Les “comment” : scenarios d’introduction de l’histoire des mathématiques en classe

Etat actuel de la recherche et des plans d’études

Plusieurs études ont été publiées à partir des années septante, abordant le “pourquoi” et le “comment” de l’utilisation de l’histoire des mathématiques dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Les associations les plus actives sur le sujet sont les IREM (Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques) en France. A la fin des années septante, des enseignants en Mathématiques travaillant dans les IREM ont créé une structure nationale nommée Commission inter-IREM Epistémologie et Histoire des Mathématiques. Le but de cette nouvelle Commission était de changer l’image des mathématiques, devenue trop dogmatique, et de recentrer les savoirs sur le sens. Cette commission organise des colloques et des universités d’été pluridisciplinaires sur l’histoire des mathématiques et a publié de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire et à l’enseignement des mathématiques. On peut consulter ses publications en accédant au portail internet de la commission (http://www.univ-irem.fr/spip.php?rubrique15). Nous avons trouvé dans le panorama littéraire des publications ayant des objectifs différents. Certaines publications analysent les différentes fonctions de l’histoire des mathématiques en classe, comme celles d’Evelyne Barbin (université de Nantes, responsable de la commission inter-IREM d’épistémologie) et celles de Louis Charbonneau (université du Québec) (voir section 2.2 pour les détails), mais sans en démontrer la réelle efficacité. D’autres publications proposent un inventaire des scenarios possibles (contenus et activités) avec des exemples concrets mais non détaillés : les enseignants peuvent trouver des bonnes idées pour préparer les séances historiques (Desrochers, Tremblay, Mercier & Sassi, 2005; Dematté, 2006).

D’autres publications encore proposent une séance historique spécifique sur un sujet et en analysent les avantages et les inconvénients: ces séances sont prêtes pour être utilisées par les enseignants en classe (publications de la Commission inter-IREM Epistémologie et Histoire des Mathématiques). Enfin on trouve des publications qui ont pour objectif d’analyser l’efficacité de l’histoire des mathématiques en classe: il s’agit d’études empiriques, qui discutent et élaborent des conclusions à partir de données recueillies sur le terrain. A titre d’exemple, Smestad (2007) a analysé 638 leçons filmées en classe de mathématiques de niveau secondaire provenant de 60 pays différents et il a conclu que l’histoire est très peu utilisée (dans seulement 3% des cas), souvent l’histoire est racontée de façon anecdotique, souvent il manque un lien entre l’histoire racontée et les concepts étudiés, si bien que l’histoire se trouve isolée du reste de la leçon. Dematté (2007) a utilisé les réponses de 60 élèves à un questionnaire pour conclure que les élèves ont des difficultés à voir les concepts dans un contexte autre que le cadre mathématique habituel et, par conséquent, il affirme l’importance d’introduire l’histoire des mathématiques pour développer le raisonnement chez l’élève. Jankvist (2010) a utilisé des sources diversifiées (observations directes, enregistrements audio et vidéo, productions des participants) pour conclure que les élèves qui avaient suivi un cours d’histoire des mathématiques avaient développé des capacités métacognitives sur l’activité spécifique et sur les mathématiques.

A partir des années 2000, plusieurs chercheurs (Siu, 2000; Bakker, 2004 ; Tzanakis, 2000 ; Schubring, 2007) ont commencé à mettre en doute la solidité de ces études empiriques: ils ont relevé des faiblesses du point de vue méthodologique (un seul outil de collecte de données dans la majorité des cas insuffisant et limité, absence d’un cadre d’analyse des résultats, etc.) et ils ont proposé que la recherche soit prise en charge au sein de la Science de l’Education pour qu’elle puisse bénéficier ainsi des cadres méthodologiques reconnus. Un didacticien des mathématiques (Jankvist, 2009) a commencé à faire un gros travail pour améliorer la méthodologie de recherche sur le sujet. En tirant parti des faiblesses de la recherche empirique sur le sujet, certains auteurs ont publié leurs réticences à l’utilisation de l’histoire des mathématiques en classe, en dressant des listes de limites théoriques (Fried, 2001) et de difficultés pratiques (Siu, 2007). (Voir section 2.2 pour les détails).

Pour avoir une vision plus complète et détaillée de la recherche concernant l’utilisation de l’histoire dans l’enseignement des mathématiques, on peut consulter l’article de Guillemette (2011), un doctorant québécois. Quel est l’espace donné à l’histoire des mathématiques dans les plans d’études nationaux? Dans le plan d’études des écoles de maturité en Suisse Romande (PER-MAT, 2015-2016) l’histoire des mathématiques n’est pas obligatoire mais souhaitable. On peut lire dans le programme : “Il est possible, et même souhaitable, d’incorporer des prolongements – au plan d’études obligatoire – selon les affinités du maître et des élèves, notamment des éléments d’histoire des mathématiques.”. Dans le plan d’études des écoles professionnelles en Suisse Romande (PER-MP, 2015-2016), l’histoire des mathématiques est proposée seulement dans le cadre des TIB (Travaux Interdisciplinaires par Branche), donc de façon optionnelle.

