Les cabinets de lecture dans la société angevine

Les cabinets de lecture dans la société angevine

Les progrès de l’instruction après la Révolution Française.

La fin du XVIIIe siècle angevin est plutôt bénéfique pour le progrès de l’instruction grâce au programme exposé par Viger en 1787, qui fait de l’éducation un point important, mais durant la période révolutionnaire, la guerre civile amène la fermeture de l’Université, la suppression des corporations mais aussi la dispersion des élèves et des enseignants d’Angers11. En effet, on sait que pendant la Terreur il y avait une école républicaine, car à l’inauguration du nouveau local de la société populaire le 10 prairial II (29 mai 1794), un groupe de 200 élèves (appelé le « bataillon de l’espérance ») mené par l’instituteur Guilloneau y chantent des hymnes patriotiques. Ensuite, la loi du 27 brumaire III (17 novembre 1794) qui supprime l’obligation scolaire, permet la mise en place d’une école primaire pour 1000 habitants. Suite à cette loi, le 12 floréal IV (5 mai 1796), un arrêté municipal prévoit la création de 10 écoles intra-muros, insuffisant au vu de la population angevine. Cette dernière loi contient aussi un principe qui a été déploré par de nombreux membres de la municipalité : le principe de la liberté de l’enseignement, dont les premiers fruits (des « écoles particulières et libres ») naissent en l’an IV.

En effet, les républicains redoutent les enseignements contraires à la République, comme par exemple ceux dispensés par les religieuses, qui bénéficient d’une immunité face aux lois. En ce sens, un collègue de Guilloneau s’est plaint de la désertion de ses élèves parce qu’il est républicain : « je suis républicain… les élèves me quittent12 ». Durant le Directoire, la principale initiative concernant l’instruction est la création de l’École centrale du département, institution correspondant à l’enseignement secondaire et remplaçant les anciens collèges, qui découle de la loi Lakanal du 3 brumaire IV (25 octobre 1795), qui est installée dans l’ancien collège de l’Anjou le 1er germinal. Cette école se construit une bonne réputation dans le département, en intégrant par exemple des enseignants de qualité comme Benaben (professeur de mathématiques), Héron (professeur de physique) ou bien le peintre Marchand, qui été chargé d’organiser les premières collections du Musée des Beaux-Arts (inauguré en 1801). Parmi les élèves qui ont suivi leurs enseignements, on peut citer pour exemples Chevreul, Béclard, Guépin ou encore David d’Angers.

De plus, la bibliothèque publique de la ville inaugurée en 1798 est installée dans les murs de l’École, créée par Braux et Locatelli, dont la collections est constituée de 40 000 volumes de littérature, droit, sciences et arts, et 60 000 de théologie et de piété, d’abord destinée aux enseignants et aux élèves. Mais cette effervescence de l’instruction semble ne pas toucher l’élite angevine, dont l’amateurisme en matière de culture reste caractéristique. C’est ainsi que Montaut, membre de la municipalité, s’en plaint en ces termes : « lorsqu’on voit s’élever de toutes parts des sociétés littéraires, on conçoit à peine comment une ville aussi populeuse qu’Angers, aussi favorisée sous le rapport des moyens de l’instruction, reste dans l’indifférence et l’apathie au milieu de l’évolution générale… l’amour des lettres, des sciences et des arts l’a toujours distinguée et paraît plus naturel à ses habitants que le goût des spéculations commerciales13 ». Sous le Consulat, Bonaparte décide de modifier l’enseignement secondaire et de remplacer les Écoles centrales par des lycées. C’est ainsi que pendant l’Empire, l’École centrale est remise en cause et la ville souhaite la remplacer par des lycées.

En nivôse de l’an VII, Briot émet la proposition consistant à créer cinq lycées, la municipalité en veut un à Angers et prévoit son emplacement dans l’ancienne abbaye Saint-Serge. L’École centrale, n’ayant pas « atteint le but qu'[ils] se proposai[ent]14 », le Conseil Général demande sa suppression en l’an IX, voeu accordé sous le poids des différentes pressions qui étaient du même avis, en 1803, mais les cours continuent pendant deux ans, le temps que le lycée accueille ses premiers élèves (150 en tout, dont 35 du département) en novembre 1806, installé dans la Rossignolerie. Suite à la création de l’Université Impériale, la municipalité demande le siège d’une académie pour Angers, ce qu’elle obtiendra : le siège de l’académie aura occupé les bâtiments abandonnés par l’École centrale. En parallèle, à la suite des Cent jours, est créée l’école des Arts et Métiers, dont le recrutement est fait dans les milieux populaires, et qui a été organisée en 1811 par Molard (directeur du Conservatoire des Arts et Métiers), et qui représentera un haut lieu de l’esprit républicain durant tout le XIXe siècle.

