Les cellules lymphocytaires T et la reconnaissance de l’antigène
Les lymphocytes T sont issus, chez l’adulte, de la moelle osseuse ; toutefois leur maturation et leur différenciation s’effectuent dans le thymus. Le thymus produit des cellules matures T qui circulent en périphérie et qui peuplent les organes lymphoïdes secondaires comme la rate, le tissu lymphoïde associé aux muqueuses ou les ganglions. Les différentes étapes de la maturation thymique sont marquées par l’apparition ou la disparition de certains récepteurs ou antigènes de membrane, ainsi que par le réarrangement de gènes codant les chaines des récepteurs T (Savino 2006).
Le marqueur des lymphocytes T est le récepteur pour l’antigène appelé TCR (T Cell Receptor). Le TCR est intimement associé à la surface du lymphocyte T au complexe moléculaire CD3 (Bentley and Mariuzza 1996). Le complexe CD3/TCR joue un rôle essentiel dans la transduction des signaux d’activation qui résulte de la rencontre du TCR avec l’antigène présenté sous forme de peptide au sein des molécules d’histocompatibilité (CMH) (Grakoui, Bromley et al. 1999). On distingue, au sein des lymphocytes T matures, deux populations principales grâce à l’expression de deux récepteurs exclusifs et non chevauchants : les molécules CD4 et CD8 (Rothenberg 2008).
Ces cellules T interagissent de façon élective avec trois types de cellules présentatrices d’antigènes appelées CPA professionnelles : des cellules présentes dans les tissus : les cellules dendritiques (DC) qui présentent l’Ag aux lymphocytes T naïfs et, les macrophages qui éliminent les micro-organismes (phagocytose), présentant l’antigène et sécrètent des cytokines pro-inflammatoires, alors que les lymphocytes B qui ont pour finalité la production d’anticorps, sont présents dans les tissus lymphoïdes (Mellman, Turley et al. 1998).
Ces CPA ont pour caractéristique l’expression constitutive des molécules du Complexe majeur d’histocomptabilité de classe II (CMH II) en plus des molécules du CMH de classe I (CMH I). Les CPA ont deux rôles (Alberola-Ila, Takaki et al. 1997) :
1/ celui de capturer l’antigène (Ag), par phagocytose, par endocytose clathrine-dépendante, ou encore par entrée passive et celui de l’apprêtement des Ag, qui est nécessaire à l’activation des cellules T.
2/ celui de présenter l’antigène. L’apprêtement est l’étape de dégradation et de fragmentation des protéines antigéniques en peptides.
Les épitopes T sont des parties de protéine (ou dans certains cas des polysaccharides) présentés à la surface des cellules de l’organisme dans le but d’être reconnus par le système immunitaire. Ces polypeptides sont la plupart du temps des résidus de protéines dégradées par la cellule hôte, ils sont ensuite associés aux complexes protéiques CMH, qui en se fixant sur la membrane plasmique de la cellule hôte permettront la présentation de l’épitope aux cellules immunitaires (Parham 1996). Les épitopes T peuvent être présentés par deux types de molécules CMH, les molécules CMH de classe I et les molécules CMH de classe II (Stern, Brown et al. 1994). Les CPA professionnelles présentent sur le CMH II des antigènes provenant de la voie exogène, c’est-à-dire capturés par endocytose ou phagocytose (Ackerman and Cresswell 2004). Le complexe CMH-II/peptide est alors transporté via le Golgi à la surface cellulaire et présenté aux lymphocytes T CD4. Par ailleurs, la présentation d’antigènes par le CMH I aux lymphocytes CD8 provient soit de la voie endogène comme toutes les cellules mononuclées de l’organisme : les peptides antigéniques sont issus de protéines synthétisées dans la cellule, comme dans le cas d’une infection virale. Le complexe CMH I-peptide est (Lehner and Cresswell 2004) soit de la voie exogène. Dans ce processus de réaction croisée, les CPA récupèrent par phagocytose des cellules infectées par un virus dont les peptides sont alors présentés par des molécules de CMH I. Les molécules du CMH de classe I se chargent de peptides provenant d’antigènes protéiques exogènes endocytés par les DC et reconnues ainsi par les cellules T (Ackerman and Cresswell 2004).
