L’introduction de matériaux céramiques comme éléments de structure des parties chaudes des moteurs aéronautiques répond à deux principaux besoins [Naslain, 2003 et Christin, 2001]. Le premier est l’augmentation des températures de combustion pour atteindre des rendements moteur plus élevés et une réduction des émissions gazeuses polluantes (NOx, CO,…). Le second est un gain de masse significatif en raison (i) de la faible densité des matériaux céramiques par rapport aux superalliages actuellement utilisés et (ii) de la simplification du système de refroidissement nécessaire. Le carbure de silicium (SiC) est une céramique monolithique qui possède de remarquables propriétés. En effet, il est réfractaire, dur, résistant au fluage et offre une contrainte à rupture élevée associée à une faible densité [Chermant, 1989]. De plus, la formation d’une couche de silice protectrice à sa surface (oxydation passive), lui offre une importante résistance à l’oxydation jusqu’à 1500°C. Néanmoins, la fragilité du SiC exclut son utilisation comme élément de structure des parties chaudes des moteurs aéronautiques.
Les composites à matrice céramiques (CMCs) base SiC de type SiCf/SiCm ou Cf/SiCm sont constitués d’une matrice en SiC respectivement renforcée par des fibres de SiC et de carbone [Chawla, 1993]. Contrairement à une céramique monolithique, ces composites adoptent un comportement mécanique non-fragile. En effet, l’utilisation d’une interphase [Naslain, 1985 et Naslain, 1997], déposée sur les fibres lors de l’élaboration du matériau, permet d’optimiser la liaison fibrematrice et confère au composite un comportement endommageable non linéaire. L’interphase est une fine couche d’un matériau qui possède une faible contrainte de cisaillement tel que le Pyrocarbone (PyC) ou le nitrure de bore (BN) [Rebillat, 1998 et Le Gallet, 2001]. Son principal rôle est d’arrêter ou de dévier les micro-fissures crées dans la matrice lors d’une sollicitation mécanique. Ainsi, l’interphase protège les fibres fragiles d’une fissuration précoce qui est susceptible d’entraîner la ruine prématurée du composite. Le principal rôle de la matrice de SiC est de protéger le renfort fibreux et l’interphase contre les environnements oxydants [Naslain, 2004_a]. En effet, les fibres de carbone et le PyC peuvent s’oxyder dès une température inférieure à 500°C en présence de O2 [Filipuzzi, 1991]. Pour des températures supérieures à 1000°C, l’oxydation de la matrice le long des micro-fissures créées par une sollicitation thermomécanique, permet de consommer O2 avant qu’il n’atteigne le renfort et l’interphase [Lamouroux, 1992]. En outre, la formation de silice dans ces micro-fissures est un obstacle à la diffusion de O2 à cœur du matériau [Letombe, 2003]. Néanmoins, à des températures inférieures à 1000°C, la vitesse de formation de SiO2 est trop lente pour assurer une protection efficace du renfort et de l’interphase. Ainsi, leur oxydation conduit à la ruine prématurée du composite [Luthra, 1997 et Lamouroux, 2001].
LES COMPOSITES À MATRICE SÉQUENCÉE [Si,C,B]
Synthèse
La nature et le comportement en corrosion des différents constituants des matériaux à matrice séquencée [Si,C,B], CERASEP® A410 et SEPCARBINOX® A500 sont décrits. Ainsi, des bilans sur l’oxydation du SiC, du B4C et du Si-B-C ainsi que sur la volatilisation des oxydes SiO2 et B2O3 sont présentés. Les effets de la température, de la pression totale, de la teneur en vapeur d’eau et de la vitesse des gaz sur les vitesses des processus physico-chimiques sont abordés. Les tenues à l’oxydation de l’interphase en PyC et des fibres de carbone ex-PAN et Hi-Nicalon® sont également évoquées. Les méthodes d’élaboration, les morphologies, les propriétés mécaniques et des bilans des résultats de durée de vie en atmosphère oxydante et corrosive du CERASEP® A410 et du SEPCARBINOX® A500 sont détaillés. Enfin, une synthèse des résultats de durée de vie des composites thermostructuraux de type Cf/SiCm et SiCf/SiCm, concurrents des matériaux à matrice séquencée [Si,C,B], est présentée.
La matrice séquencée
La matrice [Si,C,B] [Goujard, 1994_a ; Goujard, 1994_b et Vandenbulcke, 1996] est constituée d’un séquençage de couches céramiques en SiC, B4C et d’un mélange SiC-B4C noté Si-B-C qui sont déposées par le biais d’une succession d’infiltrations chimiques en phase vapeur (CVI). La matrice séquencée permet de (i) consommer l’oxygène par oxydation de ses constituants à haute température et (ii) limiter son accès vers le renfort fibreux et l’interphase en comblant les microfissures matricielles par une phase oxyde dite cicatrisante. Le séquençage de la matrice lui permet de produire cette phase oxyde dans une large gamme de température. En effet, jusqu’à 800°C, l’oxyde B2O3 produit par oxydation des couches en B4C et en Si-B-C, assure la protection. Au dessus de 1000-1100°C, SiO2, majoritairement produit par l’oxydation des couches en SiC, devient la phase cicatrisante principale. Entre 800 et 1100°C, la protection est assurée par un oxyde mixte SiO2- B2O3. Le principal phénomène limitant la cicatrisation matricielle est la volatilisation des oxydes en présence de vapeur d’eau sous forme d’espèces gazeuses hydroxydes. Ce processus est à considérer car la vapeur d’eau est un produit de la combustion des hydrocarbures à l’intérieur des moteurs aéronautiques et sa fraction molaire dans les gaz de combustion peut atteindre 13%. La volatilisation des oxydes peut retarder la cicatrisation des microfissures matricielles, conduire à la récession de la matrice et ainsi empêcher une protection efficace du renfort fibreux et/ou de l’interphase. Le second intérêt de la matrice [Si,C,B] réside dans son architecture séquencée qui va permettre de dévier les fissures en son sein et donc d’empêcher leur propagation catastrophique jusqu’aux fibres. En outre, les déviations permettent d’allonger les chemins d’accès des espèces oxydantes vers le renfort fibreux, diminuant ainsi la quantité d’espèces oxydantes susceptible de l’atteindre.
Les études dans le HPBR et le HVBR ont également permis de mettre en évidence une influence significative de la pression totale sur la récession du SiC. Ainsi, des vieillissements de plusieurs dizaines d’heures menés entre 1200°C et 1400°C, à des pressions totales comprises entre 0,6 et 1,5 MPa, dans des ambiances de combustion avec une vitesse de gaz de 15 à 20 m.s-1 et pendant plusieurs dizaines d’heures, montrent une augmentation significative de la récession du SiC avec l’accroissement de la pression totale [Robinson, 1999]. Ce phénomène est expliqué en considérant que l’élévation de pression entraîne une augmentation de PH20 qui favorise la volatilisation de SiO2. Ceci est confirmé à Pa [Opila, 1997] où la volatilisation dans un environnement O2/H2O(g) n’a été observée que pour une PH2O supérieure ou égale à 50 kPa.
La couche de Si-B-C
La structure des couches matricielles Si-B-C a déjà été étudiée en microscopie électronique à transmission (MET) et peut être décrite comme un mélange de nanocristaux de SiCβ entourés par une phase amorphe de B4C [Carrere, 1996 et Farizy, 2002]. Ces couches se caractérisent en Microspectrométrie Raman (MSR) par une large bande dans le domaine 350-800 cm-1 attribuée à la phase amorphe B4C, ainsi que par deux pics à 1334 et 1579 cm-1 qui témoignent de la présence de carbone libre [Tuinstra, 1970 ; Lespade, 1984 et Chollon, 2001]. Un traitement thermique de 10 heures sous Ar(g) à 1300°C permet de cristalliser la phase B4C (pics à 481 et 534 cm-1 en MSR) et d’aller vers une graphitisation plus complète du carbone libre se traduisant par un affinement des pics à 1334 et 1579 cm-1 [Martin, 2003].
De par leur composition, les couches Si-B-C peuvent conduire à la formation d’oxydes dans une large gamme de températures, notamment pour des températures plus basses que celles rencontrées pour du SiC [Vandenbulcke, 1996 et Martin, 2003]. Ainsi, l’oxydation de dépôts plans de Si-B-C sous N2/O2/H2O(g) débute significativement dès 600°C selon les réactions (Réac. I.1-2) et (Réac. I.1-11) mais elle est nettement plus lente que celle de B4C [Viricelle, 1997 et Martin, 2003]. L’oxyde formé est un mélange de SiO2 et de B2O3 dont les proportions varient en fonction (i) de la température, (ii) de la durée de vieillissement, (iii) de la pression partielle de vapeur d’eau et (iv) de la vitesse des gaz corrosifs. La formation de SiO2 à 600°C est due à la taille nanométrique des cristaux de SiC dont la réactivité sous atmosphère oxydante est inversement proportionnelle au carré de leur rayon [Zhang, 1998].
La présence de SiO2 au sein de l’oxyde B2O3 semble limiter le phénomène de volatilisation des éléments borés [Martin, 2003]. La vitesse de récession des dépôts plans Si-B-C à Pa et en atmosphère humide est ainsi nettement plus faible que celle du B4C. Le vieillissement des films borosilicatés en atmosphère humide finit néanmoins par conduire à des films avec des teneurs en B2O3 faibles au bout d’une durée variant avec la température considérée. La volatilisation de B2O3 en atmosphère humide serait gouvernée par la diffusion des éléments borés au sein du film borosilicaté [Martin, 2003]. A l’inverse, les réactions interfaciales à la périphérie du film borosilicaté et le transport des espèces gazeuses HxByOz (g) sont des processus rapides. La diffusion des composants borés au sein du film borosilicaté est d’autant plus lente que la teneur en B2O3 est faible. Une zone de déplétion en élément boré est également constatée à la surface externe du film borosilicaté. En première approximation, la croissance de cette zone au cours du temps serait décrite par une loi parabolique [Martin, 2003].
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Table des matières
Introduction générale
I. Les composites à matrice séquencée [Si,C,B]
I.1. La matrice séquencée [Si,C,B]
I.2.1. La couche de SiC
I.2.2. La couche de B4C
I.2.3. La couche de Si-B-C
I.2. Le composite CERASEP®A410: SiCf/[Si,C,B]m
I.2.1. Les fibres Hi-Nicalon®
I.2.2. Elaboration du CERASEP® A410
I.2.3. Propriétés mécaniques du CERASEP® A410
I.2.4. Oxydation/corrosion et durée de vie du CERASEP® A410
I.2.5. Oxydation/corrosion et durée de vie des composites SiCf/SiCf
I.3. Le composite SEPCARBINOX® A500: Cf/[Si,C,B]m
I.3.1. Les fibres carbone ex-PAN
I.3.2. Elaboration du SEPCARBINOX® A500
I.3.3. Propriétés mécaniques du SEPCARBINOX® A500
I.3.4. Oxydation/corrosion et durée de vie du SEPCARBINOX® A500
I.3.5. Oxydation/corrosion et durée de vie des composites Cf/SiCm
II. Techniques expérimentales
II.1. Les matériaux de l’étude
II.1.1. Le CERASEP® A410 (SiCf/[Si,C,B]m)
II.1.2. Le SEPCARBINOX® A500 (Cf/[Si,C,B]m)
II.1.3. Les dépôts céramiques de référence en SiC, B4C et Si-B-C
II.1.4. Les composites de référence SiCf/SiCm et Cf/SiCm
II.2. Les essais de corrosion
II.2.1. Les bancs de vieillissement à pression atmosphérique
II.2.2. Le banc d’essai de corrosion à haute pression
II.2.3. Les conditions opératoires
II.2.4. Le déroulement des essais de corrosion
II.3. Les caractérisations post-vieillissement
II.3.1. Les essais mécaniques
II.3.2. Les observations morphologiques
II.3.3. Les analyses physico-chimiques qualitatives
II.3.4 Les analyses physico-chimiques semi-quantitatives
III. Études théoriques
III.1. Calculs thermodynamiques
III.1.1. Volatilisation du B2O3
III.1.2. Volatilisation de SiO2
III.2. Approche théorique de la récession du SiC
III.2.1. Description du modèle proposé
III.2.2. Validation expérimentale et limites de la nouvelle approche théorique
III.2.3. Applications de la nouvelle approche théorique
III.3. Approche théorique de la récession du B4C
III.3.1. Description du modèle proposé
III.3.2. Validation expérimentale de la nouvelle approche théorique
III.3.3. Applications de la nouvelle approche théorique
III.4. Bilan des études théoriques
IV. Durée de vie du SEPCARBINOX®A500
Conclusion générale