LES CIAP : une inscription dans le paysage culturel territorial

Les CIAP : une inscription dans le paysage culturel territorial 

Et nous en arrivons à notre sujet central. Mais avant de décrire ce qu’est un CIAP, il est nécessaire de revenir sur son contexte de politique culturelle et de définir son cadre, à savoir le label « Ville et Pays d’Art et d’Histoire » (VPAH).

Une politique culturelle à la française 

La politique culturelle française, qui trouve ses origines dans celles de l’État lui même, a trouvé après plusieurs essais infructueux un essor important à la toute fin des années 50. Sur demande de Charles de Gaulle, André Malraux créé le ministère de la Culture en rassemblant de nombreuses entités culturelles préexistantes. Ils affichent alors la volonté d’équilibrer l’offre culturelle dans tout le pays. La démocratisation culturelle, qui doit permettre l’accès de chacun aussi bien à la culture officielle, institutionnalisée, qu’à la culture vivante et populaire, est accompagnée de la volonté d’une décentralisation culturelle. Celle-ci se concrétise notamment en 1977 par la généralisation des DRAC, les Directions régionales des affaires culturelles. La politique de Malraux a l’intérêt d’amener les œuvres quasiment partout en France. Elle est pourtant rapidement critiquée par les professionnels du monde de la Culture : selon lui l’art ne s’explique pas, il n’est pas question de faire de pédagogie pour faire découvrir et apprécier l’art et le patrimoine. Or, les enquêtes menées prouvent que cet élitisme ne permet pas à des personnes éloignées de l’art de se l’approprier. Pire, il effraie le public non initié, au lieu de lui transmettre ses valeurs de partage de la connaissance et d’ouverture aux autres, de rééquilibrer la justice sociale et d’apporter un équilibre face à l’industrie, aux médias et à la consommation de masse…

Il s’agit alors de rendre le patrimoine, l’art et la culture plus accessible. Comme nous l’avons vu plus haut, la médiation culturelle s’enrichit de nouvelles approches, comme celle de l’interprétation, et se veut plus concrète et abordable. L’éducation populaire se développe. Dans chaque département des équipements culturels de proximité, des festivals etc. sont créés. Cette décentralisation culturelle remplit une mission importante, celle de rendre notre société plus créative et plus compétitive, une société dite « de l’information et de la connaissance », accessible même aux populations les plus démunies. Pour ne pas se faire doubler par d’autres pays sur le marché mondial, il faut permettre à tous de s’élever, d’être capable de comprendre le monde et d’imaginer celui qui vient. De nouveaux lieux culturels voient le jour partout en France, tant pour découvrir que pour s’exercer, manipuler, pratiquer les arts et les sciences .

Un label qualitatif sous la tutelle du ministère de la Culture

Le label des Villes et Pays d’Art et d’Histoire est la deuxième étape d’une politique nationale de protection des centres villes historiques menée par le ministère de la Culture, les « secteurs sauvegardés ». Ceux-ci consistaient en une valorisation d’envergure des centres anciens.

Rapidement, les pouvoirs publics se sont rendu compte que, pour promouvoir le tourisme de ces villes, réhabiliter le bâti et l’urbanisme ne suffit pas. Une médiation est nécessaire pour les rendre attractives. Mais les acteurs politiques se sont alors rendu compte qu’il pouvait être bon de toucher également les habitants, et plus particulièrement les jeunes. Ces derniers seront plus tard les forces vives de la protection du patrimoine… Il fallait aller au-delà des seules questions de développement du tourisme.

C’est dans ce contexte qu’apparaît le label des « Villes et Pays d’Art et d’Histoire », en 1985. Créé par le ministère de la Culture, il est délivré sur dossier par les DRAC aux villes et agglomérations soucieuses de la valorisation et de la sensibilisation à leur patrimoine, quel qu’il soit. C’est l’une des mesures prises par le ministère depuis une trentaine d’années pour développer son partenariat avec les collectivités territoriales, et dans le même temps pour assurer la fameuse décentralisation culturelle, attendue depuis des dizaines d’années. Puis dans le milieu des années 90 naît l’idée d’apporter une exposition permanente à ces VPAH. On ne parle pas tout de suite de centre d’interprétation. C’est la publication du guide « CIAP : Mode d’emploi » qui change peu à peu les choses. En 2008, le renouvellement de la labellisation des territoires devient décennal : c’est à ce moment que la création d’un CIAP devient contractuellement obligatoire.

Après trente ans d’existence, le label est plutôt bien reconnu par les publics, selon la très grande majorité des professionnels avec qui j’ai pu en discuter. Seule l’animatrice de l’architecture et du patrimoine de Plaine Commune, Charlotte Saint-Jean, me laissait entendre lors de notre entretien que le label est encore trop méconnu pour être une priorité des élus sur son agglomération. Cette réponse ne correspond pas à ce que nous avons pu entendre d’autre part ; elle s’explique par la mise en place d’un autre label dans la collectivité, celui de « Territoire de la culture et de la création » qui lui permet de s’imposer dans le Grand Paris, priorité de Plaine Commune.

Cette information est très intéressante, et intervient dans une période où la profusion des labels pose problème. C’est ce que nous rappelle Mme Prévot, l’animatrice de l’architecture et du patrimoine de Pontoise : le ministère de la Culture chercherait à regrouper ensemble certains labels pour en réduire le nombre trop important, qui commence à en masquer l’intérêt. La question de l’existence de celui des Villes et Pays d’Art et d’Histoire s’est posée. Coup de tonnerre dans Landerneau !

Car selon les animateurs de l’architecture et du territoire, ce serait une grave erreur. Après tout, le label des VPAH n’est pas un label touristique. Il n’a pas été conçu selon cette idée, on ne peut pas le comparé à d’autres soutenus par le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme, par exemple. C’est un label qualitatif, local et territorial, qui soutient la sauvegarde du patrimoine et la démocratisation culturelle et qui dépend de la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture. Le balayer, ce serait supprimer ou amoindrir trente ans d’efforts conjugués partout en France. Inenvisageable !

Car ces labels servent aussi à développer, voire relancer la « marque » d’une ville. Difficile de les abandonner quand vous travaillez pendant des années à les obtenir, puis à les conserver ! S’ils sont aussi importants pour les collectivités, c’est qu’ils ont le pouvoir de redynamiser toute une ville et de fédérer les habitants autour d’un projet commun. S’ils sont mis en place dans les règles de l’art, bien entendu. Nous avons demandé à M. Fenneteau, en charge des labels patrimoniaux de la DRAC des Pays de la Loire, si ce « nettoyage » des labels est vraiment à l’ordre du jour. Or selon lui il n’est pas vraiment question d’en supprimer, mais plutôt d’en déconcentrer la gestion. Ainsi, depuis le 1er janvier 2020 la signature des dossiers de demande de labellisation ne sont plus soumis directement au ministère de la Culture. Ils sont désormais co-signés par les DRAC et les CRPA, les Commissions Régionales du Patrimoine et de l’Architecture.

Une politique patrimoniale locale… initiée à l’échelon national 

La plupart du temps ce sont les élus qui signalent à leur DRAC l‘intérêt pour eux de signer la convention du label des VPAH. M. Fenneteau, à la DRAC des Pays de la Loire, nous explique que les collectivités souhaitent souvent se voir décerner le label pour que la valeur patrimoniale de leur territoire soit reconnue à l’échelle nationale. Car ce label du ministère de la Culture est un gage de qualité vraiment intéressant. Le label n’est pas décerné au hasard. Il est exigé de la localité demandeuse un réel engagement pour la sauvegarde et la valorisation de son patrimoine. Le périmètre à labelliser doit être clairement défini, et présenter une certaine cohérence historique, géographique, culturelle et démographique. Il faut que le territoire en question ait la volonté de se développer localement au travers de ce patrimoine. Une fois ces exigences remplies, il est ensuite demandé la rédaction d’un mémoire, puis d’un dossier de candidature, avant, enfin, de pouvoir inscrire sa candidature à une séance du Conseil régional de l’Architecture et du Patrimoine. Ces documents demandent donc à la collectivité candidate de mettre en valeur toutes les actions menées pour son patrimoine local, qui seront scrutée dans leurs moindres détails. Et c’est là que nous commencerons à discerner deux informations importantes sur sa politique culturelle et patrimoniale. D’abord, nous verrons de quels choix elle est l’héritière. Quelles ont été les actions déjà mises en œuvre en matière d’urbanisme, quels événements et périodes l’ont modelée, etc… Il apparaîtra ensuite ce que la municipalité ou le conseil de la communauté de commune prévoit de faire, la vision qu’elle a de son territoire. Un patrimoine ne naît pas naturellement, il est un construit social, résultat de décisions prises par des décideurs politiques. Nous l’avons abordé en introduction : un lieu doit être reconnu scientifiquement et juridiquement pour être défini comme patrimonial, avant de l’être par les habitants du territoire. Donc si une DRAC reconnait un lieu comme patrimonial, elle lui donne une existence juridique, qui sera ensuite complétée par une inscription à l’inventaire du patrimoine de la région et/ou de la collectivité. Le choix politique local de distinguer tel ou tel patrimoine s’appuie ainsi sur une évidence scientifiquement prouvée… Deux articles universitaires détaillent cet aspect politique. Le premier, écrit par Vincent Verschambre , nous parle tout particulièrement d’Angers. Dans cet article très engagé, voire virulent, il rappelle combien le choix de ce qui fait patrimoine ou non présente un caractère politique très fort. Les tensions entre usagers de la ville, associations de défense du patrimoine et élus donnent leur pleine mesure lors de la mise en œuvre des décisions urbanistiques et patrimoniales. Elles se ressentent ensuite durablement dans le caractère singulier de chaque localité. Il nous raconte notamment que le choix fait le plus souvent de préserver en priorité les édifices religieux, militaires ou de pouvoir, tels que les châteaux, palais, grandes demeures, etc. n’est pas anodin. Tous les groupes sociaux n’ayant pas la même facilité à faire valoir leur patrimoine comme valable et digne d’être conservé, les monuments entretiendrait ainsi le souvenir des puissants. Car cette question de la conservation des lieux et monuments de pouvoir a été forgé au XIXe siècle, après la Révolution française, par des sociétés savantes constituées d’hommes de pouvoir. Heureusement, cette notion de patrimoine s’ouvre de plus en plus et touche maintenant l’histoire des autres classes sociales. Vincent Verschambre parle de ce «petit patrimoine » aujourd’hui reconnu : habitats ruraux, bâtiments industriels et contemporain, … Ce petit patrimoine est aussi admis par les institutions étatiques comme le Sénat, qui reconnaît l’importance patrimonial des ensembles urbains, des calvaires, lavoirs, etc… Selon les deux rapporteurs Sonia de la Provôté et Michel Dagbert, il est d’ailleurs nécessaire aux communes de repérer et inventorier ces édifices pour apporter une valeur patrimoniale à leur collectivité.

Il est intéressant de croiser l’article de Vincent Verschambre avec celui de Mathieu Gigot , sur la patrimonialisation des centres historiques. Lui prend trois villes de la Vallée de la Loire en exemple : Angers, Tours et Orléans. Il explique combien, tout en conservant une certaine spécificité, les centres anciens deviennent de plus en plus similaires. Les choix de mettre en valeur le même type de bâtiments, de piétonniser certaines rues commerçantes en utilisant des mobiliers urbains similaires ne sont pas sans conséquences. Peu à peu, les différences entre les communes sont de plus en plus ténues, elles semblent perdre en partie de leur identité propre.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – À CHAQUE CIAP SA STRATEGIE DES PUBLICS
1. L’INTERPRETATION AU REGARD DE LA POLITIQUE CULTURELLE EN FRANCE
1.1. Aux origines de l’interprétation
1.2. Centre d’interprétation et musée, quelles différences ?
1.3. Un nom difficile à porter
2. LES CIAP : UNE INSCRIPTION DANS LE PAYSAGE CULTUREL TERRITORIAL
2.1. Une politique culturelle à la française
2.2. Un label qualitatif sous la tutelle du ministère de la Culture
2.3. Une politique patrimoniale locale… initiée à l’échelon national
2.4. Le projet scientifique et culturel, localement défini
3. DES ENJEUX MINISTERIELS ADAPTES AUX NECESSITES TERRITORIALES ?
3.1. Le CIAP, doublon ou complément d’équipement culturel ?
3.2. Des intérêts forts partagés à tous les échelons
3.3. Le CIAP, un levier de communication auprès des habitants et des investisseurs
4. FOCUS SUR LES MEDIATIONS PRIVILEGIEES
4.1. Entre désirs de médiation numérique
4.2. … et questions objectives d’utilité
4.3. Un contact humain et une expérimentation manuelle encore privilégiés
5. CARTOGRAPHIE CRITIQUE DES CIAP
5.1. Une répartition inégale des CIAP et des AAP sur le territoire
5.2. Des superficies inégales et des labels en concurrence
5.3. Un accompagnement institutionnel, professionnel et communicationnel vital pour une montée en visibilité
6. LES CIAP, DES SERVICES DES PUBLICS AD HOC QUI S’IGNORENT
6.1. Des publics potentiels qui restent à définir
6.2. Un service des publics adapté à chaque territoire
PARTIE 2 – LA POLITIQUE DES PUBLICS DES CIAP PRECEDEE PAR CELLE DE LA COMMUNICATION ?
1. LE TEMPS DES PUBLICS
1.1. D’une nécessité légale
1.2. … à un besoin fonctionnel
1.3. Une construction collective respectueuse de l’individualité
1.4. Un public sans représentant
1.5. Portrait idéal des lieux muséaux
2. LES TERRITOIRES D’INSCRIPTION DES CIAP ETUDIES
2.1. Bordeaux, Patrimoine mondial de l’UNESCO
2.2. Pontoise, cité millénaire aux portes du Vexin
2.3. Plaine Commune, Pays d’Art et d’Histoire en périphérie de Paris
2.4. Dijon, Cité internationale de la gastronomie et du vin
3. LES SERVICES DES PUBLICS, UN SOUTIEN ESSENTIEL A LA MEDIATION ET AU DEVELOPPEMENT CULTUREL DES TERRITOIRES
3.1. Des publics construits… et reconstruits
3.2. Une connaissance des publics pour une médiation plus efficace
4. DES CHOIX DE COMMUNICATION ALEATOIRES D’UN TERRITOIRE A L’AUTRE
4.1. Des dispositifs de communication à l’échelon national et régional
4.2. Une communication déterminée localement
4.3. Un nom d’équipement culturel difficile à utiliser
5. ARTICULER STRATEGIQUEMENT LES COMPOSANTES COMMUNICATIONNELLES ET LES MISSIONS VERS LES PUBLICS
5.1. Nouveaux regards, nouveaux dispositifs, nouvelles compétences ?
5.2. Des compétences communicationnelles déterminantes
5.3. Une connaissance des sciences humaines essentielle
5.4. Les métiers de la médiation au regard des communications numériques
5.5. Animateur de l’architecture et du patrimoine : un métier à définir
6. SYNTHESE SUR LA POLITIQUE DES PUBLICS
6.1. Des points communs
6.2. …et des divergences
PARTIE 3 – DES CIAP EN DEVENIR – LE CAS DU REPAIRE URBAIN, NOUVEAU LIEU CULTUREL ANGEVIN
1. ANGERS, VILLE D’ART ET D’HISTOIRE
1.1. Le développement patrimonial et culturel d’Angers : une dynamique à l’œuvre pour une notoriété internationale
1.2. Une politique patrimoniale aux conséquences sociales durables
2. LE CENTRE D’INTERPRETATION DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE D’ANGERS
2.1. Genèse du projet de CIAP
2.2. Le CIAP : un lieu adapté aux besoins d’un service pluriel
2.3. Le Repaire Urbain, un nouveau pôle culturel au cœur de la ville
2.4. Des médiations à l’épreuve des contraintes financières et de l’actualité
3. DU DISCOURS D’ANNONCE A LA CONSTRUCTION DES PUBLICS
3.1. Un discours d’annonce bien rôdé
3.2. … Pour une communication d’accompagnement en devenir
3.3. Une définition de l’espace évolutive
3.4. Une prise en compte partielle des publics
3.5. L’hypothèse de la boîte noire
4. UNE PROGRAMMATION FORTE POUR UN LEVIER DE COMMUNICATION BIENTOT INCONTOURNABLE
5. UN LIEU DE VIE INAUGURE DANS UNE PERIODE IMPROBABLE
5.1. Covid-19 versus lancement du Repaire Urbain : un match difficile à jouer pour Angers Patrimoines
5.2. Le CIAP d’Angers, un levier culturel évolutif et vivant prometteur
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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