LES CANCERS CUTANES VUS DANS LE SERVICE D’ONCOLOGIERADIOTHERAPIE

Mélanogenèse et unités fonctionnelles de mélanisation

                 Les unités fonctionnelles de mélanisation correspondent à des ensembles de mélanocytes et de kératinocytes voisins auxquels ils transfèrent des grains pigmentaires. Ces unités contiennent en moyenne un mélanocyte pour trente-six kératinocytes. Le transfert de pigment du mélanocyte aux kératinocytes se fait en 4 phases : synthèse de mélanosomes dans le mélanocyte, mélanisation des mélanosomes, transfert de mélanosomes aux kératinocytes, dégradation et élimination des mélanosomes dans les kératinocytes. Le nombre et le niveau d’activité des unités fonctionnelles de mélanisation conditionnent la pigmentation [13,25,26].

Phototypes

               Les phototypes cutanés regroupent les sujets selon leurs pigmentations et leurs réactions cutanées face aux irradiations UV, via la classification de Fitzpatrick (Tableau I). Cette dernière est largement employée chez les sujets de race blanche. Ils sont utiles dans l’évaluation de risque de survenue de cancers cutanés. La spectrophotométrie a été récemment connue comme un meilleur outil d’évaluation de ce risque. Le phototype clair, par production de phéomélanines, représente un facteur de risque de cancers cutanés. En effet, les phéomélanines n’ont pas ou peu de pouvoir photoprotecteur ; contrairement aux eumélanines qui eux ont un pouvoir photoprotecteur environ 1 000 fois supérieur à celui des phéomélanines [13,26,28].

