Les causes du déclin de l’espèce
Place du genre
Lynx dans la systématique (54) Le genre Lynx appartient à la famille des Félidés, elle-même incluse dans l’ordre des Carnivores (animaux qui se nourrissent principalement de chair animale). C’est un ordre de la classe des Mammifères (animaux à sang chaud qui ont des poils sur leur peau et qui nourrissent leurs petits avec du lait obtenu grâce à des glandes mammaires), elle-même faisant partie de l’embranchement des Vertébrés dans le règne animal. Les Carnivores actuels sont issus d’un ancêtre commun qui aurait vécu il y a environ 60 millions d’années. Les féliformes* commencent à s’individualiser il y a environ 50 millions d’années et à produire différents taxons dont les Félidés. Les données génétiques ont permis d’étudier les relations phylogénétiques entre les espèces de félins et d’estimer les périodes auxquelles les différentes lignées ont divergé. Ainsi, au sein de la famille des Félidés, on distingue 8 lignées rassemblant des espèces proches, issues d’un ancêtre commun qui leur est exclusif (Figure 1). Se sont ainsi individualisées successivement les lignées des panthères (genres Panthera et Neofelis), du chat-bai (Pardofelis), du caracal (Caracal), de l’ocelot (Leopardus), du lynx (Lynx), du puma (Puma), du chat-léopard (Prionalurus, Otocolobus) et enfin la lignée du chat domestique (Catus felis).
Une morphologie et des organes des sens adaptés à la chasse Le pelage fauve parsemé de taches noires permet le camouflage. La répartition et la taille des tâches sont variables, et différentes pour chaque individu, constituant ainsi une sorte de carte d’identité individuelle. Cependant, la diversité génétique est réduite au sein des populations de lynx relictuelles, d’où une répartition des taches finalement assez homogène au sein d’une population donnée. Ainsi le pelage des individus de Doñana est parsemé de taches bien délimitées de plusieurs centimètres de diamètre, moins abondantes sur le ventre qu’au niveau du dos et de la tête ; les individus de Sierra Morena présentent des taches plus petites (0,5 à 1 cm de diamètre) et aux contours flous sur l’ensemble du corps. Le lynx ibérique a de grands yeux jaunes ; ils sont frontaux, et permettent ainsi une vision bilatérale couvrant un angle important, donc une bonne localisation des proies. L’acuité visuelle réputée du lynx est en fait surtout une adaptation à la vision crépusculaire. Il est néanmoins capable de repérer le moindre mouvement d’un lapin (Oryctolagus cuniculus) à plus de trois cent mètres de lui. L’ouïe du lynx est très développée, lui permettant d’entendre « un lapin en train de mâcher de l’herbe » (Palomares et Delibes, in 86) ; l’odorat, par contre, est médiocre. Chaque patte comporte quatre doigts dotés de griffes protractiles, grâce auxquelles le lynx est un bon grimpeur.
Une espèce autrefois peu connue… Bien qu’il ait été décrit au XVIIIème siècle, le lynx pardelle n’a été reconnu comme espèce à part entière et endémique à la péninsule ibérique que récemment. Ainsi, son statut n’ayant guère suscité d’intérêt jusqu’à la fin du XXème siècle, nous ne savons pas exactement à quand remonte précisément le début du déclin de l’espèce. On pense néanmoins que l’espèce n’a jamais été abondante – elle est peu mentionnée dans les livres de chasse médiévale -, et qu’elle a toujours été cantonnée à la péninsule ibérique (9). On dispose de certains écrits, comme celui de D. Mariano de la Paz Graells, naturaliste, qui au milieu du XIXème siècle assurait que « le lynx ibérique se trouvait, en plus ou moins grand nombre, dans presque toutes les régions de notre péninsule, il était néanmoins plus commun de le trouver dans les provinces méridionales et du centre que dans les provinces du nord et du littoral » (86). Au début du XXème siècle, Angel Cabrera, connu comme le « pionnier » des études espagnoles sur les mammifères, écrit que l’espèce semble s’être éteinte au nord et à l’est de la péninsule ibérique, ou au moins a beaucoup décliné dans ces zones. D’anciens chasseurs racontent qu’il était courant de voir et de tuer des lynx lors de la chasse dans certaines provinces, et des peaux retrouvées chez des tanneurs peuvent en témoigner, mais ce jusque dans les années 50. Selon Rodriguez et Delibes (79), le déclin a commencé de façon préoccupante vers 1950.
Occupation spatiale actuelle Actuellement, il existe donc seulement deux métapopulations connues de lynx en Espagne. La population de Doñana est plus ou moins stable depuis 2002, bien que fragile: le risque de collisions routières, les maladies, le sex-ratio déséquilibré… représentent des menaces pour cette population. En 2007 eut lieu une épidémie de leucémie virale qui tua 11 individus. En décembre 2008 (44), la population recensée à Doñana comporte 46 individus. La population de Sierra Morena est répartie en deux noyaux (Rio Yeguas et Rio Jandula) séparés par une zone de 6 km présentant une faible densité en lapins mais un habitat convenable pour le lynx (89). La population de la Sierra Morena semble en évolution progressive : l’aire occupée s’est étendue (augmentation de 68,9 % du territoire (46), mais à présent les possibilités d’extension sont limitées car les zones d’habitat favorable sont saturées.
En décembre 2008 (89), la population de lynx ibériques recensée en Sierra Morena est composée de 163 individus divisés en 2 sous-populations (Jandula et Yegua). Une étude menée entre 2003 et 2007 (1), basée sur la collection et l’analyse de fèces dans 5 zones de l’aire de distribution historique de l’espèce dans la région de Castille-la Manche, laisse cependant soupçonner une possible présence régulière de lynx en Espagne centrale, notamment dans les montagnes de Toledo (Montes de Toledo). Les montagnes de Toledo abritaient en 1990 l’une des populations les plus denses de l’époque, mais l’espèce y avait été considérée comme « probablement éteinte » (29) lors du recensement de 2002. Etant données les distances importantes séparant cette région des deux populations de lynx reconnues, il est peu probable que les fèces de lynx trouvés proviennent d’individus dispersants. L’explication la plus plausible serait qu’il reste en fait une petite population de lynx qui aurait échappé aux études précédentes. Des études approfondies sont nécessaires pour pouvoir confirmer ces suppositions.
La proie principale du lynx ibérique: le lapin de garenne Le lapin européen, appelé lapin de garenne lorsqu’il est à l’état sauvage, sinon lapin domestique, est un élément clé dans l’écologie de nombreux prédateurs vivant dans le maquis méditerranéen; il est consommé par une quarantaine d’espèces différentes (13). Sa longueur tête-queue est de 74-77 cm, il pèse entre 1 et 1,5 kg. Sa fourrure brune lui sert de camouflage. Il peut vivre 6 à 8 ans, bien que la durée de vie moyenne dans la nature soit de 1 à 2 ans (46). C’est un animal très prolifique. La maturité sexuelle survient à l’âge de quatre mois, les accouplements peuvent avoir lieu toute l’année (la plupart des mises bas ont cependant lieu entre février et août), et la gestation est courte (30 jours) (46). Une femelle a en moyenne 3 à 5 portées de 3 à 12 lapereaux chaque année. L’habitat de prédilection du lapin est la garrigue. Le milieu idéal est composé d’une alternance de zones recouvertes de végétation basse typique du maquis méditerranéen (lentisque (Pistacia lentiscus) notamment), et de zones de pâturage, avec peu d’arbres. Les premières permettent aux lapins de se réfugier, de creuser leurs terriers et d’échapper à leurs nombreux prédateurs, alors que les secondes leur permettent de s’alimenter. Les zones de maquis méditerranéen couvrent dans l’idéal 25 à 35 % de la superficie du biotope des lapins (16).
Les sols argileux sont appréciés par l’espèce. Dans un endroit donné, la densité en lapins varie selon l’époque de l’année. La période de plus forte densité va de mai à juillet. De décembre à avril, ainsi qu’en août, la densité est moyenne, et la période de septembre à novembre est celle qui connaît les densités les plus basses. En moyenne, dans un endroit donné, la densité au mois de juin est 3,5 fois plus élevée qu’en automne (67). Les lapins sont abondants dehors surtout au coucher du soleil (25), étant des animaux crépusculaires et nocturnes.
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Table des matières
Table des illustrations
Glossaire
Liste des acronymes
Introduction
I. Présentation du lynx ibérique
A. Systématique et morphologie
1. Systématique
2. Morphologie
B. Evolution spatiale de l’espèce au cours du XXème siècle et occupation géographique actuelle
1. Répartition antérieure et dynamique du déclin de l’espèce en Espagne
2. Données sur le Portugal
3. Occupation spatiale actuelle
C. Etude biologique du lynx ibérique
1. Alimentation
2. Habitat
3. Structure sociale du groupe / territorialité
4. Rythme de vie du lynx
5. Reproduction
6. Dispersion
7. Pathologie du lynx ibérique
D. Les causes du déclin de l’espèce
1. Le déclin des populations de lapins
2. La destruction et la fragmentation* du biotope
3. Autres morts non naturelles :
E. Développement d’une stratégie nationale pour une espèce très menacée
1. Les deux populations restantes sont très vulnérables
2. Objectifs fixés et lignes directrices
3. Intégration d’une partie ex-situ au programme
4. Organisation générale de la conservation du lynx ibérique en Andalousie
II. Conservation ex-situ du lynx ibérique: création et observation d’une population d’animaux captifs
A. Bases de fonctionnement du centre d’élevage d’El Acebuche (Andalousie
1. Naissance du centre d’élevage d’El Acebuche
2. Objectifs généraux d’un centre d’élevage
3. Organisation et législation
4. Financement B. La création d’une population captive
1. Considérations génétiques et démographiques et établissement d’un plan Théorique
2. Naissance de la population captive
3. Croissance de la population captive
4. Population actuelle
5. Maintien d’une population stable
C. Aspects relatifs à la détention et à l’élevage d’animaux destinés à la réintroduction
1. Habitat/ Enclos
2. Alimentation
3. Gestion de la reproduction
4. Elevage artificiel
5. Aspects vétérinaires
6. Minimiser les contacts avec l’homme
D. Programme ex situ: recherche et apprentissage
1. Vidéosurveillance: maniement, apprentissage et sensibilisation du public 2. Recherches en cours
3. Création d’une Banque de Ressources Biologiques (BRB)
III. Conservation in situ du lynx ibérique
A. Présentation du programme LIFE
1. LIFE et le réseau Natura 2000
2. LIFE et le lynx ibérique
3. Projet LIFE actuel
4. Organisation
5. Financement
B. Suivi de la population sauvage de lynx ibériques
1. Recherche de signes indirects
2. Piégeage photographique
3. Radio monitoring
C. Mesures visant à rendre le milieu naturel plus favorable à la présence de lynx ibériques
1. Accords avec les propriétaires terriens
2. Gestion de l’habitat
3. Accroissement de la disponibilité en lapins
D. Gestion de la mortalité et maintien d’une population sauvage saine
1. Gestion de la mortalité liée à l’homme
2. Gestion des risques sanitaires
3. Renforcement génétique de la population de Doñana
E. Bilan actuel
1. Population de Sierra Morena
2. Population de Doñana
3. Bilan global actuel
IV. Préparations pour une réintroduction prochaine
A. Généralités et expériences antérieures
1. Bases et critères de réintroductions (IUCN)
2. Expériences antérieures
B. Préparation du terrain pour la réintroduction
1. Choix des aires où initier les réintroductions
2. Amélioration de l’habitat dans les aires choisies
3. Plan de contrôle sanitaire dans les aires de réintroduction
4. Sensibilisation et dialogue avec la population
C. Choix des individus et esquisse d’une technique de lâcher
1. Critères de choix des individus à lâcher
2. Esquisse d’une technique de lâcher
3. Suivi des animaux, activités post-réintroduction
D. Prévisions et objectifs pour les années à venir
1. Objectifs
2. Plan selon le scénario adopté
3. Objectif à long terme
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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