Les chiffres importants du cancer du côlon
Le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fréquent en France et dans le monde, après le cancer du sein et celui du poumon. En 2018, le cancer colorectal a représenté la seconde cause de mortalité par cancer avec plus de17000 décès, et plus de 43 000 nouveaux cas enregistrés (1 ; 2). La survie à 5 ans des patients diagnostiqués précocement, donc non métastatiques, dépasse les 90%. Des métastases synchrones, c’est-à-dire présentes lors de la découverte du cancer colorectal, sont cependant trouvées dans 20 à 25% des cas. Environ 15% des cancers colorectaux engendrent des métastases hépatiques métachrones dans les 5 ans qui suivent le traitement de la tumeur colorectale. Le risque de survenue de métastases, qui au total avoisine les 40%, est corrélé au stade du cancer primitif. La survie de ces patients à 5 ans chute alors drastiquement aux environ le 15% (3). La dissémination métastatique est donc la principale cause de mortalité des cancers colorectaux.
Les métastases ou comment la cellule décide de « changer de place »
Les métastases proviennent de cellules issues de la tumeur primaire qui ont acquis la capacité de se détacher et de migrer à distance. Ces cellules ont un phénotype invasif et résistant en conditions hostiles (comme dans la circulation par exemple), mais aussi une certaine capacité d’adaptation, ou plasticité cellulaire, qui leur permet de changer à nouveau leurs caractéristiques afin de se nicher, puis de proliférer dans un nouvel environnement.
La première étape qui mène aux métastases est l’acquisition d’un caractère invasif local. Ceci implique des changements importants au niveau des cellules tumorales primaires. Les cellules normales sont organisées en couches de cellules épithéliales incompatibles avec la motilité et le caractère invasif que nous pouvons observer dans les carcinomes malins. Pour acquérir la motilité, les cellules doivent perdre certaines de leurs caractéristiques épithéliales et changer leurs caractéristiques morphologiques et leur schéma d’expression génique pour acquérir les programmes de transcription caractéristiques des cellules mésenchymateuses. On parle alors de Transition épithélio – mésenchymateuse (TEM) .
La transition épithelio-mésenchymateuse
Les premières descriptions in vitro de la TEM remontent au début des années 1980, à partir des observations faites par Elizabeth Hay (5). Les premières découvertes la définissent comme fondamentale lors des premiers stades du développement embryonnaire (6 ;7). Des études ultérieures ont montré que la TEM est non seulement importante dans l’embryogenèse et l’organogenèse, mais joue également un rôle clé dans certains événements pathologiques tels que le remodelage des tissus post-lésion (8), dans la cancérogenèse et les métastases (9) et la fibroses (10 ; 11). Le TEM doit être perçue comme un processus finement régulé et dynamique. Ce processus est réversible : le programme inverse, appelé Transition mésenchymato-épithéliale (TME), se produit à la fois lors de l’embryogenèse et au cours de divers processus pathologiques (12 ; 13 ;14). La réversibilité de ce processus souligne l’énorme plasticité de certaines cellules embryonnaires et adultes qui participent aux processus de pathogenèse de la maladie.
Cellules épithéliales et TEM
Les cellules épithéliales, organisées en monocouche, sont densément emballées et étroitement liées par des complexes jonctionnels de molécules d’adhésion cellulaire impliquant des membres de la famille des cadhérines, telles que l’E-cadhérine, qui ont une localisation préférentielle sur les surfaces latérales des cellules, et les filaments intermédiaires de cytokératine. Les principales molécules d’adhésion à la matrice extra cellulaire (la MEC) sont situées au pôle basal, et appartiennent à la famille des intégrines. Ces cellules sont capables de proliférer, mais elles se développent en groupes tout en restant en contact les unes avec les autres par les jonctions intercellulaires. Les cellules mésenchymateuses, en revanche, ne forment pas de couche organisée ; les contacts entre elles sont typiquement et exclusivement focaux et sont établis par de nombreuses expansions cytoplasmiques à l’aide de la N-cadhérine. Les cellules mésenchymateuses ne reposent pas sur la membrane basale mais sont immergées dans une matrice acellulaire complexe et ne présentant pas de polarisation dans la distribution des marqueurs membranaires ou du cytosquelette.
Elles ont également des filaments intermédiaires de vimentine et montrent une forme irrégulière, fusionnée ou étoilée, et des mouvements amiboïdes lors de leur migration.
En culture, elles prennent une forme fibroblastoïde et présentent des fibres de stress.
Signalisation moléculaire et TEM
L’EMT est induite par des signaux extracellulaires provenant des composants de la matrice extracellulaire, le collagène et l’acide hyaluronique, mais également par des facteurs de croissance solubles comme le TGF-β (Transforming Growth Factor), FGF (Fibroblast Growth Factor) ou de l’EGF (Epidermal Growth Factor). Ce sont des facteurs qui lient les récepteurs membranaires avec un domaine intracellulaire et possèdent une activité tyrosine kinase : après la liaison avec le ligand, ce domaine est phosphorylé et active des molécules effectrices intracellulaires qui à leur tour activent le facteur de transcription SNAIL. Celui-ci inhibe alors l’expression de la E cadhérine en se liant au promoteur du gène et en bloquant son expression (16). L’activation de SNAIL se traduit donc par la perte rapide des marqueurs épithéliaux et par l’acquisition de marqueurs typiques des cellules mésenchymateuses. La superfamille des facteurs de transcription SNAIL, ZEB et TWIST s’activent pendant le processus de TEM (17 ;18). WNT joue également un rôle important dans l’induction de la TEM en conduisant à une expression réduite de l’E-cadhérine et en favorisant la transition des cellules épithéliales vers le phénotype mésenchymateux (19). SNAIL est également spécifiquement exprimé dans le cancer invasif du côlon, dans les cellules qui ont traversé la membrane basale, ont perdu l’expression de la E-cadhérine et présentent une positivité nucléaire pour la β-caténine (20). Le TGFβ a largement été utilisé pendant les dernières années pour étudier le processus de transition épithélio-mésenchymateuse. Une étude a montré que certaines lignées cellulaires cancéreuses possèdent une continuité de prolifération cellulaire en TEM et ce fait provoque une certaine instabilité génomique avec formation d’anomalies mitotiques et apparition de cellules poli-nucléées .
Le processus de formation de métastases
Les étapes liées au processus de migration des cellules sont l’invasion, le transport dans la circulation sanguine, l’extravasation, la formation de micrométastases, et enfin la colonisation avec la croissance de petites colonies en métastases macroscopiques (22 ; 23). Toutes les cellules qui entrent dans la circulation sanguine ne survivront pas, mais l’état mésenchymateux les aide à résister aux forces des cisaillements et à la perte de contact avec les autres cellules et à la matrice extra cellulaire, en évitant l’anoikis. Si les cellules cancéreuses ont survécu et se sont extravasé, elles s’installent alors dans des sites éloignés, où elles peuvent rester dormantes ou, si elles trouvent les conditions idéales pour se développer, former des colonies secondaires ou métastases. Des études montrent que ces colonies ne conservent pas longtemps le phénotype mésenchymateux normalement attribué aux cellules invasives, mais reviennent à un phénotype plus épithélial (24 ;25). L’induction de la TEM est un mécanisme d’importance centrale dans la progression métastatique des carcinomes et la phase de MET subséquente est cruciale pour induire le processus de colonisation. Cependant, de nombreux aspects de ce processus n’ont toujours pas été entièrement clarifiés. Des articles contradictoires sont apparus ces dernières années sur la réelle implication de la TEM dans la formation de métastases (26 ; 27). Si pendant longtemps la TEM était considérée comme fondamentale pour la formation des métastases (16 ; 28), des études ont successivement émergé montrant que certaines cellules formant des métastases conservaient le phénotype épithélial (29), suggérant plus de précaution sur l’interprétation du rôle de la TEM dans le cancer. L’idée émergente est qu’une TEM partielle, possédant un phénotype épithéliomésenchymateux intermédiaire, peut représenter la situation idéale pour la formation de métastases (30 ; 31). De plus, différentes études démontrent aussi que la TEM induit une reprogrammation évidente touchant les voies métaboliques à différents niveaux (32 ; 33 ; 34) : notamment le métabolisme du glucose (35; 36), qui est aussi le plus connu et le plus étudié, mais aussi les métabolismes des acides aminés (37) et des lipides (38 ; 39 ; 40). Le but présumé est un remodelage métabolique total des cellules qui favorise la résistance à un environnement hostile avec la capacité de formation de métastases.
