Jusqu’en 2010, le soutien logistique aux forces navales relève du Commissariat à la Marine. L’histoire de ce corps d’officiers est peu connue. Les travaux universitaires réalisés en la matière sont rares, et la majorité se concentre sur le XVIIIème siècle . D’autres travaux donnent des informations indirectes. Ils traitent du service administratif de la Marine, notion qui englobe la fonction de soutien logistique jusqu’à la fin XIXème siècle. L’histoire du Commissariat de la Marine peut être divisée en trois périodes. La première va de la création des premières charges de commissaire, en 1517, à la suppression de l’office d’Amiral de France, en 1627. La seconde débute avec la création de l’office de Surintendant de la Navigation et du Commerce en 1626, remplacé par la fonction de secrétaire d’État à la Marine en 1669, et s’achève en 1910. Enfin, la dernière phase de cette histoire commence à la veille de la Première Guerre mondiale et s’achève en 2010, quand les trois commissariats – Guerre, Marine et Air – sont réunis au sein du Commissariat aux armées. Durant ces différentes périodes, la définition de la fonction de commissaire de la Marine connaît des modifications importantes. Au XXème siècle, ces termes désignent un officier militaire chargé du soutien logistique (les vivres, l’habillement, le couchage, le casernement) et du service financier au sein des forces navales. Cette définition ne vaut que pour cette période. En effet, durant la seconde phase de l’histoire du Commissariat, c’est-à-dire du XVIIème siècle jusqu’au début du XXème siècle, outre ces fonctions, les commissaires de la Marine assurent l’administration courante des affaires maritimes le long du littoral du pays, et participent à l’administration des colonies. Ils interviennent dans l’ensemble des domaines de la compétence du secrétaire d’État, puis ministre, de la Marine. Cette définition large des compétences des commissaires de la Marine ne disparaît qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, non en raison d’un changement dans la conception du rôle du commissaire au sein de la Marine, mais d’une évolution progressive de l’administration des affaires maritimes au sens large (flotte militaire, navigation maritime, colonies). Le XIXème siècle est donc une période de transition tant pour la définition de la fonction de commissaire de la Marine que pour la gestion du domaine maritime, car au-delà de la seule histoire d’un corps d’officiers, l’histoire du Commissariat de la Marine illustre surtout l’histoire de l’administration des affaires maritimes, au sens le plus large possible. Or, cette période est peu étudiée. Le but de ce travail est donc de combler cette lacune, d’autant plus importante qu’elle concerne une fraction importante de la puissance économique et militaire de la France : son domaine maritime. L’évolution de la fonction de commissaire de la Marine et de la notion de service administratif maritime résulte des transformations structurelles qui touchent, à cette époque, les matières maritimes. En effet, la flotte est un instrument majeur de la politique extérieure française au XIXème siècle. Elle permet d’abord le transport des corps expéditionnaires français dépêchés à cette époque, par exemple, en Morée entre 1828 et 1833, en Algérie dans les années 1830 ou en Crimée en 1854. Elle permet également la reprise de l’expansion coloniale. Les conquêtes réalisées par la Monarchie de Juillet et le Second Empire dans l’océan indien, l’océan pacifique et en Asie du sud-est sont le fait de la Marine. La prise de Saigon par Rigault de Genouilly, en 1859, l’illustre. Cette flotte est, surtout, plus moderne, en raison des progrès technologiques réalisés en matière de construction navale. La mise au point progressive des navires modernes – en acier et propulsés par vapeur – est le facteur déterminant qui bouleverse l’organisation des institutions maritimes héritées de l’Ancien Régime, lesquelles sont mises en places, au XVIIème siècle, par le cardinal de Richelieu et Colbert. Tous deux s’appuient sur les commissaires de la Marine pour « créer » la Royale. L’influence de leurs idées sur l’administration de la Marine s’exerce jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.
