Les déchets radioactifs représentent un enjeu majeur pour l’industrie nucléaire. La gestion de ces déchets est nécessaire et importante, tant d’un point de vue éthique, scientifique et économique, que du point de vue de la protection des personnes et de l’environnement. Une gestion pérenne des déchets radioactifs requiert une connaissance fine de leur contenu radiologique (activité alpha, activité béta, masse fissile, débit de dose…) La mesure des actinides (uranium, plutonium, curium, américium…) majoritairement émetteurs alpha à vie longue, est une étape importante au sein de ce processus de caractérisation. On peut par exemple souligner que les normes d’entreposage en surface sont reliées aux quantités de ces différents actinides présents dans les colis. Du fait de la grande diversité des colis de déchets radioactifs, leur caractérisation nécessite l’emploi d’une ou de plusieurs techniques de mesure complémentaires.
Les techniques de caractérisation sont généralement regroupées en deux catégories, à savoir : les méthodes destructives et les méthodes non-destructives. Les méthodes destructives, basées sur le prélèvement et l’analyse d’échantillons, constituent une solution d’intérêt mais sont souvent limitées par le manque de représentativité des résultats (colis hétérogènes). La caractérisation radiologique d’un colis est donc plus fréquemment réalisée à l’aide de méthodes dites non destructives. Ces méthodes permettent une analyse complète du colis tout en préservant son intégrité. Deux types de méthodes non-destructives existent : les méthodes passives et les méthodes actives. Les méthodes passives consistent à détecter les particules émises spontanément par le contaminant présent dans le colis. Cependant, ces méthodes peuvent être limitées par des effets d’auto absorption au sein des colis, par l’émission passive neutronique ou photonique du colis, ou encore, par l’interférence du signal utile avec le bruit de fond. Les méthodes actives, reposant sur la réaction de fission nucléaire, sont ainsi souvent requises pour détecter les actinides. Ces méthodes visent à induire des réactions de fission sur les actinides, à l’aide d’un faisceau interrogateur de particules, puis à détecter les particules promptes et retardées émises suite aux réactions de fission. La technique utilisant un faisceau interrogateur de neutrons visant à induire des réactions de fission porte le nom d’interrogation neutronique active (INA) [Passard93, Pérot96, Raoux00]. Cette technique est actuellement exploitée dans l’industrie nucléaire, notamment pour caractériser des colis fortement irradiants. La technique utilisant un faisceau interrogateur de photons de haute énergie visant à induire des réactions de photofission porte le nom d’interrogation photonique active (IPA). Cette technique est l’objet de travaux de recherche et développement dans plusieurs centres de recherche depuis de nombreuses années [Lyoussi94, Gmar00, Carrel07]. Les neutrons interrogateurs sont traditionnellement émis par un générateur deutérium-tritium tandis que les photons de haute énergie sont produits par rayonnement de freinage (Bremsstrahlung) dans la cible de conversion d’un accélérateur d’électrons. Durant une mesure d’interrogation photonique active, des neutrons parasites sont créés dans la cible de conversion de l’accélérateur par des réactions photonucléaires. Ces neutrons sont couramment dénommés « photoneutrons ».
Les colis de déchets radioactifs
L’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) donne la définition de déchet radioactif suivante : « toute matière pour laquelle aucune utilisation n’est prévue et qui contient des radionucléides en concentration supérieure aux valeurs que les autorités compétentes considèrent comme admissibles dans les matériaux propres à une utilisation sans contrôle ou au rejet ». Les déchets radioactifs proviennent essentiellement de l’industrie nucléaire civile destinée à la production d’énergie électrique. Cependant, ils peuvent également provenir de centres de recherche, ou encore, être générés par l’industrie agroalimentaire, la médecine nucléaire, et les applications liées à la défense. Un colis de déchets radioactifs est constitué d’une matrice, d’une enveloppe, et d’un contaminant. La nature d’un colis, son origine, et son niveau de radioactivité, peuvent être très divers. La masse d’un colis peut aller de quelques dizaines de kilogrammes à plusieurs tonnes, et son activité peut s’étendre de quelques becquerels à plusieurs térabecquerels. Le type de contenu du colis et les radionucléides présents dans le colis peuvent varier fortement. Il peut notamment s’agir d’actinides, de produits de fission, et de produits d’activation. Bien que certains types de déchets soient sous forme liquide ou gazeuse, nous nous intéresserons exclusivement aux déchets solides au sein de ce mémoire de thèse.
Cinq catégories existent pour classer les déchets radioactifs en fonction de leur contenu et de leurs activités α, β et γ. Elles portent les noms suivants : haute activité à vie longue (HA-VL), moyenne activité à vie longue (MA-VL), faible activité à vie longue (FA- VL), faible et moyenne activité à vie courte (FA/MA-VC), et très faible activité (TFA).
Différents modes de gestion sont adoptés en fonction de la catégorie à laquelle le colis de déchets appartient. Bien qu’un entreposage en surface puisse convenir pour certains types de déchets, à terme, les colis les plus radioactifs et à vie longue seront destinés au stockage en profondeur (futur centre de stockage CIGEO géré par l’ANDRA). Par ailleurs, les déclarations du fabricant sur les contenus radiologiques de certains colis peuvent être incomplètes, erronées, voire indisponibles. Cette remarque est essentiellement valable pour les colis fabriqués il y a plusieurs décennies, avant le renforcement de la règlementation française sur les déchets nucléaires et la mise en place de procédures de contrôle et de traçabilité lors de leur production. Nous pouvons citer le cadre réglementaire instauré par la loi Bataille datée de 1991 [Loi n°91-1381] qui sera complétée en 2006 [Loi n°2006-739].
Les mêmes motivations qui ont conduit à ces lois amènent également à développer des méthodes permettant d’affiner la caractérisation des colis de déchets radioactifs. Certains colis peuvent représenter une menace pour l’Homme et l’environnement. Leur gestion et notamment leur caractérisation constituent un devoir moral vis-à-vis des générations futures. Une gestion optimale de l’aval du cycle du combustible nucléaire passe en partie par le déploiement de techniques de mesure plus efficaces et plus précises, et si possible moins chères. La reclassification/décatégorisation de certains colis (par exemple de la catégorie FA/MA-VC à TFA) permettrait notamment d’optimiser la gestion et les coûts associés.
Les méthodes de caractérisation
Les méthodes de caractérisation des colis de déchets radioactifs sont généralement classées en deux catégories. La première catégorie nécessite le prélèvement d’un échantillon de colis. Ces méthodes, qualifiées de destructives, sont performantes mais limitées par le fait que les conclusions obtenues suite à l’analyse de l’échantillon ne peuvent généralement pas être étendues à l’ensemble du colis en raison de son hétérogénéité. Au-delà de nuire à l’intégrité des colis, les méthodes destructives présentent également l’inconvénient de générer des déchets radioactifs supplémentaires suite à la contamination des outils nécessaires au prélèvement de l’échantillon. La deuxième catégorie est celle des méthodes non-destructives. Deux types de méthodes non destructives peuvent être mises en œuvre dans le cadre de la caractérisation d’un colis : les méthodes passives et les méthodes actives. L’ensemble de ces méthodes ont été largement discutées au sein de précédents travaux de thèse de doctorat [Lyoussi94, Jallu99, Raoux00, Gmar00, Carrel07]. Nous rappelons ici les méthodes les plus couramment utilisées, leurs principes de fonctionnement, et exposons leurs principaux avantages et limitations. Cependant, il est important de rappeler au préalable que le couplage de ces différentes méthodes de mesure, ainsi que l’association de leurs résultats et leur interprétation combinée, permettent d’extraire potentiellement plus d’informations sur un colis que celles apportées individuellement par chacune de ces techniques, et surtout de réduire les incertitudes de mesure. L’optimisation du couplage de ces différentes méthodes constitue donc un enjeu important dans le processus de caractérisation des colis.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION, CONTEXTE, ENJEUX, ET PHYSIQUE ASSOCIEE
