Les cancers oraux et leurs facteurs de risques
Les cancers oraux sont des cancers qui, dans leur très grande majorité, sont imputables à des choix de vie, des habitudes ou des addictions. Les cancers oraux regroupent les cancers de la lèvre, de la base de la langue, de la gencive, du plancher de la bouche, du palais, et de la bouche selon la classification internationale des maladies de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 10ème révision (CIM-10, codes C00 à C06). [1] 2% des cancers dans le monde sont des cancers oraux. Ils sont très fréquents en Asie du Sud (1ère cause principale de mortalité par cancer en Inde et au Sri Lanka) ainsi que dans les îles du Pacifique (plus haute incidence mondiale en Papouasie-Nouvelle-Guinée). En 2018, leur incidence sera de 350000 nouveaux cas, avec une mortalité annuelle estimée à 177000, soit 1,9% des décès liés aux cancers. Les cancers oraux touchent 1 femme pour 2,5 hommes. [2,3] D’un point de vue histologique, les carcinomes épidermoïdes sont retrouvés dans environ 90% des cancers oraux, suivis des carcinomes verruqueux qui participent pour 6 à 8% du contingent.
Les autres (nombreuses) entités histologiques existantes sont rares, parmi lesquelles on retrouve d’autres tumeurs des tissus mous (carcinome épidermoïde à cellules basaloïdes, à cellules fusiformes, papillaire, adéno-squameux, carcinoma cuniculatum, lympho-épithélial, neuroendocrine, fibrosarcome, dermatofibrosarcome, histiocytofibrome malin, sarcome myofibroblastique, léiomyosarcome, rhabdomyosarcome, liposarcome, swchannome malin, synovialosarcome, sarcome alvéolaire des parties molles), des tissus durs oraux (ostéosarcome, chondrosarcome, sarcome d’Ewing), et des tumeurs odontogènes malignes (améloblastome métastasiant, carcinome améloblastique, fibrosarcome améloblastique, carcinosarcome odontogène, carcinome odontogène à cellules claires, carcinome épidermoïde intra-osseux primitif, carcinome développé dans la paroi d’un kyste odontogène ainsi que des variétés malignes de tumeurs odontogènes épithéliales à cellules fantômes et calcifiantes). [6,7] En Europe, l’incidence des carcinomes épidermoïdes est en déclin grâce à la réduction globale de la consommation de tabac. En revanche, on constate une augmentation de l’incidence des cancers à l’Human Papilloma Virus (HPV), ainsi qu’une augmentation de celle des cancers oraux chez les femmes. Cette tendance est justifiée notamment par une augmentation de la consommation de tabac chez les femmes ainsi qu’à une évolution dans les habitudes de vie.
Le taux de survie à un cancer oral doit non seulement être mis en relation avec la localisation de la tumeur, mais aussi et surtout avec le stade d’évolution auquel celui-ci a été diagnostiqué. Ainsi, à 5 ans, le taux de survie passe de 80-90% (stade 1 TNM) à moins de 50% (stades 3 et 4 TNM). L’espérance de vie d’un malade diagnostiqué au stade métastatique (M1) est inférieure à 6 mois. [2-7, 11] Avec des facteurs de risque principaux bien identifiés que sont le tabac, l’alcool, et l’infection à HPV, la population générale doit connaître les conséquences potentielles de ces choix de vie. [12,13] De nombreux autres facteurs de risque ont été mis en évidence: l’infection virale chronique (herpès simplex virus, virus de l’hépatite C, virus Epstein Barr), certaines dermatoses inflammatoires orales ou à manifestations sur l’épithélium oral (lichen plan, réaction du greffon contre l’hôte…), l’exposition solaire, la sous-nutrition, la pollution aux particules fines, l’utilisation répétée de bains de bouche à forte teneur en alcool, la consommation de la chique de bétel, de la noix d’areca, de tabac non fumé, de maté, une mauvaise hygiène bucco-dentaire, une suppression immunitaire prolongée, ainsi que l’âge, le sexe, la présence de prédispositions génétiques et les traumatismes chroniques au niveau de la cavité orale (prothétiques, alimentaires …). [2-7,14-16] Cette variété très large d’étiologies potentielles justifie la présence de cancers oraux dans des régions où l’on ne consomme ni le tabac ni l’alcool, dont les effets synergiques très forts sont responsables de la plupart des cancers oraux, notamment en Europe. [2-7]. Ainsi, la consommation de tabac fumé multiplie par 3 à 5 le risque de survenue d’un cancer oral, puisque 60 des 4000 molécules présentes dans la fumée de tabac sont des cancérigènes connus (nicotine, arsenic, méthanol, benzène…). Le tabac serait ainsi responsable de 50 à 60% des cancers oraux, contre 25 à 30% pour la consommation d’alcool. [2-7,15]. La consommation d’alcool multiplie quant à elle par 2 à 3 le risque de survenue d’un cancer oral. Par ses effets sur l’épithélium oral, le flux salivaire et sur l’ADN notamment, l’éthanol a une action procarcinogène. Une consommation alcoolo-tabagique, qui multiplie jusqu’à 45 le risque de survenue d’un cancer oral, est retrouvée chez 90% des malades en Europe.