Les lymphocytes CD4 : fonction et différenciation
Les Lymphocytes T auxiliaires, ou T helper (Th), jouent un rôle fondamental dans l’initiation et le développement des réponses immunitaires adaptatives à de nombreuses infections virales. Leur fonction principale est la production de cytokines qui vont favoriser le développement des différentes réponses effectrices. Les cellules T CD4+ contribuent aussi à la différenciation des cellules T CD8+ cytotoxiques et des lymphocytes B ainsi qu’au recrutement et à l’activation des cellules dendritiques dans le foyer infectieux (BACH JF, (2008). Immunologie, 5e édition, FLAMMARION Médecine Sciences, Paris). La réponse cellulaire adaptative médiée par les lymphocytes T CD4 est initiée dans la zone marginale des tissus lymphoïdes secondaires avec l’interaction du TCR des lymphocytes T CD4 et une molécule CMH classe II chargée en antigène à la surface des cellules présentatrices d’antigène (CPA) (Nelson and Fremont 1999). La molécule CMH classe II est un hétérodimère composé de deux glycoprotéines transmembranaires de type I appelé chaîne (34kd) et chaîne (29 kd). Chacune des chaînes se plie en deux domaines 1 et 2 et ensemble, les chaînes et se plient en une structure similaire à celle des molécules CMH classe I (Bjorkman and Parham 1990). Les deux domaines amino-terminaux des chaînes et forment ensemble une structure au niveau de laquelle le peptide va se fixer. Il s’agit de peptides d’origine exogène présentés par les CPA ayant à leur surface un CMH de classe II, ces polypeptides sont apportées par un organisme étranger, entrées dans le milieu intracellulaire par endocytose et découpés en polypeptides (de 11 à 25 acides aminés) dans les endosomes. Ces cellules peuvent donc présenter un antigène dit natif au TCR (Nelson and Fremont 1999). La cellule dendritique délivre un cosignal influençant la différenciation de la cellule T CD4. En fonction des signaux captés en périphérie, les cellules dendritiques peuvent sécréter différentes cytokines qui orienteront les lymphocytes T CD4 vers un profil de différenciation spécifique (BACH JF,(2008). Immunologie, 5e édition, FLAMMARION Médecine Sciences, Paris). Schématiquement, il existe un signal de type Th1, en réponse à la sécrétion d’IL-12 par les cellules dendritiques, les cellules T CD4+ naïves se différencient en cellules Th1 productrices d’IFN-γ et d’IL-2. Ces cellules assurent plusieurs fonctions associées à la toxicité et aux réactions inflammatoires locales. Ceci explique leur importance pour combattre les pathogènes intracellulaires, notamment les virus, qui sont éliminés par une réponse CTL cytotoxique permise par le help CD4 de type Th1 (Mosmann and Sad 1996). Les lymphocytes Th2 coopèrent avec les lymphocytes B et favorisent leur différenciation en plasmocytes, la maturation d’affinité des immunoglobulines et la commutation de classe. L’initiation de cette différenciation pourrait reposer essentiellement sur l’absence de cytokines de la famille des IL-12 et de l’IFN-g (BACH JF, (2008). Immunologie, 5e édition, FLAMMARION Médecine Sciences, Paris). Les cellules de types NKT sont un type de lymphocytes présentant des marqueurs de cellule T CD3 et des marqueurs de cellules NK (Godfrey, Pellicci et al. 2004). Ils sont donc un lien entre le système immunitaire inné et le système immunitaire adaptatif. Contrairement aux lymphocytes T conventionnels, dont le TCR reconnaît un peptide présenté par le CMH, les NKT sont capables de reconnaître un glycolipide présenté dans une molécule appelé CD1d, structurellement proche du CMH de classe I (Porcelli, Segelke et al. 1998). Une fois activés, les NKT sont capables de lyser les cibles et de sécréter des cytokines. Elles sont également capables de produire des quantités importantes d’IL-4 indispensable à cette différenciation. Les lymphocytes produisent également, au cours de cette différenciation Th2, de l’IL-13, IL-5 et IL-10 (Mosmann and Sad 1996).
Outre les cellules Th1 et Th2, plusieurs populations de cellules T CD4 définies fonctionnellement ont été récemment décrites :
Les lymphocytes Th17 : La sous-population CD4 auxiliaire dénommée Th17, produisant principalement les cytokines IL-17A, IL-17F et IL-22, mais aussi de l’IL-26 et du TNFα, favorise le recrutement et l’activation des polynucléaires neutrophiles. Les Th17 ont un rôle bénéfique dans la défense contre certains pathogènes. Ainsi, l’IL-17A et l’IL-17F que les lymphocytes T produisent ont d’importantes propriétés pro-inflammatoires ; ces cytokines agissent sur divers types cellulaires pour induire la production d’autres cytokines (IL-6, IL-8, GM-CSF, G-CGF), de chémokine (CXCL1, CXCL10) et de métalloprotéinases (Bertelli E, Nature 2006).
