amis.
Comme nous l’avons vu, être orateur à Rome nécessite d’avoir une importante culture générale ainsi que des connaissances en philosophie, comme l’atteste ce passage du De oratore (III, 121 et en général 120-143) où Crassus insiste sur la nécessaire étendue du savoir du praticien de l’éloquence :Quare non est paucorum libellorum hoc munus, ut ei, qui scripserunt de dicendi ratione, arbitrantur, neque Tusculani atque huius ambulationis antemeridianae aut nostrae posmeridianae sessionis. Non enim solum acuenda nobis neque procudenda lingua est, sed onerandum complendumque pectus maximarum rerum et plurimarum suauitate copia, uarietate.
Dans un article consacré aux bibliothèques dans l’Antiquité, Dix recense les différentes collections de Cicéron. Ce dernier avait acquis une somme considérable de livres, soit par dons, soit par héritages (Dix, 2013, p. 232), répartis dans ses nombreuses propriétés. La Correspondance en particulier atteste de l’importance, pour Cicéron, de posséder ces œuvres qu’il mentionne souvent et dont il s’inspire. En outre, nous retrouvons dans plusieurs lettres la mention d’ouvrages de poètes grecs ; il s’agit la plupart du temps de lectures récentes ou de recommandations de lecture à Atticus. Or, il n’est pas anodin que ces auteurs grecs soient les mêmes que Quintilien mentionne au livre X, 1, 40 de
L’Institution oratoire, quand il précise les références classiques de la poésie grecque que doit connaître tout orateur. Ainsi, les lettres qui nous sont parvenues (de Cicéron mais aussi de Pline le Jeune ou de Sénèque) sont un précieux témoignage non seulement de la vie politique, économique et sociale que menaient les Romains, mais aussi de leur relation à la vie littéraire et philosophique.
Un aspect de la personnalité publique de Cicéron – et que nous retrouvons dans une moindre mesure dans la Correspondance – sur lequel les historiens s’accordent est son « irrésolution ». Grimal (2012, p. 442) et surtout Cuny-le-Callet (2016 ) dans un article intitulé « Cicéron, héros d’une autre guerre de Troie : l’épopée tragique de la fin de la République romaine » expliquent comment, après l’assassinat de César aux Ides de Mars, Cicéron est déchiré et envisage de quitter Rome. Mais, persuadé que sa présence à Rome est indispensable pour le salut de la République, il hésite et estime « qu’il est de son devoir de rester disponible pour le service de l’État, même si ce n’est pas sans danger » (Cuny-le-Callet, 2016). Dans la Correspondance, cette « tension entre tentation de l’engagement et tentation du retrait s’exprime (…) à travers deux citations de l’Iliade » (ibid., 2016) :
Dans la première , Cicéron se compare à Achille isolé sous sa tente, alors que Ulysse le supplie de reprendre le combat.
Le bilinguisme de la société romaine du I er siècle avant J.-C
Si les Romains étaient totalement bilingues, c’est parce qu’ils étaient initiés très tôt à l’usage des deux langues : ils entendaient parler latin et grec dès la naissance et quand ils avaient atteint l’âge d’aller à l’école, les jeunes Romains suivaient des cours à la fois en latin et en grec. De plus, le rôle de la mémoire a semble-t-il grandement favorisé l’apprentissage des leçons, si nous nous référons aux exercices progressifs et quotidiens (progymnasmata) pratiqués par les Romains. Ceux-ci sont décrits par Chiron (2018) qui souligne l’importance de la répétition dans le processus de mémorisation, compétence qui doit être développée à la fois pour l’oral et pour l’écrit : par exemple, la lecture et l’audition, deux des cinq exercices quotidiens pratiqués par les écoliers romains, sont complémentaires : « si la lecture procède par imprégnation physique et mentale, l’audition fait davantage appel aux procédures de rétention, de mémorisation » (ibid., p. 190). Or, ce que Chiron précise ici à propos de la mémorisation, nous pouvons l’appliquer à l’apprentissage d’une langue qui nécessite à la fois d’être parlée et écrite pour être intégrée.
