L’infection à VIH demeure toujours un problème majeur de santé publique de portée mondiale, avec 38 millions de personnes vivant avec l’infection dans le monde entraînant jusqu’ici près de 33 millions de décès selon l’ONUSIDA en 2019 [1]. L’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée avec 67% des cas [1]. Jadis diagnostiquée au stade SIDA, l’infection à VIH est de plus en plus précocement découverte grâce à la meilleure connaissance des signes notamment dermatologiques qui sont notés dans 90% des PVVIH [2]. Ces derniers sont de véritables marqueurs de l’immunodépression et constituent en grande partie les critères de stadification clinique de l’OMS et du CDC [2]. Elles sont essentiellement opportunistes, liées à des agents infectieux viraux, bactériens, parasitaires ou fongiques [3]. En Afrique, jusqu’en 2009, l’infection était essentiellement découverte au décours d’une candidose buccale, du Zona et du prurigo qui constituaient les principales circonstances de découverte selon Monsel et al au Sénégal [4][, Pitché et al [5] au Togo et Kéita au Mali [6] . Les dermatoses classantes représentées par la maladie de Kaposi était rarement rapportées. En 2011, dans l’optique de rompre la chaine de transmission, l’OMS avait élaboré un programme axé sur les objectifs des trois 90 à l’horizon 2020. Il s’agissait de dépister 90% des personnes vivant avec le VIH, de traiter 90% des PVVIH et de supprimer durablement 90% de la charge virale [7] . Cette stratégie adoptée par le Sénégal permet un dépistage précoce et de limiter l’immunodépression. Ainsi l’efficacité de ce programme devrait permettre une modification du profil épidémiologique des dermatoses en ce sens où la régression des infections opportunistes devrait être observée. De plus, suite à l’ancienneté des études portant sur les CDD dermatologiques au cours de l’infection et afin d’établir le profil des dermatoses après l’adoption des objectifs 90, nous avons jugé opportun de réaliser cette étude dont l’objectif principal était d’établir le profil des dermatoses constituant les CDD de l’infection VIH.
Discussion
Cadre de l’étude
La majorité des malades était enregistrée dans le site de l’IHS (68,2%). Ceci pourrait être expliquée par le fait que le service de dermatologie de cet hôpital reçoit plus de patient que celui de l’HALD. De plus, un centre de dépistage volontaire (CVD) existe au sein de ce service.
Limites de l’étude
Les limites de notre étude étaient la nature rétrospective, le recueil des données s’est fait à partir des dossiers des patients à savoir le livre vert. Aussi, les données étaient inhomogènes et les dossiers ne sont pas exploitables. Malgré ces limites, nous avons pu atteindre nos objectifs. Nous avons recensé 431 cas d’infection VIH correspondant à une prévalence de 0,17%. Cette étude établit les mêmes caractères sociodémographiques et viraux que les travaux antérieurs notamment la prédominance de la femme jeune âgée en moyenne de 42 ans et la plus grande fréquence du VIH1 [4, 8, 9]. Les dermatoses constituent les principales circonstances de découverte notées dans 71,5% dominées par les affections infectieuses et immunoallergiques. En effet, le zona est la principale dermatose révélant l’infection et survient à un taux de CD4 supérieur à 200éléments/mm3 contrairement aux autres dermatoses infectieuses qui sont essentiellement observées chez les patients présentant un taux de CD4 supérieur à ce chiffre.
Données sociodémographiques
La prévalence de l’infection notée (0,17%) est inférieure au taux précédemment rapporté par Monsel et al [4] en 2007 qui était de 0,41%. Nous pensons qu’il ne s’agit que des variantes car ces chiffres répondent à la prévalence nationale qui est de 0,5% [1, 10, 11] contrastant avec les données de certains pays d’Afrique noire rapportant une prévalence de 20,42% [12] .
L’âge de nos patients variait de 14 à 85 ans avec une médiane de 42ans, similaire à celui rapporté par Fortes Deguenovo et al [13] et celle de Monsel et al [4]. La prédominance de la femme jeune n’offre aucune particularité car toutes les études sont unanimes sur ce constat. Qu’il s’agisse de série sénégalaise ou non. Le sex-ratio était en faveur des femmes ; ce qui concorde avec les données des rapports ONUSIDA 2016 [14], comparables aux études de Monsel et al [4] au Sénégal qui avaient retrouvé de sex-ratio de 0,77. De même qu’au Cameroun et au Togo où le sexe ratio est respectivement estimé à 0,89 et 0,62 [5, 15]. Cependant, en Europe, l’infection à VIH prédomine chez le genre masculin [16]. Ceci peut s’expliquer par l’émergence et la fréquence des MSM qui correspondent à 60% des nouveaux infectés par le VIH tandis que ce phénomène est encore mal assimilé en Afrique faisant sa rareté ou obligeant aux pratiquants une jouissance en cachotterie.
Type de VIH
Le VIH1 était le principal stéréotype observé, noté dans 93,5%. Confirmant sa prédominance au Sénégal [4], ceci est en accord avec la majorité des pays d’Afrique dont le Mali [17], le Bénin [18] où il est noté chez plus de 90%.
Circonstances de découverte
Stade OMS
L’infection à VIH est diagnostiquée de plus en plus précocement au Sénégal. Près de la moitié de nos malades étaient au stade 2 (45,5%) et seul 13,2% étaient diagnostiqués au stade 4, contrairement aux études antérieures où les malades étaient essentiellement diagnostiqués aux stades 3 et 4 entre 2008 et 2013 [19, 9, 20]. Entre 2004 et 2006, 53% des cas était découvert au stade 3 [4]. Le diagnostic à ce stade a été de même constaté par Dioussé P et al [9] à travers une série de 322 cas. Cette amélioration s’explique d’une part par les efforts consentis par l’OMS et le Sénégal en particulier. En effet, le premier objectif 90 parmi les trois de l’OMS était axé sur le dépistage précoce de l’infection et les moyens ainsi déployés. Nos résultats semblent être le parfait reflet de l’efficacité de ce programme dont la finalité est de freiner la chaine de transmission. D’autre part et sans trop s’éloigner de l’explication ci-dessus, la meilleure connaissance de la maladie et de ses circonstances de découverte a nettement permis cette amélioration. De plus, l’OMS insistant depuis 2012 d’amoindrir les occasions manquées suggérait aux personnels de santé de proposer à tout patient inclus dans le parcours de soins, une sérologie VIH. Les services de Dermatologie ayant servis ici de site de recrutement constituent des centres de référence nationaux de prise en charge de pathologies vénériennes et le VIH en particulier.
Manifestations dermatologiques
Les circonstances de découverte étaient dermatologiques dans plus de la moitié de cas (71,5%) suivi des signes digestifs. Contrairement au service de maladies infectieuses où la toux chronique et les diarrhées ont été les principales circonstances de découverte [19]. Il s’agit certes d’un biais de recrutement d’autant plus que nos cas sont recensés dans des services de Dermatologie alors que les services de référence en infectiologie sont moins restrictifs. Les dermatoses infectieuses étaient les principale CDD de l’infection VIH comme en avait attesté Monsel et al (72,5%) [4] et Atadokpede et al (59,4%) [20]. Parmi les dermatoses infectieuses, les affections virales étaient les plus observées dans notre étude. Cépendant, Elle est en deuxième position dans les séries de Kobangué et al [21] et Monsel et al [4]. Les dermatoses virales sont les principales circonstances de découverte et dominées par le zona, stade II de l’OMS représentant 32 % (n=138). Nous constatons ainsi une augmentation de la fréquence du zona au cours du VIH en phase avec la précocité du diagnostic actuellement observée. Au Sénégal, en 2007, Monsel et al [4] l’avaient noté dans 24% après la candidose (53%) qui était la première CDD classée stade III de l’OMS. Dans sa cohorte colligée entre 2003 et 2006, Dioussé et al [9], notaient dans la région de Thiès (Sénégal), que le zona occupait la huitième place des CDD (10%) alors que la candidose buccale en était la première. Récemment au Sénégal en 2020, Ndiaye MT et al [8] recrutant dans une plus petite période (2013-2017) à Dakar constataient déjà la prédominance du zona (32,6%) alors que les malades présentaient une candidose buccale dans moins 5% des cas (Tableau XI). Au Mali, le zona a toujours été la première CDD. En 1997, il était suivi de la dermite séborrhéique dans une série de 233 malades colligés en 40 mois [22]. Il y’a quatre ans, Cessouma [23] mettaient en évidence la prédominance de ces dermatoses classées stade 2 OMS notamment le zona qui était suivi du prurigo. Le zona était la troisième manifestation dermatologique pour Pitché et al [5] au Togo en 1997, Joséphine et al [15] au Cameroun en 2006 et Atadokpede et al [20] au Benin en 2008. Dans le continent asiatique, le zona était la quatrième CDD dermatologique de l’infection à VIH en Thaïlande (1995) [24] et la deuxième en Inde (2000) [25] .
En Afrique, la fréquence de cette dermatose est variable. Elle est la première affection dermatologique notée au cours du VIH au Cameroun (2006) [12, 15], en Centrafrique (2013) [21] et au Togo (1995) [5]. Mahe et al [22] au Mali l’observait au quatrième rang en 1997 avant qu’il ne soit la deuxième dermatose après le zona en 2016 selon Cessouma [23]. Atadokpede et al [20] au Bénin en 2008 l’avait objectivé dans 35,2 % après la candidose buccale notée dans 42 % (Tableau XII). La physiopathologie de cette manifestation reste incertaine, mais une hypothèse actuellement retenue sur des arguments histologiques est celle d’une hypersensibilité aux piqûres d’insectes, exagérée chez les malades séropositifs pour le VIH [4]. Nous pensons que le VIH seul ne pourrait pas expliquer ceci et qu’il existerait une atopie sous-jacente qui pourrait être aggravée par la dysimmunité acquise. Ainsi, ces lésions de prurigo seraient consécutives à une forme de Besnier ou strophulus. Les affections tumorales sont les troisièmes CDD nosologique comme dans l’étude de Kobangué et al au République centrafricaine en 2013 (19%) [21].Dans notre étude, la maladie de kaposi en était la principale dans ce groupe et constituait la quatrième CDD de l’infection dont la fréquence était de 6%. Celle-ci était similaire à celle observée au Togo en 1995 [5], au Benin en 2008 [20] et au Mali en 2016 [23] , alors qu’il était inférieur au taux observé au Sénégal en 2007 qui était de 10% (5eme dermatose au cours du VIH) [4] . Contrairement, la maladie de kaposi était quasi inexistante en Asie [28, 25] et peu fréquente en Europe et aux États-Unis en dehors de la communauté homosexuelle [27].
Taux de CD4
Les malades ayant un taux de CD4 inférieur à 200/mm3 étaient minoritaires notés que dans 45% des cas. Ceci est contradictoire avec les résultats de l’étude de Fortes Deguenovo et al [13] effectuée en 2011 aux maladies infectieuses et tropicales de Fann, où 86% des patients avait un taux de CD4<200 cellules/mm3. En 2007 sur un échantillon de 149 malades, le taux de CD4 était inférieur à 200 dans 65,77% des cas à la suite d’un recrutement allant de 2004 à 2006 aux seins de trois services de dermato-vénéréologie du Sénégal [4]. La précocité actuelle du diagnostic attestée ci haut par l’amélioration des stades est également illustrée en 2020 par Ndiaye MT et al [8] observant qu’il y’avait autant de malades avec un TCD4 inférieur à 200 que de patients avec un taux supérieur à ce chiffre.
Corrélation des manifestations dermatologiques avec le taux de CD4
Dans notre étude, les dermatoses infectieuses sont les principales CDD et survenant à un taux CD4 inferieurs à 200 cellules/mm3 contrastant avec les infections virales qui surviennent quant à elle à un TCD4 supérieur à 200 cellules/mm3 (p<0,0001). Cette étude est la première à documenter la corrélation entre le taux de CD4 et les affections virales dans leur globalité au Sénégal et la deuxième de ce type en Afrique après celle réalisée au Cameroun en 2006 [15]. Nous avions également noté une association statistiquement significative de dermatoses immuno-allergiques avec un TCD4 inférieur à 200 (p = 0,0001). A l’opposé, les dermatoses tumorales étaient statistiquement associées aux taux de CD4 supérieur à 200 cellules/mm 3 (p=0,0004), contrairement à celle observée au Cameroun en 2006 (p=0,001) [15].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I- Objectifs
I-1- Objectif principal
I-2- Objectifs secondaires
II- Patients et méthode
II-1- Type et durée d’étude
II-2- Lieu d’étude
II-3- Population d’étude
II-4- Critères
II-4-1- Critères d’inclusion
II-4-2- Critères de non exclusion
II-5- Recueil des données
II-5-1- Paramètres sociodémographiques
II-5-2- Données cliniques et paracliniques
II-6- Analyse des données
II-7- Aspects éthiques
DEUXIEME PARTIE
III- Résultats
III-1- Etude descriptive
III-1-1- Données sociodémographiques
III-1-1-1- Nombre de cas
III-1-1-2- Age
III-1-1-3- Sexe
III-1-1-4- Nationalité
III-1-1-5- Catégories socioprofessionnelles
III-1-1-6- Statut matrimonial
III-1-2- Comorbidités
III-1-3- Profil sérologique
III-1-4- Circonstances de découverte
III-1-4-1- Clinique
III-1-4-1-1- Général
III-1-4-1-2- Manifestations dermatologiques
III-1-4-2- Stade OMS
III-1-4-3- Taux de CD4
III-1-5- Traitement
III-1-6- Evolution
III-1-6-1- Evolution de dermatoses
III-1-6-2- Evolution de l’immunité
III-2- Etude analytique
III-2-1- Corrélation entre type de dermatoses et taux de CD4
III-2-2- Corrélation des dermatoses infectieuses avec le taux de CD4
III-2-3- Corrélation des dermatoses prédominantes avec le taux de CD4
IV- Discussion
IV-1- Cadre de l’étude
IV-2- Limites de l’étude
IV-3- Données sociodémographiques
IV-4- Type de VIH
IV-5- Circonstances de découverte
IV-5-1- Stade OMS
IV-5-2- Manifestations dermatologiques
IV-5-3- Taux de CD4
IV-6- Corrélation des manifestations dermatologiques avec le taux de CD4
IV-7- Evolution
CONCLUSION
REFERENCES