Diagnostic

                      Le diagnostic des cancers cutanés est basé sur les aspects histocliniques. Il est suspecté à l’examen clinique à l’œil nu ou aidé de la dermatoscopie. La dermatoscopie est une technique d’examen non invasive, permettant de donner un nouveau regard de la morphologie clinique des lésions cutanées pigmentées [32]. En effet, on peut discerner une symptomatologie colorielle et architecturale, qui correspondait aux couleurs et formes ainsi qu’aux dispositions des structures vasculaires, kératosiques et mélanocytaires [33] (Figure 2B). L’examen dermatoscopique seul permet de poser le diagnostic devant certaines localisations comme la face [34]. Sa sensibilité pour le diagnostic du carcinome basocellulaire est de 97,2 %, alors que celle de la clinique est de 61,1 %. Sa spécificité est de 76,9 % alors que celle de l’examen clinique seul est de 53 % [32]. A part la dermatoscopie, la microscopie confocale est une technique d’examen également non invasive permettant d’optimiser la prise en charge des tumeurs pigmentées du bord libre des paupières et de diagnostiquer des mélanomes même de taille réduite [35] (Figures 3A et 3B).
Aspects histocliniques
1. Carcinome basocellulaire (CBC) : C’est la forme la plus fréquente de carcinomes cutanés. La plupart surviennent après l’âge de 50 ans, sur les zones photoexposées de préférence dans les régions de la tête et du cou. Ils prédominent au visage en particulier sur le nez, à l’exception de la forme superficielle qui est plus fréquente sur le tronc. Ils ne touchent jamais les muqueuses [3]. Deux principaux facteurs sont apparemment prédisposants : les expositions solaires intermittentes aiguës surtout pendant l’enfance et l’adolescence et le phototype clair. Cependant, ce type histologique peut se voir également chez les sujets de peau noire [36,37]. La forme de début se manifeste sous forme d’une lésion perlée, papule arrondie translucide et télangiectasique qui s’étale progressivement. La chronicité de ces lésions, leur absence de guérison spontanée doit conduire à une biopsie à visée diagnostique. Il existe quatre variétés cliniques :
 Le CBC nodulaire : c’est la variété la plus fréquente, représentant les deux tiers de CBC. Il s’agit d’une papule ou d’un nodule lisse translucide recouvert de fines télangiectasies. La périphérie peut être constituée d’une succession de perles. Au plan histologique, il est constitué d’un ou plusieurs nodules de grande taille localisés dans le derme, bien circonscrits et bien limités, faits de cellules basaloïdes dont les noyaux sont agencés en palissades en périphérie.
 Le CBC superficiel : il se présente sous forme d’une plaque érythématosquameuse et croûteuse. La tumeur peut être séparée par des intervalles de peau saine, donnant un aspect multifocal. Au plan histologique, il se définit par la présence de nids tumoraux intra-épidermiques appendus à l’épiderme ou aux follicules pileux.
 Le CBC sclérodermiforme : c’est la forme la plus rare. Il prend l’aspect d’une plaque dure, brillante, mal limitée et déprimée, ressemblant à une cicatrice blanche. A l’histologie, il réalise une infiltration du derme par des foyers tumoraux constitués de cordons effilés, parfois constitués d’une seule assise cellulaire.
 Le CBC infiltrant : trabéculaire ou micronodulaire, il est constitué d’un foyer tumoral peu cellulaire, d’architecture variée en îlots irréguliers ou en travées. Ces différentes variétés peuvent toutes s’ulcérer ou se pigmenter par dépôt de pigments mélaniques posant parfois un problème de diagnostic différentiel avec le mélanome [1,8,38].
2. Carcinome épidermoïde (CE) : Autrement appelé carcinome spinocellulaire, il apparaît habituellement après l’âge de 60 ans, avec une prédominance masculine. On l’observe souvent chez les sujets de peau noire [5,6]. Comme le CBC, il se développe également au niveau des zones photoexposées dont les régions de la tête et du cou. Mais contrairement au CBC, il survient très fréquemment sur des lésions précancéreuses comme les kératoses actiniques, les ulcères chroniques et les cicatrices. Et aussi, il peut toucher la peau et les muqueuses [3]. De plus, l’exposition solaire cumulative est le principal facteur de risque [39,40]. Il existe des formes particulières, à savoir :
 Le carcinome in situ ou maladie de Bowen : se présentant sous forme d’une plage érythémateuse rosée ou brune, bien limitée, fixe, parfois squameuse, d’évolution lente ;
 Le CE infiltrant : se présentant sous forme d’une lésion nodulaire, croûteuse, souvent ulcérée. Mais il peut prendre aussi un caractère végétant ou hyperbourgeonnant. On distingue : le carcinome verruqueux, tumeur exophytique en choux-fleur se localisant préférentiellement au niveau des membres inférieurs et le carcinome périunguéal [3,38]. En histologie, on retrouve une prolifération de kératinocytes de grande taille, organisés en travées ou en lobules, souvent mal limitées. Une différenciation kératinisante est fréquemment observée donnant naissance à des globes cornés [1,8].