A la recherche d’un modèle d’étude plus « physiologique »
La majorité des études se sont focalisées sur les gènes princeps de TEM et à leur conséquences évidentes (comme la perte des molécules d’adhésion et de polarité, la réorganisation du cytosquelette…). Or des données récentes suggèrent que ces modifications ne sont que la « partie émergée de l’iceberg ». En effet, la TEM régule des voies extrêmement diverses et complexes, et nous commençons tout juste à comprendre la véritable implication de l’engagement cellulaire dans ce processus. Parce qu’il est difficile de discerner les gènes spécifiquement activés lors du processus de la TEM dans des échantillons aussi complexes que des tumeurs humaines, les approches in vitro, ont été les plus simples à réaliser pour mettre en évidence des signatures pro-TEM. Cependant, la majorité des études conduites à ce jour l’ont été en utilisant une induction de la TEM « peu physiologique » (en utilisant un seul facteur proTEM, le plus souvent le TGFβ, et dans des modèles peu pertinents comme les cultures cellulaires en 2 dimensions) et en absence de validation à grande échelle sur des échantillons de patients. Tout ceci a contribué à limiter l’interprétation de la TEM aux constituants de la « pointe de l’iceberg », dont les cibles sont restées « inatteignables » du fait de leur implication dans des processus aussi généraux qu’importants pour le maintien de l’homéostasie de l’organisme. Nous avons souhaité développer une approche in vitro nous permettant de surmonter chacune des limites mentionnées précédemment en induisant la TEM à partir d’un cocktail complet, composé d’un mélange de facteurs connu pour induire la TEM, dont le TGFβ : le StemXVivo® EMT Inducing Media Supplement. Ce supplément a été développé par Weinberg RA et son équipe (41) qui en ont montré les capacités spécifiques d’induction de la TEM. De plus, nous avons utilisé des micro-tissus cellulaires de consistance plus physiologique que les cultures en 2D, et, après une sélection rigoureuse des candidats affecté par la TEM, nous avons validé leur pertinence biologique in silico. Notre but était d’identifier, de façon fine, certains processus biologiques induits par la TEM, dans la perspective de mettre en évidence des gènes candidats plus « atteignables », car plus en aval et, peut-être, plus spécifiques de la cellule cancéreuse. Ces candidats pourraient à la fois permettre de mieux catégoriser les patients, jouer un rôle de marqueur pronostic et, pourquoi pas, servir de cible thérapeutique.
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Table des matières
1. RÉSUMÉ
2. MOTS CLÉS
3. LISTE DES ABREVIATIONS
4. INTRODUCTION
4.1 Les chiffres importants du cancer du côlon
4.2 Les métastases ou comment la cellule décide de « changer de place »
4.3 La transition épithelio-mésenchymateuse
4.4. Cellules épithéliales et TEM
4.5. Signalisation moléculaire et TEM
4.6. Le processus de formation de métastases
4.7. A la recherche d’un modèle d’étude plus « physiologique »
5. MATÉRIELS ET MÉTHODES
5.1. Culture cellulaire
5.2. Induction de la TEM
5.3 Immunofluorescence
5.4 Western Blotting
5.5 Extraction d’ARN
5.6. Analyse des données d’expression génique des cellules HT29 traitées
5.7. Analyse des données d’expression génique de cohortes de données publiques
5.8. Analyses statistiques
6. RESULTATS
6.1 Le StemXVivo® EMT Inducing Media Supplement induit l’individualisation des cellules d’un microtissus
6.2 L’analyse du profil transcriptomique confirme la transition épithélio – mésenchymateuse des microtissus traités avec le StemXVivo® EMT Inducing Media Supplement
6.3 Les sphéroïdes traités avec le StemXVivo® EMT Inducing Media Supplement se déplacent vers les sous-types moléculaires consensus de type mésenchymateux, CMS4
6.4 Les voies du métabolisme des acides biliaires et l’homéostasie du cholestérol sont altérées en parallèle du processus de la TEM
6.5 Les métagènes dérivés in vitro montrent des valeurs pronostiques cohérentes dans un grand jeu de données publiques de CCR
6.6 La fusion des métagènes Epithelial Mesenchimal Transition and Cholesterol Homeostasis a montré une amélioration de la valeur pronostique à 5 ans
6.7 La fusion des métagènes Epithelial Mesenchymal transition et Cholesterol Homeostasis est un facteur pronostique indépendant pour la RFS
7 DISCUSSION
8 CONCLUSION
9 RÉFERÉNCES
10 DONNÉES SUPPLÉMENTAIRES