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La mortalité maternelle
Dans le monde, 800 femmes meurent chaque jour de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. La mortalité maternelle est considérée internationalement comme un témoin de la qualité globale du fonctionnement du système de soin d’un pays et de la santé maternelle (1). C’est donc un indicateur clé de santé publique. Grâce aux progrès remarquables faits dans le domaine médical, le nombre de décès maternels est en baisse depuis de nombreuses années (2). Cependant, cette mortalité n’est pas nulle.
L’analyse de la mortalité maternelle permet de mettre en évidence les défauts dans l’organisation des soins et les événements graves évitables. Son étude a donc un rôle de prévention primaire. Dans un certain nombre de pays développés, la mortalité maternelle fait l’objet d’un suivi attentif et d’une analyse en détail de chaque histoire clinique. Il existe ainsi des registres de mort maternelle qui fonctionnent en réseau et permettent de collecter les cas et de les expertiser. Ce travail donne lieu à la publication de rapports à l’origine de messages et de recommandations pour améliorer les pratiques.
En France, l’Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (ENCMM), mise en place en 1996 par l’équipe Inserm EPOPé et dirigée par Catherine Deneux-Tharaux, collecte de façon exhaustive l’intégralité des données sur les morts maternelles survenant avant, pendant ou suite à un accouchement. Cela permet de comprendre l’enchainement des évènements ayant conduit au décès et d’en tirer des leçons pour l’avenir, notamment en évaluant l’adéquation des soins et l’évitabilité du décès. Les résultats sont publiés tous les trois ans. Au 1er janvier 2021, l’ENCMM a enregistré au total 1300 morts maternelles dans tout le territoire français.
Cette enquête permanente évalue notamment le taux de mortalité maternelle, qui est le rapport entre le nombre de femmes décédées à la suite de conséquences obstétricales directes ou indirectes, pendant leur grossesse ou lors des 42 jours après l’accouchement, et le nombre de naissances vivantes. En France, le taux de mortalité maternelle semble être en baisse avec un taux de mortalité de 8,1 femmes pour 100 000 naissances entre 2013 et 2015 (3), contre 9,1 entre 2010 et 2012 (4).
En revanche, dans les pays en voie de développement, le taux de mortalité stagne autour de 200 à 500 décès pour 100 000 naissances vivantes, en lien direct avec un contexte géopolitique et des conditions sanitaires plus précaires (Figure 1).
Les causes de morbi-mortalité maternelle
D’après la Classification Internationale des Maladies (CIM), la mortalité maternelle est définie comme « le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle ni fortuite » (8). Ces causes se répartissent en deux groupes : les causes directes et indirectes.
Causes directes
Les causes directes résultent « de complications obstétricales, d’interventions, d’omissions, d’un traitement incorrect » en lien avec la grossesse. Les principales étiologies sont les hémorragies obstétricales, les thrombo-embolies veineuses, les complications hypertensives, les embolies amniotiques et les infections à porte d’entrée génitale. Ces différentes causes peuvent s’additionner.
Embolie amniotique
Il s’agit de la première cause de mortalité maternelle directe et de la troisième cause de mortalité générale en France, soit 10,7% des décès maternels en 2015 (1,2 décès pour 100 000 naissances vivantes). Son incidence est estimée à 1/54 000 accouchements en Europe, mais reste difficile à estimer car les critères diagnostiques ne sont pas précisément établis (9).
Le tableau clinique est celui d’une défaillance multiviscérale aigue, liée à un passage de liquide amniotique dans le sang maternel, et dont la physiopathologie précise n’est pas élucidée. Ce tableau peut être d’emblée gravissime, associant une défaillance circulatoire majeure et une coagulopathie intravasculaire disséminée. Les critères diagnostiques sont peu spécifiques et peuvent être confondus dans les formes peu sévères avec certains syndromes hémorragiques, ou dans les formes sévères avec d’autres causes de choc liées ou non au contexte obstétrical. Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence histologique de matériel foeto-placentaire dans le tissu pulmonaire maternel au cours d’une autopsie.
Cela explique les disparités de fréquence (1/8 000 à 1/ 80 000) et de mortalité (10 à 60%) que l’on retrouve dans la littérature.