Un exemple typique de l’Antiquité qui illustre le rôle de la répétition dans le processus de mémorisation est certainement les vers formulaires de l’Iliade et de l’Odyssée : pour Létoublon (2006, p. 19), « les formules jouent un rôle important dans la mémorisation de l’épopée pour les aèdes, dans le repérage des personnages et des ‘histoires’ par eux aussi bien que par le public ». Dans une société où l’oral prime l’écrit, le processus qui consiste à la mémorisation des œuvres homériques par le poète passe par la déclamation répétée des vers. Si le grec s’étend à toutes les classes sociales, c’est surtout grâce à sa pratique orale : en outre, s’il existe d’une part un grec spécifique des Grecs et un grec spécifique des Romains, d’autre part, au sein même de la socité romaine, nous trouvons deux types de grec : l’un se diffuse par l’oral, l’autre par l’écrit. Un terme qualifie cette langue particulière parlée par les Romains, qui n’est ni complètement du grec, ni complètement du grec mêlé au latin : la langue de la koinè qui s’apparente à ce que nous pourrions appeler le « grec vivant».
Cicéron savait aussi bien manier la langue grecque littéraire – des philosophes et poètes grecs, tels que Platon ou Homère par exemple – que le grec de la koinè : son niveau de bilinguisme était si élevé qu’il pouvait user à sa guise de toutes les potentialités de la
langue, en se permettant des jeux de mots en grec, par exemple : « Cicero demonstrates familiarity with range of different registers ans styles of Greek, from Homeric quotations to the Koine, and moreover proves himself adept at clever coinages » (Elder et Mullen, 2019, p. 149) . Cette capacité à forger des néologismes (coinages) dans une langue seconde est la preuve du degré élevé de bilinguisme de notre auteur, puisqu’il semble évident que la création lexicale nécessite au préalable une bonne compétence dans cette langue, mais aussi une bonne connaissance de l’environnement socio-culturel des individus la pratiquant : par exemple, dans la lettre à Atticus I.13.5., quand Cicéron qualifie le style de son ami de Ἀττικώτερα(« un style plus Attique »), il sait que le terme fera sourire Atticus.
La patrii sermonis egestas : feindre de parler et d’écrire grec
Ce que nous disions à propos de Cicéron admettant malgré lui la pauvreté de sa langue doit être reconsidéré et surtout recontextualisé. En effet, Dubuisson (1981, p. 28) qui évoque ces exemples précise qu’en réalité « ces deux passages se situent (…) dans un contexte où Cicéron tente de réfuter cette idée ». Pour preuve, cet autre extrait cité par Dubuisson (1981, p. 32) issu de De Finibus (I, 3, 10), dans lequel « il refuse catégoriquement de souscrire à cette opinion blessante pour l’orgueil romain » : (…) sed ita sentio et saepe disserui, Latinam linguam non modo non inopem, ut uulgo putarent, sed locupletiorem etiam esse quam Graecam.
Comment comprendre ce revers de position ? Comment expliquer la création d’un « véritable protectionnisme linguistique » de la part des Romains et non d’une simple méfiance à l’égard de la langue grecque ? En effet, au siècle suivant, Sénèque proclame toujours l’egestas de la langue latine, comme si le temps n’avait pas passé depuis. Dans la lettre 58 (§ 1-5) adressée à Lucilius, il constate la grande pauvreté du vocabulaire latin lorsqu’il s’exclame : Quanta uerborum nobis, paupertas, immo egestas sit, numquam magis quam hodierno die intellexi.
La posture des Romains quant à l’hellénisation de leur société est ambivalente, et se cristallise autour d’une réflexion sur la langue, en particulier sur le vocabulaire. Les lettrés romains cherchent en effet à justifier laquelle de la langue grecque ou latine est la mieux appropriée à exprimer leur pensée. Les positions sont là aussi divergentes et parfois suprenantes : d’un côté, Cicéron observe que dans « un certain nombre de cas (…) plusieurs mots latins couvrent le champ sémantique d’un seul mot grec (…) ou permettent d’exprimer une notion de façon plus nuancée » (Dubuisson, 1981, p. 32) ; de l’autre, Sénèque qui, se confiant à Lucilius, est bien en peine de ne pas parvenir à traduire un mot grec d’une syllabe unique (unam syllabam) en latin. Ces réactions dissonantes sur la richesse lexicale d’une langue, qui perdurent sur le temps long (I er siècle avant J.-C. – I er siècle après J.-C.), sont la preuve d’une altérité linguistique naissante entre Romains et Grecs de Rome qui conduit chacune des parties à repenser tout le système grammatical de leurs langues respectives.
Les références à Homère et aux Tragiques dans la littérature latine
Dans leur étude sur les citations littéraires dans un corpus de textes antiques, Elder et Mullen (2019, p. 94) ont bien montré que Homère constitue une source fréquemment citée : dans le corpus cicéronien, ils comptent 50 citations dans les lettres à Atticus, 8 dans les lettres aux familiers, 6 dans les lettres à son frère Quintus, auxquelles s’ajoutent 17 citations issues de la correspondance de Pline le Jeune, 14 de celle de Fronton et 11 extraites de l’ensemble du corpus de Suétone. Parmi tous les auteurs étudiés, Homère est le plus cité, juste avant Euripide (12 citations pour les lettres à Atticus, 3 pour les lettres aux familiers et 1 pour les lettres à son frère Quintus). Elder et Mullen (2019, p. 94-98) commentent ainsi leurs résultats : « but perhaps more surprising is that only two authors are used by all four authors : Homer and Euripides, and twenty-three entries are only attested in the work of a single author ». Par ailleurs, pour les citations homériques en particulier, Gangloff (2006, p. 103) observe que :
– d’une part « l’Iliade était traditionnellement préférée par les lettrés et dans les écoles, l’Odyssée par les philosophes » ;
– et que, d’autre part, les chants les plus fréquemment cités de l’Iliade sont les deux premiers chants ainsi que les chants IV, IX et XXII ; pour l’Odyssée, il s’agit des chants IV et XI.
Les résultats de ces deux études nous offrent un point de comparaison avec la Correspondance. Nous les confronterons à nos résultats dans la partie 3 consacrée au traitement des données. Par ailleurs, nous remarquons que les œuvres de ces deux auteurs grecs – Homère et Euripide – semblent constituer un topos de l’Antiquité puisque nous en retrouvons des citations à différents siècles : Ier siècle avant J.-C. (Cicéron), I er siècle (Pline le Jeune, Fronton et Dion Chrysostome), et I er – IIe siècles (Suétone). En nous fondant sur ce constat, nous allons voir en quoi ces deux auteurs grecs en particulier – Homère et Euripide – constituent des sources privilégiées des écrivains latins.
Homère
Il semblerait que les Romains aient entretenu très tôt des liens étroits avec l’œuvre homérique. Une des premières traductions en latin de l’Odyssée est due au poète Livius Andronicus (IIIe siècle avant J.-C.). Sa traduction, littérale et en mètre saturnien, permit véritablement de fairevoyager Homère en terre romaine. Pourtant, ce n’est pas l’œuvre d’Andronicus qui attire le plus l’attention des Antiquisants aujourd’hui, mais plutôt celle d’un de ses successeurs : Quintus Ennius (II e siècle avant J.-C). Selon Kruck (2014, p. 67), certes « Livius Andronicus brought the Odyssey to Rome, but Ennius looks beyond a text that is an imperfect representation of the poet, and instead brings Homer himself ». Ennius travailla en effet beaucoup sur la langue, s’efforçant toujours de retranscrire au mieux les réalités grecques en latin : c’est ainsi qu’il introduisit par exemple le génitif latin /-oeo/ qui correspond au grec /-οιο/ (Kruck, 2014, p. 68). Ce n’est pas notre sujet que d’étudier le corpus ennien mais il nous semble tout de même important de signaler deux contributions de ce poète pour la langue et la pensée latines en matière de poésie : d’une part, c’est lui, le premier, qui adapta le mètre utilisé dans l’Iliade et l’Odyssée – l’hexamètre dactylique – à la langue latine ; d’autre part, au lieu de reprendre l’œuvre de son prédecesseur – Livius Andronicus – et de l’améliorer, il fit des choix audacieux et totalement divergents en matière de traduction. De fait, les poètes latins qui traduisent des œuvres grecques sont particulièrement exposés à ce phénomène de transposition ou d’adaptation des realia d’une société donnée. Aussi, si la voix d’Homère est omniprésente dans l’Antiquité, elle ne résonne pas partout de la même façon et dépend de la réception de chacun, en fonction de ses connaissances et de sa culture . Pour ce qui nous concerne, nous verrons lors du traitement de nos données que Cicéron fait lui quant à lui un usage très personnel des citations homériques : comme nous le verrons dans la troisème partie de ce travail, il en tronque certaines, en modifie d’autres, selon l’effet qu’il veut produire sur son correspondant.
Cicéron et la poésie
Dans la perspective de mieux comprendre l’usage des citations grecques versifiées de la Correspondance, il nous paraît important, au préalable, d’appréhender l’œuvre poétique de Cicéron et notamment la relation qu’il entretient avec la versification qui caractérise ce genre littéraire. Nous nous fonderons principalement sur Soubiran (1972) pour approcher l’ethos de poète de Cicéron. Nous commencerons par présenter brièvement ses œuvres en les différenciant en deux catégories – écrits de jeunesse d’une part, écrits de maturité d’autre part. Nous préciserons ensuite quel fut l’usage d’Homère et des Tragiques par Cicéron poète, afin d’avoir un point de comparaison avec les citations de ses auteurs dans la Correspondance.
L’œuvre poétique de Cicéron
Notre connaissance de l’œuvre poétique de Cicéron est très lacunaire, la plupart des indications que nous possédons aujourd’hui nous ont été transmises par des écrivainspostérieurs, sous forme d’allusions seulement. Julius Capitolinus, le biographe de Gordien I, cite leur titre et nous en fournit une brève description dans les notices de L’Histoire Auguste. Nous avons fait le choix de les présenter dans un tableau, sous forme de synthèse descriptive.
Les « genres » dans l’Antiquité
Nous proposons ici d’un bref aperçu (Aristote, Horace et Quintilien) et nous renvoyons pour le détail à la classification de nos données en fonction du genre (chapitre5).
Les Anciens emploient davantage la notion d’écriture plutôt que celle de genre. En effet Aristote, dans la Rhétorique et la Poétique, mentionne trois types d’écriture : poétique, narrative et oratoire. Comme le laissent supposer les deux ouvrages d’Aristote, les théoriciens de l’Antiquité distinguent deux pans dans les diverses façons de s’exprimer : d’un côté se trouve la rhétorique ou « l’art de la communication quotidienne » (Ratti, 2006, p. 3) et qui se rattache à la pratique oratoire en public, de l’autre la poétique qui est aussi « l’art de l’évocation imaginaire » (ibid., 2006, p. 3). Selon Aristote (Rhétorique), la rhétorique se compose deux « genres » (γενή) en fonction du type d’auditeurs. Si ce dernier est spectateur, alors il s’agit du genre épidictique (Ratti, 2006, p. 3 précise : « on assite à une exhibition, ἐπίδειξις : représentation dramatique ou jeu ») ; s’il est juge, alors il peut s’agir soit du genre judiciaire, soit du genre délibératif. Ratti explique que le juge représentant le premier exerce au tribunal de l’Héliée et statue sur « le passé » alors que le second, qui siège à l’Assemblée (Ecclesia) ou au Conseil (Boulê), juge « l’avenir ». Pour résumer, « dans le genre délibératif, on conseille, on dissuade (…) dans le genre judiciaire, on accuse, on se défend (…) enfin, dans le genre épidictique, on loue, on blâme » (ibid., 2006, p. 3).
Aristote serait le premier auteur à faire de la poésie le cœur de la réflexion sur les genres ; du moins « il est le premier qui soutienne explicitement que la définition de l’art poétique trouve son prolongement naturel dans l’analyse de sa constitution générique » (Schaeffer, 2013, p. 11). Sur ce point il rompt avec la pensée de Platon qui, s’il a aussi étudié la poésie, l’a essentiellement perçue sous l’angle « de la création, de l’inspiration du poète, de la valeur philosophique de la mimèsis » (ibid., 2013, p. 11). En outre, alors que Platon, dans la République, classe les textes en fonction de critères liés aux modalités d’énonciation – le narratif, le mimétique et le mode mixte – Aristote, s’il classe aussi les textes en fonction de telles modalités, n’en retient que deux : le mimétique et le narratif. D’où provient la différence entre les deux classements ? En fait, quand Platon sépare « les œuvres transmises sous la dénomination commune de ‘tragédies’ et celles transmises sous la dénomination ‘épopée’ » (ibid., 2013, p. 12), il réfère non pas à l’essence d’une œuvre mais au rôle énonciatif du poète : « soit il raconte, soit il imite, soit il mélange les deux » (ibid., 2013, p. 12). Au contraire, Aristote se rapporte bien à l’essence de l’œuvre quand il dit, au début de la Poétique (1447a) : Περὶ ποιητικῆς αὐτῆς τε καὶ τῶν εἰδῶν αὐτῆς, ἥν τινα δύναµιν ἕκαστον ἔχει, καὶ πῶς δεῖ συνίστασθαι τοὺςµύθους, εἰµέλλει καλῶς ἕξειν ἡ ποίησις, ἔτι δ’ἐκ πόσων καὶ ποίων ἐστὶ µορίων, ὁµοίως δὲ καὶ περὶ τῶν ἄλλων ὅσα τῆς αὐτῆς ἐστι µεθόδου, λέγωµεν, ἀρξάµενοι κατὰ φύσιν πρῶτον ἀπὸ τῶν πρώτων.