Le rapport au savoir. Comment le faire progresser

Le rapport au savoir est l’ensemble des relations qu’un sujet entretient avec l’acte d’apprendre comme processus (connaître, comprendre, étudier), avec les savoirs comme produits (compétences acquises, objets institutionnels, culturels et sociaux) et avec les situations d’apprentissage (Charlot, 1997). Comme le dit Bautier (2000, p.180), le rapport au savoir “ est une relation de sens et de valeur : l’individu valorise ou dévalorise les savoirs et les activités qui s’y rapportent en fonction du sens qu’il leur confère ”. En classe, écrire une équation est une action. Mais, pourquoi le fait-on ? Le fait-on parce qu’il faut le faire ? Ou plutôt parce que cela permet d’apprendre les mathématiques qui aideront à trouver un métier ? Ou encore parce que la classe est en train d’investiguer et de résoudre une problématique complexe, dont il faut être fiers? Les élèves ont un rapport subjectif au travail qu’ils doivent faire. Ils ne vivent pas tous de la même façon le métier qu’ils doivent assumer. Le rapport au savoir peut être de nature à favoriser ou à gêner l’appropriation des savoirs. D’après la recherche de Bautier, Charlot & Rochex (1992), les élèves en difficulté ont un rapport au savoir qui suit une logique de cheminement tandis que les bons élèves ont un rapport au savoir qui suit une logique d’apprentissage. L’élève qui suit une logique de cheminement ne valorise que les savoirs qui permettent de faire face aux situations de la vie quotidienne, il est soumis à l’enseignant qui dit ce qu’il faut faire. C’est le chemin de l’école, l’élève certifie ce qu’on lui demande. Il retient les aspects extérieurs des tâches et se concentre sur la procédure à suivre.

En mathématiques, la logique de cheminement est encore plus accentuée que dans les autres disciplines. “ D’une part, il est particulièrement important de réussir en mathématiques pour ”passer” dans la classe suivante. D’autre part, pour ces élèves, ce que l’on enseigne en mathématiques fait encore moins sens pour eux que ce que l’on enseigne dans d’autres disciplines ” (Bautier & Charlot, 1993). Pour la logique d’apprentissage, un savoir peut être important sans être utile. L’élève est autonome par rapport à l’enseignant. L’école est perçue comme un lieu d’apprentissage. L’élève est capable de mettre la tâche en lien avec les principes généraux de la discipline. Ainsi, les savoirs s’émancipent de la situation. En mathématiques, l’élève qui suit la logique d’apprentissage reconnaît les enjeux de la réflexion, du questionnement, de la réécriture. Il reconnaît les sens et l’importance du savoir mathématique, “ un champ de connaissances que l’homme, depuis l’Antiquité, cherche à élargir et à compléter par une recherche et une remise en cause continues ” (PER-MAT).

Le rapport au savoir est fondamental pour l’apprentissage. Comme le dit Develay (1996) « […] pour installer des apprentissages performants, l’enseignant se doit de mieux saisir la nature du rapport des élèves au savoir […]. Un rapport au savoir, qui ne soit pas d’emblée un rapport de rejet mais un rapport d’adhésion, constitue un premier préalable pour apprendre ». Le rapport au savoir initial de l’élève dépend de sa famille et de sa psychologie. Sur ces deux dimensions l’enseignant n’a pas de prise. Mais le rapport au savoir de l’élève peut évoluer grâce à son expérience (Bautier, Charlot & Rochez, 2000). Nous disons que le rapport au savoir d’un élève évolue favorablement quand le savoir devient un enjeu pour l’élève: la logique de cheminement devient logique d’apprentissage.

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Table des matières

Introduction
1. Etat actuel de la recherche et des plans d’études
2. Cadre théorique
2.1 Le rapport au savoir. Comment le faire progresser
2.2 L’introduction de l’histoire des mathématiques en classe : les pour et les contre
2.3 Les “comment” : scenarios d’introduction de l’histoire des mathématiques en classe
3. Méthodologie
3.1 Séance historique
3.2 Questionnaire
4. Analyse des résultats
4.1 Analyse de la séance
4.2 Analyse des réponses aux questionnaires
4.3 Conclusions relatives aux questions de recherche
Conclusions
Bibliographie
Annexe 1 : Exposé historique
Annexe 2 : Activité historique
Annexe 3 : Questionnaire

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