Les composés α-Diazocarbonylés

Les composés α-Diazocarbonylés

Aspects historiques

Les composés α-diazocarbonylés sont des molécules contenant une fonction diazoïque vicinale à un groupement carbonyle . Contrairement à la plupart des dérivés diazoïques, ces dérivés sont stabilisés et représentent donc des briques moléculaires manipulables pour des applications en synthèse organique. Le premier exemple de composé α-diazocarbonylé a été rapporté par Curtius en 1883.Ce dérivé a ainsi été obtenu par diazotation de l’ester éthylique du chlorhydrate de glycine 1 par le nitrite de sodium dans l’eau pour donner le diazoacétate d’éthyle 2 .

La réactivité des composés α-diazocarbonylés provient de leur capacité à perdre facilement une molécule de diazote. La première transformation chimique faisant intervenir ces dérivés a été rapportée en 1912 via un réarrangement de Wolff. Lors de cette réaction la libération de diazote par décomposition thermique ou irradiation photochimique du composé α-diazocarbonylé 3 conduit à un carbène 4, intermédiaire réactionnel hautement instable, qui subit une réaction de migration 1,2 pour donner un cétène 5. Celui-ci peut alors réagir avec un nucléophile pour donner une cétone 6, ou être engagé dans des réactions de cycloadditions [2+2] pour conduire à des cyclobutanones 7 .

Dans les années 1920 les groupes d’Arndt et Eistert, puis de Bradley et Robinson, ont proposé une nouvelle approche pour la synthèse des composés α-diazocarbonylés reposant sur la condensation entre le diazométhane et un chlorure d’acide ou un anhydride mixte .

Cette méthode a permis de préparer une large diversité de composés et a ainsi conduit à de nombreux développements dans le domaine de la chimie des dérivés αdiazocarbonylés.

Réactivité des composés α-diazocarbonylés 

Les composés α-diazocarbonylés constituent une classe de dérivés qui donne accès à une large gamme de transformations. Leur réactivité provient de leur capacité à perdre une molécule de diazote dans des processus initiés par voie thermique, photochimique ou par complexation à des métaux de transition. Initialement, Curtius avait décrit les composés diazoïques sous la forme d’un cycle, mais des études structurales ont ensuite permis d’établir que leur structure est linéaire avec deux formes limites 12 et 13. Lorsque cette fonction est conjuguée à un groupement carbonyle 14, l’apparition d’une forme limite supplémentaire 15 contribue alors à la forte stabilisation de ces composés.

La réactivité des composés α-diazocarbonylés fait principalement intervenir deux types de processus. Dans une première catégorie de transformations, où les diazoïques se comportent comme des ylures, une première étape consiste en une addition par attaque nucléophile du carbone sur une espèce électrophile (proton, dérivé carbonylé, carbocation…). Lors d’une seconde étape, le diazote est ensuite expulsé par attaque d’un nucléophile externe ou interne .

Le second type de processus exploite la réactivité de type carbène des dérivés diazoïques. La première étape consiste alors en une extrusion de la molécule de diazote par décomposition thermique, photochimique ou par un métal de transition pour former un carbène ou un métallo-carbène. Cette espèce neutre électrodéficitaire réagit ensuite avec une grande variété d’espèces riches en électrons (liaison ? ou σ, doublet non liant) pour initier une large diversité de transformations comme des cyclisations, cycloadditions, réactions multicomposantes ou insertions .

Parmi les réactions historiques impliquant la réactivité de type ylure des composés αdiazocarbonylés, nous pouvons citer la quaternarisation des sels de pyridinium par la diazoacétophénone décrite par King et Miller en 1948. Parmi les dérivés étudiés, le perchlorate de pyridinium 17 a ainsi conduit au produit d’alkylation 20 avec un rendement de 88% . Cette transformation fait tout d’abord intervenir la protonation du dérivé diazoïque 18, pour donner intermédiairement le diazonium 19, qui subit ensuite une substitution nucléophile par la pyridine.

