La lecture occupe une place importante dans la scolarité. Elle est l’activité principale étudiée à l’école et, dès les instructions officielles de 1958, elle possède la première place des enseignements. Cependant, l’apprentissage de la lecture est très lié à l’apprentissage de l’encodage, toutes deux reposant sur le principe alphabétique. Les apprentissages de la lecture et de l’écriture sont liés. En effet, savoir écrire nécessite de connaître les correspondances entre graphèmes et phonèmes et ces connaissances permettent de lire. Néanmoins, savoir écrire aide aussi à l’apprentissage de la lecture, les deux apprentissages s’enrichissent donc mutuellement. La préparation de l’enseignement de la lecture comme de l’écriture commence dès la maternelle avec l’apprentissage des pré-requis. On sait notamment que la connaissance des lettres, c’est-à-dire du nom des lettres, de leur valeur sonore et de leur forme, est un précurseur important à l’apprentissage de la lecture (Foulin et Pacton, 2006). Nous allons nous interroger dans ce mémoire sur la place de la dénomination des lettres dans l’apprentissage de la lecture, et plus particulièrement sur les connaissances des élèves sur le lien entre le nom et la valeur sonore des lettres. On peut se poser la question suivante : En quoi une séquence sur la dénomination des lettres de l’alphabet permet à des élèves de moyenne section et de grande section de développer des connaissances sur les sons des lettres ?
L’apprentissage de la lecture
Les procédures d’apprentissage de la lecture
D’après Klein (2010),la lecture peut être définie comme une activité psychosensorielle qui vise à donner un sens à des signes graphiques recueillis par la vision et qui implique à la fois des traitements perceptifs et cognitifs. L’apprentissage de la lecture est une étape très importante dans la scolarité. En effet, c’est un des premiers buts de la scolarité et cela fait partie des apprentissages fondamentaux des programmes de l’école primaire avec les mathématiques et l’écriture. La période sensible pour l’apprentissage de la lecture se situe entre quatre et sept ans d’après le ministère de l’Education. Les enjeux de l’apprentissage de la lecture sont multiples. En effet, pour lire, il faut savoir visuellement repérer une information sur un texte, reconnaître les mots et comprendre les phrases que créent ces mots. Ces processus de décodage et de compréhension sont au cœur de l’apprentissage de la lecture. Il existe notamment différentes procédures d’apprentissage de la lecture, certaines tant liées à l’identification des mots et d’autres liées à la compréhension (Demont et Gombert, 2004). Frith, en 1986, cité par Demont et Gombert (2004), énonce la phrase suivante : « Je ferai l’hypothèse qu’il est suffisant de considérer trois stratégies de base pour qu’un lecteur débutant ait un niveau de maîtrise s’approchant du lecteur expert. J’appelle ces stratégies LOGOGRAPHIQUE, ALPHABETIQUE et ORTHOGRAPHIQUE … Par ALPHABETIQUE j’entends l’analyse de chaque correspondance lettre-son en séquence, de façon à les assembler pour produire le son du mot. » .
Ainsi, bien avant le début l’apprentissage formel de la lecture, l’enfant élabore des connaissances sur l’écrit, notamment des connaissances sur certaines régularités relatives aux configurations visuo-orthographiques, aux mots oraux associés à ces configurations qui correspondent aux connaissances phonologiques, aux significations associées à ces configurations (connaissances morphologiques). L’enfant pourrait alors utiliser ces connaissances visuoorthographiques, phonologiques ou morphologiques, acquises implicitement, pour reconnaître des mots écrits et être capable de faire des inférences, lors du traitement de mots non familiers (Gombert, 2003 ; Gombert, Bonjour et MarecBreton, 2004; cités par Demont et Gombert, 2004). Ce modèle fondamental de Frith permet de cibler trois procédures qui sont toujours utilisées pour apprendre à identifier un mot lorsqu’il s’agit de décrire l’apprentissage de la lecture même si d’autres modèles ont été proposés depuis. L’ordre de ces étapes sont remises en question par certains chercheurs tels que Ecalle et Magnan (2021) ou encore Treiman (1993) qui explique que « les prélecteurs s’appuient sur le nom des lettres pour représenter la structure phonétique de certains mots. Ce type de modèle a permis de mettre en avant le rôle fondamental des connaissances phonologiques lors des premières étapes de l’apprentissage de la lecture.
La première stratégie est la procédure logographique ou stratégie visuelle, ou encore stratégie globale. Cette procédure intervient avant et au tout début de l’apprentissage formel de la lecture. Elle consiste à mémoriser le patron visuel des mots écrits à l’aide d’indices pris sur les mots ou dans leur environnement. Les mots sont donc considérés comme des logogrammes (=unités globales arbitraires) facilement reconnaissables et dont l’enfant connaît la définition. L’enfant n’effectue donc pas un traitement linguistique mais une reconnaissance d’image en associant le mot à une image et donc à une signification. Cependant, certains chercheurs ne considèrent pas cette procédure comme une étape à part entière de la procédure d’apprentissage.
La deuxième stratégie est la procédure phonologique ou procédure alphabétique. Elle consiste en un décodage séquentiel lettre à lettre de gauche à droite. La reconnaissance des mots se fait par un recours à des règles de correspondance graphophonologique, c’est-à-dire qu’un graphème (= lettre ou association de lettres) correspond à un phonème (un son). Cependant, cette correspondance graphophonologique ne suffit pas pour décoder un mot puisqu’il existe des lettres muettes dans la langue française ou encore des mots qui comprennent des irrégularités par rapport à ces règles. En plus d’avoir recours à cette correspondance graphophonologique, il faut posséder en mémoire une signification associée à l’image acoustique du mot.
La dernière stratégie est la procédure orthographique ou procédure directe par adressage. Elle permet de reconnaître les mots par traitement des configurations orthographiques visuelles sans recours systématique à la conversion phonologique : les représentations lexicales des mots familiers deviennent accessibles directement car l’enfant a automatisé la reconnaissance de ces mots. En effet, l’enfant a stocké en mémoire à long terme les informations spécifiques sur les caractéristiques orthographiques des mots rencontrés fréquemment et va retrouver automatiquement les mots en mémoire sans avoir à les décoder mais en se basant sur la forme du mot.
La compréhension du principe alphabétique nécessite des connaissances explicites sur la structure phonologique du langage. Nous allons donc nous intéresser à cette procédure phonologique pour mieux comprendre le principe alphabétique.
Le principe des systèmes d’écriture alphabétique consiste à représenter les sons des mots parlés à l’aide de symboles que sont les lettres. Pour apprendre à lire, un enfant doit découvrir ce principe qui va lui permettre d’utiliser la procédure phonologique (=décodage). Il doit donc découvrir et comprendre le principe alphabétique (c’est-à-dire qu’un son correspond à une lettre ou à un ensemble de lettre et inversement). Ecalle et Magnan (2021) actent que les connaissances nécessaires à l’apprentissage de la lecture s’acquièrent par un processus d’apprentissage implicite, donc sans que l’enfant n’en prenne conscience. Ils ajoutent que l’on trouve fréquemment dans la littérature expérimentale l’idée d’un double aspect implicite et explicite des connaissances précoces liées à l’apprentissage de la lecture. Selon eux, il est aujourd’hui admis que les enfants qui entrent au CP possèdent déjà un ensemble de connaissances et d’habiletés qui vont déterminer leurs progrès ultérieurs en lecture et en écriture. Certaines de ces connaissances sont acquises au cours de l’exposition répétée à l’écrit sans qu’elles soient enseignées, explicitées et joueraient un rôle important dans l’apprentissage de la lecture.En effet, Ecalle, Labat, Thierry et Magnan (2020) ont mis en lumière certaines habiletés qui sont des pré-requis à l’apprentissage de la lecture comme la connaissance des lettres, les habiletés phonologiques et le vocabulaire. Le déchiffrage, constituant principal de l’apprentissage de la lecture, doit être efficace pour accéder à la lecture.
Le déchiffrage
Le décodage est composé de deux parties : le déchiffrage pur et la compréhension des mots Nous allons nous intéresser dans ce mémoire au déchiffrage que l’on peut aussi nommer l’identification des mots, et plus précisément la voie indirecte qui correspond au déchiffrage du mot lettre à lettre (ou graphème par graphème). En effet, dans le langage français, qui est un langage alphabétique, un phonème peut correspondre à plusieurs graphèmes et un graphème correspond à tel ou tel phonème en fonction de sa place dans le mot.
Le déchiffrage des mots nécessite des pré-requis. Tout d’abord, le déchiffrage nécessite l’acquisition de la conscience phonologique qui est une capacité métaphonologique. Cette notion renvoie à la prise de conscience des sons de la parole par le locuteur et des transformations qu’il peut leur faire subir. Elle désigne l’ensemble des trois capacités suivantes : la première capacité est la conscience des mots, c’est-à-dire être capable d’effectuer des manipulations sur les mots telles que les compter ou les changer de place dans une séquence de parole. C’est, par exemple, être capable de dire que dans /laʁu_tuʁn/ (la roue tourne) il y a trois mots. La deuxième capacité correspond à la conscience des syllabes, pouvoir dénombrer les syllabes : dans /ͻrdinatœr/ (ordinateur) il y a quatre syllabes. Enfin, la dernière capacité est la conscience des phonèmes (ou conscience phonémique). C’est être capable de dénombrer les phonèmes dans un mot, donc être capable de dire que dans /bato/ il y a quatre phonèmes et de manipuler intentionnellement ces phonèmes (Bosse et Zagar, 2016). Cette conscience phonologique est un facteur critique dans l’apprentissage de la lecture et est l’un des meilleurs prédicteurs du niveau ultérieur en lecture. Plus la conscience phonologique devient automatique pour l’enfant, plus le décodage va devenir rapide et automatisé, et plus l’enfant va pouvoir se focaliser sur la compréhension des mots décodés. Gentaz et Sprenger-Charolles (2014) ajoutent que les capacités précoces d’analyse phonémique permettent de pronostiquer le futur niveau de lecture des enfants, même en tenant compte de leur niveau de pré-lecture. L’analyse phonémique est donc un autre prédicteur du niveau ultérieur en lecture.
Les précurseurs au déchiffrage
La conscience phonémique
La conscience phonémique nécessite de connaître les phonèmes. Un phonème est la plus petite unité discrète ou distinctive (c’est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres) que l’on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée. Un phonème est en réalité une entité abstraite, qui peut correspondre à plusieurs sons(Bosse et Zagar, 2016). Il est en effet susceptible d’être prononcé de façon différente selon les locuteurs ou selon sa position et son environnement au sein du mot. Par exemple, le son /ɛ/ est prononcé /e/ dans certaines régions de France et donc les mots « est » et « et » sont prononcés de la même façon dans ces régions ce qui peut poser des problèmes de compréhension. La conscience phonémique est très difficile à acquérir et n’est vraiment acquise que chez les lecteurs qui s’appuient d’ailleurs sur leurs connaissances de l’écrit pour effectuer des exercices de conscience phonémique. En effet, elle n’est pas une compétence naturelle du langage oral, elle ne sert que pour apprendre à lire et à écrire puisqu’elle permet d’apprendre les règles de correspondance entre une lettre et un phonème. La conscience phonémique se développe plus facilement pour les enfants qui apprennent l’écriture alphabétique et plus précisément pour les enfants qui apprennent le nom des lettres de l’alphabet (Ferrand, Lété et Thevenot, 2018).
Le principe alphabétique
La découverte du principe alphabétique est importante pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (Bara, Gentaz, Colé et Sprenger-Charolles, 2004). En effet, pour apprendre à lire dans un système d’écriture alphabétique, il est nécessaire que les enfants comprennent le principe alphabétique, c’est-à-dire que les lettres (graphèmes) de l’écrit représentent les sons (phonèmes) de l’oral. Pour cela, ils doivent également concevoir que les mots parlés sont constitués d’unités phonologiques et développer une conscience phonologique de l’oral. La connaissance des lettres de l’alphabet est donc le second pré-requis nécessaire pour apprendre à décoder les langues alphabétiques. Ces dernières, comme le français, utilisent les lettres comme symboles graphiques (Ecalle et Magnan,2021). L’apprentissage d’une lettre comprend trois parties qui peuvent se développer indépendamment : la forme de la lettre qui peut varier en fonction de la police utilisée et la majuscule et la minuscule (la reconnaissance visuelle), le nom de la lettre (= la dénomination) et le ou les sons qu’elle émet. Une lettre possède trois propriétés ; une propriété physique qui correspond à la forme de la lettre, une propriété verbale qui correspond au nom de la lettre et qui la définie et une propriété sonore qui correspond au son que fait la lettre en fonction de sa position dans un mot (Foulin et Pacton, 2006).
D’après les études Foulin (2007) et de Ferrand, Lété et Thevenot (2018),dans les systèmes alphabétiques, les lettres ont des fonctions fondamentales, principalement de représentation des phonèmes et des morphèmes, qui en font les unités de base du traitement des mots écrits. L’étude de l’activité cognitive du lecteur a clairement montré que la lecture d’un texte dépend de l’identification des mots écrits, laquelle dépend à son tour de l’identification des lettres justifiant que les modèles de lecture habile accordent une place prééminente au traitement des lettres dans le processus de lecture (McClelland et Rumelhart, 1981 ; cités par Foulin, 2007). Il est également bien clair que la connaissance des lettres joue un rôle critique au tout-début de l’apprentissage formel de la lecture (Adams, 1990 ; Aghababian et Nazir, 2000 ; cités par Foulin, 2007). De plus, d’après Ecalle et Magnan (2021), l’impact de la connaissance du nom des lettres dans l’apprentissage du « son » des lettres mérite un intérêt particulier dans la mesure où la connaissance de la valeur phonémique de la lettre joue un rôle important au début de l’apprentissage de la lecture. Dans les langues alphabétiques, le nom d’une lettre est relié à sa valeur phonémique. Par exemple, la lettre I a pour valeur phonémique /i/, et son nom de dénomme de la même manière. De même, la lettre D a pour valeur phonémique /d/ et se dénomme /de/.
Une étude de Bosse et Zagar (2016) met en avant l’importance de la correspondance graphème-phonème dans l’apprentissage de la lecture. Pour cela ils expliquent ce qu’est l’apprentissage associatif. Ce dernier consiste à créer des associations entre des unités écrites et des unités parlées, ce qui correspond donc à la correspondance entre un graphème (lettre ou groupe de lettres) et un phonème (le son que produit ce graphème en fonction de sa position dans le mot). Les auteurs expliquent que les écritures alphabétiques (dont le français fait partie), mettent en échec le mécanisme d’apprentissage associatif chez un bon nombre d’apprentis lecteur en raison de la difficulté à appréhender l’un des deux éléments de l’association, en l’occurrence le phonème. Ils prennent cet exemple pour appuyer leur propos : « Le son /t/ est abstrait, il n’est concret que pour le lecteur qui sait que le son /t/ correspond à la lettre T. » .
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Table des matières
Introduction
1. L’apprentissage de la lecture
1.1. Les procédure d’apprentissage de la lecture
1.2. Le déchiffrage
1.3. Les précurseurs au déchiffrage
1.3.1. La conscience phonémique
1.3.2. Le principe alphabétique
1.3.3. Le nom des lettres
1.3.4. Le son des lettres
1.3.5. La correspondance nom et son des lettres
2. L’enseignement de l’apprentissage des lettres
2.1. L’apprentissage des lettres dans les programmes
2.2. Problématique
3. Méthodologie
3.1. Les pratiques et supports sur la connaissance des lettres
3.2. Caractéristiques de la classe et des élèves
3.3. Les modalités du test
3.4. La création de la séquence
3.4.1. Le guilitoc des lettres
3.4.2. Le jeu de la marchande
4. Analyse des données
4.1. Tableaux récapitulatifs des tests
4.2. Catégorisation des résultats par types d’élèves
5. Discussion
Conclusion
Bibliographie + table des illustrations
Annexes