Par là même, Aristote présuppose donc que la poésie « forme un genre, donc possède une unité interne » (Schaeffer, 2013, p. 12). Comme le déduit Schaeffer (2013, p. 12), la méthode d’Aristote consiste en une « approche en arbre qui va du genos (genre) à l’eidos (espèce) à l’aide de définitions déterminant les différences spécifiques des divers eidè ». En outre, pour Aristote, la poétique est un genos qui se subdivise en différentes espèces telles que l’épopée, la poésie tragique, la comédie, le dithyrambe ou encore l’art de la flûte et de la cithare.
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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Partie 1 – ÉTAT DE L’ART
CHAPITRE 1. LA NOTION D’ETHOS CHEZ LES ANCIENS : GENÈSE D’UN CONCEPT RHÉTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. LA NOTION D’ETHOS ET SES ÉVOLUTIONS
2. ETHOS ET RHÉTORIQUE DU TEMPS DE CICÉRON
3. L’ETHOS GREC ET LA PERSONA LATINE
CHAPITRE 2. LES CONTOURS LINGUISTIQUES DE LA CITATION ET SON APPLICATION DANS L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE
1. DÉFINITIONS D’UN CONCEPT LINGUISTIQUE COMPLEXE
2. ALTÉRITÉ LINGUISTIQUE ENTRE ROMAINS ET GRECS
3. L’USAGE DE LA CITATION : COMPRENDRE L’AUTRE, LE TRADUIRE ET S’APPROPRIER SA PAROLE
CHAPITRE 3. LA PRATIQUE DE LA VERSIFICATION DANS L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE ET SON EXTENSION AU GENRE ÉPISTOLAIRE
1. ROME DANS SON RAPPORT À LA POÉSIE
2. LA NOTION DE « GENRE » ET SES IMPLICATIONS
3. LA LETTRE COMME OBJET D’ÉTUDE
Partie 2 – MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE 4. RECUEIL ET PRÉSENTATION DES DONNÉES
1. DÉFINITION DU CORPUS D’ÉTUDE ET RECUEIL DES DONNÉES
2. MÉTHODOLOGIE DU CLASSEMENT DES DONNÉES
3. PRÉSENTATION QUANTITATIVE DES DONNÉES
Partie 3 – ANALYSE DES DONNÉES
CHAPITRE 5. CLASSEMENT DES DONNÉES EN FONCTION DU GENRE LITTÉRAIRE ET IMPLICATIONS POUR L’ETHOS ÉPISTOLAIRE DE CICÉRON
1. PRÉSENTATION QUANTITATIVE DES DONNÉES
2. DEUX PHÉNOMÈNES SINGULIERS DE LA CORRESPONDANCE
3. GENRE LITTÉRAIRE ET ETHOS ÉPISTOLAIRE
CHAPITRE 6. CLASSEMENT DES DONNÉES EN FONCTION DE LA LITTÉRALITÉ ET IMPLICATIONS POUR L’ETHOS ÉPISTOLAIRE DE CICÉRON
1. PRÉSENTATION QUANTITATIVE DES DONNÉES
2. LES EFFETS PRODUITS PAR LES CITATIONS SUR LE DESTINATAIRE
3. LITTÉRALITÉ ET ETHOS ÉPISTOLAIRE
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Table des matières
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