Avec l’avènement récent de l’organocatalyse, cette réactivité de type ylure a connu des nouveaux développements avec des réactions d’époxydation et d’aziridination asymétriques impliquant des aldéhydes et des imines 22 comme espèces électrophiles . L’activation de la liaison ? polarisée par le catalyseur permet d’abord l’addition du composé α-diazocarbonylé 21 pour conduire à une bétaïne 23 ; puis une attaque intramoléculaire de l’atome d’oxygène ou d’azote permet un dégagement de diazote pour conduire à l’époxyde ou l’aziridine 24.

Décomposition des composés αdiazocarbonylés par les complexes de rhodium (II)

Généralités sur les complexes de type Rh2L4

Le premier catalyseur de type Rh2L4 a été obtenu en 1960 par chauffage à reflux du chlorure de rhodium (III) dans l’acide formique . Le produit obtenu sous forme d’une fine poudre cristalline verte s’est avéré être stable à l’air. Son analyse par radiocristallographie des rayons X a permis d’établir que ce complexe était un dimère, dans lequel les deux atomes de rhodium sont reliés par une liaison simple et 4 formiates formant des ponts entre les deux centres métalliques. Ce catalyseur représentait par ailleurs le premier exemple d’un complexe organométallique comportant une liaison bimétallique.

Par la suite, l’utilisation d’autres acides carboxyliques a permis de diversifier la nature des ligands pontants pour conduire à une famille de complexes organométalliques de formule générique Rh2L4. Des études de cristallographie par rayons X ont montré que ces catalyseurs disposent tous d’une structure similaire de type « lanterne », avec deux centres métalliques reliés par les ligands carboxylates pontants. La liaison Rh-Rh est par ailleurs une liaison simple avec une distance qui varie entre 2,3165 et 2,486 Å.

À partir des tétracarboxylates de dirhodium(II), et plus particulièrement du tétraacétate qui est facilement accessible, il est par ailleurs possible d’effectuer des échanges de ligands en présence d’une base. Cette méthode a permis de préparer une large diversité de complexes de dirhodium(II). Les carboxylates peuvent ainsi être remplacés par des carboxamidates, et l’introduction de ligands chiraux a également permis le développement de nombreuses transformations asymétriques.

Ces complexes de type Rh2L4 possèdent deux sites de coordination vacants en position apicale qui sont à l’origine de leur activité catalytique. Ces sites acides de Lewis sont ainsi capables de coordiner les solvants ou les substrats possédant un caractère de base de Lewis comme les composés α-diazocarbonylés. Dans la décomposition de ces derniers, qui conduit à la formation d’un métallo-carbène, la liaison Rh-Rh joue un rôle essentiel en assistant le départ de la molécule de diazote .

La réactivité de ces catalyseurs est fortement influencée par le caractère électrophile du rhodium, et donc par la nature des ligands pontants qui modulent très fortement la rétrodonation du centre métallique vers le substrat.

Structure et réactivité des métallo-carbènes de Rh (II)

La réactivité des métallo-carbènes de Rh(II) est finement contrôlée par la présence des deux centres métalliques Rh1 et Rh2 et les propriétés électroniques des ligands pontants. Nous allons tout d’abord évoquer les études ayant permis de décrire ces espèces.

Métallo-carbènes de Rh(II) : aspects structuraux

La première description des métallo-carbènes de Rh(II) a été faite grâce à des calculs théoriques (DFT) dans le cadre d’une étude visant à déterminer le mécanisme de la réaction de C-H insertion. Plus récemment, ces espèces hautement réactives ont pu être isolées et étudiées par différentes méthodes structurales et spectroscopiques.21,22 Ces études ont mené aux mêmes conclusions concernant la structure et la réactivité des métallo-carbènes de rhodium (II). Les calculs DFT ont tout d’abord permis de décrire la liaison Rh1  Carbène comme une double liaison, obtenue par σ-donation du carbène dans l’orbitale vacante σ du rhodium d’une part, et par rétro-donation du rhodium dans l’orbitale p vacante du carbène dans son état singulet d’autre part. Le carbène hybridé sp2 possède ainsi un caractère électrophile, avec une charge partielle calculée de +0,14 dans le complexe 28 dérivé du diazoacétate de méthyle. Les études RMN ont confirmé ce fait avec un signal 13C sous forme d’un doublet à un déplacement chimique de 240 ppm pour le carbène de Rh(II) 29 dérivé du phényle diazoacétate de méthyle . Les ligands pontants influencent donc fortement l’électrophilie des métallo-carbènes de Rh(II) en modulant la rétro-donation en fonction de leurs propriétés électroniques.

