Les carbènes en chimie organométallique
Aspect historique
Les complexes organométalliques ont été vus dès les années 5018 comme une manière de stabiliser des espèces très réactives en vue de faciliter leur manipulation. Dans ce contexte, la découverte du premier complexe carbénique par E. O. Fischer a été suivie d’un développement rapide de la chimie des complexes carbéniques des métaux de transition, avec plus d’une centaine de composés en l’espace de quinze ans.
Dix ans plus tard, la découverte par Schrock de complexes carbéniques présentant une réactivité totalement différente de celle des carbènes de Fischer a fait réapparaître la dichotomie qui existe au sein du groupe des carbènes libres. Cette classe de complexes est désormais séparée en deux pôles : les complexes carbéniques de type Fischer, électrophiles, et les complexes carbéniques de type Schrock, nucléophiles, parfois aussi nommés « alkylidènes », littéralement « carbène porteur de substituants alkyls en opposition à des hétéroéléments ou des hydrogènes ».
Un diagramme d’interaction entre les orbitales moléculaires des deux fragments, métal et carbène, dans leur état fondamental (Schéma 3) permet de rendre compte de la nature (et de la réactivité) de l’interaction carbone-métal23 dans ces deux cas, et de rapprocher les différences fondamentales entre ces deux types de complexe de celles qui existent entre les deux principaux types de carbènes. D’après la description de la configuration électronique des carbènes libres présentée en I.1.1., il apparaît que le fragment carbène du complexe de Fischer a les caractéristiques des carbènes singulets, tandis que celui du carbène de Schrock s’apparente plutôt à une espèce triplet. Ce constat permet de construire deux descriptions simples, faisant intervenir deux fragments singulets ou deux fragments triplets.
Ce modèle soutient l’idée que la différence d’énergie entre triplet et singulet des fragments d’un système est importante pour la nature de la liaison métal-carbone, et donc pour la réactivité de l’espèce « assemblée » d’une manière comparable à ce qui a été décrit pour les molécules organiques (en particulier H2C=CH2 et F2C=CF2). Dans un cas intermédiaire, où un état fondamental du fragment métallique serait triplet et celui du ligand singulet, la promotion d’une configuration triplet à singulet pour le métal a un coût énergétique qui se traduit par une réduction de l’énergie de liaison. Par ailleurs, les complexes de type Schrock sont porteurs d’un caractère covalent, tandis que ceux de Fischer sont décrits comme résultant d’interactions de donationrétrodonation dans le modèle de Chatt, Dewar et Duncanson.
Cependant, la nature de l’état fondamental du fragment carbène est insuffisante pour faire la différence entre les complexes carbéniques de type Fischer, et ceux de type Schrock, comme le montre l’étude des complexes porteurs d’un méthylène ou d’un dihalocarbène dont la réactivité évolue d’une catégorie à l’autre en fonction du métal et de son degré d’oxydation. Ce dernier facteur est utilisé comme critère déterminant pour la catégorisation Fischer/Schrock par Frenking. Ainsi, les métaux à configuration d ou possédant peu d’électrons dans leur couche de valence sont plus propices à la forme alkylidène, avec des électrons non appariés sur le métal libre ; les métaux plus lourds et moins réduits sont plus susceptibles d’avoir un état fondamental singulet et d’engager leurs électrons de valence dans une interaction de donation. L’évolution de l’extension spatiale des orbitales de valence métalliques peut également aller dans le sens d’un recouvrement plus ou moins bon, qui résulte en une interaction de type plutôt covalente ou plutôt donneur-accepteur, respectivement.
D’autre part, ces deux schémas ne sont que des cas limites. Cundari et ordon ont proposé de décrire le système carbène-métal comme une superposition de plusieurs configurations, qui ont plus ou moins de poids dans la description multiconfigurationnelle du complexe.
Réactions de la liaison M=C avec une liaison double
Couplage du carbène à un carbonyle
Les carbènes de Schrock sont parfois présentés comme des compléments des ylures de phosphore. Ils réagissent sur les fonctions carbonyles pour donner un alcène, et sont efficaces également pour les carbonyles « désactivés » comme les esters ou les amides grâce à la forte oxophilie des métaux des premiers groupes du bloc des éléments d. La première étape est une coordination de la fonction carbonyle : la réaction est plus rapide dans le cas des complexes insaturés. Dans ce contexte, l’encombrement du carbonyle joue également sur la cinétique de la réaction.
La faible stabilité des ligands oxo terminaux portés par les premiers éléments du bloc d explique qu’en l’absence d’un encombrement stérique conséquent du centre métallique, les rares exemples de produits secondaires de cette réaction isolés à ce jour montrent des ligands oxo pontant (équation 16), ce qui implique une étape de dimérisation ou polymérisation.
Métathèse des oléfines
La métathèse des oléfines est la dismutation d’oléfines linéaires en homologues à chaine plus courte et plus longue en présence d’un catalyseur. Yves Chauvin propose en 1970 un mécanisme partant d’un carbène pour expliquer cette réaction, décrite comme une cycloaddition de type [2+2] entre le complexe carbénique et une oléfine, suivie d’une rétro-cyclisation de type [2+2] qui produit une nouvelle oléfine et régénère le catalyseur . Ce mécanisme fait intervenir un métallacycle à quatre chaînons comme état de transition ou comme intermédiaire réactionnel. La réaction est pilotée par l’encombrement des substituants du métallacycle, la stabilité ou la volatilité de l’oléfine produite, ou encore la présence du substrat en excès.
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Table des matières
Remerciements
Avant-Propos
I. Cadre de cette thèse
II. Abbréviations
Sommaire
Chapitre I. Introduction
I Les carbènes
I.1 Définitions
I.1.1 Carbènes libres
I.1.2 Les carbènes en chimie organométallique
I.2 Synthèses
I.2.1 Transformation d’un ligand dans la sphère de coordination d’un métal
I.2.2 Transformation d’un précurseur carbénique par réaction avec un complexe métallique
I.2.3 Transmétallation
I.3 Réactivités
I.3.1 Réaction de la liaison M=C avec une liaison simple
I.3.2 Réactions de la liaison M=C avec une liaison double
I.3.3 Réactions de la liaison M=C avec des liaisons triples
II Scandium, Yttrium, Lutécium et les lanthanides : Définition et propriétés du groupe des terres rares
II.1 Atomistique
II.1.1 Configurations électroniques
II.1.2 Orbitales de valence du groupe 3
II.1.3 Orbitales de valence des lanthanides : orbitales f
II.2 Propriétés à considérer en chimie de coordination
II.2.1 Énergies d’ionisations
II.2.2 Rayon ionique
II.2.3 Orbitales de valence
II.3 Chimie de coordination des terres rares au degré d’oxydation III
II.3.1 Coordination et voies de synthèse
II.3.2 Réactivité des complexes organométalliques de terres rares
III Carbènes phosphorés
III.1 Utilité du phosphore pour la stabilisation de carbènes
III.2 Synthèse et réactivité de complexes porteurs d’un dianion stabilisé par deux phosphores hypervalents
III.2.1 Déprotonation dans la sphère de coordination d’un métal
III.2.2 Métathèse de sels
III.2.3 A partir d’un carbénoïde
III.3 Propriétés des complexes résultants
IV Nature du projet
V Bibliographie
Chapitre II. Carbènes de Scandium
I Introduction
II Etude d’interactions carbone-scandium à caractère multiple
II.1 Synthèses
II.1.1 Complexe monocarbénique
II.1.2 Complexe bis-carbénique
II.1.3 Comparaison entre les interactions scandium-dianion et scandiummonoanion.
II.2 Structures électroniques des complexes de scandium
II.2.1 Diagrammes orbitalaires
II.2.2 Analyse de la population naturelle (NPA) et décomposition dans la base des « orbitales de liaison naturelles » (NBO)
III Conclusion
IV Bibliographie
Chapitre III. Un complexe carbénique de scandium aux applications variées
I Réactivité d’un carbène de Schrock
I.1 Introduction
I.2 Application au scandium
I.3 Conclusion
II Un carbène nucléophile comme ligand ancillaire 102
II.1 Synthèses
II.1.1 Synthèse d’un complexe porteur d’un phosphure
II.1.2 Synthèse d’un complexe porteur d’un amidure
II.2 Facteurs influençant la géométrie du complexe et caractère carbénique des interactions carbone-scandium
II.2.1 Thermodynamique du changement de géométrie
II.2.2 Analyse NBO
II.2.3 Diagrammes orbitalaires
II.2.4 Conclusion
II.3 Premiers éléments sur la réactivité du complexe 10
III Transmétallation
III.1 Introduction
III.2 Validation du concept
III.2.1 Prérequis pour une transmétallation efficace
III.2.2 Premiers essais
III.3 Application au fer (II)
III.4 Conclusion
IV Conclusion sur la réactivité du complexe [(DPPMS2)ScCl(Py)2]
V Bibliographie
Chapitre IV. Vers un système plus diversifié : variations autour du motif P2C=M
I Synthèses de complexes carbéniques d’yttrium et de lutécium
I.1 Synthèses
I.1.1 Monocarbènes d’yttrium et de lutécium
I.1.2 Complexe bis-carbénique de lutécium
I.2 Modélisation des complexes monocarbéniques de scandium, d’yttrium et de lutécium.
I.3 Réactivités
I.3.1 Vis-à-vis de la benzophénone
I.3.2 Vis-à-vis d’un alcyne
I.4 Conclusion.
II Diversification du motif DPPMX2
II.1 Réactions inattendues
II.2 Synthèse du ligand (diphénylphosphinoborane)- (diphényloxophosphinoyl)méthane et ses ions
II.2.1 Ligand neutre
II.2.2 Déprotonations
II.3 Conclusion
III Bibliographie
Épilogue
Partie Expérimentale
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