les caractéristiques de la misère
L’habillement
Le pauvre se reconnaît à vue d’œil à son apparence. L’habillement constitue un des premiers signes apparents de la pauvreté. Elle se définit par l’ensemble des habits dont on est vêtu. Une personne qui vit dans la pauvreté générale ne dispose pas de revenus suffisants pour couvrir ses besoins essentiels ; c’est pourquoi, son accoutrement est composé de haillons, de sandales, etc.… Le vêtement a toujours permis d’identifier l’origine sociale d’un individu. C’est pour cette raison qu’un proverbe (qui n’est plus d’actualité) disait que l’habit fait le moine. Chaque être humain s’habille selon sa bourse. Malheureusement certaines personnes ne possèdent pas d’argent leur permettant d’acheter des vêtements. Elles se contentent d’habits jetés dans les poubelles, ou donnés par une âme charitable en aumône.
Cela apparaît bien dans le roman Le Regard de l’aveugle où le narrateur raconte l’histoire d’une jeune fille (Oulimata) et son père (Benfa) qui ont quitté leur village natal nommé Thienfala dont les habitants furent frappés par une épidémie de cécité appelée l’onchocercose, ou « cécité des rivières ». Ainsi, la majeure partie de la population est partie à la recherche d’endroits meilleurs où elle pourrait échapper à la misère. Oumy, la sœur de case d’Oulimata nous fait une peinture poignante de cette situation :
« (…) un méchant génie vole la lumière qui éclaire la vue, et répand dans les yeux des personnes une obscurité qui conduit à la mort (…) Comme les autres mes parents ont pris la décision de partir, sinon ce sera la mort certaine. » (Samb, 2012 : 78) .
Rappelons avant de continuer que « sœur de case » signifie la personne en compagnie de qui on a subi l’initiation. Dans quelques sociétés africaines traditionnelles, il existe encore une période d’initiation pour les filles et une autre pour les garçons qui ont atteint un certain âge. On leur apprend les coutumes et les traditions ainsi que la manière de se comporter vis-àvis de son prochain. C’est la période de l’excision chez les filles, et celle de la circoncision chez les garçons. Oumy et Oulimata sont appelés « sœurs de case » parce qu’elles ont été initiées et excisées à la même période.
Oulymata et son père, Benfa, quitteront Thienfala pour échapper à la mort. Ils iront ainsi en ville, espérant trouver une solution à leurs problèmes. Malheureusement, les circonstances sont semblables à celles qu’ils avaient connues au village, si elles ne sont pas encore plus difficiles. Le récit de Samb consiste à décrire la façon dont le père et la fille tenteront d’échapper à la « ville cruelle ».
Fanta, la tante d’Oulimata, se contentait des vieux habits des filles de sa tutrice, parce qu’elle n’avait pas les moyens de s’en procurer autrement. Elle le raconte ainsi:
« Un mois après, Danfa me trouva une famille d’accueil auprès d’une riche commerçante de la ville. Je travaillais au pair dans sa maison, et même si je ne recevais pas de salaire, le fait d’être logée et nourrie me donnait entière satisfaction, d’autant plus que j’étais souvent gratifiée des vieux habits que ses filles ne portaient plus.» (Samb, 2012 : 37) .
Le logement
Le logement représente un élément fondamental dans la vie d’un être humain, à cause de son impact d’ordre physique, psychologique et social. Comme l’habillement, le logement constitue aussi un signe à travers lequel on reconnaît qu’une personne ou une famille est pauvre. L’habitat est un besoin de première nécessité, comme la nourriture. Il devient crucial dans les villes, d’où la floraison de bidonvilles et de quartiers malfamés, qui naissent par-ci et par-là dans toutes les capitales africaines. La ville est divisée en deux parties distinctes, chacune avec ses caractéristiques propres, comme l’écrit Eza Boto dans Ville cruelle quand il parle de la ville de Tanga au Cameroun, peuplée ainsi : une partie est dévolue aux pauvres l’autre est réservée aux nantis :
« Tanga ressemblait certes à nombre d’autres villes du pays : de la tôle ondulée ; des murs blancs, des rues rouges gravelés ; des pelouses et plus loin, éparpillées sans ordre, de petites cases avec des murs de terre battue ; des toits de nattes de couleur incertaine » (Boto Eza, 1954 : 16).
La plupart des habitations, dans les quartiers populaires, se composent de maisons précaires, en planches rudimentaires du foncier ; l’occupation du sol est illégale. Mais dans Le Regard de l’aveugle le spectacle est plus alarmant. Les individus qui quittent leurs villages à la recherche d’une vie meilleure, sont toujours confrontés en premier lieu au problème de logement en ville. Arrivés sur une terre étrangère où ils n’ont ni parents, ni amis, ces nouveaux venus sont obligés de dormir à la belle étoile ou dans des conditions peu favorables. C’est le cas des travailleurs saisonniers qui viennent en ville chercher du travail. Danfa était l’un d’entre eux avant qu’il ne tomba malade. Voilà comment ses camarades et lui se débrouillaient : « Certains d’entre eux se regroupaient dans une chambre dans l’un des bas quartiers de la périphérie. Ils y dormaient et partageaient le même bol de repas chaque soir » (Samb, 2012 : 36) .
N’ayant pour seule motivation que de vaincre la précarité dont ils sont victimes, ces personnes décrites dans le roman semblent être prêtes à saisir toutes les opportunités. Le tableau est représenté ainsi :
« D’autres, par contre, faisaient de leurs ‘pousse-pousse’’ leurs instruments de travail, et leur maison : le jour, ils y transportaient de lourds chargements et la nuit, ils les garaient dans un coin, et s’y blottissaient pour dormir. » (Samb, 2012 : 36) .
Ce que Samb évoque ici ressemble à la situation des Peuls de la Guinée Conakry, appelés communément ‘‘NDERING’’ au Sénégal. Ces immigrés qui n’ont pas les moyens d’accéder au logement à cause de la cherté des coûts de location, font de leurs « poussepousse » (chariot) un outil de travail le jour et un dortoir la nuit. C’est une situation qui existe un peu partout dans les capitales de l’Afrique de l’ouest. A défaut de cela, les arrivants logent dans des habitations précaires, faites en général de matériaux peu onéreux ou provisoires. Très souvent, ce sont des matériaux de récupération ou de proximité comme la terre, la natte, la paille, les tiges d’arbustes. Le dénuement est tel qu’ils n’ont pas d’eau courante, pas d’électricité… C’est avec de telles infrastructures de base que sont construits les baraquements insalubres où habite Alima, une jeune fille venue avec ses parents, en ville, chercher du travail. « Alima me fit asseoir sur le lit de planches récupérées qui était l’unique meuble de la chambre. Pas de chaises, pas d’armoire, pas de table, le lit avec un matelas de paille était tout à la fois.» (Samb, 2012 : 57) .
On se rend compte que l’accès au logement adéquat reste l’apanage des couches les plus aisées de la société, renforçant ainsi le clivage entre pauvres et riches. De ce fait, les gouvernements doivent prendre des mesures pour que le maximum de citoyens accède aux logements. Cette situation que l’auteur évoque concernant le Mali est la même partout ailleurs en Afrique.
L’humiliation endurée par les démunis
Le problème de logement concerne les couches vulnérables, constituées de handicapés et parfois même de personnes bien portantes mais qui n’ont pas les moyens d’acquérir un logement, et sont obligées de passer la nuit dans des lieux non prévus pour habitation. Ils dorment dans les parkings, les entrepôts, les vieilles voitures en stationnement, et les bâtiments en construction. Le cas de Oulimata et de son père en constitue une parfaite illustration. Ils sont toujours confrontés au problème de logement, depuis qu’ils étaient dans leur pays d’origine et après qu’ils soient arrivés dans leur pays d’accueil. Quand ils quittent Thienfala pour Bamako ils sont obligés de dormir au marché et de se lever tôt avant que le propriétaire de la boutique devant laquelle ils avaient élu domicile ne les découvre : « Il nous offrit un coin derrière une boutique ; il fallait chaque matin nettoyer et partir avant l’arrivée du propriétaire. » (Samb, 2012 : 95) .
C’est la même situation qu’ils vivront à Dakar. N’ayant ni parents, ni amis, ils sont obligés de dormir dans la rue, et sur les trottoirs. « Je dormis avec mon père à même le sol devant les boutiques de l’Avenue Peytavin. » (Samb, 2012 : 129) .
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Table des matières
INTRODUCTION
Première partie : la misère
Premier chapitre : les caractéristiques de la misère
1) L’habillement
2) Le logement
Deuxième chapitre : les manifestations de la misère
1) Les affres de la faim
2) L’absence de soins médicaux
3) Le travail des enfants
Deuxième partie : La marginalité
Premier chapitre : les manifestations de la marginalité
1) La vie dans l’anonymat
2) L’absence de participation à la vie sociale
Deuxième chapitre : Les caractéristiques de la marginalité
1) La stigmatisation
2) Le dédain brouillant les rapports sociaux
Troisième partie : style et message des auteurs
Premier chapitre : quelques éléments de la technique romanesque
1) la titrologie
2) La narration
2-1 L’ordre du récit
2-2 le recours à l’analepse
3) Les indices de l’oralité
Deuxième chapitre : la dénonciation des travers de la société
1) la corruption
2) la gabegie
3) Les mutilations génitales
Chapitre 3 : des récits à paradoxe
2) Le paradoxe dans les deux œuvres
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES