Les conséquences de Mai 68 sur les écoles primaires expérimentales de Vitruve et d’Ange-Guépin

Juillet 2008, au Chavoul, la ferme dans laquelle j’ai grandi, au pied du Mont Ventoux. 

J’ai passé l’été 2008 chez mes parents, pour rédiger une partie de cette thèse. Isolée dans une grange, je n’en sortais qu’aux heures des repas, pour déjeuner ou dîner avec eux, mon conjoint et mon fils, ainsi que les hôtes louant une chambre à la ferme et les amis de passage, toujours nombreux dans la période estivale, invités ou passant à l’improviste manger avec nous sur la « grande table » sous le tilleul. Je racontais parfois, lors de ces repas, ce que j’écrivais dans la grange. Un midi de juillet, j’évoque ainsi les trajectoires marquées par diverses utopies communautaires et me risque à parler d’« habitus utopiques », me rendant vite compte de la résistance de mes parents (surtout de ma mère) à cette analyse sociologique de parcours assez comparables aux leurs (cf. infra). Alors que je me suis réinstallée devant mon ordinateur, ma mère frappe à la porte de la grange en début d’après-midi, entre et me dit, sur un ton enjoué et chaleureux mais avec une pointe de défiance : « J’ai peut-être un habitus utopique, mais tu ne pourras pas dire que je ne fais pas tout pour le réaliser ! », ce à quoi je ne trouve pas d’autre réponse que : « Oui, Agnès , je sais… ». Ajoutant intérieurement : « justement… » , alors qu’elle est déjà repartie arroser son jardin ou s’occuper des hôtes, avec son sourire et sa joie de vivre.

Cette scène familiale et le bref échange qui s’en suit me paraissent pouvoir dévoiler les motivations autobiographiques de l’entreprise intellectuelle à laquelle j’ai consacré plus de six années. Sans perdre de vue « l’illusion biographique » qui me porte sans aucun doute à reconstruire a posteriori des rationalisations logiques de mes actions passées , les fondements de mon intérêt pour la question des incidences biographiques du militantisme en Mai 68 sont à chercher, pour partie, dans mon histoire familiale. Ce n’est donc pas par narcissisme que je vais m’attarder sur ma trajectoire dès les premières lignes de la thèse mais dans le but de rendre compréhensibles les origines de cette recherche et de permettre ainsi l’objectivation de mon rapport à l’objet. Ce n’est pas non plus pour me « débarrasser » de la question du rapport aux enquêtés et à l’enquête en introduction sans y revenir par la suite, mais pour donner les éléments biographiques nécessaires à « une analyse réflexive de [mon] propre travail d’enquête, d’observation et d’analyse » , seule à même de rendre compte des conditions de construction de l’objet et de production des données.

Les origines autobiographiques de la recherche : éléments d’autoanalyse et objectivation du rapport à l’objet 

C’est parce que mon parcours a une incidence directe non seulement sur le choix de l’objet, mais plus encore sur les modalités de construction et en particulier sur l’entrée singulière par la « deuxième génération », que j’en dévoilerai, en les objectivant, quelques clefs biographiques. Dans le but, non seulement de pouvoir contrôler les matériaux et résultats produits, mais également d’objectiver mes propres représentations de « Mai 68 » et, en particulier, des « soixante-huitards » et des « enfants de soixante-huitards ».

Ma trajectoire est celle d’une fille de « néo-ruraux » née en 1980 dans une ferme provençale au pied du Mont Ventoux. Mes parents, tous deux ingénieurs agronomes, ont démissionné en 1974 des directions départementales dans lesquelles ils travaillaient à Marseille pour s’installer dans une ferme drômoise. D’ingénieurs travaillant en ville et principalement dans des bureaux, ils deviennent ainsi apprentis paysans dans un village rural de cinq cent habitants. Ils y élèveront des chèvres pendant près de vingt-cinq ans, vivant de la vente des fromages (à la ferme et sur les marchés), de l’élevage de quelques cochons et des chambres d’hôtes qu’ils ouvrent quelques années après leur installation. Or cette rupture professionnelle et, plus largement, biographique peut être imputée (entre autres) aux « événements de Mai 68 » auxquels ma mère a participé activement à Toulouse mais que mon père n’a pas vécus directement. Après un engagement de jeunesse à la « Fédé » protestante, ma mère s’est rapprochée d’amis situationnistes auprès desquels elle se politise dans les années précédant Mai 68. En Mai 68, elle est étudiante dans une école d’ingénieurs à Toulouse et, sans être militante d’une organisation, elle participe activement, avec divers « gauchistes », au comité de liaison étudiants ouvriers paysans (CLEOP), recueillant auprès d’agriculteurs argent et nourriture pour le soutien aux ouvriers en grève. Elle n’adhèrera jamais à une organisation politique, participant ponctuellement, dans les années suivantes, aux différents mouvements « post-soixante-huitards » (écologie, anti-nucléaire, féminisme, Larzac, etc.), ainsi qu’à la « rénovation critique de la vie quotidienne » en vivant en communauté au début des années 1970 à Marseille. C’est là qu’elle rencontre mon père, qui avait assisté aux événements de Mai-Juin 68 en spectateur , se politisant via l’anti-impérialisme, dans les années suivantes, lors de sa coopération au Nicaragua . Il vit également en communauté au début des années 1970 à Marseille et tente, par sa profession, d’intégrer les questions environnementales dans le développement urbain : « c’était comme pisser dans un violon : je faisais de belles études pour conseiller d’enterrer les fils électriques dans le bassin marseillais, qui étaient aussitôt rangées dans des placards » . Leurs espoirs d’agir politiquement en exerçant leurs professions se heurtent assez rapidement à la rigidité des institutions dans lesquelles ils travaillent et le projet de « retour à la terre » trouve ses origines (pour partie du moins) dans le désajustement entre leurs aspirations et les possibilités effectives de les satisfaire . Le parcours de mes parents doit ainsi être replacé dans cette famille d’expériences post-soixantehuitardes pour laquelle Danielle Léger parle de « trahison des « héritiers » qui, à défaut de changer la vie, réussissent au moins à modifier le cours de la leur » . En effet, enfants de la bourgeoisie intellectuelle , leur trajectoire est marquée par une rupture durable (définitive)  avec leurs « destinées probables » , cette inflexion se répercutant sur la « deuxième génération ».

Des représentations partiellement insatisfaisantes de Mai 68 

Si les motivations biographiques ont été centrales dans la genèse de cette recherche, mon intérêt scientifique pour l’objet « Mai 68 » s’est également construit sur le constat d’une étonnante dissonance entre mon « expérience » des « soixante-huitards » et de l’appartenance supposée à la catégorie de « fille de soixante-huitards », et les représentations de ces catégories dans les productions médiatiques, littéraires, mais également scientifiques. La tension née de cette dissonance étant à l’origine du questionnement de la catégorie de « soixante huitards », une présentation (synthétique) de ce dont nous – « deuxième génération » – disposons en termes de représentations, d’interprétations et d’analyse des événements de Mai-Juin 68 s’impose. Il ne s’agit donc pas de faire une revue exhaustive de la littérature sur le sujet , encore moins une sociologie des interprètes de Mai 68, mais de dessiner peu à peu notre positionnement problématique et méthodologique au travers d’une rapide présentation critique de cette production « sur Mai 68 », aussi foisonnante qu’hétérogène.

A l’exception d’un regain d’intérêt et d’enquêtes récentes , la rareté des travaux scientifiques empiriquement fondés sur Mai 68  contraste avec l’abondance d’écrits, d’essais, et d’interprétations des événements , qui concourent à l’ensevelissement progressif d’une réalité historique et sociale sous ses strates interprétatives successives.

Dire le « sens de Mai 68 » : témoignages, interprétations et essais

Les multiples témoignages et essais journalistiques qui fleurissent au lendemain des événements, révèlent davantage les dispositions de leurs auteurs à l’égard des « soixantehuitards » qu’elles ne nous renseignent sur ce qui s’est effectivement passé . Face au désarroi interprétatif provoqué par l’irruption et par l’ampleur de la crise politique et son ampleur, on trouve un premier lot d’interprétations hostiles, en termes de complot, ou de psychodrame juvénile , qui se fondent sur l’aversion du désordre et/ou sur la réduction du social au psychologique, et dénoncent des responsables, qu’il s’agisse de « Pékin (…) la Havane (…) la C.I.A. » ou de jeunes « barbares, inconscients de leur barbarie » . D’un autre côté, les interprétations sympathisantes investissent Mai 68 de vertus et de pouvoirs confortant leurs propres schèmes d’interprétation du monde social, dans une approche réductrice de la crise politique à l’une de ses dimensions . Ces interprétations reflètent les intérêts politiques et symboliques de leurs auteurs qui cherchent à imposer, « à chaud », un sens et une lecture univoques de Mai 68, inaugurant ainsi la lutte pour le monopole de la définition légitime des événements qui ne cessera d’être alimentée, avec un regain de productions à chaque commémoration décennale.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre préliminaire : Les conséquences de Mai 68 sur les écoles primaires expérimentales de Vitruve et d’Ange-Guépin
Première partie : Faire l’événement : qui ? pourquoi ? comment ?
Chapitre I : Sociogenèse des dispositions au militantisme en Mai 68
Chapitre II : Registres de participation à Mai 68 et formes de socialisation politique induites par l’événement
Deuxième partie : Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68
Chapitre III : L’espace social des incidences politiques, professionnelles et privées du militantisme en Mai 68
Chapitre IV : Perpétuer l’ouverture des possibles dans une société resectorisée : trajectoires post-soixante-huitardes
Chapitre V : Contribution à une histoire sociale des micro-unités de générations de 68
Troisième partie : Des « héritiers de Mai 68 » ? Les incidences de Mai 68 sur la « deuxième génération »
Chapitre VI : Socialisations contre-culturelles et genèse d’une « génération dyssocialisée »
Chapitre VII : On naît « enfant de soixante-huitards » mais que devient-on? Profils d’héritiers
Chapitre VIII : Epilogue : retour sur l’année du « cirque étoilé » à Vitruve, trentedeux ans plus tard
Conclusion générale

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