Les composites métal-céramique
Généralités
Un matériau composite est, par définition, un assemblage d’au moins deux matériaux non miscibles : la matrice qui sert de liant, et le renfort qui contribue par exemple aux propriétés mécaniques de la pièce [1]. Au cours de ces dernières années, l’utilisation des matériaux composites, soutenue en particulier par la diversité de leurs applications, n’a cessé d’augmenter. Ces matériaux disposent de plusieurs avantages fonctionnels par rapport aux matériaux traditionnels. Ils apportent aux industriels et aux designers la possibilité nouvelle d’associer fonction, forme et matériaux au sein de systèmes de plus en plus performants. L’utilisation des matériaux composites date de la préhistoire. Le bois fut le premier matériau composite naturel utilisé (Figure 1-a). Les arcs mongols (2000 ans av. J.-C.) sont les premiers composites fabriqués par l’homme, ainsi que les sabres japonais traditionnels. En 1892, François Hennebique dépose le brevet du béton armé, un matériau de construction composite [2] (Figure 1-b).
Les composites sont également utilisés dans le secteur automobile (fin des années 1980), ainsi que dans les secteurs dentaire (implants) et biomédical (matériaux prothétiques) en dépit de fortes contraintes de bio-compatibilité. Ces nouveaux matériaux, qui présentent des propriétés mécaniques intéressantes, sont aussi à l’origine du développement récent des sports de glisse modernes [3].
La combinaison de chacune des propriétés de la matrice et du renfort est, dans chacun des marchés d’application (automobile, bâtiment, électricité, équipements industriels,…), à l’origine de solutions technologiques innovantes. Ces matériaux sont classés généralement en trois grandes familles, selon la nature de la matrice :
➤ Les composites à matrice organique (CMO) ; les matrices sont des polymères organiques (résines thermodurcissable ou thermoplastique).
➤ Les composites à matrice métallique (CMM) ; les matrices les plus utilisées sont à base d’aluminium et de titane.
➤ Les composites à matrice céramique (CMC) : utilisés pour les applications à haute température comme le spatial, le nucléaire, les piles à combustibles SOFC, etc, [4], [5], [6], [7].
Les cermets (Figure 2), appartenant à cette dernière famille (les CMCs) sont des composites constitués d’une phase céramique majoritaire et d’un liant métallique. La combinaison de la céramique avec les métaux [8] permet de combiner les propriétés de la céramique : résistance thermique, résistance à la corrosion et résistance à l’usure [9], [10], [11] et [12] et de la phase métallique : résistance mécanique et conductivités thermique et électrique [7] et [12].
Ces matériaux sont très utilisés pour les applications à hautes températures, du fait de leur excellente stabilité chimique et de leur résistance mécanique à température élevée. Ils sont aussi utilisés dans les matériaux à gradient de propriétés (FGM, Fonctionally Gradient Material). En effet, lors de la mise en forme, les propriétés thermiques de la céramique et des métaux, en particulier le coefficient de dilatation thermique, sont susceptibles de créer des phénomènes de délamination. Pour limiter cet inconvénient, des composites de structures graduelles, se basant sur la modification de la proportion des deux phases, ont été développés [12], [13], [14], [15] et [16]. Ces matériaux sont apparus au Japon en 1984 pour des applications aéronautiques et spatiales à très hautes températures. Ce concept est en pleine expansion depuis une dizaine d’années, et ces matériaux sont surtout utilisés comme barrière thermique [17].
Objectifs de cette étude
L’objectif de cette thèse sera d’étudier la corrosion des cermets à haute température. Cependant, étant donné l’absence de cermets commerciaux, nous avons dû élaborer un cermet « modèle » dense.
Le choix des matériaux du cermet modèle a été basé sur une étude récente menée par Gillia et Caillens [18]. Cette étude traite des matériaux à gradient de propriétés développés avec le système zircone yttriée (3%)/inconel 600 (Ni ; Cr : 14-17% ; Fe : 6-10 %), préparés par métallurgie des poudres et densifiés par la méthode HIP (Hot Isostatic Pressing). La zircone a été utilisée afin de minimiser les contraintes thermiques pendant la fabrication des cermets [12], [19], [20] du fait de son coefficient de dilatation thermique (10,6×10-6 °C -1) [21] proche de celui des métaux (inconel 600 dans ce cas) (18,9×10-6 °C-1) [22] .
Ces matériaux sont préparés dans le but d’élaborer des inter-couches lors de l’assemblage de la céramique avec du métal dans les matériaux à gradient (FGM). Ainsi, suite à cette étude, le choix du matériau céramique pour les composites s’est porté sur la zircone yttriée majoritairement stabilisée sous forme quadratique.
Les cermets métal-zircone
La phase céramique, la zircone yttriée
La zircone est une céramique à caractère réfractaire tant du point de vue chimique que thermique [24]. Sa très faible conductivité thermique par rapport à la plupart des autres oxydes lui donne la capacité d’être utilisée en tant que barrière thermique pour protéger les substrats métalliques (revêtement des aubes de turbomoteurs à hautes températures) [25]. Ses propriétés physiques, de conduction électrique et électronique notamment, sont remarquables. Ayant une faible semi-conduction de type n, cet oxyde peut devenir conducteur ionique pur s’il est dopé. Sa forte conductivité ionique, qui s’explique par la présence de lacunes d’oxygène, permet d’augmenter la conductivité électrique globale de la zircone. Ceci est à l’origine de son utilisation comme électrolyte solide dans des applications telles que les piles à combustibles SOFC (Solid Oxide Fuel Cell), les capteurs d’oxygène, les résistances de four à haute température [26], [27].
Le coefficient de dilatation thermique de cette zircone nommée YSZ par la suite (zircone partiellement stabilisée sous forme quadratique par l’oxyde de l’yttrium) est voisin de celui des alliages métalliques [21]. Ce matériau présente effectivement plusieurs avantages. Tout d’abord, cette zircone possède une stabilité structurale sur une large gamme de température, en associant également une bonne tenue mécanique et une grande stabilité chimique. De plus, ce matériau est imperméable à l’oxygène et à l’hydrogène gazeux, ce qui permet d’éviter les mélanges combustible / comburant. Ceci justifie son utilisation dans la fabrication du cermet à base de zircone yttriée dans les anodes des piles à combustible (SOFC). La zircone stabilisée YSZ peut être obtenue par plusieurs voies de synthèse telles que les procédés sol-gel [34], les réactions solide /solide [35], l’atomisation [24], etc. Ces méthodes permettent d’obtenir des poudres de granulométrie contrôlée. La zircone YSZ utilisée dans cette étude est une poudre préparée par atomisation (Figure 7) d’une solution contenant les précurseurs sous forme d’ions zirconyles et le dopant (yttrium) sous forme de cations. L’atomiseur pulvérise la solution en gouttelettes qui sont séchées par gravité. La poudre est constituée de granulés sphériques. Chaque granulé est composé de grains nanométriques. Cette morphologie de poudre lui procure une excellente coulabilité qui permet un remplissage aisé des moules de mise en forme [24].
Etat de l’art des cermets métal- zircone
L’introduction d’un métal ductile au sein d’une matrice céramique est un moyen intéressant pour augmenter la résistance à la fracture du matériau [36] et [37]. Hing et Groves [36] montrent que l’incorporation d’un alliage métallique à base de fer, nickel et/ou cobalt augmente la résistance à la fracture de l’oxyde de magnésium.
