Les caractères des cellules souches embryonnaires
Le premier évènement de différenciation dans l’embryon murin est la partition des cellules en deux entités, l’un embryonnaire et l’autre extra embryonnaire (Gardner, 1983). Le composant embryonnaire à l’intérieur de l’œuf est appelé la masse cellulaire interne (Inner cell mass, ICM). C’est la source de tous les tissus du futur embryon, fœtus et au final de l’organisme adulte. Les cellules de l’ICM peuvent être aussi la source des cellules souches embryonnaire ou cellules ES (Brook and Gardner, 1997; Evans and Kaufman, 1981; Martin, 1981). Si les cellules ES dérivent des ICM, ces deux entités ne sont pas complètement identiques. En effet, la propriété des ICM est une durée de vie transitoire alors que les cellules ES peuvent être maintenues en culture de façon quasi illimitée.
Origine des cellules ES
L’intérêt de la communauté scientifique pour les cellules ES a commencé par l’identification de cellules cancéreuses, les tératomes. Ces cellules issues de tumeurs cancéreuses (EC) ont attiré l’attention des scientifiques par leurs caractéristiques. Premièrement, elles pouvaient être transplantées d’un individu à un autre. Deuxièmement, elles pouvaient être cultivées in vitro et donner naissance à des lignées cellulaires. Enfin, lorsqu’elles étaient introduites dans des blastocytes, elles pouvaient être incorporées dans l’embryon et contribuer aux tissus du fœtus en développement (Brinster, 1974). L’amélioration des conditions de culture in vitro a permis à Martin et Evan en 1981 de générer des cellules directement depuis l’embryon sans passer par des tératomes. Possédant les caractéristiques identiques aux EC, ces cellules permettaient la transmission à la lignée germinale, leur statut pluripotent peut être maintenu dans des conditions de culture adequates et elles peuvent être différenciées en réponse à des stimuli extérieurs (Bradley et al., 1984). Ces cellules sont maintenant connues sous le nom de cellules souches embryonnaires ou cellule ES .
Première caractéristique des cellules ES: elles donnent naissance à de multiples lignages
La valeur des cellules ES tient à leur capacité à contribuer aux trois feuillets embryonnaires: l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme. Ceci peut être démontré in vitro en réponse à des stimuli spécifiques ou bien, de façon plus frappante, lorsque les cellules ES sont introduites dans des blastocytes. Dans ce cas, les nouvelles cellules ES se mélangent aux cellules ES déjà mises en place et colonisent les tissus pour produire un animal chimérique où cellules hôtes et cellules injectées sont intimement associées dans l’organisme (Beddington and Robertson, 1989). Lorsque les cellules ES colonisent la lignée germinale, elles peuvent donc transmettre leurs caractéristiques à leur descendance (Bradley et al., 1984). Cette propriété a été intensément exploitée pour l’analyse de la fonction des gènes in vivo (van der Weyden et al., 2002).
La capacité des cellules ES à se différencier pour donner différents tissus embryonnaires est une de leurs caractéristiques et un attribut qu’il est convenu d’appeler « pluripotence » . Les cellules ES ne sont pas totipotentes car naturellement elles ne donnent pas naissance au trophectoderme. Les cellules souches hématopoïétiques ne sont pas pluripotentes car elles ne peuvent donner que certains types cellulaires et sont donc déjà spécifiques d’un certain type de lignage. Afin d’illustrer les différentes catégories de cellules souches dérivant de l’embryon ou de sources diverses chez l’animal post-natal, une classification peut être établie (Différentes catégories de cellules souches présentant des propriétés différentes).
Deuxième caractéristique des cellules ES: l’autorenouvellement
La deuxième caractéristique des cellules ES est la capacité à subir de multiples divisions cellulaires ou divisions infinies sans différenciation et donc de produire des cellules pluripotentes identiques à travers les générations. Cette propriété est appelée autorenouvellement. Elle est présente grâce à une division cellulaire symétrique. Les cellules ES peuvent s’auto-renouveler continuellement si elles sont dans des conditions de cultures qui préviennent leur différenciation: par exemple, la présence de LIF (Leukemia Inhibition Factor), un facteur de croissance qui est nécessaire pour la prolifération et le maintien des cellules ES à un state indifférencié (Suda, 1987).
Différenciation des cellules ES
Bien que les cellules ES soient pluripotentes, elles ne peuvent donner naissance qu’en premier lieu à quelques type cellulaires comme l’endoderme primitif et l’ectoderme primitif car elles possèdent les caractéristiques identiques aux ICM. La différenciation des cellules ES de souris peut être induit par l’expression ectopique de certains facteurs. Par exemple, l’expression du facteur de transcription Gata6 dans les cellules ES induit leur différenciation en endoderme primitif (Fujikura et al., 2002). De manière similaire, l’expression du facteur de transcription à homéodomaine de type caudal Cdx2 induit une différenciation des cellules ES en cellules du trophectoderme (Niwa et al., 2005). C’est pourquoi ces deux facteurs, parmi d’autres pouvant induire la différenciation, doivent être fortement réprimés pour maintenir le phénotype indifférencié des cellules ES.
Divergences entre les cellules ES murines et humaines
Il a été clairement établi que les facteurs de pluripotence Oct4 et Nanog sont absolument requis pour le maintien des cellules ES chez la souris comme chez l’homme. Cependant, certains mécanismes comme les voies externes LIF, BMP et Wnt ne semblent ne pas être requis chez l’homme (Rao, 2004). Loh et al. ont montré que les cibles des protéines Oct4 et Nanog pouvaient différer de manière importante. En effet, 10% de cibles communes sont retrouvées entre l’homme et la souris. De même Kim et al. ont montré que les données pouvaient largement évoluer selon la méthode utilisée (Chip-on-CHIP, ChipPET, ChIP-seq) ainsi que la profondeur de séquençage (Euskirchen et al., 2007; Kim et al., 2008a). Ainsi le biais de ces données pourrait expliquer un certain nombre de différences observées. Il serait dès lors intéressant de déterminer si la différence observée dans les réseaux de régulation murins et humains provient effectivement des différences des deux espèces. En effet d’autres hypothèses peuvent être proposées. Premièrement, la manière d’isoler et de cultiver les cellules peut influencer les lignées ES murines ou humaines. Deuxièmement, il serait intéressant de connaitre la variation d’une lignée ES à une autre au sein de la même espèce. Cependant, les cellules humaines peuvent être reprogrammées avec les mêmes facteurs que les cellules murines (Park et al., 2008; Takahashi et al., 2007; Yu et al., 2007). Cette observation apporte la preuve de réseaux maintenant la pluripotence, communs entre les deux espèces.
La reprogrammation des cellules ES (iPS)
Il existe un débat éthique au sein de la communauté scientifique autour de l’utilisation des cellules souches embryonnaires. En effet, ces cellules sont issues d’un embryon et la question du respect de la vie de cet embryon est alors posée. Cependant les possibilités qu’offrent les cellules ES sont multiples. Les cellules ES ont la capacité unique de se diviser indéfiniment et de pouvoir se différencier en de multiples types cellulaires. Elles apparaissent donc comme très prometteuses comme agents thérapeutiques dans les traitements médicaux du futur. Plusieurs équipes se sont alors interrogées si la provenance de ces cellules ne pouvait pas être modifiée. En effet, les seules cellules ES humaines autorisées à ce jour sont les cellules de sang de cordon ombilical et qui doivent donc être prélevées à la naissance. Pouvoir obtenir des cellules ES capables de donner le tissu désiré pour un individu malade représente un chalenge majeur de la médecine actuelle. Il a été récemment montré qu’il était possible de reprogrammer des cellules différenciées à l’aide des facteurs importants dans la pluripotence des cellules ES (Figure 3). Ainsi, avec l’expression forcée des facteurs Oct4, Sox2, Klf4 et c-Myc avec l’aide de rétrovirus, des fibroblastes peuvent être reprogrammés en cellules souches possédant le caractère pluripotent des cellules ES (Okita et al., 2007; Takahashi and Yamanaka, 2006; Wernig et al., 2007). D’après Germain, ces cellules provenant de cellules somatiques sont éthiquement irréprochables (Germain, 2009). Cette combinaison de facteurs a émergé depuis un crible initial de 24 gènes candidats co-électroporés dans des fibroblastes de souris (Takahashi and Yamanaka, 2006). Parmi eux, Myc peut induire des changements épigénétiques qui sont utiles lors de la reprogrammation (Yamanaka et al., 2008). Il a été reporté que c Myc induisait une vague d’acétylation (Fernandez et al., 2003) qui pourrait permettre l’accessibilité aux promoteurs des différents complexes transcriptionnels importants dans les lignées ES (Takahashi and Yamanaka, 2006). En effet, via son interaction avec Gcn5, une HAT (Histone Acetyl Transferase), Myc promeut la prolifération cellulaire (Knoepfler et al., 2006). A de nombreuses reprises, l’importance des facteurs Oct4 et Sox2 a été développée dans la littérature et sera plus détaillée au cours du chapitre suivant (Loh et al., 2006; Looijenga et al., 2003; Niwa et al., 2000; Okita et al., 2007; Rodda et al., 2005). Le facteur Klf4 inhibe l’expression de p53 et contribue donc à la survie des cellules ES. Ce facteur contribue aussi à l’expression de Nanog et d’autres facteurs importants dans la pluripotence des cellules ES. Cependant son action peut être antagoniste à c-Myc (Zindy et al., 1998), ainsi la balance de ces facteurs est importante dans l’induction des iPS (induced Pluripotent Stem cells). Il a aussi été montré comme pouvant reprogrammer les cellules de l’épiblaste qui pourtant exprimait déjà les facteurs de la pluripotence: Oct4, Sox2 et Nanog (Guo et al., 2009). De plus des études récentes ont montré l’implication de la protéine Klf4 au sein du réseau de régulation déjà bien connu de Oct4, Sox2 et Nanog (Chen et al., 2008; Kim et al., 2008a; Pardo et al., 2010; van den Berg et al., 2010).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I. Les caractères des cellules souches embryonnaires
A. Origine des cellules ES
1. Première caractéristique des cellules ES: elles donnent naissance à de multiples lignages
2. Deuxième caractéristique des cellules ES: l’auto-renouvellement
B. Différenciation des cellules ES
C. Divergences entre les cellules ES murines et humaines
D. La reprogrammation des cellules ES (iPS)
Chapitre II. Les facteurs clefs responsables du phénotype des cellules ES
A. Identification des voies de signalisation
1. La voie LIF
2. La voie BMP
3. La voie Wnt
4. La voie PI3K
B. Les facteurs importants dans le maintien de la pluripotence des cellules ES
1. Oct4
2. Sox2
3. Le complexe Oct4/Sox2
4. Nanog
5. Le complexe Oct4/Sox2/Nanog
C. Les facteurs requis pour la pluripotence des cellules ES
Esrrb
Tbx3
Dax1
Myc
Introduction
Tcfcp2l1
Klf4 (EZF) et Klf5
FoxD3
Zfx
Rif1
Tcl1
Mbd3
Ronin
6. Autres facteurs
D. Les facteurs dispensables aux cellules ES mais intervenant dans le
maintien de la pluripotence
Utf1
Eras
Sall4
Usp9x
Jarid2
E. Identification de nouveaux facteurs protéiques impliquées dans le renouvellement des cellules ES
1. Autopsie des facteurs clefs du maintien de la pluripotence
2. Un crible ARN interférence pour identifier un nouveau complexe impliqué dans la pluripotence des cellules ES
3. Un rôle antagoniste pour deux protéines de la même famille
F. Identifications de réseaux de régulation en cellules ES
1. Un large réseau pour la pluripotence des cellules ES
2. Intégration des voies de signalisation LIF et des protéines polycomb aux réseaux de la pluripotence
Conclusion
3. Etude extensive des partenaires d’Oct4
4. Des réseaux de régulation à la rescousse de la pluripotence
5. Conclusion
G. Autres mécanismes importants dans la pluripotence des cellules ES
1. Rôle des micro ARN dans la pluripotence des cellules ES
2. La méthylation de l’ADN est un lien entre épigénétique et pluripotence
Chapitre III. Pluripotence et épigénétique
A. Présentation des protéines Polycomb et Tritorax
1. Mécanisme de répression par les protéines Polycomb
2. Mécanisme de fonctionnement des protéines Tritorax
B. Les protéines PcG et TrxG et la pluripotence des cellules ES
1. Les protéines Polycomb dans la pluripotence
2. Différence entre PRC1 et PRC2
3. H2AZ.Z et PRC2
4. Le rôle de Jarid2 et du complexe PCR2 dans les cellules ES
C. Mécanismes additionnels de répression des gènes du développement
Chapitre IV. Remodelage de la chromatine et pluripotence
A. Les mécanismes du remodelage de la chromatine
B. Les complexes de la super-famille SNF2
1. Les protéines de la famille SWI/SNF
2. Les complexes de la famille ISWI (Imitation SWItch)
3. Les complexes de la famille INO80 (INOsitol 80)
4. Les complexes des familles Rad26 et RAD54
5. La famille Chd
Conclusion