Les lymphocytes Th22 : produisent exclusivement de l’IL-22 ce qui induit l’inflammation et la réponse immune innée ainsi que l’hyperplasie kératinocytaire. L’expression du récepteur de chimiokines CCR10 favorise la migration de cellules Th22 vers la peau. Le rôle inflammatoire de l’IL-22 n’est proposé pour l’instant que dans la peau, mais son action dans d’autres tissus ne doit pas être écartée (Homey, Alenius et al. 2002).
Les lymphocytes T folliculaires helper (Tfh) : .sont des cellules T auxiliaires qui expriment notamment le CXCR5 et qui sont localisées dans les follicules de cellules B. Les cellules Tfh qui se sont différenciées au contact de cellules dendritiques activées, migrent vers les follicules et y acquièrent des propriétés qui diffèrent de celles des sous-populations Th effectrices périphériques. Parmi ces propriétés, il y a la sécrétion de l’IL-21, une cytokine importante pour la différenciation des cellules B (Vinuesa, Tangye et al. 2005).
Les lymphocytes T régulateurs (Treg) : sont une sous population de lymphocytes T CD4 ayant la propriété d’inhiber la prolifération d’autres lymphocytes T effecteurs ou de les faire rentrer en apoptose. Les lymphocytes T régulateurs participent à la tolérance immunitaire au soi en régulant les lymphocytes T effecteurs par leur action immunosuppressive. Les Treg ne sécrètent pas d’IL-2 et prolifèrent peu lorsqu’ils sont activés par leur récepteur des cellules T suite à leur rencontre avec leur antigène, mais ils inhibent les réponses des autres lymphocytes T CD4 et des CD8 (Fontenot, Rasmussen et al. 2005).
Les lymphocytes CD8
Les CD8 se différencient en cellules T cytotoxiques (CTL) qui sont capables de détruire des cellules infectées par un virus via le TCR et la reconnaissance du complexe CMH I-peptide (Stern and Wiley 1994). Les molécules CMH de classe I sont présentes dans presque toutes les cellules de l’organisme et permettent de présenter des épitopes issus de protéines endogènes, c’est-à-dire codées et produites à partir du génome de la cellule puis dégradées en peptides de 9 acides aminés par le protéasome (Rodriguez, Regnault et al. 1999). Ces épitopes sont donc exclusivement de type séquentiel. Les CMH I présentent leur épitopes aux TCR des lymphocytes T CD8 (Bjorkman, Saper et al. 1987). Si la protéine ayant abouti à un épitope particulier est une protéine virale, c’est-àdire qu’elle est le fruit de l’infection de la cellule par un virus, alors l’épitope en question sera reconnu par les cellules immunitaires comme viral et entraînera l’activation d’une réaction immunitaire amenant à la lyse de la cellule par les lymphocytes CD8 dit lymphocytes cytotoxiques (Lehner and Trowsdale 1998) . Si la protéine est une protéine du « soi », alors l’épitope correspondant sera reconnu comme tel et empêchera l’activation d’une réaction immunitaire contre cette cellule. L’épitope reconnu étant issu de l’activité intracellulaire, il représente les protéines de la cellule et est la clé de l’immunité à médiation cellulaire. Ce mécanisme est important pour l’identification et l’élimination des cellules infectées par des virus (Sloan-Lancaster and Allen 1996). La surveillance antivirale assurée par les cellules T est hautement sélective et très efficace. Les cellules T cytotoxiques CD8+, restreintes par les molécules du CMH de classe I, se concentrent dans le site de réplication virale et détruisent les cellules infectées. Notamment parce que les peptides présentés par les classes I sont uniquement issus de la synthèse endogène de protéines de la cellule ou étrangères dans toutes les cellules de l’organisme sauf les DC (Stern and Wiley 1994). La présentation de peptides étrangers en surface signe donc le fait que la cellule est devenue étrangère sauf dans les DC où le mécanisme de présentation croisée permet à la DC de présenter l’antigène aux CD8 naïfs sans avoir à être elles-mêmes infectées (Bell, Young et al. 1999) En raison de ce rôle capital joué par le CMH de classe I dans le ciblage des cellules infectées par les cellules T CD8 +, certains virus ont développé des stratégies d’échappement soit par mutation des épitopes incapables de lier aux molécules de classe I ou II soit pour inhiber l’expression du CMH de classe I et prévenir de la sorte la reconnaissance par les cellules T et favoriser la persistance du virus.
