Les changements climatiques globaux et l’océan
Connaître le climat pour en comprendre les effets est un défi auquel les sociétés humaines se sont attelées depuis longtemps. Étant donné son influence, sur la température de l’air, les principaux cycles biogéochimiques dont celui de l’eau, la végétation et une multitude d’autres variables qui déterminent la qualité de notre environnement, il est aisé d’en identifier l’importance pour la survie de nos sociétés. Or, depuis le début de l’ère industrielle, les activités humaines modifient drastiquement le climat, notamment à travers les émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols dans l’atmosphère (Hartmann et al., 2013). Les manifestations de ces changements globaux sont visibles autour du monde et affectent de nombreuses composantes de nos sociétés. Celles-ci peuvent-être environnementales mais aussi socio-économiques et même géopolitiques (Jeandel & Mosseri, 2011).
Le système climatique comprend cinq grandes enveloppes (compartiments) : l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la biosphère, qui interagissent entre elles via plusieurs types d’échanges. Depuis quelques dizaines d’années d’importants progrès ont été réalisés en météorologie de concert avec l’océanographie. Ces travaux ont permis une compréhension plus fine des composantes physiques du système climatique. L’étude de l’atmosphère se base sur les observations du réseau mondial des stations météorologiques mis en place à la fin du 19ème siècle par l’Organisation Mondiale de la Météorologie. En revanche, les observations et études océanographiques sont plus contemporaines. En effet, jusqu’au début des années 1960, l’océan était considéré comme un milieu passif répondant au forçage de l’atmosphère. Aujourd’hui, on sait au contraire que l’océan est une composante essentielle du système climatique, qu’il module à différentes échelles, de par sa nature et ses interactions avec l’atmosphère. Ces interactions peuvent être quantifiées et leurs évolutions prédites à travers le développement de modèles numériques basés sur les équations de la dynamique des fluides.
Actuellement, les principaux modèles couplés océan/atmosphère destinés à prévoir les changements environnementaux futurs ont des résolutions spatiales relativement faibles de l’ordre de la centaine de kilomètres (Flato et al., 2013). Ce type de modélisation peut alors affecter la représentation de phénomènes régionaux ayant une influence majeure sur les projections climatiques futures (Stock et al., 2011). C’est notamment le cas dans l’Atlantique Nord-Ouest, en particulier sur le plateau continental Nord-Américain où les modèles climatiques globaux possèdent un biais chaud en matière de représentation des températures de surface de l’océan (Wang et al., 2014). Connu sous le nom de « Gulf Stream separation problem » (Dengg et al., 1996) ce biais continu à exister dans de nombreux modèles climatiques globaux ayant une trop faible résolution spatiale de la composante océanique (Bryan et al., 2007). On comprend alors l’intérêt d’étudier le passé hydrologique de cette région pour en comprendre la dynamique et ainsi réussir à en affiner la modélisation. Il convient donc de revenir à la distribution des masses d’eau et à la nature des courants de l’Atlantique nord.
Circulation océanique de l’Atlantique Nord
L’Océan Atlantique Nord contribue à la régulation du climat mondial à travers son rôle majeur dans la circulation thermohaline globale (Fig. 1) (Broeker, 1991). Les eaux de surface chaudes et salées venant des tropiques sont transportées vers le nord, elles se refroidissent alors peu à peu par le transfert de chaleur vers l’atmosphère. Cette perte de chaleur va alors entrainer une augmentation de la densité de ces eaux tropicales qui vont couler par convection. Les eaux profondes arctiques résultant de ce mélange vont ensuite alimenter un courant froid et profond se dirigeant vers le sud. Bien qu’induite principalement par ces changements de température des eaux de surface, la salinité joue également un rôle dans ce phénomène de convection. En effet, les eaux tropicales plus salées sont également plus denses que les eaux polaires dont les salinités sont moins élevées.
La circulation des eaux de surface dans l’Atlantique Nord est principalement contrôlée par les vents qui entrainent mécaniquement l’eau dans leurs mouvements. Ces forçages atmosphériques interviennent dans les 500 premiers mètres de la colonne d’eau et donnent naissance à de grands systèmes océaniques que sont les gyres subtropical et subpolaire. Le gyre subtropical est un vaste tourbillon qui entraine les eaux de surface dans le sens anticyclonique (sens des aiguilles d’une montre) aux basses latitudes. Tandis que le gyre subpolaire circule dans le sens cyclonique aux hautes latitudes (Fig. 2). Plus précisément, la circulation océanique de l’Atlantique Nord commence à l’ouest par le courant Nord Atlantique (NAC). Le NAC est l’extension vers le Nord-Est du Gulf Stream. La branche principale du NAC traverse la ride médio Atlantique vers 53°N (Schott et al., 2004). Une partie du NAC descend vers le Sud-Est pour alimenter le gyre subtropical, tandis que l’autre partie alimente le gyre subpolaire et les mers nordiques en bifurquant respectivement vers le Nord-Ouest et le Nord-Est. La branche alimentant le gyre subpolaire rejoint le courant d’Irminger sur le flanc Ouest de la dorsale de Reykjanes (Bower et al., 2002). Le courant d’Irminger rejoint la Mer du Labrador en longeant les côtes Groenlandaises. Ces eaux sont entrainées par le courant Ouest Groenlandais qui circule de manière cyclonique en suivant la bathymétrie de la Mer du Labrador (Cury et al., 2002). Le long des côtes de Terre-Neuve et Labrador, depuis le détroit d’Hudson jusqu’au Sud des Grands Bancs de Terre-Neuve, circule le courant du Labrador. Il transporte les eaux froides et peu salées de la baie de Baffin ainsi qu’une partie des eaux plus salées du courant Ouest Groenlandais du Nord vers le Sud (Lazier & Wright, 1993 ; Han et al., 2008). Sa structure spatiale et son évolution sont très complexes. Il est composé de deux branches principales. La plus importante est la branche offshore qui s’écoule, vers le sud, sur la bordure Est du talus continental des côtes du Labrador et de l’Est de Terre Neuve pour rejoindre le NAC complétant ainsi la boucle du gyre subpolaire. La branche inshore, dont le volume transporté est dix fois plus faible que celui de la branche offshore, s’écoule sur le plateau continental des côtes de Terre-Neuve et Labrador (Lazier & Wright, 1993).
Ce système n’est bien entendu pas statique et varie de manière saisonnière et interannuelle dans son intensité. À une échelle interannuelle, la circulation océanique de l’Atlantique Nord varie en fonction de deux composantes majeures (Penduff et al., 2011) : une première composante intrinsèque due au caractère turbulent de l’océan et une seconde forcée, induite par la variabilité atmosphérique.
Dans l’Atlantique Nord le mode de variabilité atmosphérique dominant est l’Oscillation Nord Atlantique (NAO) (Hurrell, 1995). La NAO est un indice représentant des oscillations de pressions entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande (Hurrell, 1995). Un affaiblissement de ces deux systèmes est associé à un indice NAO négatif (Fig. 3). Au contraire, un creusement de la dépression d’Islande associé à un gonflement de l’anticyclone des Açores correspond à une phase positive de la NAO. Celle-ci s’accompagne d’une augmentation de l’intensité des vents d’Ouest entre 40°N et 60°N et d’un renforcement des alizés dans les subtropiques (Fig. 3). Cette oscillation est en général plus forte pendant les mois d’hiver durant lesquels la dynamique atmosphérique est exacerbée.
À la différence de la NAO qui est un forçage atmosphérique, l’oscillation pluri décennale Atlantique (AMO) est un indice représentant des variations de la température des eaux de surface de l’Atlantique Nord entre l’équateur et 70°N. L’AMO varie en fonction de plusieurs composantes, une première endogène liée aux fluctuations de la circulation thermohaline globale relatives aux transports de glace de mer et d’eau douce en provenance de l’Arctique (Dima & Lohmann, 2007). L’AMO inclut également une seconde composante due aux forçages exogènes anthropiques tels que les émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols (Booth et al., 2012). Quelles que soient l’origine des différentes composantes de l’AMO, ses fluctuations sont associées à de nombreux phénomènes climatiques (Knight et al., 2006). De plus en plus d’études s’intéressent donc aux interactions Océan/Atmosphère en confrontant l’évolution de ces deux indices (AMO/NAO). La majorité de celles-ci suggèrent que l’AMO et la NAO hivernale sont corrélés négativement (e.g. Gastineau et al., 2013 ; Msadek et al., 2011) et que les phases positives de l’AMO diminuent la circulation atmosphérique dans l’Atlantique Nord et donc la NAO (Hakkinen et al., 2011). Il convient ici de noter que si cette variabilité à grande échelle est susceptible d’impacter des écosystèmes hauturiers, elle affecte également l’environnement côtier.
Les oscillations thermiques à l’interface eau/sédiment
Des oscillations thermiques à l’interface eau/sédiment ont déjà été observées dans de nombreuses zones côtières. Celles-ci ont majoritairement lieu dans des environnements stratifiés et possèdent un large spectre harmonique haute-fréquence qui va de quelques heures à plusieurs jours (Leichter et al., 2012 ; Mihanovic et al., 2009 ; Mihanovic et al., 2014 ; Wall et al., 2012 ; Wang et al., 2007). Dans les régions côtières de la plupart des plateaux continentaux, les oscillations thermiques à l’interface eau/sédiment sont généralement faibles, de l’ordre de quelques degrés. Les plus fortes ont été observées au niveau du front de marée du Banc Georges où elles peuvent atteindre 7°C à 60m avec une fréquence semi-diurne (Guida et al., 2013) et (ii) sur les côtes Californiennes où des oscillations de 6°C ont lieu de manière diurne et semi-diurne à 15 m de profondeur (Pineda, 1994).
Plusieurs facteurs, tels que les marées et les vents ont été proposés pour expliquer ces observations, en fonction de la stratification, de la fréquence de ces oscillations et de la latitude (force de Coriolis). La majorité des oscillations périodiques a été attribuée à la marée, majoritairement semi diurne sur le plateaux continentaux bien qu’en certaines régions (côte de l’Oregon, NW Ecosse,…), les ondes diurnes puissent dominer et se confondre avec les effets des brises marines quotidiennes (Cudaback & McPhee-Shaw, 2009 ; Mihanovic et al., 2006 ; Orlic et al., 2013). Aux latitudes moyennes, les oscillations diurnes sont sous-inertielles (la période diurne ~24h est supérieure à la période d’inertie ~17h par 47°N). Différentes théories montrent que ces oscillations ne peuvent se propager librement. Elles sont piégées par la topographie, peuvent générer de forts courants diurnes et ne peuvent se propager qu’en laissant la côte sur leur droite dans l’hémisphère nord. Il s’agit alors d’ondes côtières piégées (CTW) qui apparaissent généralement dans les zones où la topographie est accidentée. De plus, lorsque la zone d’intérêt présente des contours topographiques fermés, comme c’est le cas pour un mont sous-marin ou une île, cela peut entrainer une amplification des CTW (Huthnance, 1974 ; Mihanovic et al., 2009 ; Mihanovic et al., 2014).
|
Table des matières
Introduction
Les changements climatiques globaux et l’océan
Circulation océanique de l’Atlantique Nord
Les oscillations thermiques à l’interface eau/sédiment
Saint-Pierre et Miquelon à l’interface de ces deux échelles
L’apport de la sclérochronologie
Les différentes espèces étudiées
Objectifs et structure de la thèse
Conclusion
Références