Les composantes du multitexte bédéisque

Les composantes du multitexte bédéisque

Le code de la bande dessinée

Chez plusieurs théoriciens de la bande dessinée, une tendance ressort: les codes sont isolés de manière empirique (Tieulle, 1991), c’est-à-dire que tous les aspects de son système formel 10 sont analysés en termes de codes (ordre de la microsémiotique), ramenant d’emblée l’analyse du côté de la technique graphique ou narrative (Lecarme, 2004). Par exemple, Fresnault-Deruelle (1972b) parle d’un code graphémique du lettrage (variation de la taille des lettres) ou d’un code de la gestuelle des personnages (mouvement). De son côté, Chante (1985) fait référence aux codes picturaux (trait, couleur), aux codes cinématographiques (plan, angle de vision), aux codes
idéographiques (symboles, traits cinétiques) tandis que Kraft (1978) et Gauthier (1976)
distinguent un code de la case (des bulles, d’idéogrammes, etc.). Ces derniers défendaient ardemment cette position : <<nous postulons donc que, dans toute vignette, il est possible
d’isoler des lignes ou des groupes de lignes, des taches ou des groupes de taches, et de
repérer, pour chaque signifiant ainsi délimité, un signifiant précis, lui-même correspondant à une partie du signifié global» (Gauthier, 1976, 113). En optant pour cette méthodologie, les auteurs cherchent les règles de combinaison de ces codes en vue d’en dégager la production d’un sens (compréhensible et interprétable) et procèdent dans le sens signifié/signifiant (les procédés du mouvement, étudiés par Masson en 1985) ou dans le sens signifiant/signifié (les codes de la couleur, étudiés par Fresnault-Deruell en1972a) pour obtenir un résultat. Par exemple, chez Fresnault-Deruelle (1972a) les signifiants sont d’abord étudiés (par une sémiologie des cases, des bulles, des relations texte-image, etc.), puis vient le tour de l’étude du récit (le contenu) qui est exposé par le biais de la sémiotique de Greimas soit l’identification des unités élémentaires (la syntaxe fondamentale de la BD soit les cases, bulles, etc.) et des règles de combinaison qui définissent le sens (via le carré sémiotique et le parcours génératif de Greimas). De cette manière, l’analyse sémio-structuraliste est surtout concentrée sur l’examen des structures et de leur contenu narratif dont quelques principes se dégagent.Cette méthode laisse entrevoir que le lecteur possède la capacité de suivre le même processus de reconstruction de sens (que le théoricien) afin de tirer de sa lecture une compréhension ou une interprétation (Sohet et Saouter, 1989). Selon Morgan (2003), les exemples énumérés ci-contre témoignent d’un ensemble repérable de conventions plutôt que de servir à dégager une structure, car ces «codes se caractérisent seulement par leur caractère arbitraire et par le fait qu’ils s’organisent en plusieurs règles cohérentes (mais pas en structures). Concrètement, leur existence est déduite du fait qu’une règle de composition ou qu’un « sens » quelconque de l’image n’est pas « naturel ». Mais il est extrêmement douteux que ces codes présentent à la fois des unités élémentaires, une double articulation, des rapports combinatoires entre les plus petites unités constitutives, dans chacun des plans du signe» (ibid, 2003, 34).Ce type d’analyse basé sur une codification de la bande dessinée est contesté par des théoriciens tels que Morgan (2003) et Groensteen (1999), puisque sa représentation imagée est «un système sémiotique dépourvu de signes» (Groensteen, 1999, 5). Dans cette optique, le récit bédéisque ne disposerait pas de codes déterminant des unités élémentaires, Il mais plutôt de règles de composition de ces unités qui, organisées d’après des modalités (permises et défendues), fixent le sens du récit par leurs combinaisons. Baetens renchérit sur les propos émis, en insistant sur le fait qu’il est impossible de «définir la bande dessinée comme un langage, avec ses propres unités et ses propres codes » et que le faire « risquerait de produire une certaine sclérose qui n’est pas, en tout cas, la réponse adéquate aux défis de légitimation du média» (Baetens, 1991 , 35).Et c’est sans oublier que, parmi les sémiologues employant les unités élémentaires pour étayer leurs études sur le médium, quelques-uns repèrent des sous-codes de l’image, nommés codes plastiques au sein des planches. Utilisés par la sémiologie visuelle, ces codes ont été élaborés par l’école de Liège (Groupe Il), dont le Traité du signe visuel (1992) 12 et les signes plastiques (qui produisent des significations dans ces trois types de manifestation que sont la couleur, la texture et la forme) montrent de quelle façon le langage visuel organise ces unités en une véritable grammaire. Sous le terme de codes plastiques sont regroupés les éléments matériels du dessin: le tracé, la pâte, le grain ou la texture, les formes, les couleurs, les contrastes, la luminosité, etc. (Saouter, 1998). Ces éléments ont été définis, entre autres, dans les années 1980 par les travaux de l’école de Montréal (Saint-Martin), de l’école sémiotique de Paris (Fontanille) et par la contribution de Gôran Sonesson. Une précision s’impose, les sémiologues effectuant de tels travaux évitent généralement de se positionner dans une étude fondée sur l’opposition de type forme/fond entre les éléments plastiques (les signifiants) et les éléments iconiques (les  signifiés) (Morgan, 2003); ce qui va amener par la suite les chercheurs à se questionner sur l’interaction du texte et de l’image.