Hémorragies obstétricales
Définies par une perte sanguine supérieure ou égale à 500mL dans les 24h qui suivent la naissance, et ce quel que soit le mode d’accouchement, elles concernent 5 à 10% des grossesses dans le monde (10).
De mécanismes multiples, elles peuvent être liées soit à une grossesse extra-utérine ou à une interruption de grossesse lors du premier trimestre, soit plus tardivement et par ordre de fréquence, à une atonie utérine (représentant la moitié des hémorragies obstétricales) associée ou non à une rétention placentaire, à des plaies de la filière génitale après accouchement par voie basse, ou à des plaies chirurgicales dans le contexte de césarienne, et plus rarement à des anomalies d’insertion placentaire (placenta accreta ou percreta, placenta praevia), à un hématome rétro-placentaire, à une rupture utérine ou encore à une coagulopathie constitutionnelle ou acquise (dans le cadre par exemple d’une embolie amniotique, ou d’un HELLP syndrome).
D’après la dernière enquête de l’ENCMM et pour la première fois depuis 1996, les hémorragies obstétricales ne sont plus la première cause de mortalité maternelle, avec une diminution de moitié en 15 ans, soit 9,9% des causes de décès (1,1 décès pour 100 000 naissances vivantes) (3). Elles représentent désormais la deuxième cause de mortalité maternelle directe. L’amélioration de la prise en charge des hémorragies obstétricales est liée à la mobilisation récente des sociétés savantes de gynécologie-obstétrique et d’anesthésieréanimation pour la diffusion de nouvelles recommandations de bonnes pratiques et la mise en place de protocoles de soins.
Maladie veineuse thromboembolique
Elle comprend les thromboses veineuses profondes, les embolies pulmonaires et les thromboses veineuses cérébrales. Elle concerne 0.05-0.1% des grossesses en France, la grossesse étant un facteur de risque multipliant par cinq le risque de thrombose par rapport à la population générale (11,12).
La maladie thromboembolique représente 8,8% des causes de décès maternels en France, soit 1 décès pour 100 000 naissances vivantes, et se place en troisième position des causes directes de décès après les embolies amniotiques et les hémorragies obstétricales.
Complications de l’hypertension artérielle gravidique
L’hypertension gravidique est fréquente et concerne en France 5% des grossesses. L’une de ses complications principales est la prééclampsie, pathologie spécifiquement obstétricale, touchant 1 à 2% des femmes enceintes, et définie par l’association d’une hypertension artérielle gravidique (PAS > 140mmHg et/ou PAS > 90mmHg après 20 semaines d’aménorrhée) et d’une protéinurie de plus de 0,3 gramme par 24h.
Il s’agit d’une maladie systémique, caractérisée par une dysfonction de l‘endothélium vasculaire maternel, secondaire à un défaut d’invasion des artères spiralées utérines par le cytotrophoblaste extravilleux foetal, responsable d’une hypoperfusion placentaire.
La pré-éclampsie peut mettre en jeu le pronostic vital maternel et foetal : elle évolue dans 10% des cas vers des formes sévères (hématome rétro-placentaire, HELLP syndrome, oedème aigu du poumon, éclampsie) et entraine des dysfonctions aigües d’organes potentiellement persistantes à long terme. Elle est responsable d’un tiers des naissances prématurées en France (13). Un tiers des prééclampsies sévères se déclarent en post-partum, parfois à plusieurs jours de l’accouchement.
En France, la mortalité maternelle secondaire aux pathologies hypertensives gravidiques a baissé de 50% en 10 ans, soit 2,3% des causes de mortalité (0,2 pour 100 000 naissances vivantes) en 2015 selon le dernier rapport de l’Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (4).
Causes indirectes
Les décès par causes obstétricales indirectes résultent « d’une maladie pré existante ou d’une affection apparue au cours de la grossesse sans qu’elle soit due à des causes obstétricales directes, mais qui a pu être aggravée par les effets physiologiques de la grossesse » (8). Il s’agit des maladies de l’appareil circulatoire (comme les accidents vasculaires cérébraux, les cardiomyopathies préexistantes, les cardiopathies valvulaires ou ischémiques, l’hypertension artérielle pulmonaire primitive, les dissections aortiques), ou encore des infections à porte d’entrée extra- génitale, des maladies respiratoires, des cancers, de l’épilepsie, de la drépanocytose, ou des suicides.
Les suicides représentent la première cause de décès maternels en France en 2015, devant les causes obstétricales directes, avec 13,4% des décès. Puis viennent les maladies cardiovasculaires, avec 11,5% des morts maternelles, les cancers (6,1%) et les infections à porte d’entrée extra-génitale (3,8%).
Étude de la morbidité maternelle
La morbidité maternelle sévère est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme la survenue pendant la grossesse, l’accouchement, ou les 42 jours suivant la délivrance, d’un état pathologique mettant en jeu le pronostic vital maternel mais avec survie de la patiente.
Avec la diminution progressive des décès maternels liée à l’amélioration de la prise en charge médicale du péripartum, et la modification du profil des femmes enceintes qui sont de plus en plus comorbides (plus âgées, terrain plus lourd), l’enjeu est dorénavant d’étudier la morbidité maternelle grave (15). En effet, les causes de morbidité semblent identiques à celles de la mortalité, mais avec une fréquence plus importante de 5 à 10 pour 1000 naissances vivantes soit un rapport de 100 fois supérieur (16). Cela permet une expertise d’un plus grand nombre de dossiers et donc une meilleure pertinence des retours d’analyse. Ainsi, on peut mettre en évidence des facteurs non optimaux (dans la prise en charge, dans l’organisation des soins) et proposer des modifications de pratique et d’organisation.
Le secteur de la réanimation permet de sélectionner les patientes obstétricales les plus graves et de les recenser pour en faire une cohorte représentative de morbidité maternelle. De plus en plus d’études analysent les femmes enceintes hospitalisées en réanimation dans le monde, et certaines d’entre elles en France, ce qui permet d’en comparer les données à la fois dans l’espace et dans le temps.
Schéma expérimental
Il s’agit d’une étude rétrospective, observationnelle, multicentrique menée dans les trois centres hospitalo-universitaires de Marseille, recensant l’intégralité des patientes enceintes et dans le post-partum hospitalisées en réanimation sur six années consécutives, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020.
Il s’agit d’un travail de recherche interne n’impliquant pas la personne humaine, conforme au règlement général sur la protection des données.
Source des données
Le recueil des données a été réalisé avec l’aide du Département d’Information Médicale (DIM), qui, à l’aide du codage des séjours, a fourni l’ensemble des dossiers ciblés par le travail de thèse. Les données ont été analysées à partir du dossier patient informatisé (logiciel Axigate) de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
L’autorisation de recueillir et de gérer les données informatisées a été accordée par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.
Population étudiée
Étaient incluses toutes les patientes admises dans un service de réanimation, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020, pendant leur grossesse ou dans les 42 jours du postpartum, quel que soit le terme de la grossesse, y compris les fausses couches spontanées, les interruptions volontaires de grossesse ou les grossesses extra-utérines.
Les services de réanimation ciblés étaient les sept services de réanimation des trois centres hospitalo-universitaires de Marseille : la réanimation polyvalente de la Timone, la réanimation des pathologies cardiovasculaires (URCV), la réanimation des Urgences Médicales (RUM), la réanimation des pathologies du foie (RPPF), la réanimation des Brulés de la Conception, la réanimation polyvalente de l’hôpital Nord, la réanimation des détresses respiratoires et infections sévères (DRIS).
Terrain général des patientes
L’âge maternel moyen était de 31,5 ± 6,5 ans, l’âge maternel médian de 32 ans (intervalle interquartile [27-36]), avec des valeurs extrêmes allant de 15 à 52 ans. 10,3% (n=17) des patientes avaient plus de 40ans.
Concernant le score ASA (American Society of Anesthesiologists) avant la grossesse, les patientes au terrain le plus lourd représentaient 10,6% de la cohorte avec un score ASA à 3. 27% des patientes avaient un score ASA à 2 et 62,4% à 1. 103 patientes n’avaient aucun antécédent, 48 avaient 1 antécédent, 9 cumulaient 2 antécédents, 4 avaient 3 antécédents et 1 seule patiente en avait 4. Les antécédents étaient cardiovasculaires (cardiopathie congénitale, valvulopathie, HTA, etc.) dans 18,2% (n=30) des cas, ce qui représentait le principal type d’antécédent, puis par ordre décroissant, 7,9% (n=13) étaient des antécédents neurologiques (épilepsie, accident vasculaire cérébral, hémorragie sous-arachnoïdienne, etc.), 6% (n=10) des antécédents respiratoires (asthme, pneumopathie, etc.), 6% (n=10) des antécédents génétiques (drépanocytose, syndrome d’Ehler-Danlos) 5,4% (n=9) des antécédents hépato-digestifs, 4,2% (n=7) des antécédents immunologiques (sclérose en plaque, lupus, etc.), 2,4% (n=4) des antécédents néphrologiques (insuffisance rénale chronique sur lupus ou diabète), 1,2% (n=2) des antécédents oncologiques. 3% (n=6) des patientes étaient diabétiques de type 2 (Figure 6).
Profil des motifs de prise en charge
La première cause était les complications de l’hypertension artérielle gravidique (n=28, 18%) telles que la pré-éclampsie, l’éclampsie, le HELLP syndrome, et l’hématome rétroplacentaire. Puis venaient les hémorragies obstétricales (n=22, 13,3%) comprenant les hémorragies du post partum et les chocs hémorragiques sur grossesse extra-utérine rompue.
Ces deux causes majoritaires étaient associées chez 10 patientes.
Venaient ensuite les hospitalisations pour surveillance post-césarienne d’un terrain à risque de décompensation (n=13, 7,9%) : par exemple, surveillance rapprochée d’une cardiopathie sévère préexistante (rétrécissement aortique serré, cardiomyopathie hypertrophique ou tétralogie de Fallot), ou surveillance d’un terrain à risque de saignement (mal placentation type placenta accreta, troubles de la coagulation, ou syndrome de Ehler-Danlos).
Les chocs septiques représentaient ensuite 4,8% des hospitalisations (n=8). Le point de départ était génital (chorioamniotite) ou une infection de site opératoire après une césarienne.
Enfin, venaient les hospitalisations pour maladie thromboembolique veineuse (n=3, 1,6%). Il n’y a eu qu’une hospitalisation pour embolie amniotique.
Actes marqueurs de réanimation
En moyenne, 2,9 ± 2 actes marqueurs de réanimation étaient réalisés par patiente. 67% (n=111) des patientes ont été équipées d’une voie veineuse ventrale ou d’un cathéter artériel, 33,9% (n=56) des patientes ont été intubées, dont 16% (n=9) ont été ventilées plus de 3 jours et 12,5% (n=6) ont été trachéotomisées ; 18,1% (n=30) ont eu une oxygénothérapie par lunettes à haut débit ou par ventilation non invasive (VNI). 34,5% (n=57) ont eu un support aminergique par noradrénaline ou dobutamine. Une antibiothérapie a été introduite chez 25,4% (n=42) des patientes dont 33,3% (n=14) admises pour choc septique et 28,6% (n=12) admises pour détresse respiratoire. 39,4% (n=65) des patientes ont reçu une expansion volémique de plus de 30mL/kg au moment de la prise en charge initiale, dont 33,8% (n=22) pour hémorragie obstétricale, 12,3% (n=8) pour choc septique et autant pour choc hémorragique, 6,1% (n=4) pour défaillance cardio-circulatoire, et 4,6% (n=3) pour choc anaphylactique.
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Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
I. INTRODUCTION
1. LA MORTALITE MATERNELLE
2. LES CAUSES DE MORBI-MORTALITE MATERNELLE
a. Causes directes
b. Causes indirectes
3. ÉTUDE DE LA MORBIDITE MATERNELLE
4. OBJECTIF
II. MATERIEL ET METHODES
1. SCHEMA EXPERIMENTAL
2. SOURCE DES DONNEES
3. POPULATION ETUDIEE
4. DONNEES RECUEILLIES
5. ANALYSES STATISTIQUES
III. RESULTATS
1. GENERALITES
2. TERRAIN GENERAL DES PATIENTES
3. TERRAIN OBSTETRICAL DES PATIENTES
4. PROFIL DES MOTIFS DE PRISE EN CHARGE
5. CRITERES DE SEVERITE
6. FACTEURS DE RISQUE DE SEVERITE
IV. DISCUSSION
1. GENERALITES
2. TERRAINS ET FACTEURS DE RISQUE
3. CAUSES D’HOSPITALISATION
4. SEVERITE
5. OUVERTURE
V. CONCLUSION
VI. BIBLIOGRAPHIE
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