Une ville de culture

Angers est considérée comme une ville où la culture est particulièrement foisonnante, par ses importantes activités culturelles qui sont surtout fréquentées par l’élite politique et sociale, à tel point qu’elle acquiert la réputation d’être « l’Athènes de l’Ouest ». Le XVIIIe siècle angevin se caractérise par une vie culturelle très active. Avant tout, en 1685, l’Académie royale des Sciences et des Belles-lettres est créée, sur le modèle de l’Académie française, mais composée de seulement 30 membres. Ensuite, en 1763, un théâtre est ouvert place des Halles ; les Affiches d’Angers, premier journal hebdomadaire, voit le jour en 1773. On peut aussi voir les mélomanes se regrouper au sein d’une société de concert, et la société des Botanophiles crée un jardin botanique rue Bressigny en 1787. Dans son mémoire, Marie Blusseau explique que « force est de constater qu’une véritable vie culturelle existait dans le quartier des Halles, et même au-delà, à Angers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. On observe en effet une fréquence régulière, qu’elle soit annuelle, mensuelle ou même hebdomadaire, des divertissements théâtraux et musicaux, mais aussi des séances publiques de l’Académie ou des réjouissances collectives15 », tout en attirant « un large panel d’angevins ».

Ensuite nous pouvons évoquer la fait qu’Angers dispose d’une troupe de théâtre permanente à partir de 1847, qui sous le Second Empire et pendant une saison de neuf mois a représenté pas moins de six opéras et trois comédies. Mais c’est la saison 1884-1885 qui s’avère être la plus importante grâce à la « première » de Lakmé jouée en présence de Léo Delibes , compositeur français de renom, et la « première » de la Princesse jaune dirigée par Saint-Saëns. Ces spectacles lyriques ont attiré d’autres grandes personnalités de la culture française, comme Massenet, Gounod ou encore Sarah Bernardt, qui prouvent l’influence culturelle de la ville. Outre cela, une Association symphonique angevine est fondée en 1877 par le compositeur J. Bordier et le baron de Romain, qui a joué son premier « concert populaire » le 21 octobre de la même année, et dont 442 autres seront joués jusqu’en mars 1893, date de retrait de la subvention municipale. Une école de musique est créée en 1890 et son succès est fulgurant, dès sa création elle accueille 160 élèves et en aura 400 en 1900. Un autre élément concourt à sa réputation : les multiples sociétés savantes qui ont chacune leur revue annuelle, qui permettent la rencontre des hommes de l’art. D’abord on peut évoquer la Société de Médecine, fondée par Chevreul sous le Directoire, qui a servi au perfectionnement du corps médical d’Angers et a été une annexe de l’École de Médecine. Puis en 1828, l’Académie d’Angers refait surface dans la Société d’Agriculture Sciences et Arts, qui est reconnue d’utilité publique en 1833 et la municipalité leur crée un jardin fruitier qui a été confié à Millet, auteur spécialisé dans l’horticulture.

A. Leroy, qui succède à Millet, crée une société d’Horticulture et ouvre des cours d’arboriculture, tout en rédigeant des ouvrages spécialisés comme le Dictionnaire de pomologie. En ce qui concerne le développement de la vie intellectuelle de la ville, outre les Facultés catholiques et plusieurs écoles (comme l’école des Beaux-Arts créée en 1885 par exemple), il y a des cours municipaux « libres et gratuits », la présence d’imprimeurs cultivés comme Victor Pavie et son frère Théodore (spécialiste des langues orientales) ou encore Léon Cosnier, fondateur de la Revue d’Anjou en 1852. Angers est donc un foyer où les activités culturelles foisonnent et sont en pleine expansion. La culture s’y épanouit, profitant de conditions socio-économiques florissantes, loin de l’industrialisation qui touche la majorité des grandes villes françaises et qui par ses « fêtes, ses processions, sa sociabilité mondaine et savante, […] semble plus proche de Balzac que de Zola16 ».

Le marché du livre à Angers à la fin du XVIIIe siècle.

Afin de mieux se familiariser avec le marché du livre du XIXe siècle, je vais ici faire une rapide présentation du marché du livre à la fin du XVIIIe siècle, pour mieux introduire la période qui nous intéresse. Avant la Révolution française, il n’y avait que trois imprimeurs : André-Jacques Jahyer (en activité de 1757 à 1790), Charles-Pierre Mame (1781 à 1797, principal imprimeur d’Angers) et Louis-Victor Pavie (1779 à 1797). Avant cet événement, la production de ces imprimeurs est faible, en grande partie à cause des privilèges que les imprimeurs parisiens détiennent. En effet, ces derniers sont favorisés car leurs privilèges sont généralement nationaux, ce qui ne laisse aux imprimeurs provinciaux que certains textes produits par des intellectuels locaux. Mais c’est sans compter les effets de la Révolution française, qui donnera l’impulsion à ce métier du livre, principalement à travers la liberté d’imprimer, effective à partir du milieu de l’année 1789. Pour illustrer cette augmentation de leur activité, il suffit de signaler qu’en 1787 il n’y avait que onze textes pouvant être reproduits, douze en 1788, cinquante en 1789 et cent-un en 1790 ; les deux dernières dates montrent alors des impulsions sans précédent dans la production d’imprimés, mais qui restera stable durant toute la dernière décennie, en particulier lorsque les Vendéens ont occupé la ville durant la Terreur, ce qui marque une stagnation dans le métier à Angers, au moins jusqu’en 1797.