L ‘interaction du texte et l’image

La sémiologie de la bande dessinée a aussi cherché le principe de fonctionnement de son système dans l’interaction entre le texte et l’image, puisque l’histoire est véhiculée littéralement par la tension constante des rapports et des relations réciproques entre le texte et l’image (Dilles, 1978). Cette voie d’emprunt suppose que les rapports entre le texte et l’image créent une synesthésie entraînant l’illusion d’une réalité (Courtés, 1995).Par exemple, en contemplant une case on distingue l’action des personnages (le visuel) et le dialogue (le textuel) inséré dans les bulles qui nous restituent ce qu’ils disent.Dans la bande dessinée, le rôle du texte peut être présenté soit d’une manière positive selon laquelle il guide le sens (ancrage) ou le fournit (relais) (idée barthésienne) ou d’une manière négative, d’après laquelle le texte est censé brider l’image (Fresnault-Deruelle, 1972a). Ce type de conceptions est aujourd’hui moins favorisé: «la critique éclairée s’accorde aujourd’hui à rejeter non seulement la redondance des liens entre pôle iconique et verbal, mais toute inféodation d’un régime (en principe celui de l’image) à l’autre (d’ordinaire celui des paroles)>> (Baetens, 1991, 47-48). De plus, les rapports entre le texte et l’image sont strictement les mêmes en BD que dans le roman illustré, donc il n’y a pas de rapport texte-image spécifique à la bande dessinée (Groensteen, 1999). Cette conception a amené les théoriciens à considérer une nouvelle approche dite néo sémiotique.

L ‘approche néo-sémiologique

Arpentant le chemin des images et du texte, la bande dessinée relève, d’un certain point de vue, des signes indiciaires, iconiques et symboliques (Peirce, 1978). Son statut sémiotique est alors complexe et ambigu à cause de cette triple fonction référentielle (Goldenstein, 1987). De la recherche théorique sur la bande dessinée, nous avons constaté que deux types d’analyse des rapports entre l’image et le texte se dégagent (Baetens et Lefevre, 1993): d’une part, une analyse sémiotique basée sur les codes dont «les plus petits éléments commutables ayant un sens propre» (Metz, 1971 , 155; Tilleuil, 1991) et d’autre part, une analyse plus empirique définissant la spécificité de la BD par les rapports texte-image et cherchant à décrire ces rapports (Gauthier, 1976).Pour Morgan (2003), ces deux approches sémantiques sont toutes deux fondamentalement erronées; le propre de la narration bédéisque ne se cherche pas dans des codes (qui, selon lui, n’existe pas) ni dans l’opposition et l’interaction des rapports entre texte et image (qui sont les mêmes que dans n’importe quel texte illustré). Donc, il faut chercher ailleurs une explication aux phénomènes de compréhension et d’interprétation de la lecture de bande dessinée. Baetens écrit à ce propos:«Il n’est pas impossible de nommer avec preClSlon où le bât blesse: la dérive formaliste, héritage de l’ancienne sémiotique des années soixante, soit la tentative de défInir la bande dessinée comme un langage, avec ses propres unités et ses propres codes. Bien entendu, pareille recherche est nécessaire (et force est de reconnaître que les versions contemporaines de ce projet, dont la forme la plus accomplie a été donnée par Thierry Groensteen dans son Système de la bande dessinée excèdent de toutes parts les premiers essais de description sémiotique)>> (Baetens, 1991,35).
La solution relèverait d’une approche néo-sémiologique dont trois ouvrages fondamentaux proposent une telle sémiotique : Case, planche, récit de Peeters (1998),Pour une lecture moderne de la bande dessinée de Baetens et Lefèvre (1993) et Système de la bande dessinée de Groensteen (1999). Le cadre de cette recherche se situe dans l’approche proposée par Groensteen (1999) où il étudie «en premier lieu le niveau spatial [soit une étude des formes, une morphologie], et ensuite le niveau syntagmatique du discours ou du récit [soit une étude des relations, une syntaxe]» (ibid, 35). Nous préciserons cette approche ainsi que son choix aux prochains paragraphes

