Le déroulement de notre expérimentation
A- Elsa : La séance se déroule un après-midi, au lever de la sieste. Je choisi ce contexte car mes progressions d’ateliers pour les matinées sont déjà effectuées et je ne souhaite pas perturber cette organisation. Le lever de la sieste constitue un moment propice au calme : environ 8 Moyenne Section se lèvent tout de suite à 14h30, les autres se lèvent au « compte-goutte » par la suite. La petite section dort encore dans le dortoir accolé à la classe. Je propose lors de ce temps un atelier dirigé et des ateliers libres. Cet après-midi-là, quelques élèves sont intrigués et intéressés en observant le matériel que j’ai disposé sur la table. Ils ne savent pas ce que nous allons faire avec ce matériel. Ils s’installent, prêts à commencer. Je sais que je vais devoir filmer en tenant mon téléphone portable, je choisi donc de me concentrer sur deux élèves car je peux de cette manière bien filmer leurs productions. Ce sont donc deux élèves que je dirige sur cet atelier en premier, sur un temps d’environ sept minutes avant d’arrêter le film et de me consacrer aux autres élèves qui vont également s’essayer aux coulures. J’ai donc un contexte tout à fait favorable à une situation d’apprentissage : deux élèves (autrement dit, mon attention est totalement centrée sur eux), un climat calme (je ne serai pas réellement dérangée par le bruit ou par des élèves venant m’interrompre). Je tiens également à préciser que les deux élèves que je dirige sont des élèves qui ne présentent pas de difficultés d’apprentissage et sont généralement très compétentes. Je prévois que les tâches que je vais leur demander d’effectuer ne vont pas poser particulièrement de problème.
B- Joanna : L’activité s’est déroulée sur le temps d’atelier du matin, de 9h30 à 9h50. La séance a été menée sur une table rectangulaire de six, pour un groupe de cinq élèves. Les élèves avaient donc de la place pour travailler correctement. J’avais préparé le matériel en amont : Des pots, de l’encre, des pinceaux et des feuilles blanches. L’ATSEM de la classe était absente ce jour là, ce qui explique en partie que j’ai été interrompue à plusieurs reprises pendant ma passation de consigne, par des élèves laissés en autonomie. J’avais alors un atelier dirigé et quatre ateliers autonomes.
C- Elisabeth : Cet atelier a été réalisé le matin de 9h35 à 10h30 auprès de deux groupes de cinq élèves : un groupe sur le premier temps d’atelier (9h35-10h) et un second groupe sur le deuxième temps d’atelier (10h05-10h30). J’ai fait le choix d’enregistrer cette séance la matinée où je rencontre davantage d’obstacles dans la gestion de classe lors de la passation de consignes dû à l’effectif des élèves. Deux séances de 25 minutes environ ont été menées. Le temps annoncé sur ma fiche de préparation a été respecté. La passation de consigne pour le premier groupe a duré 4’32 et 4’26 pour le deuxième groupe. Pour les deux groupes, on remarque alors que la passation de consigne a duré plus ou moins le même temps. Le temps de passation de consignes prévu en amont a donc été respecté. Cette séance a été menée à la table près du lavabo où se trouve le matériel d’arts visuels (blouses, peintures, encres, pinceaux…). C’est l’unique table dans la classe où les élèves ne sont pas trop serrés pour des activités d’arts visuels. Le matériel a été préparé en amont et déposé sur la table intentionnellement afin que les élèves « devinent » la consigne à travers le matériel.
Les figures d’étayage de Bruner
Nous pouvons considérer que la passation de consignes se déroule en deux temps : un premier temps où j’interroge les élèves sur ce qu’ils voient et comment ils vont faire pour réaliser cette production et un second temps où je régule les actions des élèves tout en redonnant les consignes de manière affirmative. D’un point de vue théorique, je m’appuie sur quelques figures d’étayage de Bruner en étayant plus certains élèves, je leur demande d’ailleurs de venir s’asseoir près de moi : « Sandro, euh, je vais venir, je vais te demander de venir ici à côté de moi s’il te plait. Swann, euh Youenn tu vas venir aussi ici à côté de moi s’il te plait. » (T2-1). Je fais appel à la signalisation des caractéristiques dominantes en demandant à Nino de quelles tailles sont ses gouttes : « Par contre juste quelque chose Nino, tu m’écoutes [Nino hoche la tête], il faut que tu fasses des gouttes mais plus petites, regarde mes gouttes, regarde elles sont comment ? » (T3-40) A cette question, il me répond que ses gouttes sont petites, ce sur quoi je rebondis pour lui dire qu’il faudrait qu’il fasse des gouttes plus grosses comme sur ma production. J’essaye donc de lui faire prendre conscience des écarts qui existent entre ce qu’il a réalisé et l’attendu final. Cependant, la taille des gouttes n’est pas un critère de réalisation énoncé dans la consigne et il n’y a finalement pas d’intérêt à ce que les gouttes soient petites puisque l’objectif est de comprendre l’action de « faire couler des gouttes ». En contrôlant la frustration de l’élève, j’évite que les erreurs ne se transforment en sentiment d’échec. Par exemple, lorsqu’un élève me dit : « Roo ça marche pas ! » (T3-60), je lui réponds : « Mais si ça fonctionne, lève mieux, lève mieux, lève tout droit, allez lève, lève, lève encore, lève ! Bon d’accord tu as raison, ça ne fonctionne pas mais ne t’inquiète pas il faut remettre de l’encre et ça va fonctionner, tu vas voir ! ». Ces mots veillent à le rassurer et à l’encourager pour recommencer malgré l’échec. Maintenir l’orientation des élèves est aussi une de mes préoccupations pendant la passation de consignes. Pour que l’élève ne s’écarte pas du but assigné par la tâche, je veille à recentrer les élèves pour maintenir leur attention. Un élève touche par exemple au matériel disposé sur la table : [Nino touche aux pots d’encre posés sur la table, je lui enlève le pot des mains] (T1-34), j’écarte alors le matériel afin que la manipulation ne soit pas un obstacle dans l’attention. Cet aspect de la manipulation est un obstacle que j’ai anticipé dans ma fiche de préparation : « Les élèves pourraient être tentés à vouloir prendre les pinceaux dans le pot pour montrer » (cf fiche de préparation)
Apports professionnels
A- Elsa : Ce travail m’a appris à comprendre les limites de la parole de l’enseignant : en cycle 1, nous voyons bien qu’elle n’est pas suffisante et que d’autres supports sont nécessaires : la parole de l’élève d’abord, puis au moins un support visuel qui facilite la compréhension, même pour des élèves qui ne présentent aucune difficulté. Il m’a également appris à analyser un outil pédagogique que j’utilise régulièrement mais sur lequel je ne m’étais jamais penchée de plus près. Je pense réfléchir dorénavant davantage à l’importance d’apporter un modèle aux élèves et d’en faire un support de langage qui servirait l’explicitation des consignes.
B- Joanna : Travailler sur cet écrit m’a permis de réfléchir à la manière de véhiculer les consignes en maternelle. Aujourd’hui, je me représente mieux leur complexité pour de jeunes enfants. J’ai envie de poursuivre ce questionnement sur l’impact du référent, pour en tirer les meilleurs avantages et accompagner au mieux mes élèves dans la compréhension des tâches qu’ils auront à accomplir. J’utilisais déjà quotidiennement cet outil sans en avoir définie le positif et les limites. Je me sens mieux armée maintenant pour utiliser un référent et je serai plus en capacité d’analyser ses effets sur les apprentissages.
C- Elisabeth : Le référent de l’attendu final est depuis le début de l’année un outil que j’utilise automatiquement lorsque j’explique les consignes. Ce travail m’a fait prendre du recul et a affiné mon regard quant à son utilisation. Les points négatifs qu’il soulève laisse penser qu’il serait parfois judicieux de faire autrement lorsque l’enseignant passe une consigne à ses élèves. Grâce à cet écrit qui m’a fait découvrir d’autres manières de faire, je peux à présent porter davantage un regard distancé sur ma pratique professionnelle. J’ai acquis de nouvelles habitudes de travail : consacrer du temps à l’élaboration de la consigne (l’anticiper dans mes fiches de préparation), faire reformuler les consignes, faire verbaliser les consignes en posant des questions ouvertes, me questionner sur le sens de celles-ci (concordent-elles avec les objectifs pédagogiques à atteindre ?), ou encore utiliser le tableau d’inscription comme médium pour véhiculer les consignes des ateliers autonomes et semi-dirigés en y insérant des indices pour que les élèves puissent anticiper la consigne. Cette expérimentation riche d’un travail commun a été l’occasion d’élargir mes connaissances et mes compétences dans le domaine de la consigne scolaire en maternelle.
CONCLUSION
Ce travail de recherche constitue une activité constructive de problématisation qui a trouvé son essence dans nos nombreuses réflexions en commun et qui a développé chez nous de réelles compétences professionnelles. La réflexion autour d’une démarche de recherche alternant théorie et pratique nous a donné la possibilité de prendre la distance nécessaire face au métier de professeur des écoles dans le contexte de la passation de consignes au cycle 1. Après ce travail expérimental et ces conclusions sur le référent, nous pourrions proposer un dispositif que nous trouvons plus idéal pour une séance similaire. Un référent présentant le rendu final est sans nul doute une aide considérable pour faire verbaliser les consignes de la part des élèves et donc pour faciliter leur compréhension, mais nous pensons qu’un second référent construit pas à pas avec les élèves permettrait de faciliter cette fois la réalisation de ces consignes. Notre travail sur l’écrit réflexif a soulevé différentes questions qui pourraient constituer des prolongements possibles en rapport avec notre sujet.
• Se questionner sur le rôle du référent au sein des ateliers autonomes. Si le référent ne peut pas remplacer l’enseignant, pendant les ateliers autonomes il pourrait s’avérer utile. Il permettrait aux élèves de garder en mémoire la consigne. Il serait un appui pour les élèves, une trace de la consigne et favoriserait l’autonomie.
• Faire réaliser le référent par un élève. Pour pallier au modèle « parfait » de l’adulte, on pourrait envisager de faire réaliser certains référents par des élèves. Le référent serait moins perçu par les élèves comme un modèle inaccessible.
• Identifier quelles activités seraient plus efficaces avec un référent ou sans référent.
Certaines activités seraient plus propices à l’utilisation d’un modèle. La séance présentée est très guidante pour les élèves et les consignes sont fermées. En arts visuels, on pourrait s’interroger sur la pertinence d’utiliser un modèle pour des activités dans lesquelles on demanderait aux élèves d’expérimenter, de s’exprimer. En effet, le référent, qui représente le modèle, influence le travail de l’élève et peut s’avérer être un frein à l’expression, l’imagination. Dans les programmes de l’éducation nationale, on demande aux enseignants de laisser les élèves faire leurs propres choix et d’expérimenter dans certaines activités.
• Envisager et questionner l’utilisation du référent dans d’autres cycles. Nous pourrions questionner l’utilisation d’un référent pour des élèves plus âgés. En maternelle, où le langage est primordial, le référent est un support intéressant permettant de faire verbaliser les jeunes enfants. Quels intérêts pourrait-on en retirer pour des élèves de cycle 2 ou 3 ?
• Envisager et questionner l’utilisation du référent dans d’autres domaines. Nos conclusions seraient-elles les mêmes dans d’autres domaines de l’école maternelle ? Le référent a-t-il sa place dans le domaine mathématiques par exemple ? Prend-t il de nouvelles formes ? Lesquelles ?
Ce sujet nous a toutes trois interrogé sur la passation de consignes au cycle 1 et nous a fait prendre conscience de l’importance de rendre les consignes scolaires compréhensives pour les élèves pour que la tâche soit réussie. Comprendre la complexité qu’une consigne peut prendre c’est donner du sens aux apprentissages en cernant mieux d’où les difficultés des élèves peuvent venir.
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Table des matières
(1) INTRODUCTION
I. NOS REFLEXIONS SUR LA PASSATION DE CONSIGNES
1. Contextes et réflexions de chacune
A. Elsa
B. Joanna
C. Elisabeth
2. Notre problématique
II. MISE EN ŒUVRE DE DISPOSITIFS
1. Nos hypothèses
2. Le cadre méthodologique
3. Le déroulement de notre expérimentation
A. Elsa
B. Joanna
C. Elisabeth
III RETOUR SUR NOTRE RECUEIL DE DONNÉES
1. Analyse des résultats
A. Elsa
B. Joanna
C. Elisabeth
2. Retour sur les hypothèses
3. Croisement de nos pratiques
4. Apports professionnels
A. Elsa
B. Joanna
C. Elisabeth
5. Les limites
(5) CONCLUSION
(6) BIBLIOGRAPHIE
(7) ANNEXES
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