Pour ce qui est des libraires, on peut en compter 4 en 1787 : Louis-Michel-Thomas Aupois, Charles Boutmy, Pierre-Nicolas Tripier et Pierre Parisot. Cependant, ces effectifs vont évoluer suite à la Révolution. En effet, Boutmy décède au début de l’année 1789, a priori sans être remplacé, et l’équipe de l’entreprise familiale de Mame s’agrandit puisqu’il accueille M. Fourier en tant que libraire, époux de sa fille. Le commerce de librairie, à l’instar des imprimeurs, semble stagner durant la période révolutionnaire17, il en reste au moins quatre durant toute cette période. Avec ces métiers du livre, on peut aussi remarquer la présence de trois relieurs avant la Révolution (Aupois, Tripier et Girault), auxquels on peut ajouter M. Berthe, qui s’installe en 1790, puis Beaumont et Bain qui ouvrent leurs boutiques en 1795 (il est à noter que M. Bain est encore présent en 1811). Ensuite, pour ce qui est des cabinets de lecture (avec lesquels j’englobe les « loueurs de livres »), il y a bien sûr le « cabinet politique » de Mame ouvert en 1780, puis Aupois qui annonce en 1787 qu’il donne à lire, suivi par Jahyer qui ouvre un club similaire à celui de Mame en 1795 (qui sera fermé après quelques mois d’activité sous ordre des autorités), sans oublier Bain qui donne déjà des livres à lire et enfin Hamon, qui commence cette activité en 179818. On peut le voir, la location de livres s’enracine difficilement à Angers, car de ceux que je viens de mentionner, seul le commerce de Bain semble avoir duré jusqu’en 1811. Il y a bien Aupois, mais le dénommé Lenoir-Aupois que l’on identifie en 1811 semble plutôt être son successeur ; ces noms appartiennent donc à deux personnes différentes.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport gratuit propose le téléchargement des modèles gratuits de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

SOURCES
INTRODUCTION
1 État des lieux : Angers au XIXe siècle et ses cabinets de lecture.
1.1. L’environnement social, culturel et économique de la ville
1.1.1. Les progrès de l’instruction après la Révolution Française.
1.1.2. Une ville de culture.
1.1.3. Le marché du livre à Angers à la fin du XVIIIe siècle.
1.1.4. Les commerçants du livre à Angers au XIXe siècle, hors cabinets de lecture.
1.2. La présence des cabinets de lecture tout au long du XIXe siècle
1.2.1. Le nombre de cabinets de lecture à Angers, tous types confondus.
1.2.2. Les cabinets de lecture « simples ».
1.2.3. La polyvalence cabinet – librairie.
1.2.4. Le déclin des cabinets de lecture : un constat national ?
1.3. Le fonctionnement des cabinets de lecture
1.3.1. Les prix pour l’accès aux imprimés proposés
1.3.2. Les conditions de prêt
1.3.3. Les tenanciers
1.3.4. Localisation géographique et clientèle
2 L’offre des cabinets de lecture
2.1. Présentation des catalogues
2.1.1. L’origine des catalogues
2.1.2. Présentation générale des catalogues
2.1.3. Étude quantitative des livres en lecture
2.2. La nature des livres proposés
2.2.1. Une grande majorité de titres récents
2.2.2. Un découpage en volumes presque systématique
2.2.3. Les formats des volumes
2.2.4. L’indication des auteurs, une pratique standardisée ?
2.3. Une littérature d’évasion dominante
2.3.1. Le roman, pilier des cabinets de lecture
2.3.2. Les types de romans proposés
2.3.3. La place de la littérature étrangère
2.3.4. Les cabinets de lecture et les journaux
2.4. Comparaison avec les cabinets de lecture de plus petites villes
2.4.1. Une importance équivalente aux plus petits établissements d’Angers
2.4.2. Une offre de lecture moins récente
2.4.3. Une offre en décalage des modes ?
2.4.4. Une forme livresque quelque peu différente
3 Les cabinets de lecture dans la société angevine
3.1. Une activité surveillée
3.1.1. La location d’imprimés, cible des autorités
3.1.2. L’offre des cabinets de lecture surveillée
3.1.3. Des sanctions sans armes juridiques, ou lorsque la surveillance s’effectue sur les tenanciers et leurs idées politiques
3.2. Les cabinets de lecture face aux librairies
3.2.1. Les cabinets de lecture, ruine des libraires
3.2.2. Les cabinets de lecture, salut des libraires
3.2.3. Des offres différentes, voire complémentaires
3.3. Les cabinets de lecture et les bibliothèques : un « fratricide » ?
3.3.1. Les bibliothèques angevines
3.3.2. Un système bibliothéconomique inefficace
3.3.3. Les bibliothèques populaires : vers un remplacement des cabinets de lecture ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *