Historique de relation ONG/ entreprises
Les ONG, un contre-pouvoir
Notre propos n’est pas ici de dresser un portrait exhaustif des différentes campagnes relatives aux mobilisations citoyennes qui ont vu le jour à partir des années 1990 mais de relever les plus significatives. Les années 1990 constituent en effet un tournant décisif marqué par l’émergence de nouveaux mouvements sociaux où les ONG saisissent l’occasion de se faire le porte-parole de la société civile.
Parmi les mouvements phares, il est possible de citer les émeutes de Seattle en 1999 à l’occasion d’un sommet de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui constitue un tournant décisif dans l’expression des mouvements contestataires, en raison notamment de sa dimension internationale, du caractère plus diversifié des modes d’expression et des objectifs, et d’une radicalisation nouvelle . Différentes forces sociales avaient répondu présentes à la contestation. Des ONG nationales et internationales (notamment en termes de promotion du droit du travail, de la protection de l’environnement parmi lesquelles WWF, Greenpeace, Friends of the Earth) ont participé à l’événement, mais elles s’étaient vues refuser l’accès au forum. Ce type d’événement constitue une opportunité pour solliciter des institutions officielles de l’ampleur de l’OMC. Le directeur de WWF International d’alors, Claude Martin, avait saisi l’occasion pour interpeller les dirigeants de l’OMC en réclamant une économie mondiale plus durable au niveau environnemental et un fonctionnement plus transparent et durable de l’OMC.
Plus largement, les émeutes de Seattle en 1999 ont eu un impact médiatique considérable et lancé la voie de modes protestataires inédits, qui ont été réutilisés lors d’autres sommets de grande importance, à l’image de réunions mondiales du FMI (Fonds Mondial International) et de la Banque Mondiale (BM).
Ainsi, c’est dans un contexte de remise en question du modèle néolibéral que se forment des mouvements de contestation où les ONG exercent une influence et jouent un rôle de porte parole de la société civile. Les mouvements sociaux qui prennent de l’ampleur à cette période révèlent la prise de conscience de la situation de l’évolution mondiale et de l’échec du modèle dominant. Il semblerait que les entreprises sont accusées de creuser les écarts de richesse, qui s’accumulent d’un côté en délaissant, de l’autre, les populations marginalisées qui ne peuvent accéder aux ressources créatrices de valeur ajoutée et de revenus. Les disparités Nord/Sud se sont creusées, et ce en raison de plusieurs facteurs. Le premier facteur est relatif à l’intensification des privatisations et l’élimination des freins à la concurrence. Par conséquent, la régulation classique a été abandonnée au monopole des marchés financiers. Le second facteur tient au fait que le modèle néolibéral n’a pas réussi à définir et à imposer de cadre institutionnel et politique capable de cadrer et accompagner la mondialisation.
Sans sombrer dans la caricature, il est possible d’affirmer que les entreprises détiennent une part de responsabilité dans l’échec du système libéral non-régulé.
Dans cette mesure, la contestation sociale a eu tendance à se structurer, les mouvements sociaux à converger tout en pointant du doigt ces nouveaux mécanismes qui régulent le monde depuis trois décennies. Ainsi, plus que de décrire une simple fatalité irréversible, les mouvements contestataires s’attellent à chercher des responsables pour les inciter à s’orienter vers une trajectoire nouvelle et plus durable. Qu’ils dénoncent les États du Nord, les institutions financières, les dirigeants des firmes multinationales ou encore les gouvernements corrompus des pays du Sud, les acteurs de l’altermondialisation cherchent à dessiner une alternative crédible. C’est dans cette direction que s’orientent des ONG, le plus souvent militantes. Dans ce contexte d’émancipation mondiale de l’expression citoyenne, les ONG jouent un rôle de légitimation de la parole. Sur des sujets techniques, celles -ci peuvent en effet mettre en avant leur expertise pour pouvoir conduire le débat et faire reconnaître leur voix, rendre des comptes et satisfaire des exigences de transparence.
Il est question à présent d’analyser un cas concret afin d’illustrer notre propos et de démontrer que les ONG incarnent un rôle de contre-pouvoir en s’appuyant sur les travaux de Stephan Langer.
