CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET ESPECES INVASIVES
Le Sahel, dans lequel est inclus notre domaine dโรฉtude ร savoir la partie septentrionale du Sรฉnรฉgal est une vaste zone de transition entre le dรฉsert saharien au Nord et la savane tropicale au sud. Cโest donc une zone de contact entre deux milieux de nature diffรฉrente. Popov (1996) indique que ces zones sont caractรฉrisรฉes surtout par leur instabilitรฉ รฉcologique avec une propension ร des changements rapides, notamment par rapport aux fluctuations mรฉtรฉorologiques.
Les importantes variations climatiques qui ont frappรฉ le Sahel au cours de ces derniรจres dรฉcennies ont focalisรฉ lโattention sur cette rรฉgion. Cette zone a enregistrรฉ durant les siรจcles passรฉs (Nicholson, 1978) de profonds changements climatiques, et tout le monde sโaccorde pour reconnaรฎtre un รฉpisode de dรฉsertification trรจs net depuis la fin des annรฉes soixante (60) pour lโensemble des zones sahรฉliennes et soudaniennes en Afrique de lโOuest (cf. synthรจses de : Hulme, 1992 et Moron, 1994). La dรฉsertification (Popov, 1996) est surtout plus frappante dans la partie la plus aride du Sahel, avec une progression nette de la limite sud du Sahara. Les consรฉquences de cette sรฉcheresse sont trรจs visibles mรชme au sein de la savane, car le dรฉficit pluviomรฉtrique prolongรฉ a fait que certains vรฉgรฉtaux ont pรฉri ou ont รฉtรฉ remplacรฉs par des รฉlรฉments plus xรฉrophiles de sorte que certaines zones boisรฉes ont subi des changements importants dans leur aspect et dans leur composition. La modification des aires de rรฉpartition dโun certain nombre dโespรจces est lโune des premiรจres rรฉponses, et la plus visible, aux changements climatiques (Parmesan, 1996, Hughes, 2000, Walther et al., 2002) .
Les changements climatiques et leurs impacts suscitent une littรฉrature importante surtout depuis le dรฉbut des annรฉes 90 (cf Walther et al., 2002, pour une revue rรฉcente). On note un nombre important de travaux concernant le phรฉnomรจne ยซ El Nino ยป et ses consรฉquences, particuliรจrement dans le domaine des รฉcosystรจmes marins, mais aussi en milieu terrestre (Holmgren et al., 2001), surtout sur la vรฉgรฉtation et sur les peuplements dโinsectes. Dans le domaine de la santรฉ cela concerne principalement les vecteurs du paludisme (cf synthรจse rรฉcente de Kovats et al., 2000), et ร un degrรฉ moindre la maladie de Lyme dont les rongeurs sont un des rรฉservoirs. Lโinfluence des oscillations du phรฉnomรจne El Nino (ENSO) sur les peuplements de petits mammifรจres a รฉtรฉ mise en รฉvidence au Chili (Lima et al., 1999) et au Nouveau Mexique (Brown et al., 1997).
Pour que les facteurs climatiques soient la cause directe du dรฉclin local ou rรฉgional de certaines populations naturelles, les patrons de tempรฉrature et d’humiditรฉ doivent excรฉder les limites lรฉtales des populations (Carey & Alexander, 2003). L’effet des changements climatiques sur les populations peut aussi รชtre indirect, impliquant une modification des facteurs qui agissent sur la dynamique des populations. La modification des aires de rรฉpartition dโun certain nombre dโespรจces est lโune des premiรจres rรฉponses, et la plus visible, aux changements climatiques (Parmesan, 1996 ; Hughes, 2000 ; Walther et al., 2002). Tous ces auteurs indiquent une progression des aires de rรฉpartition vers les pรดles, en gรฉnรฉralisant des observations faites en Amรฉrique du Nord et en Europe du Nord. Cโest logiquement le contraire que lโon observe au Sahel, ร savoir une extension vers lโรฉquateur en raison de la prรฉsence du Sahara. Au Sahel le premier exemple connu chez les vertรฉbrรฉs est celui de lโinstallation de trois espรจces de passereaux dรฉsertiques dans le nord du Sรฉnรฉgal (Morel & Ndao, 1978). Plus rรฉcemment, Gonzalez (2001) a montrรฉ que lโexpansion au nord du Sรฉnรฉgal des espรจces vรฉgรฉtales (arbres) sahรฉliennes de milieu aride a comme corollaire une rรฉtraction de la distribution des essences soudaniennes et guinรฉennes vers le sud. Si les รฉtudes abondent concernant les invertรฉbrรฉs (voir par exemple Maleque et al., 2006, Rombke et al., 2005 et Hodkinson 2005 pour les rรฉfรฉrences les plus rรฉcentes) ou les plantes (voir Goetze et al, 2006, pour les fluctuations rรฉcentes des mosaรฏques forรชts-savannes en Afrique de lโOuest) comme marqueurs des changements climatiques rรฉcents, trรจs peu concernent les vertรฉbrรฉs (voir cependant Drapeau et al, 2003 pour les oiseaux et Whitfield & Elliot, 2002 pour les poissons) et aucune les rongeurs.
Pourtant si les plantes et les invertรฉbrรฉs rรฉagissent de faรงon quasi-immรฉdiate ร ces variations et, sont des tรฉmoins de variations qui ne sont peut รชtre que temporaires, les petits vertรฉbrรฉs de par leurs moindres capacitรฉs de reproduction et de dispersion peuvent quant ร eux reprรฉsenter des tรฉmoins de changements plus durables. Si les rongeurs sont utilisรฉs comme indicateurs des changements des milieux et du climat cโest ร lโรฉchelle des temps gรฉologiques (cf. Pearson & Betancourt, 2002, pour lโexemple le plus rรฉcent), rarement ร lโรฉchelle de quelques dรฉcennies et des changements actuels que nous vivons. Inรฉvitablement, ces changements climatiques ont eu un effet tout aussi profond sur les populations des petits mammifรจres et surtout sur les communautรฉs de rongeurs qui ont rรฉagi ร leur faรงon, aux impacts des modifications de leur environnement.
La problรฉmatique des espรจces invasives ou envahissantes est un thรจme dโรฉtude majeur (voir par exemple Dukes & Mooney, 1999 ; Shea & Chesson, 2002), principalement chez des espรจces vรฉgรฉtales ou marines, voire les deux tel le cas trรจs mรฉdiatisรฉ de la caulerpe en Mรฉditerannรฉe, mais aussi chez des insectes (fourmis : Tsuitsui et al., 2000 ; abeille tueuse africaine : Schneider et al., 2004), plus rarement chez des vertรฉbrรฉs (voir quand mรชme le cas du crapaud australien : Leblois et al., 2000). Une grande partie de ces invasions sont le rรฉsultat dโinterventions humaines et cโest encore plus vrai chez les rongeurs oรน quasiment tous les cas concernent des espรจces commensales de lโhomme, appartenant aux genres Rattus (rats) et Mus (souris) et oรน la plupart des รฉtudes sont consacrรฉes ร la colonisation dโรฎles par ces espรจces : par exemple les souris ร Madรจre (Gรผndรผz et al., 2001) et ร Madagascar (Duplantier et al., 2002), le rat noir aux รฎles Christmas (Pickering & Norris, 1996), le rat polynรฉsien dans les รฎles du Pacifique (Roberts, 1991). Le trait commun ร toutes ces รฉtudes est aussi quโil sโagit de colonisations passรฉes, datant de 500 ร un peu plus de 100 ans pour les plus rรฉcentes.
PRESENTATION DE LA ZONE DโETUDE (SENEGAL) ET DES GENRES DE RONGEURS ETUDIEES (GERBILLUS & TATERILLUS)
Zone dโรฉtudeย
Le Sรฉnรฉgal occupe une position de finisterre en Afrique Occidentale, ร lโextrรชme ouest de la zone sahรฉlienne. Il sโรฉtend entre 12ยฐ et 16ยฐ de latitude Nord et 12ยฐ et 17ยฐ de latitude ouest. Le pays est limitรฉ au Nord par la Mauritanie, ร lโEst par le Mali, au Sud-est par la Guinรฉe et au Sud par la Guinรฉe Bissau. Il est occupรฉ dans sa moitiรฉ sud par la Gambie qui sโรฉtend en forme de ruban dโOuest en Est. Le Sรฉnรฉgal prรฉsente une faรงade maritime de plus de 600 km de cรดtes sur lโocรฉan Atlantique. Le point culminant (445 m) est situรฉ dans le parc du Niokolo Koba dans la partie Sud est du pays. Le relief du Sรฉnรฉgal est dans lโensemble, plat et peu รฉlevรฉ. Les altitudes sont partout infรฉrieures ร 130 m, sauf dans la partie sud-est ou le relief devient plus accidentรฉ. Au sud-est, les plateaux de grรจs des premiers contreforts du Fouta-Djallon sโรฉlรจvent au-dessus de Kรฉdougou jusquโร 581 m dโaltitude. Lโintรฉrieur du pays se distingue par la falaise de Ndiass ร lโOuest et les plaines argilo-sableuses ondulรฉes, tandis quโau nord-ouest des cordons de dunes littorales isolent les dรฉpressions humides appelรฉes ยซ Niayes ยป .
Il est couvert par des domaines climatiques qui vont du domaine sahรฉlien au domaine Nord guinรฉen (Leroux, 1983) en suivant des gradients latitudinaux. Le climat est caractรฉrisรฉ par une saison des pluies dโune durรฉe variable du nord au sud (3 ร 4 mois) selon la latitude et une saison sรจche le reste de lโannรฉe (novembre ร juin). Trois types dโรฉvรจnements atmosphรฉriques dรฉterminent le climat du Sรฉnรฉgal : lโanticyclone des Aรงores, la haute pression au nord de lโAfrique et lโanticyclone de sainte-Hรฉlรจne. Ils provoquent :
– lโalizรฉ maritime qui est une masse dโair humide de direction nord ร nord-ouest ;
– lโharmattan, de direction dominante, caractรฉrisรฉ par une grande sรฉcheresse liรฉe ร son long parcours continental et par des amplitudes thermiques trรจs accusรฉes. Il souffle du continent vers lโocรฉan ;
– la mousson, marquรฉe par une faible amplitude thermique.
Les lignes de grains et la partie active de lโรฉquateur mรฉtรฉorologique occasionnent les rares pluies du pays. Dโune maniรจre gรฉnรฉrale, les prรฉcipitations dรฉcroissent du sud vers le nord. Les tempรฉratures sont en permanence assez รฉlevรฉes. Les facteurs climatiques jouent un rรดle prรฉpondรฉrant dans la rรฉpartition des paysages vรฉgรฉtaux du Sรฉnรฉgal. Ces paysages รฉvoluent suivant la croissance des pluies du nord au sud ร lโexception des vallรฉes et de la cรดte. Les influences climatiques induisent-elles du nord au sud une succession trรจs nette et resserrรฉe des domaines phytogรฉographiques. Le domaine sub-guinรฉen limitรฉ ร la basse Casamance correspond ร la forรชt dense. Le domaine soudanien est celui de la savane boisรฉe. Entre autres, le cailcedrat (Khaya senegalensis), le ยซ ven ยป (Pterocarpus crinaceus) et le ยซ nรฉrรฉ ยป (Parkia bioglobosa) y forment une forรชt sรจche qui surplombe un tapis de grandes herbes.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
CHAPITRE I : PRESENTATION DE LA ZONE DโETUDE (SENEGAL) ET DES GENRES DE RONGEURS ETUDIES (GERBILLUS ET TATERILLUS)
I.1 ZONE DโETUDE
I.2 PRESENTATION DES RONGEURS ET DES GENRES ETUDIES
I.2.1 LE GENRE GERBILLUS
I.2.2 LE GENRE TATERILLUS
CHAPITRE II : BILAN DE LโAVANCEE DES GERBILLES PAR LโANALYSE DES PELOTES DE CHOUETTE EFFRAIE (TYTO ALBA)
INTRODUCTION
II.1 MATERIEL ET METHODES
II.1.1 LA CHOUETTE EFFRAIE
II.1.2 FORMATION DES PELOTES
II.1.3 COLLECTE DES PELOTES
II.1.4 ANALYSE DES PELOTES
II.1.5 IDENTIFICATION DES PROIES
II.2 RESULTATS
II.3 DISCUSSION
CHAPITRE III : COMPETITION INTERSPECIFIQUE EN ENCLOS ET REPRODUCTION EN ELEVAGE
INTRODUCTION
III.1 MATERIEL ET METHODES
III.1.1 EXPERIMENTATION EN ENCLOS
III.1.2 ELEVAGE EN CAGES
III.2 RESULTATS
III.2.1 COMPETITION EN ENCLOS
III.2.2 ELEVAGE EN CAGES
III.3 DISCUSSION
CHAPITRE IV : ECOPHYSIOLOGIE (BESOINS EN EAU COMPARES DES GERBILLUS NIGERIAE & DES DEUX TATERILLUS)
INTRODUCTION
IV.1 MATERIEL ET METHODES
IV.1.1 PROTOCOLE DE DESHYDRATATION / REHYDRATATION
IV.1.2 METHODE A LโEAU TRITIEE
IV.2 RESULTATS
IV.2.1 CONDITIONS CONTROLEES ET NON-CONTROLEES
IV.2.2 EFFECTIFS ANALYSES PAR ESPECE
IV.2.3 EFFET DE LโAGE
IV.2.4 EFFET DE LA DATE
IV.2.5 EFFET DU SEXE
IV.2.6 EFFETS ยซ ESPECE ยป, ยซ TYPE ยป & ยซ CONDITIONS DโEXPERIENCE ยป
IV.2.7 POIDS CORPOREL ET VARIATIONS PONDERALES
IV.2.8 RESERVE DโEAU CORPORELLE
IV.2.9 FLUX SORTANT DโEAU
IV.2.10 BILAN HYDRIQUE
IV.2.11 CORRELATIONS ENTRE LES VARIABLES
IV.4 DISCUSSION
CHAPITRE V : ANALYSES CYTOGENETIQUES ET MOLECULAIRES : Rรฉpartition actuelle des deux espรจces de Taterillus & Origine des Gerbilles envahissantes au Sรฉnรฉgal
INTRODUCTION
V.1 MATERIEL ET METHODES
V.1.1 PIEGEAGE DES RONGEURS
V.1.2 PREPARATION DES EXTRAITS DE MOELLE OSSEUSE
V.1.3 PREPARATION ET OBSERVATION DES CARYOTYPES STANDARD
V.1.4 LES TECHNIQUES DE BANDIN
V.1.5 TECHNIQUE DE LA PHYLOGEOGRAPHIE MOLECULAIRE
V.2 RESULTATS
V.2.1 RESULTATS DU PIEGEAGE DES RONGEURS
V.2.2 RESULTATS DE CYTOGENETIQUE / CYTOTAXONOMIE
V.2.3 RESULTATS DU BANDING
V.2.4 TENTATIVE DE PHYLOGEOGRAPHIE MOLECULAIRE
VI.4 DISCUSSION
CONCLUSIONS
REFERENCES
ANNEXES