Les conditions d’émergence de l’innovation

LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DE L’INNOVATION

Les géographes et l’espace

La géographie accorde une place prépondérante, tant dans l’objet de ses recherches, que dans les méthodologies employées, à l’espace et à son organisation. Bien que « science des lieux, et non des hommes20 », elle a pourtant longtemps utilisé le concept d’espace comme support à diverses analyses sociales, économiques, culturelles, démographiques, etc. et non comme objet d’étude. A partir des années 1960 cependant, la géographie s’intéresse spécifiquement à l’étude de « l’organisation de l’espace et des pratiques qui en résultent21 ». L’espace devient un concept fort de la géographie : les structures spatiales, leurs régularités, leurs espacements, leur localisation, sont étudiées en tant qu’elles révèlent l’organisation de l’espace par les sociétés qui l’habitent. Dans les espaces s’inscrivent en effet des structures spatiales révélatrices des aménagements humains, pôles, voies, réseaux, frontières, territoires. Leur organisation donne à voir l’organisation des sociétés qui les produisent. Le concept d’espace devient ainsi crucial, non pas en ce qu’il constitue le facteur explicatif principal de l’ensemble des phénomènes sociaux et économiques, mais en ce qu’il constitue une échelle d’observation qui rend compte des faits et des conditions concrètes de la vie quotidienne. La géographie trouve ici une objet fort : l’observation et l’analyse des espaces comme mode d’observation et d’analyse des pratiques territoriales. L’analyse spatiale s’attache ainsi à identifier et à interpréter les différents processus spatiaux en œuvre dans l’ensemble des territoires, pour mieux expliquer les mécanismes des localisations, ceux de la différenciation et de la hiérarchisation spatiales. La question fondamentale est bien : pourquoi ici  et pas ailleurs ? Les recherches relatives à la diffusion spatiale de l’innovation s’inscrivent dans une telle problématique. L’espace devient ainsi facteur explicatif des processus économiques et sociaux, et parfois principale source d’informations et de données. Cette mise au premier plan de l’espace n’a rien d’un retour au déterminisme et n’exclut en rien la prise en compte des sociétés. L’espace tel qu’il est analysé est un produit social complexe : il résulte de l’action des sociétés humaines, et lui-même en retour est producteur de formes sociales. L’analyse de la relation espaces/sociétés, qui ne cesse d’être l’objet de la géographie, se problématise dans la lecture des formes spatiales. De la même manière, l’analyse des formes sociales questionne le rôle de l’organisation des espaces. L’espace n’est ainsi plus prétexte à des analyses politiques, économiques ou sociales « localisées » : il est partie prenante des problématiques et des questionnements, comme dimension irréductible du système social.

L’espace comme facteur explicatif des phénomènes économiques et sociaux

La prise en compte de la dimension spatiale des phénomènes économiques et sociaux s’avère particulièrement intéressante et novatrice lorsqu’elle sert à qualifier les processus d’innovation et de développement économique. Des travaux relatifs à ce type de problématique, visant à identifier les processus de valorisation/dévalorisation territoriale, apparaissent au cours des années 1970 ; ils sont fortement marqués par l’interdisciplinarité, et tissent de nombreux liens entre la géographie, l’économie et la sociologie. La terminologie souligne la transversalité des approches : elles relèvent indifféremment de l’économie régionale, de l’économie spatiale, de la science régionale, voire de la géographie économique, selon la discipline de rattachement des chercheurs. C’est l’inadaptation d’une interprétation par les théories économiques classiques de l’émergence de nouveaux pôles régionaux de développement au cours des années 1970 qui entraîne toute une série de travaux visant à qualifier le rôle des territoires dans les processus économiques et, dans une moindre mesure, sociaux. Ils tentent ainsi d’expliquer – pour employer la proposition chère à Georges Benko et Alain Lipietz, respectivement géographe et économiste, influencés par l’école de la régulation – pourquoi « certaines régions gagnent ou non 22 ». Ces travaux proposent une analyse territorialisée de l’organisation économique et sociale, et partant, de l’innovation économique et technique. L’hypothèse est forte : le succès et la croissance des régions industrielles, loin de résulter de phénomènes macroéconomiques, seraient essentiellement liés à la dynamique interne de ces régions, c’est-à-dire à l’organisation spécifique de leur système territorial. Le développement économique et industriel aurait ainsi un caractère endogène – une certaine autodétermination du local permettant de lutter contre les contraintes du global. C’est l’organisation du territoire qui est à l’origine d’une telle dynamique : travail, production et échanges sont insérés dans un système local de relations sociales, de relations de pouvoir, dont la combinaison originale permet la mise en place de dynamiques de coopération, de coordination, d’information. Les notions de réseaux d’acteurs sociaux et de gouvernance sont ainsi au centre de l’analyse, sous-tendant celle de régulation spatiale et sociale. Guy Di Méo écrit à ce sujet : « ce qui fait l’originalité de tels districts23 , c’est la fonction médiatrice de territoires qui agencent d’une manière efficace les échanges interentreprises (y compris informels), les rapports interpersonnels, la gouvernance locale et le système productif, le salariat et le patronat, le rural et l’urbain, etc. » Bref, le territoire, organisation et construction strictement localisées des différents réseaux sociaux, économiques, des instances de pouvoir, est un outil central pour la compréhension de la différenciation spatiale. Ces différentes recherches soulignent le rôle central des territoires locaux, de la spécificité des systèmes territoriaux au sein desquels émergent l’innovation économique et technologique. Elles cherchent, avec des méthodes et des concepts différents « à comprendre les processus qui œuvrent au niveau territorial et qui, pour un espace donné, tendent à maintenir ou à améliorer sa position relativement aux territoires avec lesquels il est amené à entrer en contact, et ce, au travers des changements qui affectent tant les modalités de production que de diffusion24 ». Ainsi, dans les années 1970 les travaux des géographes, sociologues et économistes italiens25 s’articulent autour du concept de district industriel défini en 1900 par Alfred Marshall26 . Dans les années 1980 les travaux sur les milieux innovateurs réalisés par le G.R.E.M.I. et Philippe Aydalot et plus récemment Denis Maillat27 , ceux de l’Ecole californienne de géographie économique représentée par les américains Michaël Storper, Allen J. Scott. et Richard Walker28 , appliquant la notion de district industriel aux métropoles et mégalopoles, s’inscrivent dans le même type de démarche, ainsi que les travaux d’inspiration régulationniste29 d’Alain Lipietz et Georges Benko30 , et ceux des économistes Bernard Pecqueur et Claude Courlet articulés autour des notions de système productif local et de développement local31 . Il s’agit bien pour tous de déterminer ce qui valorise ou dévalorise certains territoires, question éminemment géographique de la différenciation spatiale, en cherchant au sein même des territoires en question. Ainsi, « la notion de milieu innovateur [ou de district industriel, de système productif local] invite à ne plus se pencher sur l’entreprise elle-même, sur les nouveaux produits ou procédés, les nouvelles technologies mises en oeuvre, ou sur les nouveaux comportements, mais plutôt d’intégrer ces différents paramètres dans un cadre territorial32

Mondialisation et recomposition des territoires

Les lieux d’abord conservent toute leur importance dans la mondialisation de l’économie. « Moins que jamais on ne peut faire n’importe quoi n’importe où!34 ». La mondialisation n’abolit pas les distances et les inégalités spatiales ; au contraire, celles-ci sont soulignées dans un contexte de compétition généralisée à l’échelle mondiale. La valeur des lieux joue toujours : elle n’est cependant plus seulement locale ou régionale, mais mondiale car elle se pose en rapport avec cette échelle35 . Les territoires sont ainsi mis en compétition à l’échelle mondiale, chacun d’entre eux devant mettre en valeur ses atouts afin de démontrer sa capacité à participer aux dynamiques économiques de la mondialisation. Les territoires les mieux armés émergent comme les foyers de développement économique et technologique, comme les lieux de l’innovation sociale et technique également. Bien que les enjeux soient économiques, sociaux, culturels, politiques, « territoriaux », les caractéristiques spatiales et la « localisation » n’ont rien perdu de leur pertinence. Comme l’indique Jacques Lévy36 , les territoires sont avant tout des « biens situés ». « Avec le développement des systèmes d’information, les grands acteurs du monde, politiques ou entrepreneurs, ont des possibilités, inconnues jusqu’à présent, de traitement de l’information géographique permettant de faire ressortir les caractéristiques d’un lieu, avec ses avantages et ses inconvénients en fonction des objectifs qu’on se fixe : accessibilité (…), qualité de la desserte en matière de réseaux de transports, d’informations ; caractéristiques de la population (…), modalités de l’organisation de l’espace local, (…) tout un ensemble d’informations qui permettent de faire ses choix de localisation d’investissements, de développement de marchés37 ». Ainsi s’opère une hiérarchisation entre les territoires. Les effets d’agglomération « produisent des rendements croissants où n’interviennent pas seulement les externalités, mais les économies d’échelle, les effets de centralité, les représentations des acteurs qui jouent en interaction. Le résultat final compte plus que l’addition des facteurs ». La différenciation spatiale est ainsi plus que jamais d’actualité et l’homogénéisation en un unique « village planétaire38 » reste une utopie.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1 FONDEMENTS DU PROJET DE THÈSE
2 HYPOTHÈSES ET PROBLÉMATIQUE
3 LES TERRAINS DE RECHERCHE
4 MÉTHODOLOGIE SOMMAIRE!: DES ENTRETIENS QUALITATIFS
5 PLANPARTIE UN INNOVATIONS ET TERRITOIRES
INTRODUCTION. HYPOTHÈSES
CHAPITRE 1 UNE ANALYSE DES PROCESSUS DE L’INNOVATION SOCIALE!: UN PROJET
GÉOGRAPHIQUE
1 LE RÔLE DE L’ESPACE.
2 LE RÔLE DES ACTEURS.
CONCLUSION.
CHAPITRE 2 TERRITOIRES ET INNOVATIONS
1 L’INNOVATION SOCIALE!: UN CONCEPT PERTINENT POUR RENDRE COMPTE DE LA DYNAMIQUE DE LA SOCIÉTÉ ET DES ESPACES
2 LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DE L’INNOVATION
3 SPÉCIFICITÉ DES SYSTÈMES TERRITORIAUX ET ÉMERGENCE DE L’INNOVATION
CHAPITRE 3 LE PROJET D’ACTEUR COMME CONCEPT POUR L’APPRÉHENSION DE L’INNOVATION SOCIALE
1 LE PROJET COMME SOURCE PRIVILÉGIÉE D’INFORMATION.
2 LE PROJET, VECTEUR PRIVILÉGIÉ DE L’INNOVATION.
3 PROJET ET INTENTIONNALITÉ.
4 PROJETS ET CONSTRUCTION TERRITORIALE. LE RÔLE DU PROJET COLLECTIF
CONCLUSION
CONCLUSION DE LA PARTIE UN
PARTIE DEUX LES TERRITOIRES PÉRIURBAINS!: DES LIEUX D’INNOVATION SOCIALE
INTRODUCTION. HYPOTHÈSES
CHAPITRE 4 LA NAISSANCE DE L’ESPACE PÉRIURBAIN
ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE CATÉGORIE D’ESPACE
1 LA PÉRIURBANISATION, UN PROCESSUS D’URBANISATION DES CAMPAGNES PÉRIPHÉRIQUES INITIÉ AU DÉBUT DES ANNÉES 1970
2 UN PROCESSUS INÉDIT À DÉFINIR ET À CIRCONSCRIRE
3 LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE ET DE DÉVELOPPEMENT DE LA PÉRIURBANISATION
CONCLUSION.
CHAPITRE 5 LA CONSTITUTION D’UN TERRITOIRE PÉRIURBAIN
RECOMPOSITION ET HIÉRARCHISATION TERRITORIALES
1 LA CONSTITUTION D’UN TERRITOIRE INÉDIT!: UN NOUVEAU RAPPORT SOCIAL À L’ESPACE ET AU TERRITOIRE
2 LA RECOMPOSITION DES TERRITOIRES PAR LA JUXTAPOSITION/CONFRONTATION DES URBAINS ET DES RURAUX
3 LA HIÉRARCHISATION SOCIALE ET SPATIALE DES TERRITOIRES RURAUX PÉRIURBAINS. LES TERRITOIRES RURAUX PÉRIURBAINS DE LA TROISIÈME COURONNE
CONCLUSION
CHAPITRE 6 LES TERRITOIRES PÉRIURBAINS AUJOURD’HUI : TERRITOIRES MÉTROPOLISÉS À FAIBLE DENSITÉ OU NOUVEAUX TERRITOIRES RURAUX
1 DES TERRITOIRES PÉRIURBAINS OU DES TERRITOIRES MÉTROPOLISÉS À FAIBLE DENSITÉ : UNE SPÉCIFICITÉ TERRITORIALE
2 NOUVELLES SOCIÉTÉS PÉRIURBAINES ET INNOVATION
CHAPITRE 7 LES TERRITOIRES RURAUX PÉRIURBAINS DE LA GARRIGUE NORDMONTPELLIÉRAINE
1 LE CHOIX DES TERRAINS D’ENQUÊTE. 2 LA PÉRIURBANISATION AU NORD DE L’AGGLOMÉRATION DE MONTPELLIER (1970-1980)!: L’AMORCE DU PROCESSUS
3 LA MISE EN PLACE DES TERRITOIRES PÉRIURBAINS NORD-MONTPELLIÉRAINS (1980-1990)
4 LES TERRITOIRES PÉRIURBAINS NORD-MONTPELLIÉRAINS AUJOURD’HUI!: DES TERRITOIRES MÉTROPOLISÉS À FAIBLE DENSITÉ
5 AMBIVALENCE ET COMPLEXITÉ DE L’ORGANISATION PÉRIURBAINE NORD-MONTPELLIÉRAINE
CONCLUSION DE LA PARTIE DEUX
PARTIE TROIS INNOVATION PÉRIURBAINE ET CHANGEMENT TERRITORIAL INTRODUCTION. HYPOTHÈSES
CHAPITRE 8 L’ENQUETE.
1 LE DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE. L’IDENTIFICATION DES ACTEURS
2 TROIS TYPES DE TERRITORIALITÉS PÉRIURBAINES
CHAPITRE 9 ACTIVITÉS PERSONNELLES ET INNOVATIONS
1 L’INSTALLATION COMME ACTE FONDATEUR DES PROCESSUS D’INNOVATION
2 GESTION DE LA MOBILITÉ SPATIALE
3 INNOVATIONS ET LOGEMENT
4 INNOVATIONS ET ACTIVITÉ.
5 INNOVATIONS ET IMPLICATION LOCALE
CONCLUSION.
CHAPITRE 10 ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ET INNOVATIONS
1 UNE ÉCONOMIE BASÉE SUR LA MISE EN VALEUR DE L’ORGANISATION AMBIVALENTE DU TERRITOIRE
2 TYPES D’ACTIVITÉS
3 INNOVATIONS ÉCONOMIQUES ORGANISATIONNELLES. 4 INNOVATIONS ÉCONOMIQUES INSTITUTIONNELLES. GROUPEMENTS DE PRODUCTEURS ET PROCESSUS DE LABELLISATION
CONCLUSION
CHAPITRE 11 ACTIVITÉS TERRITORIALES ET INNOVATIONS
1 PROBLÉMATIQUE DE L’INNOVATION TERRITORIALE
2 INNOVATIONS TERRITORIALES ORGANISATIONNELLES
3 INNOVATIONS TERRITORIALES INSTITUTIONNELLES
CONCLUSION
CHAPITRE 12 INNOVATIONS VERSUS CHANGEMENTS TERRITORIAUX
1 COMPLEXITÉ DES PROCESSUS D’INNOVATION ET DU CHANGEMENT TERRITORIAL
2 DE L’INNOVATION AU CHANGEMENT TERRITORIAL. IMPLICATIONS POUR L’INNOVATION, ET POUR LES
TERRITOIRES
3 LA PRODUCTION DE TERRITOIRES PÉRIURBAINS DIFFÉRENCIÉS
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
TABLE DES MATIÈRES

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