Pendant mes années d’étude à l’école de Sage-Femme de Rouen, j’ai été interpellée par un cours sur le don d’organes durant lequel l’utilisation des membranes amniotiques pour la greffe en ophtalmologie avait été évoquée. J’avais été interpellée par le peu d’utilisation faite du placenta et des membranes, traités comme des déchets opératoires alors qu’ils recèlent une grande richesse thérapeutique et sont faciles à obtenir. La question du don d’organe est un sujet d’actualité. En 2012, plus de 16 000 patients ont été inscrits en liste d’attente d’une greffe d’organes, mais seulement 5 023 d’entre eux ont été greffés [51]. La loi de bioéthique, modifiée le 7 juillet 2011, a fait de la question du don d’organes une priorité nationale [1]. C’est également l’un des chantiers prioritaires de l’Agence de la Biomédecine [43]. Du nouveau-né à la personne âgée, nombreux sont les patients dont la vie est sauvée ou considérablement améliorée grâce à une greffe d’organes, et les besoins ne cessent de croître. Je me suis donc naturellement intéressé au placenta et à son utilisation thérapeutique. La lecture d’un rapport du Sénat publié en 2008 [40] concernant l’utilisation du sang placentaire, a renforcé l’impression que j’avais déjà eue à l’occasion du cours sur le don d’organes, celle d’un gaspillage d’une ressource thérapeutique traitée comme un déchet opératoire. Face à ce constat, j’ai voulu en savoir d’avantage sur l’utilisation actuelle du sang placentaire et les perspectives dans ce domaine. Le sang placentaire issu du placenta est prélevé au niveau du cordon ombilical immédiatement après la naissance de l’enfant, d’où l’appellation également rencontrée de « sang de cordon ». Il a la caractéristique d’être riche en cellules souches hématopoïétiques (CSH). En tant que professionnels de santé, nous, les sages-femmes, détenons un rôle primordial d’information auprès des femmes enceintes. Le don de sang placentaire est un sujet émergeant, en particulier parce qu’il constitue une source de cellules souches hématopoïétiques de plus en plus importante pour les greffes allogéniques.
Rappel d’hématologie
Les cellules souches hématopoïétiques
L’hématopoïèse regroupe l’ensemble des phénomènes qui concourent à la synthèse et au renouvellement continu et régulé des cellules sanguines. L’hématopoïèse primitive débute in utero dans la vésicule vitelline dès la deuxième semaine de gestation. À partir de la sixième semaine elle émigre essentiellement vers le foie qui devient un centre de l’hématopoïèse et produit des cellules souches hématopoïétiques. Celles-ci se répandent vers le thymus, la rate, la moelle osseuse puis vers les ganglions lymphatiques entre la 10ème et la 12ème semaine de gestation. À partir du quatrième mois, elle devient médullaire ; puis de la naissance jusqu’à l’âge de cinq ans, elle est exclusivement localisée dans la moelle des os. Par la suite, elle sera restreinte aux os courts et plats [2]. Ce sont les cellules qui donnent naissance aux différentes cellules sanguines : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. Les cellules souches hématopoïétiques possèdent des propriétés qui les différencient des autres cellules. Elles ont une capacité d’autorenouvellement par une multiplication sans différenciation, ce qui permet d’assurer l’hématopoïèse à partir d’un nombre limité de cellules souches primitives. Ce phénomène est actif durant toute la vie d’un individu. Elles présentent aussi une capacité de pluripotentialité permettant une différenciation vers l’ensemble des lignées hématopoïétiques myéloïdes et lymphoïdes, sous l’influence de facteurs de croissance spécifiques. Les CSH passent par plusieurs stades de différenciation. Elles sont premièrement indifférenciées ou pluripotentes, non morphologiquement identifiables, et ont une capacité d’autorenouvellement importante. Elles perdent cette caractéristique lorsqu’elles s’engagent sur la voie de la différenciation.
Ces cellules sont présentes dans le sang de cordon ombilical, le sang périphérique et la moelle osseuse. Ensuite, elles deviennent des progéniteurs hématopoïétiques engagés dans une des voies de différenciation (lymphoïde, myéloïde ou érythrocytaire) de manière irréversible, en présence de facteurs spécifiques à chaque lignée. Les CSH indifférenciées et les progéniteurs sont identifiés par l’antigène de surface CD34+. Une numération de ce marqueur CD34+ permet un comptage ainsi qu’un contrôle rapide et reproductible des CSH. C’est l’indicateur utilisé pour déterminer la richesse d’un greffon en CSH.
Le système Human Leukocyte Antigen
Le système Human Leukocyte Antigen (HLA) est le système immunologique humain, découvert par Jean Dausset en 1958. Il est garant de la défense de l’organisme et de l’intégrité du soi. Les gènes du système HLA codent pour des protéines de surface présentes sur toutes les cellules nucléées de l’organisme dont le but est de discerner le « soi » du « non soi » par l’immunité acquise (lymphocytes T) ou innée (cellules NK). Les gènes du système HLA sont localisés sur le bras court du chromosome six et chaque parent transmet à l’enfant en totalité la moitié de ses gènes HLA, l’autre parent apporte l’autre moitié. Il existe un très grand nombre d’allèles pour ces gènes, ce qui explique un polymorphisme important. De ce fait, certains types HLA sont très rares voire uniques. Les gènes du typage HLA sont classés en 2 groupes : la classe I qui contient les gènes HLA A, HLA-B et HLA-C, présents sur toutes les cellules nucléées, et la classe II qui contient les gènes HLA-DRB, HLA-DQB et HLA-DPB, présents essentiellement sur les lymphocytes et les macrophages.
En médecine, ce typage est utilisé pour la sélection des donneurs et receveurs de greffes d’organes ou de CSH. Lors de la sélection du greffon de sang placentaire, ce sont les antigènes HLA-A, -B et -DR qui servent à établir la compatibilité qui est au maximum de 6/6, c’est-à-dire six allèles identiques entre le donneur et le receveur. Cependant, il y a possibilité de « mismatch » pouvant aller jusqu’à 4/6 entre le donneur et le receveur. Il faut savoir que plus le degré d’incompatibilité est important, plus il est nécessaire que le greffon soit riche en cellules nucléées et en CSH identifiées par le marqueur CD34+ : ceci permet d’améliorer le taux de réussite de la greffe et de diminuer les effets indésirables liés à l’incompatibilité HLA que sont la lenteur de la reconstitution hématologique, le rejet, la maladie du greffon contre l’hôte, la rechute de la maladie, et la mortalité. La réaction du greffon contre l’hôte (GvH) est une réaction immunopathologique survenant après une greffe de CSH. Au cours de cette dernière les cellules immunologiquement actives du greffon reconnaissent les cellules somatiques du receveur et les détruisent.
La prise de la greffe repose sur la richesse du greffon en cellules nucléées (CN), exprimée en quantité de CN totales, et de la compatibilité HLA du couple donneur/receveur. Les recommandations du groupe Eurocord [49] actualisées en 2010 concernant le choix d’un greffon sont les suivantes : pour une compatibilité HLA de 6/6, il est recommandé que le greffon possède au moins 3×10⁷ CN par kg du poids du receveur, pour une compatibilité HLA de 5/6, il est recommandé que le greffon possède au moins 4×10⁷ CN par kg du poids du receveur et pour une compatibilité HLA de 4/6, il est recommandé que le greffon possède au moins 5×10⁷ CN par kg du poids du receveur. Plus il y a de différences HLA, plus la quantité de CN doit être importante.
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Table des matières
Introduction
1. Rappel d’hématologie
1.1. Les cellules souches hématopoïétiques
1.2. Le système Human Leukocyte Antigen
1.3. Les greffes de CSH
2. L’histoire du don de sang placentaire
3. La place du don de sang de cordon dans l’arsenal thérapeutique
3.1. Avantages, limites et indications
3.1.1. Avantages
3.1.2. Limites
3.1.3. Indications
3.2. Le Réseau Français de Sang Placentaire
3.3. Un réseau de solidarité internationale
4. Recherche et perspectives
4.1. Applications hématologiques
4.2. Applications extra-hématologiques
4.3. Rôle de l’État
5. Législation
5.1. Législation française
5.2. Législation comparée
6. Éthique
6.1. Philosophie du don
6.2. L’information et le consentement
6.3. Le « bébé double espoir »
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Abréviations