LES CONTINUITES ET CORRIDORS ECOLOGIQUESย
Dรฉfinitions
La fragmentation (ou morcellement) des habitats est considรฉrรฉe comme lโune des plus sรฉrieuses menaces sur la biodiversitรฉ, et une des causes majeures de la crise actuelle dโextinction des espรจces (Wilcox and Murphy 1985). Elle peut se dรฉfinir comme la transformation dโune surface importante dโhabitat en un nombre plus ou moins important de fragments de tailles variables, dont la surface totale est infรฉrieure ร celle de lโhabitat original et qui sont plus ou moins isolรฉs les uns des autres par une matrice environnante de nature diffรฉrente de celle de lโhabitat. En dโautres termes, la fragmentation agit par rรฉduction de la surface dโhabitat disponible pour les espรจces et par isolement et diminution de la taille des taches dโhabitat (Fahrig 2003). Dans les paysages fragmentรฉs, les populations locales de petites tailles peuvent ainsi รชtre sujettes ร des extinctions frรฉquentes et les habitats morcelรฉs peuvent รชtre trop rรฉduits pour fournir toutes les ressources nรฉcessaires au cycle de vie dโun individu ou dโune population. En effet, la fragmentation peut engendrer des phรฉnomรจnes de dรฉrive gรฉnรฉtique (diminution de la diversitรฉ gรฉnรฉtique, perte de lโadaptabilitรฉ des populations face aux modifications de lโenvironnement) et dโisolement des populations, entraรฎnant une augmentation du niveau de consanguinitรฉ et donc une diminution de leur capacitรฉ ร se reproduire (appelรฉe aussi fitness).
Au sein des paysages fragmentรฉs, le mouvement est un processus clรฉ pour la survie des espรจces faunistiques et floristiques (Wiens et al. 1993), celui-ci รฉtant facilitรฉ par une connectivitรฉ importante entre les รฉlรฉments du paysage. Ce dernier est ici considรฉrรฉ comme une unitรฉ homogรจne dโun point de vue gรฉologique et mรฉso-climatique. Dans des paysages fragmentรฉs et hรฉtรฉrogรจnes, de nombreux organismes vivants ont besoin de se dรฉplacer pour assurer leur cycle de vie ou le maintien des populations (par exemple recherche de nourriture, dโhabitats, de partenaires sexuels, ou encore migration).
La connectivitรฉ peut se dรฉfinir comme รฉtant la rรฉsultante de lโinteraction entre la structure du paysage et les caractรฉristiques รฉcologiques des espรจces animales et vรฉgรฉtales (nature de leur habitat, intensitรฉ et nature de leur mouvement (vol, marcheโฆ)). La connectivitรฉ varie ainsi dans un mรชme paysage en fonction de lโespรจce considรฉrรฉe (Burel and Baudry 2003). La connectivitรฉ peut se dรฉfinir selon deux modalitรฉs : la connectivitรฉ structurelle et la connectivitรฉ fonctionnelle (Kindlmann and Burel 2008) (Figure I.1). La connectivitรฉ structurelle, qui est directement liรฉe ร la structure du paysage, correspond aux continuitรฉs physiques entre les รฉlรฉments du paysage. Dรฉpendante de lโorganisation spatiale des รฉlรฉments du paysage, elle est indรฉpendante des espรจces. La connectivitรฉ fonctionnelle, quant ร elle, comprend lโensemble des รฉlรฉments du paysage qui favorisent le dรฉplacement des individus dโune espรจce donnรฉe (Taylor et al. 1993). Cette derniรจre est donc dรฉpendante des exigences รฉcologiques des espรจces considรฉrรฉes. Elle est fonction des coรปts-bรฉnรฉfices associรฉs ร la dispersion et reprรฉsente lโinteraction entre le paysage et lโespรจce en mouvement. Les mouvements des espรจces sont dโautant plus aisรฉs que la fragmentation des habitats est faible ou que la connectivitรฉ est importante. Les mouvements de dispersion peuvent รชtre contraints par des coรปts diffรฉrentiels du dรฉplacement dans les diffรฉrents รฉlรฉments du paysage. Nous pouvons noter que des individus dโespรจces mobiles peuvent quitter des habitats dโexcellente qualitรฉ si la compรฉtition apparente y est trop forte et rester dans des habitats de mauvaise qualitรฉ si le coรปt de dispersion est excessif. Les mouvements des espรจces peuvent รชtre journaliers (permettant aux espรจces dโaccรฉder ร lโensemble des ressources qui leur sont nรฉcessaires), saisonniers, ou peuvent correspondre ร des mouvements de dispersion (c’est-ร dire, permettant aux espรจces de coloniser un nouvel habitat ou de renforcer des populations dรฉjร existantes) (Baudry et al. 2003). Les mouvements de dispersion permettent les รฉchanges (dโindividus, de gรจnes, de populationsโฆ) entre les populations locales dรฉjร installรฉes. Les flux dโindividus peuvent ainsi permettre le renforcement de populations de petites tailles en voie dโextinction.
Des รฉtudes ont dรฉmontrรฉ que parmi les รฉlรฉments qui concourent ร augmenter la connectivitรฉ du paysage, les corridors รฉcologiques sont particuliรจrement intรฉressants et efficaces. Dans les textes fondateurs de lโรฉcologie du paysage, Forman et Godron (Forman and Godron 1986) puis Burel et Baudry (Burel and Baudry 2003) ont proposรฉ une nomenclature des diffรฉrents รฉlรฉments du paysage. La matrice est dรฉfinie par Forman et Godron comme lโรฉlรฉment dominant, englobant des taches dโhabitats (par exemple des petits boisements) ou la mosaรฏque paysagรจre, terme actuellement prรฉfรฉrentiellement utilisรฉ et dรฉfini par Burel et Baudry comme un ensemble contigu de taches de nature diffรฉrente des taches dโhabitats. Les corridors, รฉlรฉments linรฉaires, relient les taches dโhabitats entre elles. Lโensemble des corridors constitue un rรฉseau รฉcologique. Autour des taches dโhabitat et des corridors nous pouvons distinguer des zones de lisiรจres. Il est intรฉressant de noter que toutes les procรฉdures dโรฉchantillonnage faunistique et floristique utilisรฉes en รฉcologie pour tester lโinfluence du paysage sur la biodiversitรฉ sont รฉlaborรฉes en fonction de cette typologie (Burel and Baudry 2003).
Un corridor peut รชtre dรฉfini comme une bande de terre ou de vรฉgรฉtation (naturelle, plantรฉe, perturbรฉe, rรฉgรฉnรฉrรฉe, restante) qui diffรจre de la matrice dans laquelle elle sโinsรจre (Bennett 2003). Un corridor est un รฉlรฉment linรฉaire, qui, inclus dans une mosaรฏque dissimilaire, connecte deux (ou plusieurs) taches habitats. Les continuitรฉs รฉcologiques sont ainsi constituรฉes (1) de zones nodales correspondant, en รฉcologie du paysage, ร des sources de biodiversitรฉ ; (2) de corridors correspondant aux zones assurant une connectivitรฉ fonctionnelle entre les zones nodales et (3) de zones tampons qui prรฉsentent de fortes interactions avec la mosaรฏque paysagรจre environnante, permettant de protรฉger les zones nodales et les corridors dโรฉventuelles influences extรฉrieures, potentiellement dommageables (Bennett 2003) .
Fonctions
Les corridors peuvent รชtre structurรฉs sous la forme i) dโรฉlรฉments linรฉaires, ii) de pas japonais correspondant ร une suite dโรฎlots refuges permettant le passage des espรจces ou iii) dโune mosaรฏque paysagรจre, constituรฉe de diffรฉrents รฉlรฉments du paysage plus ou moins permรฉables ร la dispersion des espรจces (Bloemmen and Van Der Sluist 2004) . Les corridors รฉcologiques peuvent recouvrir diffรฉrentes fonctions, ร savoir des fonctions (1) dโhabitats, de refuge ou de puits de colonisation pour certaines espรจces, (2) de conduit pour la dispersion et le mouvement, (3) de barriรจre ou de filtre sรฉparant diffรฉrentes zones, (4) de sourcesย dโรฉlรฉments biotiques ou abiotiques pour la matrice environnante (Forman and Godron 1986 ; Hess and Fischer 2001) (Figure I.3b). Les fonctions des corridors รฉcologiques dรฉpendent ร la fois de leur nature et structure mais principalement de lโespรจce รฉtudiรฉe. A titre dโexemple, un rรฉseau de haies pourra servir de conduit ร des colรฉoptรจres carabiques forestiers et au contraire ces mรชme haies auront une fonction de barriรจre pour certaines espรจces de papillons tel que le Bel-Argus (Lysandra Bellargue) (Burel and Baudry 2003).
La fonction de ยซ conduit ยป des corridors รฉcologiques a notamment commencรฉ ร รชtre รฉtudiรฉe avec lโรฉmergence de lโรฉcologie du paysage (Forman and Baudry 1984; Fahrig and Merriam 1985; Noss 1987; Simberloff and Cox 1987). De nombreuses รฉtudes ont dรฉmontrรฉ que les corridors รฉcologiques permettent dโaugmenter le mouvement et la taille des populations dโespรจces ร habitat restreint (Haddad 1999a; Haddad 1999b; Haddad and Baum 1999) en maintenant des liaisons entre des patchs dโhabitats isolรฉs (Noss 1993). Ils participent ainsi ร la survie des mรฉtapopulations en permettant leur dispersion, les mรฉtapopulations correspondant ร un ensemble de sous-populations, qui, connectรฉes entre elles par la dispersion, peuvent รฉchanger des individus migrants. En effet, si une sous population sโรฉteint dans un habitat donnรฉ, les corridors รฉcologiques peuvent permettre dโintroduire de nouveaux migrants dans cet habitat et participer ainsi ร la fondation dโune nouvelle sous-population. Cependant, le rรดle dโun corridor dรฉpend de lโespรจce considรฉrรฉe et plus particuliรจrement de son comportement et de ses traits de vie. En effet, les espรจces spรฉcialistes infรฉodรฉes ร un habitat prรฉcis vont utiliser plus spรฉcifiquement un type de corridor alors que les espรจces gรฉnรฉralistes peuvent utiliser de nombreux, voire tous les รฉlรฉments du paysage. Par ailleurs, lโรฉchelle spatiale ร laquelle les corridors peuvent รชtre utilisรฉs, dรฉpend elle aussi de lโespรจce considรฉrรฉe. En effet, les espรจces ont des capacitรฉs de mouvement et des territoires diffรฉrents. Ainsi, plus la capacitรฉ de dรฉplacement dโune espรจce est grande, plus son territoire vital sera รฉtendu. A lโinverse, de petites espรจces comme des insectes qui se dรฉplacent peu (de quelques mรจtres) auront des populations se dรฉveloppant sur de micro-territoires. Ainsi, les corridors รฉcologiques peuvent รชtre de lโordre de la dizaine de kilomรจtres de long pour les grands mammifรจres (Kautz et al. 2006) ou de quelques dizaines de mรจtres pour des papillons peu mobiles (Delattre et al. 2010). Enfin, nous pouvons noter que le fonctionnement des corridors รฉcologiques est non seulement influencรฉ par la nature, la forme, et la gestion des ces derniers (Merriam and Lanoue 1990; Charrier et al. 1997) mais รฉgalement par la nature et la structure de la mosaรฏque paysagรจre environnante. En effet, plus celle-ci diffรจre de la nature du corridor, plus celui-ci sera efficace (Baudry 2007).
La majoritรฉ des recherches sโintรฉressant au rรดle de ยซ conduit ยป des corridors รฉcologiques se focalisent sur une espรจce donnรฉe. En permettant la dispersion de cette espรจce, les corridors รฉcologiques peuvent รฉgalement assurer cette fonction pour dโautres espรจces aux traits de vie similaires et donc indirectement maintenir la biodiversitรฉ dโun territoire. Cโest pourquoi les corridors รฉcologiques sont couramment utilisรฉs comme outils de conservation (Beier and Noss 1998). Toutefois, nous pouvons noter que cette utilisation reste trรจs controversรฉe (Simberloff and Cox 1987; Noss 1987; Simberloff et al. 1992; Hess 1994; Hess and Fischer 2001; Procheล 2005). En effet, si certaines รฉtudes montrent lโimpact positif des corridors sur la dispersion des espรจces (Haas 1995; Andreone et al. 2000; Fried et al. 2005; Levey et al. 2005) dโautres mettent en รฉvidence le rรดle de ces รฉlรฉments paysagers dans la prolifรฉration des espรจces envahissantes (Procheล 2005, Renรถfรคlt et al. 2005; Brown et al. 2006; Thomas et al. 2006) et/ou pathogรจnes (Hess 1994; Bienen 2002). Par ailleurs, mรชme si la dispersion des individus est efficace, celle des gรจnes nโest pas forcรฉment effective (Horskins et al. 2006).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1.LES CONTINUITES ECOLOGIQUES : CONCEPTS, OUTILS ET METHODES
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I. LES CONTINUITES ET CORRIDORS ECOLOGIQUES
CHAPITRE II. LA CARTOGRAPHIE DES ELEMENTS DU PAYSAGE POTENTIELLEMENT CONSTITUTIFS
DES CONTINUITES ECOLOGIQUES STRUCTURELLES PAR TELEDETECTION SPATIALE
CHAPITRE III. DEMARCHE METHODOLOGIQUE
CHAPITRE IV. SITE D’ETUDE ET DONNEES
SYNTHESE DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE 2. IDENTIFICATION ET CARACTERISATION DES ELEMENTS CONSTITUANT LA TRAME BOISEE
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE V. IDENTIFICATION ET CARACTERISATION DES HAIES BOISEES : EVALUATION DES DONNEES TERRASAR-X
CHAPITRE VI. EVALUATION DโINDICATEURS ET DE METRIQUES PAYSAGERES DERIVEES DES IMAGES OPTIQUES ET RSO POUR EXPLIQUER LA DISTRIBUTION DโUN MODELE ESPECE DANS UN PAYSAGE BOCAGER
SYNTHESE DE LA DEUXIEME PARTIE
PARTIE 3. CARACTERISATION DES ZONES HUMIDES
INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE
CHAPITRE VII. EVALUATION DES DONNEES TERRASAR-X POUR LA CARTOGRAPHIE DE LA VEGETATION DES ZONES HUMIDES
CHAPITRE VIII. DETERMINATION DES DATES CLES POUR LA CARTOGRAPHIE DE LA VEGETATION DES ZONES HUMIDES A PARTIR DโUNE SERIE TEMPORELLE DโIMAGES RADAR THRS
SYNTHESE DE LA DE LA TROISIEME PARTIE
PARTIE 4. IDENTIFICATION DES CULTURES
INTRODUCTION DE LA QUATRIEME PARTIE
CHAPITRE IX. EVALUATION DE LA FUSION DโINDICATEURS DERIVES DE SERIES TEMPORELLES DโIMAGES OPTIQUES ET RADAR POUR LA CARTOGRAPHIE DES CULTURES
CHAPITRE X. EVALUATION DE LโIMPACT DE LโENVIRONNEMENT PAYSAGER ET PARCELLAIRE SUR LA DISTRIBUTION DES ESPECES INFEODEES AUX CULTURES : APPORT DES IMAGES RSO
SYNTHESE DE LA DE LA QUATRIEME PARTIE
PARTIE 5. EVALUATION FONCTIONNELLE DES CONTINUITES IDENTIFIEES PAR TELEDETECTION : EXEMPLE DES STRUCTURES BOISEES
CHAPITRE XI. AMELIORATION DES METRIQUES DE CONNECTIVITE A PARTIR DโIMAGES RADAR
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES