Les conditions de développement de la compétence phonologique dans un dispositif hybride

À la lecture des récentes circulaires du Ministère de l’Éducation Nationale (MEN), un engouement pour la prise de parole en public est aisément perceptible. En effet, « la maîtrise de l’expression orale est une compétence indispensable pour la réussite de la vie professionnelle et personnelle. C’est pourquoi la pratique de l’oral est encouragée » . Pour ce faire, divers dispositifs sont mis en place dans les collèges et les lycées à l’instar de l’introduction de temps d’éloquence, d’activités théâtrales et d’un « Grand oral » parmi les nouvelles épreuves du Baccalauréat, à partir de la session de 2021. La maîtrise des langues vivantes étrangères constitue un deuxième axe majeur. C’est pourquoi un « Plan langues » est déployé pour généraliser l’ouverture de sections européennes et de classes bilangues dès la Sixième, ainsi que des enseignements en discipline non linguistique (DNL). De surcroît, « ce renforcement de l’enseignement des langues dès l’école primaire passe par la mise en place d’un plan de formation de 30 000 professeurs durant l’année 2020-2021. » (ibid.). Le frein que constitue le manque de formation des enseignants est ainsi reconnu. Toutefois, des réformes similaires par le passé n’ont guère eu d’impact sur l’amélioration de la production orale des apprenants dans le second degré et l’enseignement supérieur. D’ailleurs, selon un récent rapport du Conseil National d’Évaluation des systèmes Scolaires (CNESCO), à l’oral, 75% des élèves de Troisième ne sont pas capables de s’exprimer dans une langue globalement correcte en anglais .

Professeur certifié (PRCE) en études anglophones, nous rejoignons ce constat au regard du niveau des étudiants que nous encadrons dans le secteur LANSAD (Langues pour spécialistes d’autres disciplines) à l’Université des Antilles (UA). En effet, nous accueillons des apprenants adultes dont le niveau d’anglais oral demeure en-deçà du niveau requis (B2 : niveau intermédiaire avancé, selon le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL)) au sortir du Baccalauréat. Dans le cadre de cette recherche, nous nous concentrons sur un aspect singulier de l’expression orale. Il s’agit de la phonologie anglaise, qui nous intéresse de par notre affinité avec la linguistique et la didactique des langues. Par ailleurs, selon la recherche, il existerait une période critique qui réduirait les chances de l’apprenant adulte d’atteindre une prononciation semblable à celle du locuteur natif :

starting after age 6 appears to make impossible for many learners (and after the age of 12 for the remainder) to achieve native-like competence in phonology, starting later than the early teens, more precisely after age 15, seems to create the same problems in morphology and syntax. (Long, 1990 : 274) .

Ainsi, viser cet objectif en faveur de nos apprenants s’avère être une gageure tant la tâche semble sisyphéenne. Les étudiants en LANSAD seraient-ils donc voués à s’exprimer en anglais, en gardant les spécificités du système phonologique français? Or, il est reconnu que la qualité phonologique de la langue a un impact décisif sur l’intelligibilité du message : Learners with good pronunciation will be understood even if they make errors in other areas, while those with unintelligible pronunciation will remain unintelligible, even if they have expressed themselves using an extensive vocabulary and perfect grammar. (Yates et Zielinski, 2009 : 11) .

De ce fait, dans quelle mesure peut-on améliorer la prononciation des apprenants en anglais ?

Malgré une approche de plus en plus communicative, la compétence phonologique est reléguée au second plan en faveur de compétences telles que le lexique et la grammaire. Les enseignants et les concepteurs de manuels proposent des démarches peu abouties, des ressources peu diversifiées et par conséquent un enseignement phonologique peu structuré et un apprentissage souvent vécu comme un ensemble de règles à apprendre, en vain. Si cet apprentissage permet de prendre conscience des spécificités du système phonologique anglais, il ne garantit pas une amélioration substantielle de la prononciation. Ce constat nous pousse à concevoir une démarche qui se veut suffisamment globale pour accompagner l’apprenant.

En outre, les partisans de l’« exception culturelle » française pourraient nous reprocher d’agir en faveur de la perte d’identité des apprenants francophones en cherchant à neutraliser l’accent français, comme le rappelle Fame (2006) : la culture française a tendance à considérer la langue comme un symbole fort de l’identité française et comme une source de fierté nationale. La langue est intimement liée à la culture dans l’esprit collectif, et les missions de l’Académie française (défense de la langue) et celle de l’Organisation Internationale de la Francophonie (promotion de la langue et des valeurs culturelles à l’étranger) se retrouvent dans la lutte contre l’impérialisme culturel et linguistique nordaméricain. (2)

Qu’est-ce-que la compétence ? 

Selon Chomsky (1965), en linguistique, la compétence serait la connaissance que l’énonciateur a de la langue. Elle ne peut s’apprécier en soi sans une performance. En effet : We thus make a fundamental distinction between competence (the speakerhearer’s knowledge of his language) and performance (the actual use of language in concrete situations) […] The problem for the linguist is to determine from the data of performance the underlying system of rules that has been mastered by the speaker-hearer and that he puts to use in actual performance. (4)

La compétence linguistique consisterait à acquérir et à intérioriser un système de règles pour traiter des données en input (réception) et en output (production). Elle recouvrirait deux étapes interdépendantes : l’acquisition de données (étape 1) et le traitement de ces données pour agir (la performance : étape 2). Ainsi, le degré de compétence de l’apprenant pourrait être inféré à partir de sa performance. Toutefois, cette première tentative de définition demeure peu satisfaisante, car la compétence linguistique semble être étudiée pour elle-même et nier la complexité en jeu dans la compétence globale de communication. En effet, « la didactique des langues ne peut se contenter d’une approche purement linguistique de la compétence » (Springer, 2004 : 98) dans une approche communicative où : la langue n’est plus le sujet formel de l’apprentissage, mais un outil significatif pour communiquer [selon] les quatre savoir-faire (aussi nommés capacités, compétences) fondamentaux que sont compréhension (orale et écrite), expression (orale et écrite). (Rolland, 2007 : 22)

La vision mécanique de la langue mise en avant par Chomsky (1965) s’estompe en faveur d’une langue plus adaptée à une visée communicative et sociale. Ainsi, la compétence correspondrait à la capacité à communiquer en utilisant les savoirs acquis, selon un contexte donné. La définition de Perrenoud (1999) permet d’étendre l’acception de la compétence. Selon lui : la notion de compétence renvoie à des situations dans lesquelles il faut prendre des décisions et résoudre des problèmes […] Une compétence permet de faire face régulièrement et adéquatement à une famille de tâches et de situations, en faisant appel à des notions, des connaissances, des informations, des procédures, des méthodes, des techniques ou encore à d’autres compétences, plus spécifiques. (14)

Les attributs de la (micro) compétence phonologique

Si on considère la compétence de communication comme une « macro » compétence, la compétence phonologique serait une « micro » compétence liée à la compétence linguistique et essentielle aux activités de réception et de production orales. Ainsi, pour peu que ce rouage soit défaillant, c’est tout le système qui est impacté. C’est pourquoi Yates et Zielinski (2009) soutiennent que : Learners with good pronunciation will be understood even if they make errors in other areas, while those with unintelligible pronunciation will remain unintelligible, even if they have expressed themselves using an extensive vocabulary and perfect grammar. (11)

D’où l’enjeu majeur que représentent la phonétique et la phonologie vis-à-vis de la communication orale. Nous avons conclu plus tôt qu’un apprenant compétent est un apprenant capable de mobiliser ses ressources (connaissances et capacités) à bon escient pour mener à bien une tâche. Puisque nous nous intéressons à la production orale, certaines de ces ressources auraient trait à la composante phonologique et devraient recevoir un traitement similaire à la grammaire et au lexique. Or, Kelly (1969) qualifie l’objectif phonologique de « Cendrillon », tant il est délaissé par les enseignants : It will be obvious that pronunciation has been the Cinderella of language teaching, largely because the linguistic sciences on which its teaching rests did not achieve the sophistication of semantics, lexicology, and grammar until the nineteenth century. (87)

Bien que cet objectif ne constitue qu’un rouage du système complexe de la compétence globale de communication, nous souhaitons débarrasser « Cendrillon » de ses haillons, et remettre la phonétique et la phonologie, qui influent naturellement sur la prononciation, à leur juste place. Par souci de clarté, nous définirons ces deux termes.

Définition : La phonétique et la phonologie

Selon Roach (2009), on parle de phonétique lorsqu’on s’intéresse à la réalisation pure des sons. En revanche, on s’intéresse à la phonologie quand on met en relation ces sons (appelés phonèmes) de manière abstraite, pour les rattacher à une langue. Il ajoute que « lorsqu’on prend la parole, on produit un flot de sons continu. L’étude du discours nous amène à diviser ce flot en petites unités appelées segments » . Le segment serait la plus petite unité de discours, si bien que dans le mot , on distingue 3 phonèmes et donc 3 segments : /b/, /ʊ/, /k/ qui forment /bʊk/. La phonologie segmentale s’intéresse aux segments de la langue tandis que la phonologie suprasegmentale s’intéresse aux contrastes qui s’opèrent au-delà des segments et qui impactent le sens du message : l’accentuation de mot, de phrase, l’intonation, etc. Dans le cadre de cette thèse, nous chercherons à dégager les conditions qui facilitent l’apprentissage phonologique segmental et suprasegmental de l’anglais. Toutefois, il existe une grande variété d’anglais à l’image de la diversité du monde anglophone. De ce fait, le choix d’une variété d’anglais à enseigner pourrait s’avérer être une gageure.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : CADRE THÉORIQUE
CHAPITRE 1 : LA COMPÉTENCE PHONOLOGIQUE : ENJEUX ET IMPLICATIONS DANS L’ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DE L’ANGLAIS LANGUE VIVANTE ÉTRANGÈRE
CHAPITRE 2 : LES DÉMARCHES ET LES OUTILS AU SERVICE DE LA COMPÉTENCE PHONOLOGIQUE
CHAPITRE 3 : QUELS DISPOSITIFS HYBRIDES AU SERVICE DE LA COMPÉTENCE PHONOLOGIQUE
CONCLUSION PARTIE 1
PARTIE 2 : MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE 4 : UNE RECHERCHE-ACTION POUR OBSERVER LES CONDITIONS DE DÉVELOPPEMENT DE LA COMPÉTENCE PHONOLOGIQUE
CHAPITRE 5 : PRÉSENTATION DU DISPOSITIF HYBRIDE EN FAVEUR DE LA CONSTRUCTION DE LA COMPÉTENCE PHONOLOGIQUE
CONCLUSION PARTIE 2
PARTIE 3 : RÉSULTATS ET DISCUSSION
CHAPITRE 6 : PRÉSENTATION DÉTAILLÉE ET RÉSULTATS DES TROIS CYCLES DE RECHERCHE
CHAPITRE 7 : DISCUSSION AUTOUR DES ÉLÉMENTS-CLÉS DU DISPOSITIF
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
INDEX DES AUTEURS
INDEX DES NOTIONS
ANNEXES

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