Le cardinal de Richelieu formule, via le règlement du 29 mars 1631 sur le fait de la Marine, le principe fondamental en matière d’administration navale jusqu’à la fin du XIXème siècle : la distinction absolue entre l’autorité militaire, chargée des opérations militaires, et l’autorité administrative, chargée du service administratif c’est-à-dire la préparation des forces navales. Dans chacun des arsenaux qu’il développe à Brest, Brouage, le Havre et Toulon, le cardinal de Richelieu confie le commandement militaire à un chef d’escadre, et le service administratif à un commissaire général de la Marine assisté de commissaires. De ce point de vue, la fonction de commissaire de la Marine ne diffère pas de celle de commissaire des guerres. Cette distinction entre le service militaire et le service administratif part du postulat que tous deux nécessitent des qualités particulières, et donc des individus spécialement formés. La différence entre le service administratif des troupes terrestres et le service administratif des forces navales se situe à ce niveau. En effet, dans la Marine, le service administratif a deux aspects. C’est d’abord le soutien logistique d’une unité navale en opération. Cette fonction est analogue à celle assurée par un commissaire des guerres à la suite d’une force terrestre. Les compétences des commissaires de la Marine à la suite des forces navales sont rapidement fixées – dès la seconde moitié du XVIIIème siècle – et ne font l’objet d’aucune réforme majeure au XIXème siècle. L’autre aspect du service administratif de la Marine concerne la construction, l’armement*, le désarmement* et l’entretien des navires. Ces opérations ne peuvent être réalisées que dans une structure spéciale : l’arsenal*. Son organisation fait l’objet de réformes importantes dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Si ces réformes ne remettent pas en cause la distinction entre l’autorité militaire et l’autorité administrative, elles la réinterprètent. Ainsi, le régime administratif des arsenaux défini par Richelieu, complété par Colbert, limite les compétences des officiers militaires au seul combat, et confie la police des arsenaux ainsi que l’ensemble des opérations de construction, d’entretien et d’armement des navires de la flotte aux officiers de plume : les intendants, les commissaires et les contrôleurs de la Marine. Ces officiers assurent la direction de l’ensemble des opérations réalisées dans l’arsenal. À l’inverse, les réformes réalisées en 1765 et 1776 limitent le rôle de ces administrateurs, et confient aux officiers militaires la direction des travaux réalisés dans les arsenaux. En effet, les faibles performances de la flotte durant la Guerre de Succession d’Autriche et, surtout, durant la Guerre de Sept ans sont mises à la charge des officiers de plumes. C’est la lutte entre la Plume et l’Épée. Il est alors reproché aux commissaires d’être plus soucieux d’économies que de performances militaires. En parallèle, les progrès techniques réalisés au XVIIIème siècle dans le domaine des constructions navales – la standardisation des procédés de construction des navires et le doublage des coques avec du cuivre notamment – entraînent le développement d’une véritable ingénierie dans ce domaine. Cette évolution soulève la question du bien-fondé de l’autorité, de principe, des officiers de plumes sur les travaux. La construction et l’entretien des navires requièrent dorénavant des spécialistes techniques, les ingénieurs-constructeurs créés à l’occasion de la réforme de 1765. Le domaine de compétences des intendants et des commissaires est limité à l’aspect économique de l’administration des arsenaux. À partir de 1776, ils gèrent les ressources – financières, matérielles et humaines – nécessaires au service des forces navales, tandis que la direction effective de l’arsenal appartient aux officiers de vaisseau. Cette victoire de l’Épée sur la Plume n’est que temporaire, et est remise en cause en 1791. Néanmoins, la définition économique du service administratif de la Marine s’impose définitivement en 1800, et n’est formellement abandonnée qu’en 1900. Cette évolution a des conséquences importantes. La définition de la notion d’administration revêt une dimension économique forte, et administrer consiste, dans la Marine, à assurer le bon ordre dans l’utilisation des ressources nécessaires aux forces navales. À cette fin, seul le chef du service administratif d’un port militaire – l’intendant, puis le commissaire général – dispose de la qualité d’ordonnateur secondaire du ministre de la Marine. Pour rendre cette surveillance économique efficace, les commissaires de la marine veillent au bon ordre dans la tenue des comptes. Cette surveillance économique est exercée au profit du ministre de la Marine et des colonies, ordonnateur principal pour les dépenses de son ministère. Cette spécialisation institutionnelle des commissaires a des conséquences statutaires. En effet, tant que les officiers de plume assurent la direction générale du service administratif des forces navales, ils agissent en qualité de représentants du secrétaire d’État à la Marine, et ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour nommer les commissaires. À mesure que la fonction de ces officiers se précise, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, les commissaires deviennent des spécialistes qu’il convient de sélectionner et de former. En 1765, le titre d’officier d’administration remplace celui d’officier de plume. La qualité d’élève commissaire est également créée, tandis que le déroulement de la carrière d’officier d’administration est règlementé. Ainsi, confirmant la tendance apparue dans la première moitié du XVIIIème siècle, la réforme réalisée en 1765 institue un véritable corps, les officiers d’administration, et met en place des conditions précises pour les changements de grade. Cette réforme de 1765 est ainsi l’acte de naissance de ce qui deviendra, en 1835, le corps du Commissariat de la Marine. La réforme de 1776 va plus loin en la matière. Les fonctions d’officier d’administration de la Marine sont supprimées, et remplacées par celles de d’intendants et commissaires des ports et arsenaux, chargés de l’administration des ressources des ports militaires. Les réformes réalisées durant la Révolution et le Consulat reviennent en partie sur cette évolution. Au début du XIXème siècle, bien que faisant partie d’un corps – les officiers d’administration – les commissaires demeurent les représentants du ministre de la Marine et sont compétents non pour le service administratif de la Marine, mais pour le service administratif maritime. Le service administratif maritime est défini par Colbert quand la fonction de secrétaire d’État à la Marine est créée en 1669. À l’origine, il consiste, comme le service administratif de l’Armée de terre, au soutien logistique des unités combattantes. Au XVIIIème siècle, il diverge, et jusqu’en 1776, les commissaires sont les représentants du secrétaire d’État à la Marine. Ils interviennent dans l’ensemble des domaines de la compétence de ce dernier. L’organisation du secrétariat d’État à la Marine et aux colonies est révélatrice de l’influence des idées de Colbert en matière maritime. Plus que la direction des forces navales, le secrétaire d’État – puis ministre – de la Marine est chargé des affaires maritimes au sens large. Il s’agit de mettre en place un cadre institutionnel devant permettre le développement de l’activité maritime française. Lors de sa création, le domaine de compétence de ce ministère comprend, outre la flotte, les colonies, le commerce extérieur et, via les Classes des gens de mer*, la population maritime, c’est-à-dire l’ensemble des français se livrant à la navigation maritime à titre professionnel. Ainsi, outre l’administration des forces navales, les commissaires interviennent dans l’administration coloniale, en matière de navigation commerciale et dans le cadre des consulats. Les carrières des officiers de plume sont révélatrices de cette définition large de leur domaine de compétence. La carrière du contrôleur Joseph Arnaud en est un parfait exemple. Cet officier de plume entre au service de la Marine en 1716, en qualité d’élève écrivain. Il est nommé écrivain ordinaire en 1718, écrivain principal en 1732, et sert dans les différents services du port de Toulon. Il réalise également plusieurs campagnes en mer durant cette période. Il est notamment attaché à l’escadre de Duguay-Trouin – à la demande de ce dernier – envoyée en 1731 bombarder Tripoli, et en 1737, il assure la fonction de commissaire à la suite de l’escadre du Marquis d’Antin, envoyée au Maroc pour procéder au rachat d’esclaves français. Nommé commissaire en 1742, il est chargé du service des ateliers au port de Toulon. En juillet 1744, il est nommé à la suite des forces navales françaises basées à Carthagène. Il reste en Espagne jusqu’en décembre 1745, et rentre en France via Madrid. Il profite de son passage dans cette ville pour plaider, à la Cour de Madrid, la cause des commerçants français établis en Espagne. En mars 1746, il est nommé à Agde et assure le service des Classes. Il prend également en charge une partie de l’approvisionnement destiné à l’armée d’Italie. De nouveau affecté au port de Toulon en 1752, il est chargé de l’inspection des travaux. Nommé contrôleur en 1755, il est temporairement suspendu dans l’exercice de ses fonctions entre 1760 et 1761. En effet, il est alors mis en cause dans un litige opposant les héritiers d’un fournisseur en bois de la Marine et les héritiers d’un ancien contrôleur. Réintégré dans ses fonctions de commissaire et contrôleur de la Marine en 1762, il se retire du service en 1770.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Les commissaires à la suite des forces navales
Chapitre 1 : D’un corps d’administrateurs à compétence générale à un corps d’officiers à compétence spéciale
Section 1 : L’évolution de l’organisation administrative des ports militaires
Section 2 : L’évolution du Commissariat
Chapitre 2 : Les commissaires, garants de l’ordre public économique des arsenaux
Section 1 : La surveillance économique de la bonne marche de l’arsenal
Section 2 : Les compétences dérivées
Partie 2 : Les Commissaires de la Marine, délégués du ministre de la Marine et des colonies
Chapitre 1 : L’Inscription maritime
Section 1 : Le déclin de la finalité militaire de l’Inscription maritime
Section 2 : Les commissaires à l’Inscription maritime, administrateurs du littoral
Chapitre 2 : Les commissaires pour les affaires maritimes
Section 1 : Les prérogatives des commissaires découlant du statut d’inscrit
Section 2 : Les colonies
Conclusion
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