Les questions de reproduction en élevage, comme chez l’Homme, ont été d’abord envisagées sous l’angle physiologique par de très nombreux travaux de recherche qui ont conduit à des résultats spectaculaires comme la production de clones (Dolly chez les ovins). Pour ces travaux sur le clonage, les ovins se sont avérés être un modèle intéressant car les effectifs d’animaux utilisés doivent être très importants et la maîtrise des cycles de reproduction par les traitements hormonaux est maintenant bien maîtrisée depuis les années 1970.
Actuellement, les consommateurs demandent des produits d’origine animale qui soient de qualité, respectueux de l’environnement, pas chers et produits dans des conditions qui permettent aux animaux de ne pas souffrir et que leur bien être soit assuré. Ainsi, 75% des réponses à une consultation de la Commission Européenne réalisée en 2005 expriment le souhait que des mesures soient prises pour mieux protéger les animaux (Veissier et al., 2007). Dans une enquête conduite sur un échantillon représentatif de la population française il a été montré que 80% des personnes considéraient que les conditions modernes d’élevage pouvaient conduire à des altérations du bien-être des animaux. L’élevage doit tenir compte de cette réalité et adapter sa façon de produire. C’est pourquoi, la recherche agronomique a conduit des travaux sur le comportement animal. Les très nombreux travaux développés ces 20 dernières années ont surtout porté sur les espèces généralement conduites dans des systèmes très intensifs en condition de claustration (porc, volailles). Chez les herbivores ruminants, ces travaux d’éthologie ont été surtout développés chez le veau de boucherie et la vache laitière mais finalement assez peu chez les petits ruminants (ovins et caprins). Probablement parce que chez les petits ruminants les questions de bien-être et les problèmes de comportement liés aux conditions d’élevage ne sont pas aussi importants que pour les autres espèces. Dans cette espèce, les travaux de recherche se sont surtout intéressés au comportement mère-jeune (Novak., 2004) dans le but de limiter la mortalité néonatale, à la grégarité (Boissy et al., 2007) dans le but de conduire les animaux en plein air ou aux comportements au pâturage (Dumont et al., 1995) dans le but de maitriser l’alimentation.
Pour revenir à la reproduction, les études du comportement sexuel des animaux d’élevage se sont relativement moins développés que ceux de physiologie ou de biologie moléculaire. Une des raisons est peut-être, par exemple, que la maîtrise de l’Insémination Animale (IA), ne pose plus de problèmes majeurs dès lors que le sperme est de suffisamment bonne qualité et que les mâles ne sont pas trop difficiles à collecter. Chez la femelle, par exemple, la maîtrise des traitements hormonaux qui est largement utilisée chez les ovins, a permis de s’affranchir de la détection des chaleurs. Ainsi chez la brebis, compte tenu de l’efficacité des traitements, les aspects comportementaux pouvaient pratiquement être ignorés. L’intérêt de l’étude du comportement sexuel a été fortement relancé par les difficultés de repérer les chaleurs chez des vaches laitières à très haut potentiel. Mais ces études comportementales se sont toujours heurtées à la difficulté de quantifier les comportements et les enregistrements vidéo n’ont fait que déplacer le problème sans le résoudre.
Suite au développent des nouvelles technologies de l’information et de la communication, au développement de capteurs miniaturisés, une nouvelle approche de l’élevage s’est faite autour du développement de l’utilisation de ces capteurs embarqués sur les animaux qui permettent de repérer les mouvements et donc de mesurer automatiquement et en continu des éléments du comportement. L’objectif finalisé étant d’utiliser des algorithmes qui, après analyse de ces signaux, déclenchent des décisions : c’est ce qu’on appelle maintenant l’élevage de précision. Là encore les travaux ont été surtout conduits chez les gros ruminants et assez peu sur les petits ruminants.
Cette thèse s’inscrit dans le développement d’automatismes pour l’étude du comportement sexuel des ovins par l’UMR Selmet. Cette thématique rejoint des préoccupations environnementales qui tendent à rechercher des alternatives à l’usage des traitements hormonaux et en tous cas des systèmes d’élevages qui soient Green, Safe & Ethical (Martin et Kadokawa., 2006) tels que l’élevage ovin biologique (Pellicer-Rubio et al 2009).
Chez les mammifères, l’œstrus (ou chaleurs) est un symptôme et une stratégie comportementale de la femelle qui permet l’accouplement à proximité du moment de l’ovulation. L’œstrus est la seule manifestation visible de l’ovulation. L’œstrus a été observé depuis très longtemps dans des troupeaux d’animaux, sans qu’il soit précisément lié à l’accouplement. Il vient du mot grec oíστρoζ (de oistros en grec), membre de la famille des Oestridae dont le bourdonnement pendant l’été cause l’hyperactivité des vaches, conduisant à un comportement frénétique. Un tel intérêt pour le comportement de l’œstrus n’était pas nouveau : une fresque d’une vache en œstrus comme peut-être la première représentation d’un événement de la reproduction, il y a plus de 10000 ans, à Teyjat (Dordogne, France). Un taureau aurochs (Bos primigenius) renifle la vulve d’une vache avec une représentation claire de mouvement de chevauchements. Bien sûr, des peintures et des gravures rupestres du Paléolithique ne démontrent pas une connaissance précise du comportement bovin; cela reflète plutôt la première abstraction humaine après une centaine de milliers d’années de relations sociales entre l’Homme et les animaux, un prélude au processus de domestication qui a été particulièrement intense dans le cas des bovins. En dépit de cette longue période de contact entre l’Homme et le bétail, l’Homme n’est pas capable, contrairement au taureau, de détecter l’œstrus chez la vache, même au XXIeme siècle. D’énormes progrès dans la connaissance de la physiologie de la reproduction de la vache et dans le développement des aides à la détection de l’œstrus au cours des dernières décennies n’ont pas été suffisants pour que cette détection soit certaine. La détection de l’œstrus reste un problème majeur en élevage laitier et sa détection incorrecte occasionne un coût annuel de 300 millions $ à l’industrie laitière aux USA (Senger, 1994). En conclusion, la seule définition précise de l’œstrus est la période pendant laquelle les comportements de la femelle conduisent à l’acceptation du chevauchement par un mâle capable de développer un comportement sexuel.
La reproduction des ovins est plus compliquée que celle des bovins. La reproduction des ovins est caractérisée par une saisonnalité. La saison de reproduction est déterminée par la durée quotidienne d’éclairement. Les ovins viennent en œstrus lors du raccourcissement du temps d’ensoleillement quotidien. Quelques races sont très saisonnées (Suffolk, Texel, Blackface, etc.) alors que d’autres (Ile-de-France, Préalpes-du-Sud, Dorset Horn, Mérinos, etc.) sont moins saisonnée. La saisonnalité de la reproduction chez la brebis est caractérisée par des changements au niveau endocrinien, ovulatoire et comportemental. Ce qui donne lieu à une alternance annuelle entre deux périodes distinctes; une saison de reproduction, caractérisé par la succession à intervalles réguliers de 15-19 jours d’œstrus et d’ovulation, en l’absence de fécondation, et une saison d’anœstrus caractérisée par la cessation de l’activité sexuelle. Le passage de l’anœstrus à la saison de reproduction est progressif, avec l’apparition de cycles courts, parce que le premier corps jaune (CJ) régresse souvent prématurément 5-6 jours après sa formation. L’activité ovulatoire et le comportement œstral montrent parallèlement des variations saisonnières, mais il y a des divergences au début et à la fin de la saison sexuelle lorsque certaines ovulations ne sont pas accompagnées par l’œstrus (Rosa et Bryant 2003). Ces ovulations, dites silencieuses, ne sont pas liées soit au démarrage soit à la fin de la saison sexuelle, elles peuvent également se produire chez certaines races en pleine saison sexuelle (Ortavant et al, 1988). D’autres auteurs considèrent que c’est seulement après la fin des premiers cycles ovariens que le comportement d’œstrus accompagne systématiquement l’ovulation. Au total, un grand nombre d’articles scientifiques ont traité la question de la saisonnalité de la reproduction chez la brebis (Ortavant et al., 1988 ; Scaramuzzi et Martin, 2008 ; Delgadillo et al., 2006 ; Teyssier et al., 2011 ; Chanvallon et al., 2011).
La description exacte de l’œstrus est plus complexe. Fabre-Nys et Venir (1987) ont en effet observé des brebis qui refusent les mâles et n’acceptent pas les chevauchements alors qu’elles sont en chaleur. La détermination précise de l’apparition de l’œstrus chez la brebis est d’un grand intérêt pour le succès de la reproduction, pour la monte naturelle comme pour l’insémination animaleet également comme diagnostic de non-gestation. Mais lorsque l’on réalise des inséminations après un traitement hormonal de synchronisation, on se contente d’inséminer à intervalle fixe. Il faut avoir préalablement déterminé le délai moyen de survenue des chaleurs. La bibliographie rapporte des intervalles très variables entre le retrait des éponges et début de l’œstrus : de 3 à 51 heures (26,8 h), McKenzie et Phillips, (1931) ; de 2 à 24 h (12,8 h), Allison et Davis, (1976) ; moins de 20 h pour Fletcher et Lindasay (1971) ; 32 h pour Romano et al., 2001, et plus de 40 heures dans plusieurs autres études (41 h, Zeleke et al., 2005 ou 47 h, Das et al., 2000).
De même, la durée de ces œstrus varie fortement entre les situations : les valeurs basses sont de moins de 16 h (Parsons and Hunter, 1967), les valeurs moyennes sont de 21 h (Fletcher et Lindsay., 1971 ; Das et al., 2000) et les valeurs hautes vont jusqu’à 31h (Romano et al., 2001). Les méthodes utilisées jusqu’à présent pour évaluer ces paramètres de l’œstrus chez la brebis se basent sur des observations visuelles plusieurs fois par jour et souvent il n’y a pas de mesures pendant la nuit. La méthode de référence étant de déplacer un mâle en laisse parmi les femelles toutes les 4 heures en notant les interactions. Il est certain que de telles observations demandent beaucoup de travail. Ainsi, il apparaît que lorsque les brebis sont en œstrus, il existe une très grande variabilité qui peut aussi dépendre des méthodes utilisées pour les estimer.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1. Etude Bibliographique
1. Biologie de la reproduction chez les ovins
i. Œstrus des brebis
ii. Comportement des béliers
iii. Voies de communication mâles/femelles
2. Méthodes d’évaluation de l’activité sexuelle
i. Chez la femelle : Attractivité, Proceptivité et Réceptivité
ii. Chez le mâle : La libido
3. Facteurs de variation de la reproduction des ovins
i. Race
ii. Nutrition et alimentation
iii. Facteur sociaux
4. Management et choix des reproducteurs
i. Traitement hormonaux
ii. Choix des animaux de renouvellement
5. Elevage de la précision et détection des chaleurs
6. Questions de recherche
Chapitre 2 : Validation du détecteur automatisé de chevauchement pour la détection des chaleurs (Publication 1 ; P1).
Chapitre 3 : Les caractéristiques des cycles sexuels chez la brebis (Publication 2 ; P2).
Chapitre 4 : Comparaison de l’évaluation du comportement sexuel des mâles en test ou lors de la reproduction en troupeau. (Publication 3 ; P3)
Chapitre 5 : Importance du comportement sexuel de la brebis dans la reproduction (publication 4 ; P4).
Conclusion générale
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