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Table des matières

Introduction Générale
1. Les composés α-Diazocarbonylés
1.1. Aspects historiques
1.2. Réactivité des composés α-diazocarbonylés
2. Décomposition des composés α-diazocarbonylés par les complexes de rhodium (II)
2.1. Généralités sur les complexes de type Rh2L4
2.2. Structure et réactivité des métallo-carbènes de Rh (II)
2.2.1. Métallo-carbènes de Rh(II) : aspects structuraux
2.2.2. Insertion dans une liaison O-H
2.2.3. Insertion dans une liaison N-H
2.2.4. La réaction du cyclopropanation
2.2.5. Insertion dans une liaison C-H
3. Modulation des propriétés des complexes de rhodiums (II)
3.1. Mécanisme de la C-H insertion des métallo-carbènes de Rh(II)
3.2. Modulation de la réactivité des métallo-carbènes de Rh(II) par modification des ligands pontants
3.3. Les complexes Rh2L4.Carbène-N-Hétérocyclique
3.3.1. Modulation de la réactivité des complexes Rh2L4 par introduction de ligands axiaux
3.3.2. Les carbène-N-Hétérocycliques : généralités
3.3.3. Les complexes Rh2L4.NHC
4. Objectifs des travaux de thèse
Synthèse des complexes Rh(II).NHC et décomposition de diazo esters
1. Synthèse des complexes Rh(II).NHC
1.1. Éléments bibliographiques sur la synthèse des complexes Rh(II).NHC
1.1.1. Synthèse des complexes Rh(II).NHC à partir du carbène-N-Hétérocyclique
1.1.2. Synthèse de Rh(II).NHC à partir du sel de d’imidazolium
1.2. Travaux personnels
1.2.1. Synthèse de catalyseurs à partir du sel d’imidazolium dans le toluène
1.2.2. Évaluation de la pureté du complexes Rh(II).IMes synthétisé dans le toluène
1.2.3. Identification des éléments affectant la préparation du complexe Rh2(OAc)4.IMes dans le toluène
1.2.3.1. Reproductibilité et modification du mode opératoire dans le toluène
1.2.3.2. Purification du complexe Rh2(OAc)4.IMes synthétisé dans le toluène
Purification sur colonne de silice – élution par DCM / MeOH 95 : 5
Purification par filtration sur célite
Purification par cristallisation à froid dans un mélange toluène / DCM 1 : 1
Purification par filtration dans le toluène à chaud
1.2.4. Elaboration d’une nouvelle procédure pour la préparation des complexes Rh(II).NHC
1.2.4.1. Synthèse du complexe Rh2(OAc)4.IMes dans le THF
1.2.4.2. Purification du complexe Rh2(OAc)4.IMes synthétisé dans le THF
1.2.4.3. Stabilité du complexe Rh2(OAc)4.IMes en solution dans le DCM
1.2.5. Synthèse des complexes Rh(II).NHC à partir du carbène-N-Hétérocyclique
1.2.5.1. Préparation du Rh2(OAc)4.IMes à partir du NHC correspondant
1.2.5.2. Préparation du Rh2(OAc)4.IPr à partir du NHC correspondant
2. Préparation des dérivés diazoïques précurseurs de métallo-carbènes
2.1. Éléments bibliographiques sur la synthèse des diazo esters
2.1.1. Préparation des diazo cétoesters et diazo malonates par transfert diazoïque
2.1.1.1. Réaction de transfert diazoïque de Regitz
Les conditions classiques de la réaction de Regitz
Optimisation de la réaction de Regitz
2.1.1.2. Préparation des diazo cétoesters à partir de diazo acétates
2.1.2. Préparation des diazo acétates
2.1.2.1. Préparation à partir des diazo cétoesters
2.1.2.2. Préparation à partir des tosylhydrazones
La réaction de Bamford-Stevens
Réaction de House et Blankley
Modification de Corey et Myers
La réaction de Fukuyama
2.2. Travaux personnels
2.2.1. Préparation des diazo acétates
2.2.2. Préparation des diazo cétoesters
2.2.2.1. Préparation des β-cétoesters
2.2.2.2. Réaction de transfert diazoïque
2.2.3. Préparation des diazo malonates
2.3. Détermination du coefficient de normalisation dérivés diazoïques / étalon interne
3. Décomposition des diazo esters par les complexes Rh2(OAc)4 et Rh2(OAc)4.NHC
3.1. Décomposition des diazo cétoesters par les complexes de Rh(II)
3.1.1. Décomposition du diazo cétoester 107
3.1.1.1. Préparation du produit de C-H insertion 108 et détermination de son coefficient de normalisation
3.1.1.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de 107 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.1.2. Décomposition du diazo cétoester 170
3.1.2.1. Préparation du produit de C-H insertion 181 et détermination de son coefficient de normalisation
3.1.2.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.1.3. Décomposition du diazo cétoester 171
3.1.3.1. Obtention du produit de C-H insertion 182 et détermination de son coefficient de normalisation
3.1.3.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de 171 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.2. Décomposition des diazo malonates par les complexes de Rh(II)
3.2.1. Décomposition du diazo malonate 177
3.2.1.1. Suivi RMN 1H de la décomposition de 177 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.2.2. Décomposition du diazo malonate 178
3.2.3. Décomposition du diazo malonate 179
3.3. Décomposition des diazo acétates par les complexes de Rh(II)
3.3.1. Décomposition du diazo acétate 151
3.3.1.2. Décomposition de 151 par le Rh2(OAc)4
3.3.1.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de 151 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.3.2. Décomposition du diazo acétate 152
3.3.2.1. Décomposition de 152 par le Rh2(OAc)4
3.3.2.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de 152 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.3.3. Décomposition du diazo acétate 153
3.3.3.1. Décomposition de 153 par le Rh2(OAc)4
3.3.3.2. Suivi RMN 1H de la décomposition de 153 par le Rh2(OAc)4 et le Rh2(OAc)4.IMes
3.4. Etablissement d’une chimiosélectivité dans la décomposition des diazo esters
3.5. Mise au point d’un système commutable
3.5.1. Eléments bibliographiques sur les complexes métaux-carbènes-N-hétérocycliques
3.5.1.1. Complexes Aluminium-NHC
3.5.1.2. Complexes Indium-NHC et Thallium-NHC
3.5.1.3. Complexes Gallium-NHC
3.5.2. Décomposition de diazo cétoester 107 par le GaCl3
3.5.3. Décomposition du diazo cétoester 107 par le Rh2(OAc)4 en présence de GaCl3
3.5.4. Décomposition de diazo cétoester 107 par le Rh2(OAc)4.IMes par ajout de GaCl3
3.5.5. Formation du complexe GaCl3.IMes par ajout de GaCl3 au complexe Rh2(OAc)4.IMes
4. Conclusion
Conclusion Générale

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