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Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES SCHÉMAS
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
LEXIQUE
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 La problématique
1. Le contexte de la recherche
1.1 La lecture multimodale
1.1.1 Le multitexte
1.1.2 Les composantes du multitexte bédéisque
1.1.2.1 Le multitexte bédéisque comme objet de recherche
1.1.2.2 Le multitexte bédéisque dans l’enseignement secondaire au Québec
1.1.2.3 Le multitexte bédéisque dans le Programme ministériel québécois
1.1.2.4 L’absence de connaissances et de compétences spécifiques au multitexte
1.1.2.5 L’intérêt de former les élèves aux multitextes bédéisques
1.1.2.6 L’intérêt des adolescents pour la lecture du multitexte bédéisque
1.2 Les questions de recherche
1.3 L’objectif de la recherche
CHAPITRE II Le cadre théorique
2 Le type de dispositif didactique élaboré
2.1 Les approches en lecture du multitexte bédéisque
2.1.1 L’approche narratologique
2.1.2 L’approche sémiotique
2.2 Les connaissances sélectionnées pour le dispositif didactique
2.2.1 Le mode visuel
2.2.2 Le mode textueL
2.2.3 Le mode texte/image
2.3 Les compétences sélectionnées pour le dispositif didactique
2.3.1 La mise en application des compétences
2.4 La grille des connaissances (modes et codes) et des compétences
CHAPITRE III La méthodologie
3 La définition de la recherche développement
3.1 Le modèle de recherche développement sélectionné
3.1.1 Les étapes méthodologiques d’après Harvey et Loiselle (2009)
3 .1.2 L’ opérationnalisation d’après Harvey et Loiselle (2009)
3.2 Les critères de scientificité pour la recherche développement
CHAPITRE IV Les résultats
4. Rappel de l’objectif de la recherche
4.1 L’analyse de la compétence textuelle spécifique à l’image (CTS-I)
4.1.1 Le carnet de lecture de Persépolis tome 3
4.1.2 Le carnet de lecture de Paul a un travail d’été
4.1.3 Le carnet de lecture Comparatif
4.2 L’analyse de la compétence textuelle spécifique à l’écrit (CTS-E)
4.2.1 Le carnet de lecture de Persépolis tome 3
4.2.2 Le carnet de lecture de Paul a un travail d’été
4.2.3 Le carnet de lecture Comparatif
4.3 L’analyse de la compétence multimodale (CM)
4.3.1 Le carnet de lecture de Persépolis tome 3
4.3.2 Le carnet de lecture de Paul a un travail d’été
4.3.3 Le carnet de lecture Comparatif
4.4 L’analyse de la compétence sémiotique spécifique (CSG)
4.4.1 Le carnet de lecture de Persépolis tome 3
4.4.2 Le carnet de lecture de Paul a un travail d ‘été
4.4.3 Le carnet de lecture Comparatif
4.5 L’analyse des données recueillies dans le questionnaire post expérimentation des
élèves
4.6 L’analyse des données recueillies dans le questionnaire de l’expert
4.7 Les améliorations à apporter au dispositif didactique d’enseignement
apprentissage de la lecture du multitexte bédéisque
CHAPITRE V La discussion
5 Retour sur l’objectif de recherche
5.1 Retour sur la question de recherche
5.2 Retour sur le postulat de recherche
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
APPENDICE A
Grille synthétique des niveaux de Sohet (2010)
APPENDICE B
Grille des compétences en littératie médiatique de Lebrun et Lacelle (2010)
APPENDICE C
Dispositif didactique du multitexte bédéisque ……………………

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