L’étude de l’auteur porte sur la Coordination contre les risques de Bayer (CRB), qui a créé un réseau transnational ayant pour but de surveiller la multinationale chimique et pharmaceutique Bayer. Cet exemple illustre notre postulat selon lequel certaines ONG ont acquis une expertise et une légitimité qui leur confèrent en retour un pouvoir d’accusation à l’égard de certaines firmes multinationales. Sous cette contrainte, certaines firmes ont été amenées à changer leur comportement pour répondre aux accusations publiques de destruction de l’environnement ou d’atteintes aux droits de l’Homme.
Il est intéressant de noter que S. Langer qualifie les ONG comme des « adversaires pour les acteurs de la politique et de l’économie qu’il faut prendre au sérieux » . Pour le cas de la multinationale Bayer dont le siège est en Allemagne, la CRB a su devenir une petite ONG fonctionnelle constituée d’un comité directeur, avec plus de 1000 membres actifs et un comité d’experts techniques. Elle a été fondée en 1978 pour attirer l’attention en Allemagne contre les risques environnementaux dus à Bayer. Au fil des ans, la CRB est parvenue à développer son réseau, conduisant des actions conjointes avec Greenpeace contre le déversement de déchets toxiques issus de la production du site de Bayer . Cette action a ensuite laissé place à une surveillance transnationale (le groupe étant présent sur les cinq continents) afin d’opérer des initiatives citoyennes au-delà de l’Allemagne. Un travail de lobbying auprès des instances décisionnelles telles que le Bureau européen pour l’Environnement à Bruxelles a été mis en œuvre pour influencer les décideurs aux plus hauts échelons politiques.
Par ailleurs, la dimension du réseau CRB et de ses partenaires permet à la fois la conduite d’activités contestataires et la circulation d’informations entre différentes parties prenantes, leur conférant une influence locale plus ciblée. Mais le rôle essentiel joué par la CR B est de traiter ces informations pour constituer un savoir collectif : les experts sont ainsi en mesure de justifier objectivement vis-à-vis de l’opinion publique leur interprétation des effets d’un pesticide ou d’un médicament de Bayer et d’en faire une lecture compréhensible pour tout le monde.Plus concrètement encore, le réseau développé par la CRB permet de contrôler le respect des accords et engagements de la multinationale, notamment dans le cadre de son adhésion au Global compact des Nations Unies. Malgré son engagement écrit, un partenaire de la CRB a attiré l’attention sur les dérives vis-à-vis du travail des enfants. En effet, la chaîne de production indienne de semences des fournisseurs de Bayer ne respectait pas certains standards internationaux. Des ONG indiennes ont alors attiré l’attention sur ce phénomène, et la CRB a relayé ces agissements en Allemagne par le biais d’une campagne en 2003. Cette dernière a obligé Bayer à prendre position et à changer certaines méthodes de production après avoir rappelé ses engagements pris dans le Global Compact. C’est dans cette mesure que l’ONG exerce une influence et une pression réelle sur la multinationale. En effet, la transformation de savoirs en ressources de pouvoir sur des acteurs économiques peut ainsi permettre de déconstruire les discours tenus par les entreprises et les contraindre à modifier leurs méthodes et stratégies.
Ainsi, à l’instar de la CRB, certaines ONG disposent d’une influence concrète qui leur permet de former le « pansement » de la globalisation. A l’égard de la société civile, elles constituent un représentant légitime : elles sont à la fois proches de la base et connaissent par conséquent les enjeux et les problématiques locales, parfois mieux que les appareils bureaucratiques eux mêmes. De plus, les ONG disposent souvent d’une bonne crédibilité, ce qui leur permet de mettre en œuvre leurs campagnes et leurs opérations avec succès. Elles ont aussi le pouvoir de mettre à l’agenda des problèmes sociaux et écologiques qui sont souvent laissés de côté par l’économique et le politique.
Plus précisément, sur le plan économique, les ONG ont investi le champ de l’entreprise par le biais d’actions ciblées. On peut notamment rappeler des campagnes contre les fabricants d’articles de sport (Clean-Clothes à l’encontre de l’entreprise Nike) ou encore les actions de protestation contre des groupes pétroliers tels que Shell (la campagne Brent-Spar, voir encadré 1).
Vers une évolution
Différents paramètres sont à prendre en compte pour comprendre pourquoi certaines ONG ne s’érigent plus nécessairement en contre-pouvoir direct des acteurs économiques mais au contraire, tendent à se rapprocher de celles-ci. Les objectifs sont multiples. Tout d’abord, il est question pour certaines ONG qui ont fait le choix de s’orienter vers les entreprises de tenter d’avoir un impact plus direct sur leurs stratégies et transformer en profondeur certains codes de conduite. Ainsi, la stratégie n’est plus la sanction mais plutôt l’accompagnement. En effet, l’expertise des ONG permet aux entreprises de mettre en œuvre plus facilement certains standards internationaux, l’exemple le plus courant étant celui des normes environnementales. Pour illustrer notre propos, nous poursuivrons dans ce champ en explicitant deux cas d’évolution différente. Le premier, Greenpeace, qui a décidé d’exclure toute coopération avec les secteurs industriels, et le second, WWF qui a opté pour un tournant stratégique de coopération avec ces mêmes secteurs. Greenpeace, qui compte parmi les ONG militantes ayant le plus d’influence dans la sphère politique, a fait le choix, au nom de la conservation de son indépendance, de n’accepter aucune aide financière provenant d’entreprises, de gouvernements ou de partis politiques.
Cette démarche confirme que toutes les ONG ne vont pas s’orienter vers les entreprises de façon systématique.
Pour autant et nous le verrons plus loin dans notre étude, d’autres ONG ont fait le choix de développer des partenariats avec des entreprises. De prime abord, ce rapprochement est le corollaire d’une double volonté. Du côté des entreprises d’une part, la volonté, voire la contrainte de la RSE, pousse ces dernières à construire des partenariats avec des ONG pour participer à la conduite de projets d’aide humanitaire. Du côté des ONG, ces dernières font face à des difficultés financières et se doivent de renouveler leurs sources de financement pour rester viables. Ce portrait, quelque peu dual, constitue une interprétation à la fois officielle et superficielle susceptible d’expliquer le rapprochement entre les ONG et les entreprises. Nous verrons dans un second temps que ce phénomène est pourtant plus complexe qu’il n’y paraît. Comment dans ce contexte, une ONG telle que WWF (nous évoquons ici le cas de l’antenne France), comme démontré précédemment, se posait en dénonciateur de certains secteurs industriels, justifie-t-elle un partenariat avec des groupes tels que Lafarge (groupe de matériaux et construction), Orange, Carrefour et bien d’autres groupes ? Il ne s’agit pas ici de critiquer ces partenariats mais de les questionner pour en comprendre l’envers. En effet, si la stratégie de WWF France consiste, à juste titre, à « faire changer les choses en parlant avec ceux qui détiennent le pouvoir » , il faut tenir compte des limites de cette démarche. Sylvain Angerand, des Amis de la Terre, déplore les blocages que peuvent susciter de tels partenariats. Celui-ci explique qu’une fois que les grands groupes ont acquis le célèbre panda, ils ne font plus les efforts nécessaires . C’est ainsi que certains écologistes accusent le WWF de « green-washing ». Bien que l’ONG se réserve le droit de mettre un terme avec ses partenaires (ce fut le cas avec la Caisse d’Epargne en 2009), celle-ci est pourtant accusée selon Fabrice Nicolino, auteur de Qui a tué l’écologie de « ne jamais remettre en question l’origine du mal » . Il semblerait en effet que WWF reste passif en se contentant des résultats engendrés par son travail sans jamais s’opposer foncièrement au modèle productiviste.
Cet exemple démontre l’évolution de la position de certaines ONG qui veulent agir plus directement sur les entreprises en exerçant sur celles-ci une influence pour tenter de les inciter à de meilleures pratiques, plus respectueuses de l’environnement pour le cas de WWF. Ce premier cas révèle également la complexité des enjeux et l’ambiguïté des démarches.
Le repositionnement des ONG dans le système de l’aide humanitaire parmi les nouveaux acteurs du développement
Les ONG dans le système humanitaire : un expert concurrencé ?
Depuis deux décennies, le nombre d’ONG, d’organisations de la société civile, s’est largement accru dans la conception et la mise en œuvre des interventions de coopération. On peut parmi les acteurs nouveaux relever les fondations, à l’image de la fondation Bill et Melinda Gates. D’autre part, les pays émergents ont également fait irruption dans la coopération internationale, ce qui tend à bouleverser les dynamiques jusque-là initiées par les acteurs du Nord.
La tendance récente est au basculement de l’aide vers le secteur privé dans le financement et la construction des politiques de coopération à travers le partenariat public -privé (PPP). Ainsi sur le terrain s’observent des « coalitions, des alliances de plus en plus complexes et variables entre acteurs, rendant le paysage du financement du développement de moins en moins lisible pour les Etats bénéficiaires de l’aide et pour les bailleurs de fonds » . La multiplication des acteurs de la coopération rend de moins en moins clairs les objectifs du développement en ce sens que l’APD englobe désormais un vaste panel d’ambitions sur des enjeux tels que des réformes structurelles, une bonne gouvernance, la sécurité, la soutenabilité, la lutte contre la pauvreté, la réforme des institutions. Plusieurs logiques s’articulent donc et invitent plusieurs échelons à se coordonner : il est désormais indispensable de coordonner les opérations aux niveaux international, national, régional et local. En plus de cette complexité en termes de subsidiarité, l’autre enjeu majeur de la mise en œuvre de l’APD réside dans l’articulation et la coopération des acteurs. Les ONG, par leur expertise et leur crédibilité, apparaissent comme des acteurs incontournables du terrain. Pourtant, les nouvelles logiques et dynamiques du développement (la fragmentation de l’APD, l’émergence du secteur privé, la coopération décentralisée) indiquent que celles-ci sont désormais concurrencées. Ainsi induirons-nous que c’est une des raisons qui pousse les ONG à composer davantage avec les acteurs du secteur privé en développant des partenariats.
Partant de ce constat, il est donc possible de se poser la question suivante : quel est le rôle des ONG françaises en tant qu’expert du développement dans ce nouveau contexte ?
Les nouveaux bailleurs en France
Depuis la fin des années 1990, la France a été marquée par une « explosion de la grande philanthropie».Antoine Vaccaro interprète ce phénomène comme la conséquence de l’enrichissement considérable des actionnaires lié au cadre juridique favorable pour les fondations. On peut alors, comme l’auteur, se poser la question de savoir si cette philanthropie s’apparente plus à une « pratique désuète de riches soucieux d’apaiser leur conscience ou comme une impérieuse nécessité quand on ne peut plus compter sur l’Etat-Providence ». Le propos ici n’est pas de trancher cette question. Revenons cependant au cadre juridique favorable au développement des fondations en mentionnant la loi la plus aboutie sur les fondations d’entreprises, à savoir la loi d’août 2003 dite « loi Aillagon » qui permet de déduire de ses impôts 66% des dons faits à une cause d’intérêt général ou reconnue d’utilité publique, dans la limite d’un plafond fixé à 20% de son revenu net imposable. Il s’agit ici d’une incitation à la générosité qui bénéficie directement aux fondations pour mener des projets d’aide au développement, que ce soit sur le territoire français ou à l’international. Il existe plusieurs types de fondations que nous ne détaillerons pas ici. Mais nous soulignons cependant leur champ d’action et leur capacité à mener des programmes de façon indépendante lorsqu’elles ne font pas de la redistribution de fonds. Ces nouveaux acteurs de l’aide suscitent à la fois des espoirs dans la mesure où elles conduisent des programmes concluants, qui ont fait l’objet d’un suivi et d’évaluations méticuleuses. Cependant, elles peuvent aussi susciter de l’inquiétude dans certains cas, et ce pour deux raisons essentielles.
La première réside dans la confiance que l’on peut accorder à une fondation sans pour autant être sûr de son expertise. Le second doute que l’on peut évoquer est le facteur de concurrence des ONG. Celles-ci, qui ont besoin d’acquérir des ressources, ne sont-elles pas concurrencées par les fondations ? Comment et vers qui le donateur orientera son don ? Ainsi la question de la multiplication des acteurs de la coopération et du développement en France pose le problème et le risque de l’éparpillement des actions. Dans ce contexte, les ONG cherchent à composer avec ces nouveaux acteurs en proposant leur expertise et leur savoir-faire afin de travailler plus efficacement sur leur terrain d’action.
En plus de l’émergence des fondations comme potentiel concurrent mais surtout comme partenaire, c’est en réalité le développement de la RSE qui a enclenché le réel rapprochement entre les ONG et les entreprises.
La RSE : une hypocrisie ?
Emergence de la notion de RSE
La contribution des entreprises au développement durable est un concept qui est apparu à partir des années 1960 par le biais de la responsabilité sociétale. Dans le cadre d’une relative prise de conscience des enjeux liés à la dégradation de l’environnement et des premiers grands sommets internationaux à l’image de la conférence de Stockholm en 1972, les entreprises vont être considérées comme des acteurs qui doivent également participer aux efforts de préservation et de réduction des destructions environnementales. La RSE est définie par la Commission Européenne comme la « prise en compte par les entreprises de manière volontaire des enjeux sociaux et environnementaux dans leurs relations commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». Mais c’est notamment au début des années 2000 que la RSE s’est davantage répandue, le concept ayant été réactivé par le biais du Global compact en 2000 ou lors de sommets majeurs tels que le Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002.
Les mécanismes et les lois
Avant de développer plus en détail les motivations et la justification par les entreprises de l’application de la RSE, il convient d’en expliquer les grands principes et mécanismes.
Les référentiels internationaux
Tout d’abord, le Global Reporting Initiative (GRI) constitue l’une des références clés en matière de RSE. Cette initiative internationale lancée en 1987 a été élaborée en concertation avec les ONG, les entreprises, les cabinets de consultants et les universités et édicte les lignes directrices pour aider les organisations à produire des rapports de dimensions économiques, sociales et environnementales. Ensuite, les principes de l’OCDE relatifs à la RSE ont été élaborés pour la première fois en 1976 puis revus en 2000 sous la forme de recommandations des gouvernements à l’égard des multinationales mais ne comporte pas de dimension réellement contraignante. Le Global Compact constitue le programme le plus significatif.
Lancé à Davos en 2000 lors du forum économique mondial, il cherche à responsabiliser plus concrètement l’entreprise à travers le respect de dix principes clés (voir encadré 3 page précédente).
Les lois françaises
En France, un ensemble de lois ont été votées, comme par exemple la loi sur les discriminations du 16 novembre 2001, la loi sur l’égalité professionnelle du 9 mai 2001 ou encore la loi NRE (Nouvelles Régulations économiques) du 15 mai 2001 qui a pour objectif de « réduire les effets néfastes des dysfonctionnements internes et de la mondialisation ». Cette loi demande notamment aux entreprises de droit français de fournir des informations sociales et environnementales dans leurs rapports annuels et énumère les critères sociaux et environnementaux qui doivent être renseignés . Au niveau européen, des directives ont été formulées et encouragent, par le biais d’un livre vert, la promotion d’un cadre européen pour la RSE pour inciter les entreprises à favoriser le développement des politiques RSE.
En plus de ces lois, les agences de notation constituent un médiateur essentiel dans la formulation de la RSE. Emergées dans les années 1990, elles ont pour rôle d’évaluer les politiques de responsabilité à travers des grilles d’évaluation et l’édiction de normes. On peut par exemple mentionner Vigeo, première agence française expert de l’analyse, de la notation et de l’audit-conseil des organisations et entreprises. Enfin, des labels éthiques ont également vu le jour afin de proposer des lignes directrices pour amener les entreprises à coproduire des indicateurs pour rendre des comptes à travers des audits pour leur permettre de communiquer sur leurs performances sociales et éthiques. Parmi les principaux labels, on peut mentionner Max Havelaar ou encore la norme SA 8000 de 1997, une certification élaborée pour la promotion du respect des droits fondamentaux des travailleurs.
Ainsi, les outils mis à disposition des entreprises permettent de cadrer celles-ci dans la mise en œuvre de leurs politiques RSE pour les inciter à être plus responsables. Les ONG essaient aujourd’hui d’exercer une influence sur les entreprises par le biais de la RSE en formulant des propositions de partenariat et pour maintenir un rôle d’alerte, cette fois-ci sans se poser en détracteur des entreprises mais plutôt en partenaire.
Les causes qui poussent les entreprises à la politique RSE
La lecture des initiatives RSE peut être double. Nous distinguerons en effet deux impulsions différentes de cette dernière. La première dynamique qui engendre ce type de démarche relève de l’initiative volontaire, une notion qui a évolué cependant. Au XIX ème siècle, la RSE se rapproche des thèses du « patronage volontaire » de Frédéric le Play . Cette théorie analyse les faiblesses des moyens disponibles de l’Etat qui s’avère incapable d’assumer certaines responsabilités collectives et interprète les innovations sociales du secteur privé comme un palliatif à ces lacunes. En plus de cette interprétation qui explique le phénomène sous l’ère de l’industrialisation, d’autres facteurs plus contemporains expliquent les choix stratégiques des entreprises en termes de RSE, comme par exemple la nécessité de faire face à des besoins directs non comblés par l’action publique (à l’image de la formation de main d’œuvre). Par ailleurs, la RSE peut également constituer un moyen de se prémunir contre le déclenchement de mouvements de contestation sociale. Il semble donc dans cette mesure que la RSE émane d’entreprises qui se substitueraient à l’Etat en œuvrant de plus en plus pour un développement durable et en tenant compte de certaines revendications sociales au nom du maintien d’une certaine cohésion pour ne pas avoir à affronter les revendications internes et les critiques externes en donnant une image positive.
La RSE peut donc être perçue comme une contrainte, d’autant plus que les critères et les mécanismes incitent voire forcent dans certains cas les entreprises à mener des politiques RSE. En effet les choix RSE des entreprises correspondent en réalité à une stratégie pour répondre aux enjeux de viabilité et de compétitivité des entreprises. Il semblerait aujourd’hui que les entreprises s’orientent vers des politiques RSE pour répondre à une demande des consommateurs qui ne veulent plus cautionner des entreprises qui ont une mauvaise réputation. Ainsi, les entreprises aujourd’hui combinent les enjeux liés à l’économie tout en s’adaptant aux exigences de leurs clients. Nous pouvons prendre l’exemple de Visa, qui crée de nouveaux marchés dans le monde en développement en alignant des causes sociales avec leurs stratégies globales. En s’associant avec des ONG spécialisées dans l’insertion financière, l’entreprise opère des transformations de l’architecture économique en donnant à des personnes financièrement défavorisées un moyen de payer, d’être payées et d’économiser de l’argent par le biais des systèmes de paiement électroniques et mobiles. Il est donc possible que Visa, par ces stratégies, bénéficie à terme de nouveaux clients.
Bien que certaines entreprises conduisent une politique RSE et des projets de développement en collaboration avec les ONG et que ces décisions émanent de la seule volonté d’un directeur (c’est notamment le cas de Bill Gates qui a lancé sa fondation et encouragé des initiatives RSE) dont les motivations sont purement philanthropiques, nous soutenons dans cette étude le point de vue selon lequel la RSE correspond plutôt à un altruisme intéressé en ce sens que les bénéfices retirés d’une action RSE est certes partagée avec les parties prenantes mais le gain le plus important est en réalité retiré par l’entreprise elle-même. En effet, la RSE est un moyen de stabiliser le contexte socio-économique dans lequel les entreprises conduisent leur action. L’entreprise Lafarge en Afrique du Sud par exemple s’est appuyée sur un rapport publié par USaid qui établit un lien direct entre les menaces sur la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée et la prévalence du sida. Il s’avère que la pandémie érode la productivité de la main d’œuvre puisque 5% de la force de travail tend à disparaître annuellement. La Harvard School of Public Health a ainsi calculé pour l’entreprise Lafarge le coût d’un décès pour l’entreprise, soit environ 4600€. Celle-ci s’est donc engagée dans la lutte contre le VIH, non seulement par altruisme ou pour valoriser son image mais aussi parce qu’il s’agit d’une décision économiquement justifiée.
Ajoutons par ailleurs que la plupart du temps, les entreprises sont incitées et soutenues par des politiques fiscales avantageuses. En effet, reverser des fonds pour des causes humanitaires est déductible d’impôts. En plus de l’argument économique, il convient de prendre en compte la dimension contraignante de la RSE en termes d’image. En effet, les agences de notation, les différentes évaluations auxquelles sont soumises les entreprises classent ces dernières en fonction de leur degré de viabilité. Les entreprises sont ainsi contraintes de se mettre aux normes afin de bénéficier dans l’opinion publique d’une bonne image. Comme l’affirment Thierry Hommel et Olivier Godard dans leur travail, « il n’y a jamais eu autant d’entreprises responsables et pourtant le rythme et l’échelle de la dégradation de l’environnement n’ont jamais été aussi importants pour la planète ».
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Table des matières
Introduction
Première Partie : Les causes du rapprochement entre les entreprises et les ONG
I/ Historique de relation ONG/ entreprises
II/ Le repositionnement des ONG dans le système de l’aide humanitaire parmi les nouveaux acteurs du développement
III/ La RSE : une hypocrisie ?
Deuxième Partie : Les conséquences des partenariats entreprises sur les ONG
I/ L’ONG peut-elle devenir malléable ?
II/ La dimension éthique des partenariats
III/ Les ONG, « une entreprise presque comme les autres ? »
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
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