LES CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES DE LA POLITIQUE DANS L’ANTIQUITE GRECQUE
La période de l’antiquité grecque allant de la fin du cinquième siècle jusqu’au début du sixième est sans nul doute, celle du triomphe de la raison sur le cœur et le corps, mais aussi et surtout de la rationalité sur la représentation. L’avènement des penseurs présocratiques comme Thalès, Anaximandre, Anaximène, Héraclite, Parménide pour ne citer que ceux là, marque le début de la science philosophique. Durant cette période, la rationalité supplante le mythe et la religion. L’homme s’affranchit de la tutelle des dieux, se réhabilite en réhabilitant la nature. Les phénomènes environnementaux et sociaux deviennent sujets à réflexion. Plusieurs écoles vont naître dans différents endroits de la grèce. Leur credo est : se situer dans la nature pour trouver une explication de la nature. C’est-à-dire ne plus se fier au surnaturel, ni se servir du merveilleux, mais compter sur l’homme et procéder par le raisonnement critique. Au milieu de ce bouillonnement intellectuel, apparurent les courants les plus divers, les plus contradictoires mais aussi les plus décisifs de l’histoire de la pensée.
D’un côté, il y avait les physiciens, plus préoccupés de connaissance cosmologiques que sociales et de l’autre les moralistes s’intéressant aux comportements. Parmi les premiers, nous pouvons citer les atomistes et les médecins. Et parmi les seconds les historiens et les idéalistes moralistes dont Socrate et Platon. Entre les deux apparaît un courant de penseurs très influents que sont les sophistes ou maîtres de rhétorique. Le sophisme, facilité par les changements intervenus sur le plan politique et juridique va bouleverser les fondements éthiques de la société athénienne au point de soulever l’ire de Platon. Sur le plan politique, cette période est marquée par l’avènement de la démocratie. La cité naît et prend une forme, assimilable à l’Etat au sens moderne dur terme. Elle se forme dans les villes coloniales d’Asie mineure et gagne bientôt la métropole et Athènes.
Cette évolution tenue pour exemplaire, va changer le statut juridique du citoyen. L’ordre citoyen dira Châtelet : « n’est plus fonction de la proximité aux dieux, ni de l’appartenance familiale, ni de l’allégeance à un chef, mais de la relation à ce principe abstrait qu’est la loi ». La cité se constitue sur un model démocratique.
Or celle-ci n’est pas seulement comme l’indique l’étymologie, le pouvoir du « petit peuple » c’est le régime dans lequel dira Châtelet : « le gouvernement est au milieu». Chaque citoyen y a en droit, et en fait, la capacité de participer à la vie politique. Le plus grand apport de la démocratie sera la liberté de penser librement, et celle d’exprimer sa pensée sans risque. Ainsi, les Sophiste profitant de cette aubaine, vont cultiver et enseigner la rhétorique. Mieux, ils vont émettre des pensées politiques où cette dernière apparaît purement et simplement comme l’art de mentir, et de mentir froidement et sans scrupule. Indigné et révolté par une telle conception ontologique aux conséquences politiques graves, Platon va opposer un idéalisme moraliste qui tente de subordonner la politique à la métaphysique. Mais il finira par admettre que la politique peut et doit se servir du mensonge même si c’est de façon exceptionnelle. A sa suite, Aristote son disciple Rebel, va tenter de réconcilier éthique et politique avec plus de raison et de succès.
L’idéalisme de Platon contre l’illusionnisme sophiste
L’idéalisme de Platon ne peut se comprendre ni sur le plan philosophique, ni sur le plan politique, que rapportée à la pensée sophiste dont il est l’envers. En effet, le Platonisme est une réaction née par et contre l’illusionnisme sophiste. Il repose sur trois piliers que sont : la théorie des idées, la théorie de la connaissance et la conception de la vertu. Sur le plan politique, Platon subordonne la fonction et la pratique de celle-ci à la connaissance de l’Idée de Bien. Tandis que le sophisme reposant sur des principes opposés met en avant l’art du paraître. Cet art, fondé sur les apparences était sur le plan philosophique une disqualification du non être Parménidien et une réduction de l’être au logos. Les conséquences qui vont découler de cette conception seront désastreuses sur le plan de la morale, de l’ontologie, et de politique. Chez les sophistes, le logos n’est pas seulement un moyen pour la pensée de s’extérioriser, elle est déjà son mode de constitution. La vérité est dans le discours, elle est le discours. De ce point de vue, il annonçait Hegel qui comme nous le verrons plus loin pense que l’essence est égale à sa manifestation.
Sur le plan politique, la conception des sophistes se fait jour à travers les dialogues avec Socrate personnage maître de Platon, comme dans ceux portant sur la République, les Lois, et Le politique. Elle est à leurs yeux, comme un échiquier de jeu de ruse et de combines. Autrement dit, une sorte de galerie de miroirs ou s’affrontent des intérêt contradictoires : ceux du peuple contre ceux des dirigeants. La finalité de ce jeux et de satisfaire les intérêts du dirigeant concrètement, et de faire miroiter le peuple. Par conséquent la seule recommandation que le sophisme donne «c’est d’apparaître en tout état de cause et en toute circonstance comme le souhaite la force majoritaire. C’est-à-dire d’être toujours fort et mieux, le plus fort au sens plein du terme. Autrement dit être fort en persuasion, en, dissuasion ou neutralisation.