1. Introduction, contexte et enjeux
1.1 Les colis de déchets radioactifs
1.2 Les méthodes de caractérisation
1.2.1 Méthodes non-destructives passives [Lyoussi05a]
1.2.1.1 Spectrométrie gamma passive
1.2.1.2 Comptage neutronique passif
1.2.2 Méthodes non-destructives actives [Lyoussi05b]
1.2.2.1 Interrogation neutronique active
1.2.2.2 Interrogation photonique active
1.2.2.3 La double interrogation
1.2.2.4 Imagerie photonique haute énergie
1.3 Conclusions
2. Éléments de physique
2.1 La fission nucléaire
2.1.1 Historique de la fission
2.1.2 Mécanisme de la fission
2.1.3 Données nucléaires sur la fission
2.2 Les photoneutrons
2.2.1 Réactions photonucléaires
2.2.2 Caractéristiques des photoneutrons
2.2.2.1 Distribution angulaire
2.2.2.2 Spectre en énergie
CHAPITRE 2 : CONNAISSANCE DU FLUX DE PHOTONEUTRONS
1. Caractérisation du flux de photoneutrons par simulation
1.1 Spectre en énergie
1.2 Distribution angulaire
1.3 Intensités moyennes d’émission
2. Optimisation du flux de photoneutrons par simulation
2.1 Production de photoneutrons
2.2 Production de photons parasites
3. Évaluation expérimentale par activation neutronique
3.1 Motivations et méthode
3.2 Dimensionnement d’un détecteur à activation
3.3 Caractérisation du flux de photoneutrons émis par l’accélérateur de l’installation SAPHIR
3.3.1 Distribution angulaire
3.3.2 Spectre en énergie et intensité moyenne d’émission
3.4 Caractérisation du flux de photoneutrons émis par un accélérateur médical
3.4.1 Profil
3.4.2 Évaluation du modèle MCNPX
3.4.3 Spectre en énergie et intensités moyennes d’émission
4. Conclusions
CHAPITRE 3 : INTERROGATION NEUTRONIQUE ACTIVE : ETUDE DE FAISABILITE
1. Expressions théoriques
1.1 Signal des neutrons prompts
1.2 Signal des neutrons retardés
1.3 Signal des gamma retardés
2. Mesure d’interrogation neutronique active
2.1 Dispositif expérimental et protocole
2.2 Signal versus durée d’irradiation
2.3 Signal des neutrons prompts et retardés
2.4 Rapport entre signaux neutroniques prompt et retardé
2.5 Détection des gamma retardés
3. Association de résultats de mesures d’interrogation neutronique et photonique actives
3.1 Dispositif expérimental et protocole
3.2 Neutrons prompts ou retardés de fission thermique et de photofission
3.3 Gamma retardés de fission thermique et de photofission
4. Conclusions
CHAPITRE 4 : INTERROGATION NEUTRONIQUE ACTIVE : APPLICATION SUR COLIS
1. Conception d’une cellule neutronique optimisée et basée sur un accélérateur d’électrons
1.1 Enceinte thermalisante
1.1.1 Choix du matériau
1.1.2 Volume de la cavité interne
1.1.3 Épaisseur des parois
1.2 Source de neutrons
1.2.1 Accélérateur d’électrons versus générateur de neutrons
1.2.2 Conception d’une source de photoneutrons
1.2.2.1 Matériau de la cible
1.2.2.2 Épaisseur de la cible
1.2.2.3 Énergie des électrons
1.2.2.4 Position de la cible
1.2.2.5 Enrobage de la cible
1.3 Blocs de détection
1.3.1 Disposition des détecteurs à 3He
1.3.2 Épaisseur de polyéthylène sur la face avant
1.3.3 Épaisseur de polyéthylène sur la face arrière
1.3.4 Performances d’un bloc optimisé
1.4 Configuration dédiée à la mesure d’interrogation photonique active
2. Évaluation expérimentale de la méthode sur colis maquette
2.1 Dispositif de mesure
2.1.1 La cellule neutronique
2.1.2 Performance de la nouvelle cellule
2.1.3 Les matrices
2.2 Résultats expérimentaux
2.2.1 Mesures sur échantillons nus
2.2.1.1 Différenciation de l’235U et du 239Pu
2.2.1.2 Calculs de sensibilité
2.2.2 Effets de matrice
2.2.3 Optimisation du flux interrogateur
3. Conclusions
CONCLUSION GENERALE