Les conditions critiques à la pérennisation d’un projet Lean

Le Lean manufacturing

Le Lean manufacturing reprend les idéologies proposées par T. Ohno et ses collaborateurs. Les Japonais sont d’ailleurs considérés comme les précurseurs de ce mouvement, bien que leur intention n’était pas la création de modèles théoriques reproductibles. L’objectif du Lean est d’optimiser la qualité, les coûts, les délais et la productivité dans le but de satisfaire le client. Pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire d’agir sur trois sources d’inefficacité de tout système opérationnel : les gaspillages, la variabilité et le manque de flexibilité. Peu d’entreprises parviennent à tirer de l’application du TPS autant d’avantages que Toyota (Graban, 2012). Ceci est entre autres dû au fait que pour récolter les promesses de ce système, il faut beaucoup plus qu’une conjugaison de principes, de méthodes et d’outils (Shook, 2010). La capacité de Toyota à créer une culture d’entreprise est la composante la moins transposable de son succès et le produit d’une longue évolution. Le Lean est une philosophie, une manière de voir et de penser (Drew et aL , 2004). Quelques années après la mise en place du TPS, Womack, Jones et Roos (1991) listent les cinq étapes d’une démarche Lean efficace : définir la valeur, identifier la chaîne de valeur, favoriser l’écoulement des flux, tirer les flux et viser la perfection. Définir la valeur, c’est connaître précisément ce que le client veut. Pour ce faire, il faut se demander quel prix un client est réellement prêt à payer pour le produit qu’il achète. À cette étape, il faut déterminer si le client sera prêt à débourser le montant supplémentaire qu’apporterait un service additionnel. De ce fait, la définition de cette valeur n’appartient à personne d’autre qu’au client luimême (Womack et aL, 1991).

Une fois la définition de la valeur clarifiée, il faut identifier l’ordre et l’enchaînement de toutes les opérations qui permettent de créer le service ou encore le produit. Cette deuxième étape permet à une organisation de cibler des actions à valeur non ajoutée, c’est-à-dire qui n’apportent rien à la valeur telle que définie par le client et de les éliminer. Ensuite, pour favoriser l’écoulement des flux, l’organisation doit s’assurer que les étapes qui ont une valeur ajoutée s’enchaînent de manière fluide tout au long du processus, que les produits porteurs de cette valeur ne subissent pas d’attentes, ni de retours en arrière, ni de circulation erratique (Hohmann, 2012). Dans un climat économique où l’offre est valorisée, les produits sont poussés vers les consommateurs, à un point tel où les besoins sont dictés par les produits offerts. Depuis qu’un marché beaucoup plus concurrentiel a basculé l’économie vers la demande, les clients sont devenus sélectifs et prennent le temps d’analyser leurs besoins avant de choisir : ils tirent la demande (Hohmann, 2012). Ainsi, tirer les flux signifie attendre de connaître les besoins du client avant de fournir un produit. La dernière étape consiste à assurer la pérennité des projets. L’élimination complète du gaspillage étant utopique, la réduction des coûts, des efforts et des stocks n’a aucune limite (Graban, 2012). Cette étape, trop souvent sous-estimée, est primordiale. L’essence même des idéologies Lean impose qu’une démarche basée sur ces dernières n’a pas de fin. Les entreprises et établissements qui ont du succès avec l’implantation de démarches Lean, peu importe leur nature, sont empreints d’une certaine culture.

Le Lean en établissement de santé

Déjà en 1972, Levitt (1972) souligne que les secteurs de services publics doivent adopter les meilleures pratiques inspirées de l’industrie manufacturière. Plus tard, Chase et Garvin (1989) affirment que les opérations dans les secteurs de services peuvent être plus efficaces si elles sont séparées en fonction de «contact» et «sans contact» en faisant référence aux contacts avec les patients. Cette catégorisation permettrait de profiter des économies d’échelle et d’une plus grande rationalisation (Chase, 1989). Il a été par ailleurs déterminé que les principes du Lean peuvent être appliqués à n’importe quelle organisation (Womack et Jones, 2003). Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs obtenu des résultats positifs dans leurs études sur l’applicabilité de ces principes dans le secteur public (Radnor et al., 2012). La force du Lean vient de l’ensemble des solutions qui ont pour but de résoudre des problèmes communs. Il semble donc évident qu’une telle approche peut aussi s’avérer efficace dans les secteurs publics (De Mast & al, 2006). Depuis le début des années 2000, les principes et méthodes Lean sont utilisés dans le secteur de la santé. Le Lean Healthcare a pour objectif d’améliorer plusieurs aspects du travail, notamment par l’élimination des gaspillages contenus dans les processus dans le but de conserver les activités à valeur ajoutée qui sont nécessaires pour le patient (Graban, 2012). Les États-Unis arrivent en tête comme pays utilisant la philosophie Lean dans le milieu de la santé, avec plus de la moitié des projets comptabilisés à ce jour. En second lieu se retrouve le Royaume-Uni, puis l’Australie et le reste de la scène internationale (Brandao de Souza, 2009). Des exemples concrets démontrent le succès de l’adoption d’une telle approche dans des établissements offrant des soins de santé. Entre autres, le Virginia Mason Medical Center, un hôpital de Seattle, utilise les techniques Lean depuis 2002 (Womack & al, 2005). Quelque 175 projets échelonnés sur deux ans ont permis d’en arriver à des gains significatifs.

Plusieurs raisons ont poussé les établissements de soins de santé à adopter une démarche basée sur la philosophie Lean. Parmi celles-ci se trouve leur désir de performance. Un environnement en perpétuel changement et d’une complexité toujours plus grande apporte à la fois des défis et des opportunités. Les établissements qui pourront répondre rapidement et augmenter l’efficacité des services offerts seront prospères; les autres ne survivront pas (Dean, 2013). Le Lean ne peut prédire ni contrôler les facteurs économiques ou politiques en dehors des établissements de soins de santé. Ce que le Lean peut..taire, c’est aider les établissements à être préparés pour toutes les éventualités (Dean, 2013). Aussi, un rapport de l’Institut de Médecine des États-Unis démontre que les erreurs médicales s’accumulent et qu’il est primordial de travailler à en diminuer le nombre (Kohn et al., 2000). En effet, dans un rapport intitulé To Err 15 Human, Kohn (2000) affirme que 98000 erreurs médicales sont commises annuellement aux États-Unis. Dans ce même rapport, il est mentionné que le Lean comme est une piste possible de solution pour en réduire le nombre. Dans un rapport publié par le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), 472858 événements indésirables ont été comptabilisés dans les centres de santé et de services sociaux de la province entre le 1e octobre 2013 et le 30 septembre 2014 (MSSS,2015).

En 2010, le rapport budgétaire du MSSS du gouvernement du Québec propose de «miser sur une approche équilibrée et novatrice» de financement ainsi que de «favoriser une meilleure performance du système de santé» (Finances Québec, 2010). Notamment, le MSSS a comme objectif d’ «instaurer une approche de performance Lean Healthcare» pour réorganiser le système de santé publique au Québec (Finances Québec, 2010). Il est aussi affirmé dans ce rapport que «l’injection de ressources additionnelles dans notre système de santé, si elle est nécessaire, ne pourra à elle seule assurer à long terme la pérennisation de la qualité et de l’accessibilité de nos services de santé» (Finances Québec, 2010, p. 15). Les connaissances acquises au fil du temps en ce qui a trait au Lean ne peuvent être transférées d’un secteur privé à un secteur public sans adaptàtion (Mazzocato et al.,2010). Il existe effectivement des différences organisationnelles et culturelles majeures entre le milieu de la santé et les autres secteurs ayant aussi adopté l’approche Lean (Kim et aL, 2006), ne seraient-ce que les employés mêmes (Brandao de Souza & Pidd, 2011). La difficulté supplémentaire qu’impose le domaine de la santé s’explique en partie par le nombre important de variables et de flux non séquencés qu’il comporte. En effet, pour chaque processus à analyser, les employés et gestionnaires doivent identifier et mettre en oeuvre les principes du Lean avec une vision plus systémique de l’établissement. Le véritable défi d’un changement de ce genre consiste à bien comprendre les enjeux de cette nouvelle philosophie et arriver à implanter des changements qui traverseront le temps (Hohmann, 2012; Graban, 2012; Barnas, 2014).

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1- REVUE DE LA LITTÉRATURE
1.1 LE MODÈLE TOVOTA
1.2 LE LEAN MANUFACTURING
1.3 LE LEAN EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
1.4 LA PÉRENNISATION DES PROJETS LEAN
1.4.1 Les bases de la pérennisation
1.4.2 Les conditions critiques à la pérennisation d’un projet Lean
1.4.3 Axe 1 : Capabilités (outils et techniques)
1.4.3.1 Conditions critiques
1.4.4 Axe 2 : Alignement stratégique et cohérence
1.4.4.1 Conditions critiques
1.4.5 Axe 3 : Engagement
1.4.5.1 Engagement de la direction
1.4.5.2 Engagement du personnel et des syndicats
1.4.5.3 Engagement des médecins
1.4.5.4 Conditions critiques
CHAPITRE 2 : MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1 ApPROCHE QUALITATIVE VERSUS QUANTITATIVE
2.2 ÉTUDE LONGITUDINALE VERSUS PONCTUELLE
2.3 CHOIX DES VARIABLES DE RECHERCHE
2.3.1 Variable dépendante
2.3.2 Variables indépendantes
2.3.2.1 Capabilités (Outils et techniques)
2.3.2.2 Alignement stratégique et cohérence
2.3.2.3 Engagement de la direction
2.3.2.4 Engagement du personnel
2.3.2.5 Variables de contrôle
2.4 HVPOTHÈSES DE RECHERCHE
2.5 CHOIX DE L’OUTIL DE COLLECTE DE DONNÉES
2.6 VALIDATION DU QUESTIONNAIRE
2.7 UNITÉ D’OBSERVATION ET ÉCHANTILLONNAGE
CHAPITRE 3: RÉSULTATS ET ANALYSES
3.1 EXPLICATION DU MODE D’ANALYSE
3.1.1 Analyse factorielle exploratoire
3.1.2 Test d’hypothèse
3.1.3 Le coefficient de corrélation linéaire
3.1.4 Le test de chi carré
3.2 ANALYSE DES DONNÉES
3.2.1 Variable dépendante
3.2.2 Description des répondants (variables de contrôle)
3.2.2.1 Effet des variables de contrôle
3.2.3 Variables indépendantes
3.2.3.1 Atteinte des cibles en cours de projet
3.2.3.2 Engagement de la direction
3.2.3.3 Engagement du personnel
3.2.3.4 Alignement stratégique et cohérence
3.2.3.5 Capabilités
3.2.4 Regroupement des variables
3.1.1 VALIDATION DES HyPOTHÈSES
3.1.2 Première hypothèse (Hl)
3.1.3 Deuxième hypothèse (H2)
3.1.4 Troisième hypothèse (H3)
3.1.5.Quatrième hypothèse (H4)
CONCLUSION
LISTE DES RÉFÉRENCES
ANNEXE 1 : QUESTIONNAIRE

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