Le chercheur et sa recherche : une optique de contemporanéité, d’immersion et d’action
Toute recherche n’est jamais extérieure au sujet qui l’examine et il existe une relation entre le chercheur et sa recherche. Comme Bourdieu (1979) l’affirme, les objets eux-mêmes ne sont pas objectifs, c’est-à-dire qu’ils sont dépendants des caractéristiques sociales et personnelles des personnes qui les observent. Selon Amin Maalouf, ces « caractéristiques sociales » peuvent se traduire en un héritage vertical et un héritage horizontal : « Chacun d’entre nous est dépositaire de deux héritages : l’un, ‘vertical’, lui vient de ses ancêtres, des traditions de son peuple, de sa communauté religieuses ; l’autre, ‘horizontal’, lui vient de son époque, de ses contemporains » . Au moment où les échanges interculturels s’intensifient, les expériences de mobilité commencent à un âge de plus en plus jeune, et l’accès à Internet permet des rencontres interculturelles sans aucun déplacement géographique, l’héritage horizontal prend aujourd’hui une place de plus en plus importante dans l’observation d’un chercheur. Le défi de la mondialisation et de ses enjeux dans les échanges politiques, économiques et culturels entre la Chine et la France nécessite non seulement une maîtrise étendue en termes de compétences langagières, mais également d’une acquisition des compétences culturelles et interculturelles. C’est dans cette optique de contemporanéité-là que nous positionnons notre objet de recherche.
Les « caractéristiques personnelles » du chercheur, comme ce que nous avons cité de Bourdieu ci-dessus, seront conditionnées par une situation d’immersion et d’action entre l’objet et le sujet. Dans le cas de l’immersion, le chercheur rejoint les sociologues de l’École de Chicago quand ils sont eux-mêmes des « ethnologues indigènes » d’un lieu dont ils se font les observateurs (Schwartz, 1993). Il s’agit d’une observation participante et d’une compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune. L’étude de l’objet se fait en partageant une même expérience de vie ou en participant aux activités des groupes et à leurs enjeux. Ce positionnement d’immersion est lié à une expérience d’apprentissage de la langue française pendant quatre ans en Chine, à un séjour en France pendant sept ans, durant lesquelles nous avons construit des compétences culturelles et interculturelles pour nous adapter à un contexte culturel différent de celui dans lequel nous avons été socialisée ; tout cela décide en fait que nous ne sommes pas un chercheur désintéressé.
De la construction de l’objet aux hypothèses de recherche
Notre recherche est avant tout liée aux compétences culturelles et interculturelles des élèves apprenant le chinois dans le contexte secondaire français. Notre intervention en tant qu’assistante et puis professeur de chinois nous invite à nous intéresser à la définition des compétences culturelles et interculturelles en chinois. Quelles compétences devrions-nous, enseignants, développer chez nos élèves apprenant le chinois dans l’enseignement secondaire ? Malheureusement, le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues et les programmes d’enseignement en chinois ne nous ont pas donné une réponse adéquate. Par ailleurs, dans une époque marquée par la mondialisation, la mobilité internationale, l’échange par le biais d’Internet, les compétences culturelles et interculturelles ne sont plus seulement un objet scolaire, mais tendent à devenir un objet d’expérience, progressivement élaboré par l’apprenant dans, mais aussi hors de l’école. Notre recherche ne se limite donc pas à la seule question de la définition des compétences chez les élèves du côté des enseignants, et notre hypothèse de recherche englobe une problématique plus large qui concerne le processus de la construction des compétences culturelles et interculturelles dans et hors de l’école. C’est ainsi que se construit notre première hypothèse : les objectifs assignés à l’enseignement des compétences culturelles et au développement des compétences interculturelles, dans l’enseignement du chinois dans le contexte secondaire français par les élèves et leurs parents, par les matériaux pédagogiques et par les enseignants ne sont pas toujours cohérents, même s’ils s’interagissent.
Elargissement disciplinaire
Comme nous avons expliqué ci-dessus, les compétences culturelles et interculturelles ne sont plus seulement un objet scolaire, mais tendent à devenir un objet d’expérience, progressivement élaboré par l’apprenant dans mais aussi hors de l’école à l’heure actuelle où les échanges interculturels s’intensifient, où les expériences de mobilité commencent à un âge de plus en plus jeune, et où l’accès à Internet permet des rencontres interculturelles sans aucun déplacement géographique. La recherche s’inscrit non seulement dans la didactique des langues et des cultures, mais tend à impliquer d’autres disciplines en sciences sociales. Il s’agit d’ « une transdisciplinarité qui court de l’histoire des mentalités à la géopolitique, de la sociologie de l’altérité à la psychanalyse dont le centre est constitué par la relation à l’étranger » .
C’est la raison pour laquelle notre recherche ne prend pas la seule optique de l’enseignement du côté des enseignants ou des matériaux pédagogiques, ou de l’apprentissage des élèves, mais se situe au croisement des optiques de la part des enseignants, des matériaux pédagogiques, des élèves et de leurs parents. L’étude touche donc les influences familiales. Par ailleurs, nous nous interrogeons en même temps sur le rôle du système scolaire français dans l’évaluation des compétences culturelles et interculturelles. Cela constitue un itinéraire entre lien familial, lien culturel, lien social et éducation.
La complexité de l’observation
La construction des compétences culturelles et interculturelles d’un adolescent représente un parcours complexe où la famille et l’école jouent chacune leur rôle, et d’ailleurs, interagissent. La valorisation et l’évaluation de ces compétences se déroulent aussi à différents niveaux géographiques. Ainsi, il est essentiel de comprendre comment ces actions et ces significations sont mises en forme par les circonstances complexes dans lesquelles elles se produisent. C’est la raison pour laquelle nous nous orientons, comme la sociologie contemporaine, vers une observation qui postule la complexité de la réalité :
Alors que la connaissance scientifique fut longtemps et demeure encore souvent conçue comme ayant pour mission de dissiper l’apparente complexité des phénomènes afin de révéler l’ordre simple auxquels ils obéissent […] il apparaît que les modes simplificateurs de connaissance mutilent plus qu’ils n’expriment les réalités ou les phénomènes dont ils rendent compte.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE Ⅰ: LES CONCEPTS DANS LA RECHERCHE
1.1 Relation entre la langue et la culture dans l’enseignement des langues étrangères
1.2 Définitions des compétences culturelles et interculturelles et des objectifs culturels et interculturels
1.3 Les différents modèles des compétences culturelles et interculturelles avec les objectifs spécifiques orientés vers la didactique des langues
1.4 L’évaluation des compétences culturelles et interculturelles dans l’enseignement des langues étrangères
CHAPITRE Ⅱ: DIFFÉRENTES PERSPECTIVES DANS L’ENSEIGNEMENT D’UNE CULTURE ÉTRANGÈRE
2.1 L’intérêt didactique des matériaux pédagogiques
2.2 Perspective des enseignants
2.3 Perspective des élèves
CHAPITRE Ⅲ: LA CONSTRUCTION DE LA RECHERCHE
3.1 La problématique
3.2 Position épistémologique
3.3 L’approche choisie
3.4 Méthodes de recherche
3.5 Préparation des outils de recherche
CHAPITRE Ⅳ: CONTEXTES DE LA RECHERCHE
4.1 Les relations bilatérales
4.2 Historique et contexte de l’enseignement du chinois en France
4.3 Les données générales du terrain de la recherche
CHAPITRE Ⅴ: LES CORPUS ET LE DÉROULEMENT DE LA RECHERCHE
5.1 Entretiens
5.2 Matériaux pédagogiques
5.3 Un corpus mixte relatif à l’évaluation des compétences culturelles et interculturelles
CHAPITRE Ⅵ: LES OBJECTIFS TELS QUE PERÇUS DANS LES MATÉRIAUX PÉDAGOGIQUES ET DANS LES ENTRETIENS
6.1 Objectifs perçus dans les matériaux pédagogiques
6.2 Objectifs perçus dans les entretiens avec les enseignants
6.3 Objectifs perçus dans les entretiens avec les élèves et leurs parents
6.4 Comparaisons entre les objectifs culturels et interculturels attribués par les matériaux pédagogiques, les enseignants et les élèves et leurs parents à l’enseignement du chinois
CHAPITRE Ⅶ: COHÉRENCE ET INTERACTION DANS LES OBJECTIFS DES MATÉRIAUX PÉDAGOGIQUES, DES ENSEIGNANTS, DES ÉLÈVES ET DE LEURS PARENTS
7.1 La perspective des matériaux pédagogiques
7.2 La perspective des enseignants
7.3 La perspective des élèves et des parents
7.4 Interaction entre les matériaux pédagogiques, les enseignants, les élèves et leurs parents dans la construction des objectifs culturels et interculturels
CHAPITRE Ⅷ: RECONNAISSANCE DES COMPÉTENCES CULTURELLES ET INTERCULTURELLES DANS L’ENSEIGNEMENT DU CHINOIS EN CONTEXTE SECONDAIRE FRANÇAIS
8.1 Valorisation des compétences culturelles et interculturelles
8.2 De la valorisation à l’évaluation des compétences culturelles et interculturelles des élèves
8.3 Des compétences culturelles et interculturelles invisibles dans l’évaluation du chinois dans le contexte secondaire français
8.4 L’impact de l’évaluation sur le développement des compétences culturelles et interculturelles dans l’enseignement du chinois dans le contexte secondaire français
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SITES CONSULTES
ANNEXES
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