Du fait de ses propriétés mécaniques, la zircone est une céramique intéressante pour le développement du composite métal-céramique. Plusieurs travaux sur la zircone renforcée avec des métaux tels que le nickel, l’acier inoxydable, et le molybdène ont été rapportés dans la littérature [19], [22], [38], [39], [40] et [41]. La zircone est utilisée comme électrolyte dans les piles à combustible à électrolyte solide (SOFC) ainsi que comme matériau céramique dans les cermets métal/zircone destinés aux anodes des SOFC [42]. Dans ce dernier cas, le métal utilisé dans les anodes doit avoir une bonne résistance à l’oxydation dans les conditions de travail des piles à combustible (600 – 900 °C). Du nickel est habituellement choisi pour cette application [38], [39] et [40] en raison de son bas coût comparé à celui d’autres métaux tels que le cobalt, le platine et le palladium [42]. Le choix des matériaux du cermet dans les SOFC est important afin de répondre aux exigences du matériau constituant l’anode des SOFC : bonne conductivité électronique, porosité élevée (de l’ordre de 50%), propriétés mécaniques et thermiques performantes, stabilité chimique à haute température. Plusieurs travaux ont été ainsi réalisés afin de vérifier si le cermet choisi répond à toutes ces exigences. Les travaux de Kawashima et Hishinuma [38] ont porté sur l’étude des propriétés thermiques (chaleur spécifique, diffusivité thermique) de composites poreux nickel/zircone yttriée YSZ (8%) destinés aux anodes des SOFC. Le taux de nickel dans ces composites varie entre 0 et 100% vol. et la porosité s’étend entre 0 et 52 %. Les auteurs ont constaté que la chaleur spécifique diminue avec l’augmentation du taux de nickel. Cependant, la diffusivité thermique augmente avec l’augmentation de la proportion du nickel parce que la diffusivité thermique du nickel est vingt fois plus grande que celle de la zircone. Jung et al. [19] et Hu et al. [41] ont étudié les contraintes résiduelles, les propriétés thermiques et les conductivités électrique et thermique des matériaux composites FGM nickel/YSZ (3% mol.). Jung et al. ont également étudié un composite acier inoxydable SUS 304 (Fe ; Cr : 18-20% ; Ni : 9-13% mass.)/YSZ (3% mol.). Ils ont constaté que la conductivité thermique des composites augmente avec l’augmentation de la proportion du nickel ou d’acier inoxydable. Ils ont en outre indiqué que la différence du coefficient de dilatation thermique entre la zircone et le nickel ou l’acier inoxydable génère des contraintes dans le matériau lors de l’élaboration. Hu et al. [41] ont également montré que les diffusivités thermique et électrique augmentent avec le taux du nickel. D’autres auteurs se sont intéressés à la préparation et l’étude de phases des cermets. Wildan et al. [20] ont comparé les propriétés des matériaux composites fer/zircone yttriée, chrome/YSZ (3% mol.) et acier inoxydable AISI 316/ YSZ (3% mol.) qui sont destinés aux matériaux des anodes pour les piles à combustibles SOFCs. Ces composites sont préparés par métallurgie des poudres. Ces auteurs ont conclu qu’il n’y a pas d’interaction entre le chrome et la zircone yttriée après frittage. Cependant, une déstabilisation de la zircone yttriée (formation de deux phases : quadratique et monoclinique) a été notée pour les composites fer/zircone yttriée. Ceci n’a cependant pas été observé dans le cas des aciers inoxydables bien qu’ils contiennent 60 % de fer. Wildan et al. expliquent ce comportement par le fait d’une interaction possible entre le fer et l’yttrine (Y2O3) présente dans la zircone. Cependant, d’après ces auteurs, l’interaction fer/yttrine est faible du fait de la faible activité du fer dans l’acier inoxydable. Il faut ainsi noter que Wildan et al. [20] n’ont pas tenu compte du fait que le fer à haute température (1450 °C) peut s’oxyder sous argon en présence de traces d’oxygène et que l’oxyde formé (Fe2O3) est susceptible de réagir avec Y2O3. Cependant, dans le cas des aciers inoxydables, la présence d’une couche de chromine protectrice pourrait expliquer l’absence du phénomène.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I. Synthèse bibliographique
I.1. Les composites métal-céramique
I.1.1. Généralités
I.1.2. Objectifs de cette étude
I.2. Les cermets métal-zircone
I.2.1. La phase céramique, la zircone yttriée
I.2.2. Etat de l’art des cermets métal- zircone
I.3. Oxydation des cermets
I.4. Démarche proposée pour l’étude de l’oxydation des cermets
I.4.1. La phase métallique, acier inoxydable 304L
I.4.2. Démarche de l’étude
Chapitre II. Elaboration du cermet TZ-3Y-E/304L
II.1. Élaboration des composites métal- céramique
II.1.1. Les différentes méthodes d’élaboration d’un matériau composite
II.1.2. Élaboration du matériau composite par métallurgie des poudres
II.2. Caractérisation des matières premières
II.2.1. La zircone yttriée YSZ
II.2.2. L’acier inoxydable 304L
II.3. Synthèse du cermet modèle par métallurgie des poudres
II.3.1. Mélange et broyage de la poudre
II.3.2. Etape de granulation : pressage à 250 MPa
II.3.3. Pressage à 400 MPa
II.3.4. Le frittage
II.3.5. Comparaison du retrait entre la zircone et l’acier inoxydable
II.3.6. Densification du cermet
II.4. Caractérisation du cermet après frittage
II.4.1. Tomographie X
II.4.2. Microscopie électronique à balayage
II.4.3. Microscopie électronique à transmission
II.4.4. Diffraction des rayons X
II.5. Conclusion
Chapitre III- Étude de l’oxydation de la poudre d’acier inoxydable 304L
III.1. Etude bibliographique de l’oxydation de l’acier inoxydable 304L
III.1.1. Etude mécanistique et cinétique d’oxydation
III.1.2. Etat de l’art sur l’oxydation de l’alliage 304L
III.2. Etude cinétique de l’oxydation de la poudre 304L
III.2.1. Proposition d’un modèle d’oxydation
III.2.2. Hypothèse de l’étape limitante (test du .Sm)
III.3. Protocole expérimental et reproductibilité
III.3.1. Reproductibilité des courbes d’oxydation de la poudre de 304L
III.3.2. Reproductibilité des courbes d’oxydation des différentes fractions granulométriques de la poudre d’acier inoxydable 304L
III.4. Résultats et discussion
III.4.1. Effet de la température sur le comportement à l’oxydation de la poudre 304L-T (75-100 µm)
III.4.2. Effet de la pression partielle d’oxygène sur le comportement à l’oxydation de la poudre 304L-T (75-100 µm)
III.4.3. Caractérisation de la poudre de 304L oxydée
III.5. Interprétations des courbes de prise de masse de la réaction d’oxydation de la poudre de 304L
III.5.1. Modèle d’oxydation
III.5.2. Proposition d’un mécanisme d’oxydation du chrome
III.6. Conclusion
Chapitre IV- Etude de l’oxydation du cermet 304L/YSZ
IV.1. Protocole d’oxydation
IV.2. Etude de la reproductibilité des essais d’oxydation des cermets de type A
IV.3. Etude de l’oxydation à 800°C des cermets de type B élaborés avec la fraction granulométrique 75-100 µm de la poudre 304L
IV.3.1. Reproductibilité des essais d’oxydation
IV.3.2. Etude de l’oxydation du cermet en fonction de la température
IV.3.3. Etude de l’oxydation du cermet en fonction de la pression partielle d’oxygène à 800 °C
IV.4. Caractérisation du cermet oxydé
IV.4.1. Caractérisation par microscopie électronique à balayage
IV.4.2. Suivi de la fissuration de la matrice zircone du cermet par couplage thermogravimétrie-émission acoustique
IV.4.3. Caractérisation par diffraction des rayons X du cermet oxydé
IV.4.4. Suivi de l’oxydation du cermet par diffraction des rayons X in situ
IV.4.5. Caractérisation par spectroscopie Auger
IV.4.6. Interprétation des caractérisations du cermet oxydé
IV.5. Modèle d’oxydation du cermet
IV.5.1. Hypothèse de l’étape limitante
IV.5.2. Proposition d’un mécanisme d’oxydation du cermet 304L/YSZ
IV.6. Etude comparative de l’oxydation du cermet modèle et de la poudre de 304L
IV.7. Conclusion
Conclusion générale
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