Les cancers pharyngo-laryngés 

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Physiologie du larynx

Le larynx fait le lien entre la trachée et le carrefour aéro-digestif que constitue le pharynx. La coordination pneumo-phonique est assurée par l’alternance entre l’abduction des plis vocaux lors de la respiration, et leur adduction, tension et relâchement qui participent à la phonation. Elle-même réalisée par l’expulsion d’air provenant des poumons, passant par la trachée, faisant entrer en vibration les plis vocaux pour produire un son qui résonne ensuite dans les cavités pharyngée, buccale et nasale pour être articulé.
Le larynx joue également un rôle de protection des voies respiratoires lors de la déglutition via son ascension-antériorisation et l’adduction des plis vocaux.
L’adduction tonique des plis vocaux permet également de réaliser un effort à glotte fermée. C’est-à-dire de bloquer l’air dans les poumons afin de stabiliser le thorax lors d’un effort physique (port d’une charge, excrétion, orgasme masculin).
Les cancers pharyngo-laryngés
Epidémiologie
En France pour l’année 2018, l’incidence de cancer du larynx était au total de 3 160 nouveaux cas (dont 87% d’hommes) et représente 15% de l’ensemble des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) (Bara S. & Lapôtre-Ledoux B, 2021).
Parmi les tumeurs laryngées, 60% concernent des tumeurs localisées, 25% présentent des métastases ganglionnaires régionales et 15% entraînent des métastases à distance (Cowppli-Bony & Woronoff, 2019).
Le diagnostic est en moyenne posé à 64 ans chez les hommes et 62 ans chez les femmes. Une étude longitudinale a évalué la survie nette passée 5 ans, pour les cas diagnostiqués entre 2005 et 2010, à 60% des patients. Faisant entrer le cancer du larynx parmi les cancers des VADS aux pronostics les plus favorables. En effet, le cancer du larynx altérant les fonctions essentielles de la phonation et la respiration, son diagnostic et sa prise en soin (PES) s’avèrent relativement précoces.
Etiologie
Plus de 90 % des cancers du larynx sont des carcinomes épidermoïdes. Diverses variables carcinogènes ont été identifiées (Koufman & Burke, 1997). Il s’agit la plupart du temps de données associatives issues d’études épidémiologiques et non pas d’études élaborées par des cliniciens démontrant un rapport de causalité entre un agent et le carcinome donné. Les variables et facteurs de risques identifiés sont les suivants :
● La consommation d’Éthanol et/ou de tabac, qui entraînent des risques accrus lorsqu’ils sont associés.
● L’exposition au rayonnement radioactif, à l’amiante, à certaines vapeurs de métaux ou produits chimiques.
● L’infection par un virus issu de la famille des papillomavirus (HPV).
● L’hérédité.
A savoir que la nature des boissons alcoolisées semble jouer un rôle dans ce processus carcinogène. Selon une étude internationale (Wynder & Day, 1956), la consommation quotidienne de whisky majore grandement le risque de développer un cancer du larynx. Or, la consommation de bière ou de vin ne semble pas altérer ce risque.
Concernant le tabac, les risques sont accrus par sa consommation sous forme de cigare ou de pipe. Ils concernent également la mastication de noix de bétel très populaires en Inde. Celles-ci contiennent des alcaloïdes comparables à la nicotine entraînant des effets stimulants, anorexigènes et légèrement euphorisants.

Traitement

Dans le cadre d’un cancer du larynx, divers traitements peuvent être administrés seuls ou en combinaison avec d’autres. Le choix de la PES s’effectue lors d’une réunion pluridisciplinaire et en collaboration avec le patient.
Les cellules cancéreuses ont perdu leur capacité à réparer leur ADN. C’est ce qu’exploite la radiothérapie en tentant de les détruire ou de stopper leur développement.
Les cellules cancéreuses se divisent fréquemment et en grande quantité. C’est ce qu’exploite la chimiothérapie via un traitement médicamenteux à base de sels de platine qui s’attaquent particulièrement aux cellules se divisant beaucoup. Cela va engendrer des dommages collatéraux sur des cellules qui naturellement se divisent souvent dans le corps, comme celles du tube digestif ou les follicules de cheveux.