Prévenir les cancers oraux et y sensibiliser les populations de l’Union européenne
En limitant les consommations de tabac et d’alcool, en sensibilisant, et en informant les populations, la prévalence mondiale de la maladie pourrait être réduite de 75%, soit théoriquement environ 130000 décès par an évités dans le monde. [1] Bien que les progrès de la médecine et de la technologie (radio et chimiothérapie, reconstruction chirurgicale, technologie 3D…) aient permis des avancées spectaculaires dans la prise en charge des malades, un survivant d’un cancer oral reste toujours au regard de la société une « gueule cassée ». Sa qualité de vie en est à jamais diminuée, sans certitude quant à la survenue d’une récidive ou de l’apparition d’une localisation secondaire. [20] L’enjeu de la prévention n’est pas qu’humain mais aussi économique. En Europe, le coût médical moyen par malade atteint d’un cancer oral représentait en 2012 entre 20000 et 23000 euros annuels, et la durée moyenne d’hospitalisation était d’environ 2 semaines [21]. C’est en ce sens qu’en 2003, 168 pays ont signé la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Ce traité est la pierre angulaire de la lutte antitabac en Europe et dans le monde, puisqu’il impose à ses signataires la mise en place de politiques de sensibilisation aux méfaits du tabac, ainsi que des stratégies de lutte contre les lobbies et de libération de l’emprise de l’industrie du tabac sur les décisions politiques. Dans l’Union européenne (UE), la directive sur les produits du tabac (2014/40/UE), impose depuis 2016 ses 28 pays membres à suivre des règles concernant la fabrication, la présentation et la vente du tabac et de ses produits dérivés. Ainsi, l’UE exige la présence d’avertissements relatifs à la santé couvrant 65% de la surface des paquets de cigarette (Figure 1). Ces avertissements peuvent être écrits (ils sont au nombre de 15 dont 5 concernent de près ou de loin les cancers oraux), ou illustrés (une rotation de 12 images tous les 6 mois dont 5 concernent de près ou de loin les cancers oraux).
Certains pays de l’UE (France, Hongrie, Irlande et Royaume-Uni) ont progressivement adopté l’utilisation d’emballages neutres depuis 2016, et d’autres (Belgique, Espagne, France, Roumanie, Royaume-Uni) avaient déjà adopté les avertissements écrits et mises en garde illustrées entre 4 et 8 ans avant la directive européenne. Aujourd’hui, un fumeur résident de l’UE ne peut ignorer les risques sanitaires engendrés par sa consommation de tabac. Plus de 200 maladies sont liées à la consommation nocive d’alcool. Elle serait responsable d’environ 3 millions de décès dans le monde chaque année, soit 1 décès par maladie sur 20. [22] L’OMS a pour objectif de réduire cette consommation nocive de 10% d’ici à 2025 par des moyens similaires à ceux proposés dans la lutte antitabac, avec un programme axé sur la prévention et la sensibilisation aux dangers de l’alcool, ainsi qu’à la régulation de la publicité. L’organisation pilote le plan d’action européen 2012-2020 pour réduire cette consommation en Europe. [22,23] En effet, c’est dans l’UE que l’on boit le plus, et le plus abusivement, avec 20% de la population de plus de 15 ans rapportant au moins un épisode d’abus par semaine (plus de 60g d’alcool soit 5 verres ou plus). Néanmoins, aucun avertissement sanitaire sur les bouteilles d’alcool commercialisées ne signifie aux consommateurs le risque de survenue de cancers oraux. [22,23] Depuis 2013, la 3ème semaine de septembre est dédiée la sensibilisation et l’information des populations européenne aux cancers de la tête et du cou. Connue sous le nom de « Make Sense Campain », elle est organisée par l’European Head & Neck Society et a mobilisé 18 pays en 2018. Elle s’exprime dans des sessions de dépistage, la distribution de fiches d’information, l’implication de groupes de patients ainsi que dans l’occupation de l’espace dans les médias et sur les réseaux sociaux. Des initiatives nationales existent également, telles que le « Mouth Cancer Awareness Day » en Irlande (en septembre depuis 2010) et le « Mouth Cancer Action Month » au Royaume-Uni (en novembre depuis 1977) à l’image de « l’Oral, Head & Neck Cancer Awareness Month » américain (en avril depuis 1998).
Evaluer les effets des politiques de santé sur les populations de l’Union européenne
Afin d’évaluer l’impact de ces politiques de santé à grande échelle, il serait fastidieux de sonder une aussi large population que celle de l’UE. Or, il a été montré que sur internet, les terminologies liées à la santé sont les plus populaires dans les moteurs de recherche, les internautes recherchant des informations sur des sujets de santé pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Ces tendances des recherches en ligne suivent des tendances temporelles. Elles présentent des pics soudains ou des augmentations pendant les épidémies ou pour toute autre augmentation de l’intérêt pour une maladie. [25,26] C’est à partir de ce constat que des équipes de recherche ont proposé de mettre en place des protocoles de recherche épidémiologiques d’un nouveau genre, aussi appelés études d’infodémiologie, qui utilisent de très grands volumes d’informations issues d’internet (Big Data). Le moteur de recherche de Google© est le leader en Europe. Google Trends©, développé en 2004 par Google©, est un portail en ligne librement accessible, et qui permet d’analyser les données de recherche des utilisateurs de Google©. Google Trends© a ainsi introduit une nouvelle manière de mener des recherches épidémiologiques. Les modèles de recherche basés sur Google Trends© sont utilisés comme indicateurs potentiels de l’occurrence, des effets de lieu et de temps, ou de sévérité d’une maladie, avec un niveau de preuve statistique fort obtenu à partir de ces modèles. En effet, d’une part le nombre abondant de données collectées par ces méthodes s’exprime dans une puissance statistique forte, et d’autre part, ce type de recherches n’est pas restreint par le modèle de rémunération utilisé dans les enquêtes épidémiologiques classiques. Il a été établi que l’analyse des données obtenues par ce biais sont efficaces pour l’étude des maladies transmissibles notamment, avec une précision comparable à celle des méthodes épidémiologiques habituelles. [27-29] Parce que Google© est un leader mondial des technologies de l’information, et parce qu’il est le moteur de recherche le plus utilisé dans l’UE, Google Trends© fournit une image claire des tendances de recherches sur internet. Ainsi, en 2011, Malik et al. ont démontré que le croisement des données issues de Google Trends© et des données du service de régulation des urgences a permis de prévoir la pandémie de la grippe H1N1 en 2009 [30].
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Table des matières
1. Introduction
1.1. Les cancers oraux et leurs facteurs de risques
1.2. Prévenir les cancers oraux et y sensibiliser les populations de l’Union européenne
1.3. Evaluer les effets des politiques de santé sur les populations de l’Union européenne
2. Matériel et méthodes
2.1. Schéma d’étude
2.2. Critères d’inclusion
2.3. Stratégie de recherche par mots-clés
2.4. Google Trends©
2.5. Wikipédia
2.6. Twitter©
2.7. Articles de presse
2.8. Bibliométrie
2.9. Introduction de nouvelles politiques de santé publique
2.10. Schéma expérimental et analyse statistique
3. Résultats
3.1. Google Trends©
3.2. Wikipédia
3.3. Twitter©
3.4. Articles de presse
3.5. Bibliométrie
3.6. Introduction de nouvelles politiques de santé publique
4. Discussion
5. Conclusion
Table des illustrations
Bibliographie