3. Mélanome : Le mélanome cutané est une maladie multifactorielle. Il résulte des effets et interactions de facteurs environnementaux, notamment l’exposition solaire aiguë ou chronique et de facteurs génétiques, surtout la mutation du gène CDKN2A et les phototypes I-II. Il peut apparaître sur une peau saine (de novo) dans 70-80 % des cas, ou résulter de la transformation maligne d’un nævus [41,42]. L’âge médian au diagnostic est 50-60 ans. La suspicion diagnostique est clinique, soit par la présence d’une lésion pigmentée différente des autres nævi du sujet étudié, soit par la présence d’une lésion pigmentée ayant habituellement au moins 3 des caractéristiques suivantes :
 A : asymétrie
 B : bords irréguliers
 C : couleur inhomogène (brun, noir, marron ou bleu, zones dépigmentées, halo inflammatoire)
 D : diamètre supérieur à 6 mm
 E : évolution récente documentée (extension en taille, en forme, en couleur, en relief)
A l’examen histologique, le mélanome a une composante intraépidermique et une composante dermique. La composante intraépidermique est faite de mélanocytes regroupés en thèques (Figures 4A et 4B) ou en nappes. Alors que la composante dermique est constituée d’un envahissement du derme par les mélanocytes tumoraux, souvent associés à un infiltrat inflammatoire. La nature mélanocytaire est souvent facile à affirmer lorsque les cellules contiennent de la mélanine. Sur le plan anatomoclinique, quatre formes de mélanome sont décrites :
 Le mélanome superficiel extensif : c’est la forme la plus fréquente, rencontré dans 60-70 % des cas, avec croissance horizontale en intraépidermique puis verticale dermique. Le mélanome en thèques des sujets âgés représente une de ses variantes (Figure 2A) ;
 Le mélanome de Dubreuilh : c’est un mélanome le plus souvent in situ observé principalement au niveau du visage chez les sujets de plus de 60 ans, avec une évolution lente horizontale.
Le mélanome acrolentigineux : il est observé au niveau des paumes, des plantes et des ongles. Il a une évolution horizontale puis verticale ;
Le mélanome nodulaire : il se développe rapidement et d’emblée de manière verticale [1,8,38].
4. Sarcomes : Un sarcome est dit cutané lorsqu’il est dans le derme, au dépens des tissus conjonctif et nerveux [43]. Selon le caractère histogénétique, la présence ou non d’anomalies génétiques spécifiques, on distingue : le dermatofibrosarcome, le fibrosarcome, l’histiocytome fibreux malin, le fibroxanthome atypique, le léiomyosarcome, l’angiosarcome, l’hémangioendothéliome, le sarcome de Kaposi, le liposarcome, les tumeurs malignes des gaines nerveuses périphériques, le sarcome épithélioïde, le synovialosarcome et le sarcome alvéolaire [3]. Voici quelques particularités anatomocliniques :
 Dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand : c’est le sarcome cutané le moins rare. On a une plaque infiltrée érythémateuse, devenant bosselée, protubérante, et multinodulaire. Elle s’étend aussi en profondeur. Au microscope, il s’agit d’une lésion dermo-hypodermique très mal limitée, dissociant la graisse en « nid d’abeilles » [44].
 Sarcome de Kaposi : Quatre formes cliniques sont individualisées telles que la forme classique méditerranéenne du sujet âgé, la forme endémique africaine de sujets non-VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine), la forme liée aux traitements immunosuppresseurs et la forme associée au VIH qui est la plus agressive. L’Herpès virus humain 8 est principalement l’agent étiologique de toutes les formes de sarcome de Kaposi [45]. Dans la forme classique, il s’agit de lésions pourpres ou bleuâtres siégeant aux membres inférieurs souvent atteints de lymphœdème. Histologiquement, la lésion cutanée évolue en trois stades. Au stade de macule, des petits vaisseaux dilatés irréguliers dissèquent le collagène dermique et s’entourent de quelques lymphocytes et plasmocytes. Au stade de plaque, le phénomène s’accentue ; et au stade de nodule, la prolifération fusocellulaire est dense, creusée de fentes.
 Liposarcomes : ils sont parmi les plus fréquents des sarcomes de l’adulte, représentant 20 % de tous les sarcomes. Ils surviennent dans 60 % des cas chez l’homme entre 40 et 60 ans. Ils siègent préférentiellement au niveau de la partie proximale des extrémités. C’est une tumeur souvent volumineuse, élastique, de croissance lente sur plusieurs mois ou années [3,38,46].
5. Lymphomes : On distingue trois grandes catégories de lymphomes cutanés :
 Les lymphomes cutanés à cellules T et à cellules NK : la plus fréquente, regroupant le mycosis fongoïde (MF), le syndrome de Sézary et les lymphomes ni MF ni Sézary ;
 Les lymphomes cutanés à cellules B : des zones marginales, de type centrofolliculaires, diffus à grandes cellules de type jambe et d’autres types ;
 Les néoplasies à cellules progénitrices.
Le MF est la forme de lymphome T non hodgkinien la plus courante. Elle est caractérisée par une prolifération clonale de lymphocytes T CD4+. La  manifestation cutanée est de type plaque érythémato-squameuse ou plaque cuivrée. Elle peut être localisée ou généralisée. Beaucoup plus rare, le syndrome de Sézary correspond à la forme leucémique de mycosis fongoïde. Il se manifeste par une érythrodermie exfoliative généralisée avec des polyadénopathies. Le diagnostic repose sur la présence d’une population T dominante, identique dans la peau et le sang périphérique, associée à au moins 1 des critères suivants : plus de 1000 cellules de Sézary par mm3, rapport CD4/CD8>10 dans le sang circulant et perte d’un ou plusieurs des antigènes T suivants: CD2,CD3,CD4,CD5 [3,47].

Carcinome basocellulaire

               Les risques évolutifs des carcinomes basocellulaires sont de deux types : la récidive et l’extension locorégionales. Cette tumeur ne métastase jamais ni au niveau ganglionnaire ni au niveau viscéral, contrairement au carcinome épidermoïde. Cependant, elle peut engendrer des lésions mutilantes dans les formes avancées, sources de douleurs, de saignements et de surinfection [1,48]. Les facteurs de mauvais pronostic sont les formes sclérodermiformes, les formes infiltrantes trabéculaire et micronodulaire, les formes récidivées et les formes nodulaires de plus de 1 cm siégeant au niveau de la zone à haut risque (nez et zones périorificielles céphaliques) [3].

Radiothérapie externe

                   La radiothérapie externe joue un rôle important dans la prise en charge des cancers cutanés. En cas de carcinomes cutanés, elle constitue une alternative thérapeutique si la tumeur est inopérable. Elle peut être utilisée en traitement adjuvant devant une exérèse incomplète, une récidive, une extension osseuse ou cartilagineuse dans le cadre de CBC. Elle est utilisée également en traitements adjuvants locaux, devant un CE à haut risque de récidive ; et ganglionnaire, devant un curage incomplet ou une atteinte métastatique importante. La dose moyenne est de 60 Gy [53,54]. Pour les lymphomes cutanés B des zones marginales et de type centrofolliculaires, elle peut être proposée en première intention sur des lésions uniques ou peu nombreuses. Il en est de même pour le MF et le sarcome de Kaposi [54,55].En cas de mélanomes, elle est indiquée devant la présence de métastases cérébrale et osseuse localisée [47].

L’incidence annuelle des cancers cutanés

                  Nous avons noté une augmentation de l’incidence des cancers cutanés 4 fois plus en 2015 par rapport en 2008, soit 25.53 % contre 6.38 % (Figure 5). D’après Glass, Gray, Alam et Lomas, l’incidence des carcinomes épidermoïdes cutanés semble croître de 50 à 200 % pendant ces 30 dernières années [62-65]. Avril et al ont constaté que le mélanome cutané est l’un des cancers dont l’incidence a le plus nettement augmenté au cours des dernières décennies, en particulier dans les pays occidentaux industrialisés [66]. De même chez les hispaniques américains, cette incidence a augmenté de 11 % entre 1992 et 2002 [67]. Nos résultats correspondent aux données de la littérature. Cette augmentation de l’incidence serait due au changement d’habitudes sur l’exposition solaire et à l’amélioration de la connaissance des formations sanitaires. Ainsi, nous suggérons de :
 Sensibiliser les gens pratiquant des métiers à risque, en particulier les agriculteurs, sur l’importance de la protection solaire (port de chapeau, diminution de temps d’exposition solaire…) et celle des membres inférieurs (port de chaussures…) ;
 Renforcer l’utilisation des registres nationaux de cancers pour pouvoir tracer l’évolution de cette pathologie dans le temps et d’orienter, par conséquent, un programme de lutte nationale.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
I. BASES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DE LA PEAU
I.1. Définition
I.2. Embryologie
I.3. Histologie
I.4. Vascularisation
I.5. Innervation
I.6. Physiologie de la peau
I.7. Rôles
I.8. Phototypes
II. CANCERS CUTANES
II.1. Généralités
II.2. Classification anatomo-pathologique
II.3. Diagnostic
II.4. Evolution et pronostic
II.5. Traitement
DEUXIEME PARTIE : METHODE ET RESULTATS
I. METHODE
I.1. Caractéristiques du cadre de l’étude
I.2. Type et période d’étude
I.3. Population d’étude
I.4. Critères de sélection
I.5. Mode et taille d’échantillonnage
I.6. Paramètres étudiés
I.7. Mode de collecte de données
I.8. Analyse statistique
I.9. Considérations éthiques
II. RESULTATS
II.1. Etude descriptive des cancers cutanés
II.2. Etude analytique des cancers cutanés
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. Sur la méthodologie
II. Sur les résultats obtenus
II.1. Etude descriptive
II.2. Etude analytique
CONCLUSION
REFERENCES

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