Activation lymphocytaire T
Le processus d’activation des lymphocytes T a lieu en général dans le ganglion lymphatique le plus proche du foyer infectieux. Trois signaux sont alors initiés (Dustin 2008):
– Signal 1 : Une interaction entre le TCR des cellules T et le complexe CMHpeptide sur les cellules dendritiques qui active la cellule T.
– Signal 2 : Par des molécules de co-stimulations, notamment interaction entre :
• d’une part CD28 de la cellule T et le CD80-CD86 (ou B7.1-B7.2) de la cellule dendritique ou de la cellule B. La stimulation du CD28 a des effets directs comme le remodelage chromatinien et déméthylation de l’ADN, l’activation de la voie NF-kB, la progression dans le cycle cellulaire, un effet anti-apoptotique, l’expression de gène de cytokines, une 2ème vague d’expression de molécules de co-stimulation.
• d’autre part le CD40 de la cellule dendritique ou de la cellule B et CD40L de la cellule T permet une activation puissante des cellules T CD8 naïves qui leur permet de débuter leur différenciation en cellules cytotoxiques, ou des cellules B qui les entraine à se diviser et à débuter la commutation isotypique. La transduction des signaux par CD40 augmente la densité de CD80/CD86 et donc fournit des signaux de costimulateurs supplémentaires aux cellules T concernées. L’ensemble de ces effets a pour conséquence une augmentation de la survie du lymphocyte T.
– Signal 3 : Par des cytokines sécrétées par les CPA Ces cytokines induisent la prolifération et la différenciation de la cellule T CD4 (IL-2, IL-6, TGF-β). L’IL-2 produit par les lymphocytes T naïfs, à un rôle autocrine dans l’activation des lymphocytes T ; les cellules T au repos expriment un récepteur à l’IL-2 de faible affinité (chaine βγ). L’activation des cellules T entraine l’expression de la chaine α (CD25) du récepteur à l’IL-2 et la sécrétion d’IL-2. La liaison de l’IL-2 au récepteur de haute affinité déclenche l’entrée dans le cycle cellulaire et induit la prolifération des lymphocytes T.
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Table des matières
INTRODUCTION
A. LA REPONSE IMMUNITAIRE ADAPTATIVE AU VIRUS
I. Les cellules lymphocytaires T et la reconnaissance de l’antigène
I.1.Les lymphocytes CD4 : fonction et différenciation
I.2. Les lymphocytes CD8
I.3 Activation lymphocytaire T
I.4 Différenciation lymphocytaire T
II. Les cellules lymphocytaires B
II.1 Différenciation lymphocytaire B
II.2 Réponse immune et maturation des lymphocytes B
III. Caractéristiques principales de la réponse immune cellulaire antivirale
III.1 Réponse immunitaire primaire
III.2 Réponse immunitaire secondaire anti-virale
B. DYNAMIQUE DE LA REPONSE IMMUNITAIRE AU COURS D’UNE INFECTION VIRALE AIGUE LOCALISEE : LA GRIPPE A H1N1 2009 PANDEMIQUE
I. Physiopathologie
II.Variabilité du virus
II.2. Les glissements antigéniques
II.2. Les cassures antigéniques
III. Caractéristiques des réponses immunes adaptatives anti-influenza
III.1 Caractéristiques des réponses cellulaires T au virus influenza
III.2 Réponses humorales à l’infection par le virus de la grippe
C.DYNAMIQUE DE LA REPONSE IMMUNE AU COURS D’UNE INFECTION VIRALE CHRONIQUE SYSTEMIQUE : L’INFECTION PAR LE VIRUS VIH
I Physiopathologie
II. Variabilité du virus
III. Déficit immunitaire et Anomalies quantitatives
III.1. Lymphopénie CD4
III.2. Hyperlymphocytose CD8
IV- Anomalies qualitatives et déficit fonctionnel
V-Activation immune
VI- Réponse cellulaire au virus VIH
VI.1. Réponse lymphocytaire T au virus du VIH
VII-2 Réponse humorale au virus du VIH
VII- Reconstitution immunitaire sous traitement antirétroviral
VIII-Effet des interruptions thérapeutiques
CONCLUSION