Pour bien comprendre l’idéalisme politique de Platon, il faut commencer par analyser la pensée sophiste en indiquant sa genèse, ses fondements et ses conséquences.
L’illusionnisme sophiste et ses conséquences
La sophistique est ce courant de pensée, accompagné de pratiques particulières, qui envahi la totalité des cités grecques au milieu du cinquième siècle avant notre ère. Ses principaux animateurs étaient avant tout des rhéteurs qui se qualifiaient eux même de sophistes, c’est-à-dire de sages ou possesseurs de savoir, donc de maître de la connaissance. Leur philosophie se rattachait à la tradition des Eléates dont le chef de fil fut Parménide. Bien que reconnaissant la difficulté à spéculer sur l’être, ils demeuraient convaincus de la toute puissance du discours ou logos. Ils nient le non Etre sans affirmer vraiment l’Etre, en tout cas pas de façon séparée. Leur philosophie est alors une sorte d’anthropocentrisme qui ramène abusivement tout à l’homme. Sur le plan moral, cette forme de penser crée la débandade. Les fondements de la société sont sérieusement sapés. Sur le plan politique, la situation est encore plus grave. Les rhéteurs s’emparent du pouvoir soit directement soit par procuration. Plusieurs facteurs ont conduit à l’avènement de ce courant. Plusieurs conséquences découlent des fondements de cette forme de pensée.
Genèse et fondements de la sophistique
Parmi les facteurs qui ont rendu possible la naissance et le développement de la sophistique, il y a qui sont lointains d’autres plus proches. Comme annoncé précédemment, la fin du 5em/début 6em avant notre ère a été marqué par un développement sans précèdent dans les cités grecques. Sur le plan culturel, « presque tous les arts étaient connus » pour reprendre l’expression d’Aristote. La littérature avec Homère et Pindare offrait un cadre conceptuel suffisamment riche pour la naissance d’une science philosophique. C’est-à-dire d’une pensée rationnelle. Sur le plan économique, la division du travail conjuguée à la stratification de la société hiérarchisée dans l’ordre politique, permettait une intensification de la production. D’un côté, il y avait les esclaves chargés de la production de la subsistance et de l’autre, les guerriers chargés la défense territoriale des biens et des personnes. A dessus de la pyramide sociale, il y avait les nobles pour la gestion de la cité. Ces facteurs combinés permirent de dégager un surplus capable d’entretenir une élite qui désormais pouvait vivre sans devoir travailler .Cette nouvelle élite, pouvait de facto, se consacrer à la spéculation intellectuelle.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIÈRE PARTIE : LES CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES DE LA POLITIQUE DANS L’ANTIQUITE GRECQUE
Chapitre 1 :L’idéalisme de Platon contre l’illusionnisme sophiste
Section1 : L’illusionnisme sophiste et ses conséquences
I- Genèse et fondements de la sophistique
II- Les conséquences morales et politiques de la sophistique
Section2 : L’idéalisme ontologique de Platon et la subordination de la politique à la métaphysique
I- Les mobiles et les fondements de l’idéalisme de Platon
II- Politique et métaphysique chez Platon : forces et limites
Chapitre 2 : La critique de la théorie des idées de Platon et la formulation d’une nouvelle éthique politique par Aristote
Section1 La critique du platonisme et la fondation d’une nouvelle physique
I- La critique de la théorie platonicienne des Idées
II- La fusion de l’idée dans la réalité
Section2 Ethique et politique chez Aristote
I- Les conséquences politiques de l’immanentisme d’Aristote
II- L’autarcie : une conception éthique de la politique
DEUXIÈME PARTIE : LES CONCEPTIONS MODERNES DE LA POLITIQUE
Chapitre 1 : Rupture paradigmatique et fondation de la science politique
Section1 : Une nouvelle méthode
Section2 : Un nouvel objet pour la politique
Chapitre 2 : Le machiavélisme à l’épreuve du temps
Section1 : La politique un ornement de la violence
Section2 : La démocratie libérale et pluraliste : un nouveau tablier du jeu de prince
TROISIÈME PARTIE : PLACE ET ROLE DE LA COMMUNICATION DANS LA THEATRALISATION POLITIQUE : L’ECLAIRAGE DU PASSE ET DU PRESENT
Chapitre1 : La théâtralisation politique : une demande sociale
Section1 : De la nature des peuples et des hommes
Section2 : nature humaine et illusion politique
Chapitre2 : La place et le rôle de la communication dans le jeu politique
Section1 : La communication : le lieu-tenant du jeu politique
I- paraître : une voie royale du politique
II- Le paraître : la voix de la politique
Section 2 : L’impératif sauver le roi, face à la surinformation du peuple
Section2 : La communication ou l’essence du politique
CONCLUSION GENERALE