Le traitement au laser détruit localement les tissus tumoraux par laryngoscopie. Il n’est utilisé qu’occasionnellement (stade précoce, tumeur de petite taille, …).
L’intervention chirurgicale peut consister en l’ablation partielle ou totale du larynx. Si la tumeur est de petite taille, l’ablation partielle suffit parfois (Fondation contre le cancer, 2022).

Laryngectomie totale (LT)

La LT est l’ablation totale du larynx. Le larynx participant à la protection des voies aériennes lors de la déglutition, son ablation entraîne la nécessité de séparer complètement les voies respiratoires et digestives. Il n’existe alors plus de connexion entre la cavité buccale et la trachée. La respiration se fait directement via le trachéostome (ouverture effectuée par le chirurgien à la base du cou). Une canule garantit le maintien du trachéostome ouvert lors de la cicatrisation.
Conséquences fonctionnelles de la LT
Après ablation du larynx et formation de la néoglotte, il n’existe plus de carrefour aéro-digestif. Il n’y a donc plus de risque de fausse route lors de la déglutition.
La respiration se fait directement des poumons vers le trachéostome et inversement. L’air ne passant plus par la cavité nasale, l’olfaction et le mouchage sont altérés. Il devient nécessaire d’utiliser un ECH (échangeur de chaleur et d’humidité) afin de filtrer, réchauffer et humidifier l’air inspiré par le trachéostome. De plus, l’air n’arrivant plus des poumons vers la cavité buccale, il n’est plus possible de souffler, siffler, chuchoter comme avant la chirurgie.
Concernant la phonation, il existe plusieurs solutions pour pallier l’absence des plis vocaux. Si les tissus le permettent et sur décision d’une équipe pluridisciplinaire, la pose d’un implant phonatoire peut être envisagée. Il s’agit d’une valve unidirectionnelle reliant la trachée à l’œsophage. L’obturation manuelle du trachéostome va permettre à la valve de s’ouvrir sous la pression de l’air expirée, d’amener l’air dans l’oesophage et faire vibrer la muqueuse pharyngo-oesophagienne afin de produire un son qui sera ensuite articulé pour produire la parole.
Cette voix dite trachéo-oesophagienne est atypique, souvent jugée rauque, parfois accompagnée d’un souffle trachéal audible. L’implant phonatoire a pour avantage d’être utilisable immédiatement après l’opération. Or, il présente également de nombreux inconvénients :
● Un nettoyage deux fois par jour qui requiert une certaine autonomie et dextérité de la part du patient.
● L’obturation manuelle systématique du trachéostome pour produire la voix.
● Une certaine dépendance à l’hôpital. Le patient devra revenir tous les 6 à 10 mois pour faire changer l’implant qui s’abîme avec l’usage (fuites, champignons, …).
Rôle de l’orthophoniste
En post opératoire, l’orthophoniste reprend avec le patient les explications concernant la chirurgie, les conséquences fonctionnelles et suites opératoires pour s’assurer de sa bonne compréhension. Il évalue : la respiration, la phonation, la déglutition, la motricité oromyofaciale, l’olfaction et le caractère intelligible de la communication spontanée (gestes, écrit, expressivité, …).
Les jours suivant l’opération, la zone oromyofaciale est œdématiée. Il est alors proposé au patient d’adopter un pseudo-chuchotement pour communiquer. Il devra mobiliser l’air présent dans sa cavité buccale pour l’articuler à l’aide de consonnes toniques et de points articulatoires précis (procédé parfois comparé à celui du beat box). Concernant l’alimentation, il est nourri via sonde naso-gastrique (SNG) de façon transitoire en attendant la cicatrisation complète de l’œsophage. 8 à 10 jours après l’opération, un test de déglutition est effectué. S’il est concluant l’alimentation per os est de nouveau possible et la SNG retirée.
L’orthophoniste informe le patient sur les différentes voix de substitution possibles après l’opération et l’accompagne pour faire son choix entre celles-ci :
● La voix trachéo-oesophagienne (VTO)1 est possible si le patient a bénéficié de la pose d’un implant phonatoire (non systématique).
● La voix oro-oesophagienne (VOO)2 est une technique consistant à faire entrer en vibration la bouche oesophagienne (entrée de l’oesophage reconstruite par le chirurgien) pour émettre un son. Il faut pour cela maîtriser l’injection-éructation d’air et l’articulation du son produit résultant d’un apprentissage pouvant être long (au moins 1 an), au cours d’une rééducation orthophonique.
● La voix prothétique3 produite à l’aide d’un laryngophone. Il s’agit d’un appareil électronique à venir poser au niveau du cou ou d’une joue venant faire vibrer les muqueuses buccales pour émettre un son à articuler.
L’inspiration ne se faisant plus par la cavité nasale, le patient doit apprendre une nouvelle technique pour sentir les odeurs. Il s’agit de la rétro-olfaction, également appelée polite yawning technique [technique du bâillement poli], consistant à utiliser l’air contenu dans la cavité buccale pour la faire passer dans la cavité nasale via des mouvements de mâchoire lèvres closes. Le patient utilise ainsi la voie olfactive rétrograde, utilisée par tous lors de la mastication, pour compenser la voie antérograde altérée.
Il est également nécessaire de s’assurer que le patient est autonome dans ses soins de canule (aspiration, nettoyage du matériel, …). L’orthophoniste reste en contact fréquent (souvent hebdomadaire) avec le patient tout au long de sa rééducation en hospitalisation puis en ambulatoire. Il est donc régulièrement sollicité pour répondre aux questionnements du patient sur son matériel (Robert & Giovanni, 2011; F. Le Huche & Allali ,2012).
La stigmatisation
Définition
La stigmatisation est définie comme la dévalorisation d’un individu pour un de ses attributs ou caractéristiques (âge, sexe, origine éthnique, orientation sexuelle, handicap, …), dans un contexte social donné (Crocker, 1999). Erving Goffman (1975) décrit l’attribut stigmatisant ou “stigmate” d’un individu comme un attribut singulier qui modifie ses relations avec autrui et en vient à le disqualifier en situation d’interaction. Selon lui, cet attribut constitue un écart par rapport aux attentes normatives des autres à propos de son identité. On considère trois processus comme faisant partie de la stigmatisation :
● Le stéréotype est une image mentale, un ensemble de croyances socialement partagées à propos d’un groupe social (Hamilton, 2015).
● Le préjugé (littéralement pré-jugement) est une prédisposition à réagir défavorablement à l’encontre d’une personne sur la base de son appartenance à une classe ou à une catégorie sociale.
● La discrimination est un comportement négatif dirigé contre un individu à l’endroit duquel nous entretenons des préjugés (Montreuil & Bourhis, 2004).
Il existe 4 types de stigmatisations.
● Le public stigma [stigmatisation publique] est le processus par lequel une personne présentant un stigmate donné sera perçue comme indésirable ou socialement inacceptable par autrui (Corrigan & Schmidt, 2015).
● Le self stigma [auto-stigmatisation] est la diminution de l’estime de soi d’un individu se percevant lui-même comme socialement inacceptable après avoir intériorisé les injonctions du public stigma (Vogel et al., 2007).
● Le stigma par association s’applique à un individu en raison de son association (souvent familiale) avec un individu stigmatisé (Östman & Kjellin, 2002).
● Le stigma structurel concerne les conséquences de politiques institutionnelles et idéologies (loi Jim Crow, refus du mariage homosexuel, …). (Hatzenbuehler, 2016).
Dans le cadre de cette étude nous nous consacrerons exclusivement au public stigma.
Public stigma
Erving Goffman (1975) distingue les stigmates visibles comprenant des attributs physiques (déformation faciale, couleur de la peau, cicatrice, surpoids, …) et traits de personnalité visibles lors d’une interaction (ethnie, religion, …), des stigmates invisibles comme les pathologies mentales, un passé criminel, l’orientation sexuelle, etc.
Stigmate visible
Le traitement visuel du visage apparaît comme la première étape d’une interaction sociale. Il joue un rôle de premier ordre dans la cognition sociale en informant sur l’identité, la catégorie sociale (sexe, origine éthnique, âge, …), la santé physique, les émotions et intentions de l’interlocuteur (Hugenberg, Wilson, 2013).
Divers chercheurs ont étudié la nature de l’attention visuelle portée aux visages de personnes présentant comme stigmate une atypicité faciale visible (nez tordu, cicatrice jugale, fente labiale, malocclusion dentaire, paralysie faciale, …).
Les travaux de Lisa Ishii (2009) indiquent que le temps d’observation des visages présentant un défaut évident était légèrement supérieur à celui des visages jugés normaux.
A la vue de visages normaux et connus par l’observateur, le regard est essentiellement constitué de saccades oculaires. A contrario, à la vue d’un visage normal mais nouveau, la fixation sur le triangle central (yeux, bouche, nez) est accrue. Lorsqu’un défaut est présent en périphérie du visage, cette fixation est davantage concentrée sur le défaut en périphérie que sur le triangle central. Et ce bien que l’on sache que les informations contenues dans le triangle central affectent le succès des relations interpersonnelles.
Les travaux récents (2022) de Pauline Rasset et al. sur l’attention visuelle portée à des visages présentant une défiguration faciale, confirment ces conclusions et suggèrent que ce processus majore chez l’observateur un sentiment de dégoût, d’anxiété, de surprise et d’hostilité. On n’observe pas de différence significative concernant les émotions positives (sympathie).
Stigmate audible
Importance de la voix dans les relations sociales
Dans son Essai sur l’origine des langues (1781, chap.II), Jean-Jacques ROUSSEAU questionne la genèse de la parole et les causes de son apparition. Pourquoi les Hommes ne se sont-ils pas contentés des gestes pour communiquer ? Il en conclut les mots suivants : « Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes, et que les passions arrachèrent les premières voix. (…) Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s’en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques.»
La voix joue un rôle majeur dans les interactions sociales. Elle en dit souvent bien plus sur une personne que les mots qu’elle emploie. A l’écoute d’une voix un individu est capable d’estimer à 5 ans près l’âge du locuteur, d’identifier avec une grande précision son genre entre autres caractéristiques physiques et psychiques (Titze, 1989, 1999, 2010, 2016, 2017, 2019). Chacun sait reconnaître le timbre voilé de celui qui répond à son téléphone au saut du lit, l’absence de nasalité de la personne enrhumée et les variations vocales trahissant un sourire, un soupçon d’hésitation ou d’embarras. Les intonèmes ont également une fonction sémantique dans la pragmatique du langage et dans les langues tonales. En fonction de sa prosodie un fluet “pardon..” n’aura pas le même sens qu’un virulent “PARDON ?!!”. La voix est la signature d’un individu, une empreinte unique le rendant reconnaissable par ses pairs, un élément constitutif de son identité, marqueur d’une origine socio-culturelle et géographique.
Jugement social de la dysphonie
Les troubles de la communication entraînent un jugement social négatif (Allard & Williams, 2008). Concernant la dysphonie, plus elle est sévère plus le jugement social porté sera négatif (Altenberg et Ferrand; 2006).
En effet, les sujets dysphoniques sont jugés en moins bonne santé physique et morale, moins beaux, soignés ou élégants, moins sociables ou optimistes, moins énergiques, intelligents, fiables et davantage consommateurs de tabac que les sujets euphoniques (Revis, 2013a, 2013b).
Particularité des VTO et VOO
Dans Le laryngectomisé, un mutilé de la voix (2007), Bernard Goddet et Marie-Claire Guillard racontent : “une patiente laryngectomisée me disait que son mari lui interdisait de parler en voix œsophagienne au restaurant, car les autres consommateurs tournaient leur regard vers eux, ce qui l’insupportait, l’incommodait. Sa fille s’était mise à pleurer en entendant sa mère parler en voix œsophagienne, ne la reconnaissant plus. Sa mère était à présent, à ses yeux, handicapée, une partie de son identité s’était échappée. Cette femme laryngectomisée est restée ainsi longtemps chez elle en n’utilisant que la voix chuchotée, n’osant plus parler en voix œsophagienne de peur de voir sa fille pleurer.”
Il existe un manque de littérature concernant le jugement social des patients LT. Le peu de travaux existant traitent davantage des conséquences fonctionnelles (que les AVQ, la sexualité, …), psychologiques (détresse psychologique, trouble anxiodépressif, …) et socio-professionnelles (Babin et al, 2008, 2018).
Gilmore (1974) a exploré le jugement de l’acceptabilité sociale et professionnelle de patients s’exprimant en VOO par un large panel d’hommes d’affaires et professionnels. Les locuteurs VOO (en l’occurrence de très bons orateurs) étaient perçus comme moins capables d’occuper des postes prestigieux ou en contact avec le public. Cette opinion s’amenuisait après une explication de la LT et de la VOO.
Jugement social
Particularité de la perception des visages
Les êtres humains sont des animaux sociaux. Le jugement social est un moyen rapide d’évaluer les intentions d’autrui et leur capacité à les mettre en œuvre. Est-il un ami ou un ennemi ? Est-il apte ? Y a-t-il un risque d’entrer en concurrence ? Ces informations permettent à l’individu de se positionner dans l’interaction, d’adapter son comportement.
Dans l’art, les modèles de perception des groupes sociaux et de perception des visages se rejoignent dans leurs constats. Divers études récentes soulignent la robustesse des liens étroits à faire entre ces littératures (Imhof & Dotsch, 2013; Sutherland & Young, 2016). Deux dimensions principales entrent systématiquement en jeu d’un auteur à l’autre. Abele et Wojciszke (2014) parlent de communalité et agentisme; Susan Fiske (2002, 2007) de chaleur et compétence; Sutherland (2013) de fiabilité et dominance. Pour chacun, il est question :
● Des intentions perçues chez l’interlocuteur, ou de son aspect : chaleureux, amical, altruiste, sociable, coopératif, honnête, fiable.
● De sa capacité supposée à mettre en œuvre ses intentions. C’est-à-dire de son caractère plus ou moins : compétent, intelligent, efficace, talentueux, capable.
La dominance, décrite dans le modèle de première impression des visages de Sutherland, pourrait être apparentée à la dimension compétence. Or une étude récente a démontré qu’elle divergeait (Sutherland & Young, 2016). La dominance fait davantage référence à une forme de masculinité perçue dans les visages, évoquant chez les sujets une notion de pouvoir, de capacité supposée à imposer ses vues, à avoir du contrôle sur autrui. Cet aspect émerge moins dans le traitement des visages féminins.
Dominance et compétence peuvent refléter deux voies vers la capacité à aider ou à nuire. En effet, un statut élevé chez l’humain peut dériver du prestige, de l’intelligence, du savoir et donc relever de la compétence mais pas forcément de la domination.
C’est pourquoi nous les distinguerons dans cette étude et parlerons pour la suite de chaleur, compétence et dominance.
Conséquences dans les interactions sociales
Selon Fiske (2007), l’idée qu’un individu se fait de la chaleur et la de compétence de son interlocuteur va conditionner son comportement envers lui.
● Les comportements actifs dépendent de la chaleur. On aura davantage tendance à venir en aide à une personne chaleureuse et à nuire à une personne froide.
● Les comportements passifs dépendent de la compétence. On aura davantage tendance à s’associer à une personne jugée compétente et à négliger une personne incompétente.
Un membre d’un endogroupe est spontanément jugé chaleureux et compétent. Son interlocuteur est donc plus disposé à s’y associer (médiation passive) et à l’aider (médiation active). A contrario, face à un membre d’un exogroupe qui serait jugé peu chaleureux et peu compétent, un individu aura tendance à négliger (préjudice passif) voire à nuire (préjudice actif).
Dans des conjonctures hybrides, d’autres comportements se manifestent. Les personnes âgées ou handicapées par exemple, sont jugées chaleureuses mais incompétentes. Elles sont souvent institutionnalisées. Ce qui les aide (médiation active) tout en les isolant socialement (préjudice passif).
Ce tableau à double entrée synthétise les deux diagrammes précédents : Aider Pitié Admiration
Médiation active Personnes âgées, déficient Classe moyenne, américains, + intellectuel, … chrétiens, … Nuire Mépris Envie
Médiation passive Féministes, arabes, personnes Riches, juifs, asiatiques, … -bénéficiant des aides sociales, … NégligerS’associer Préjudice passifPréjudice actif -+
Problématique
Intérêt de l’étude
La littérature scientifique est fournie en données sur le jugement de divers groupes sociaux. Les modèles de Fiske et de Sutherland ont fait leurs preuves et apparaissent comme ceux de référence dans le traitement de ce sujet. La population des patients LT n’y a pas encore été soumise à ce jour. De plus, bien que des travaux aient déjà été menés concernant le jugement porté sur des stigmates visuels ou auditifs, aucun à notre connaissance n’a de la sorte lié les deux dans l’analyse d’un même public.
Les études comportementales et électrophysiologiques menées actuellement par le doctorant en psychologie Alexis PAYEN (CRFDP de l’université de Rouen) vont dans ce sens en traitant des réactions stigmatisantes face aux séquelles phonatoires consécutives au traitement des cancers des VADS. Ce mémoire servira à fournir des données pour enrichir au mieux son travail.
Selon l’article L4341-1 du code de la Santé Publique : « La pratique de l’orthophonie comporte la promotion de la santé, la prévention, le bilan orthophonique et le traitement des troubles de la communication, du langage dans toutes ses dimensions (…) Il contribue notamment au développement et au maintien de l’autonomie, à la qualité de vie du patient ainsi qu’au rétablissement de son rapport confiant à la langue. »
Dans le cadre de la PES du patient LT, l’orthophoniste accompagne le patient dans l’intelligibilité de sa parole, l’obtention d’une nouvelle voix et d’autres aspects pratiques des conséquences fonctionnelles de cette chirurgie (olfaction, soins de canule, …). Or, en tant que thérapeute de la communication, il serait pertinent de prendre en compte l’ensemble des facteurs impactant les interactions sociales du patient afin d’intégrer ces notions à notre pratique. En effet, les modifications corporelles visibles et audibles importantes et soudaines entraînées par la chirurgie vont, on l’imagine, impliquer des changements dans le regard des autres, le rapport à autrui, les interactions sociales, la communication.
Bien qu’il soit long et laborieux de modifier les attitudes et représentations mentales à l’origine du public stigma, Vogel et al. introduisent l’idée selon laquelle les chercheurs et cliniciens pourraient, via diverses interventions en milieux cliniques ou autre support, aider les individus stigmatisés à interpréter l’intériorisation qu’ils font du public stigma. Cette méthode pourrait diminuer l’auto-stigmatisation en employant divers mécanismes connus en psychologie sociale pour influencer la façon dont la stigmatisation affecte l’individu (la confirmation des attentes, la menace du stéréotype, l’activation du stéréotype, l’effet pygmalion, …). Nous pourrions ainsi mieux préparer nos patients (en préopératoire) à ce changement qui aura lieu dans leurs interactions sociales (en post-opératoire).
Hypothèses théoriques
La prévalence des cancers du larynx, le manque de données scientifiques concernant les conséquences sociales de la LT et la souffrance exprimée par les patients rencontrés en clinique ont abouti à investiguer ici la problématique suivante : Quelles sont les caractéristiques du jugement social porté sur les patients LT ?
La première hypothèse générale de cette étude est que les patients LT s’exposent à un jugement social qui leur est propre (H1). En découlent les hypothèses théoriques suivantes :
(H1a) Les patients LT ont tendance à être considérés comme chaleureux et incompétents.
(H1b) Plus le handicap est apparent (audible et/ou visible), plus le sujet est jugé chaleureux et incompétent.
La seconde hypothèse générale est que l’un des aspects visible ou audible du stigmate participe davantage à altérer le jugement social que l’autre (H2). En découlent les hypothèses théoriques suivantes :
(H2a) L’aspect visible (trachéostome) majore la chaleur et minore la compétence par rapport à l’extrait contrôle.
(H2b) L’aspect audible (voix atypique) majore la chaleur et minore la compétence par rapport à l’extrait contrôle.
(H2c) L’aspect visible est plus stigmatisant que l’aspect audible.
PARTIE EXPÉRIMENTALE
Matériel et méthode
 Population
Les réponses de 212 participants tout-venant ont été retenues pour cette étude. Parmi eux, on compte 117 femmes et 95 hommes. Soit un ratio de 55% de femmes pour 45% d’hommes. La tranche d’âge est de 18 à 84 ans, avec un âge médian de 25,5 ans.
Le seul critère d’exclusion était d’être mineur, par souci de demande d’autorisation parentale. Nous avons envisagé d’exclure les professionnels de santé mais une étude de Pachankis et Link (2018) démontre qu’il n’y a pas de différence inter-examinateur notable entre les réponses des professionnels de santé et du grand public sur des questions portant sur le jugement social de 93 stigmates sélectionnés pour l’étude.
Matériel et procédure
Extraits vidéos
Le questionnaire était soumis aux participants suite au visionnage de vidéos. Pour ces vidéos nous avions en tout 4 patients nommés pour cette étude : P1, P2, P3, P4. Les patients P1, P3, P4 s’exprimaient en VTO et le patient P2 en VOO.
Pour chaque vidéo, le patient est présenté d’une façon parmi les 4 suivantes qui seront les groupes utilisés pour l’analyse de données :
● La canule du trachéostome est visible et on entend le patient lire un texte à voix haute (SV1 SA1).
● La canule du trachéostome est visible et le patient ne dit rien (SV1 SA0).
● La canule du trachéostome est dissimulée et on entend le patient lire un texte à voix haute (SV0 SA1).
● La canule du trachéostome est dissimulée et le patient ne dit rien (SV0 SA0).
On note SA pour Stigmate Audible (le patient parle) et SV pour Stigmate Visible (le trachéostome est visible) et nommons ainsi chaque extrait vidéo. Exemple pour le patient 1 des 4 présentations possibles :
On obtient quatre modes de présentation différents pour 4 patients différents. Soit 16 extraits vidéos en tout, nommés :
Questionnaire
Consignes
Le questionnaire a été élaboré à l’aide du logiciel d’enquête statistique, de sondage, et de création de formulaires en ligne LimeSurvey. C’est via ce logiciel que les sujets ont répondu en ligne. Il s’agit donc d’une recherche non-interventionnelle (loi n°2012-300, Legifrance 2020), le recours à un comité d’éthique n’était donc pas requis.
Les sujets ont été recrutés via les réseaux sociaux pour la plupart, certains ont été envoyé personnellement par mail pour récolter le témoignage de personnes plus âgées notamment (famille, amis, connaissances, …). Ceux-ci n’étaient pas au courant des tenants et aboutissants du questionnaire avant d’y être soumis.
La description présentée en introduction du questionnaire est la suivante :
Les sujets devaient renseigner leur sexe (féminin / masculin) et leur âge. Puis devaient visionner 4 vidéos et répondre pour chacune d’entre elles au même questionnaire. Les 4 vidéos proposées présentaient à chaque fois les 4 patients différents avec la même présentation. Par exemple : 4 vidéos de 4 patients différents (P1, P2, P3, P4) qui parlent tous (SA1) mais dont on ne voit pas le trachéostome (SV0).

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Table des matières

LE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE 
I. Le larynx
1.1 Anatomie du larynx
1.2 Physiologie du larynx
II. Les cancers pharyngo-laryngés
2.1 Epidémiologie
2.2 Etiologie
2.3 Traitement
2.4 Laryngectomie totale (LT)
2.5 Conséquences fonctionnelles de la LT
2.6 Rôle de l’orthophoniste
III. La stigmatisation
3.1 Définition
3.2 Public stigma
3.2.1 Stigmate visible
3.2.2 Stigmate audible
3.2.2a Importance de la voix dans les relations sociales
3.2.2b Jugement social de la dysphonie
3.2.2c Particularité des VTO et VOO
3.3 Jugement social
3.3.1 Particularité de la perception des visages
3.3.2 Conséquences dans les interactions sociales
IV. Problématique
4.1 Intérêt de l’étude
4.2 Hypothèses théoriques
PARTIE EXPÉRIMENTALE 
I. Matériel et méthode
2.1 Population
2.2 Matériel et procédure
2.2.1 Extraits vidéos
2.2.2 Questionnaire
2.2.2a Consignes
2.2.2b Choix des adjectifs
II. Hypothèses opérationnelles
III. Résultats
3.1 Méthode statistique
3.2 Statistiques inférentielles
DISCUSSION 
I. Réflexion, biais et limites autour des résultats
II. Perspectives
2.1 Orthophoniques
2.2 De recherches à venir
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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