Nous rapportons dans ce travail 176 cas de Bouffées Délirantes Aiguës (BDA) observés dans l’Unité de Psychiatrie du Centre Hospitalier Universitaire d’Antananarivo ou, plus précisément, de l’Hôpital Joseph Raseta de Befelatanana (HJRB), durant une période qui va du 1er Janvier 2009 au 30 Juin 2010.
Les BDA sont des troubles psychotiques aigus se manifestant par un état délirant d’installation brutale, classiquement à symptomatologie bruyante et polymorphe, à évolution rapidement et spontanément résolutive avec retour à l’état psychique antérieur .
CONSIDERATIONS GENERALES
DEFINITION
Les troubles psychotiques, les troubles mentaux les plus fréquents, correspondent en grande partie à ce qui était traditionnellement appelé la folie ou « l’aliénation mentale » (5) et s’expriment soit par des épisodes aigus, soit sur un mode chronique. Les BDA font partie de ces troubles.
Les bouffées délirantes aiguës ou «psychoses délirantes aiguës» sont caractérisées par l’éclosion soudaine d’un délire transitoire, «coup de tonnerre dans un ciel serein», généralement polymorphe dans ses thèmes et ses mécanismes. Elles constituent de véritables expériences délirantes en ce sens que le délire y est vécu comme une donnée immédiate de la conscience modifiée, comme une «expérience» qui s’impose au sujet (intuitions, illusions, hallucinations, sentiments d’étrangeté, de mystère, etc.) (9). Dans cette “expérience”, le sujet est à la fois acteur et spectateur, convaincu, effrayé, perplexe (10); celle-ci entraîne un bouleversement profond mais transitoire du sujet avec le monde extérieur (11). D’après HENRI EY, «cette folie d’un moment s’oppose à la folie d’une existence».
L’élément spécifique des BDA est le délire. Les idées délirantes se définissent comme des idées non fondées sur la réalité commune, auxquelles le sujet attache une foi absolue, non soumises à la preuve et à la démonstration, non rectifiables par le raisonnement. Elles expriment une réalité propre au sujet et sont sous tendues par les mécanismes du délire .
L’évolution nosographique est tributaire des courants de pensées et des réflexions qui sont menées au cours de l’histoire de la psychiatrie sur différents concepts. Plusieurs classifications des maladies mentales sont apparues, deux sont internationalement reconnues :
– CIM-10 de l’OMS: Troubles psychotiques aigus et transitoires (12), et
– DSM-IV: Trouble psychotique bref .
HISTORIQUE
La place nosographique de ces épisodes délirants a été très discutée. Leur importance, leur existence même ont été souvent niées. Certains auteurs, dont BLEULER les ont assimilés soit aux schizophrénies aiguës, soit à des crises maniaco-dépressives atypiques (BUMKE), soit encore purement et simplement aux psychoses confuso-oniriques .
Le concept de bouffée délirante a été l’œuvre de MAGNAN et de ses élèves. En 1893, MAGNAN isole les «délires polymorphes des dégénérés» (14); en 1895, il distingue au sein de ces délires, les «bouffées délirantes polymorphes», expression, dit-il, du déséquilibre de base des sujets chez qui «tout est aventure et désordre» (15). La description clinique de MAGNAN et de ses élèves reste d’actualité (LEGRAIN): les délires sont, en effet, selon ces auteurs, polymorphes dans leur thématique et leurs mécanismes; ils surgissent d’emblée, et leur évolution est de quelques semaines sans laisser de séquelles, bien que les récidives soient possibles. MAGNAN isolait ainsi une variété d’épisodes psychotiques aigus au sein des états délirants. Il faut remarquer que, suivant en cela les idées dominantes de l’époque, il mettait l’accent sur le terrain sur lequel survenaient de tels états. La prédisposition des malades était alors au centre des conceptions étiopathogéniques.
La théorie de la dégénérescence, à la suite des travaux de MOREL, LEGAND DU SAULE, FALRET et KRAFFT-EBING en particulier, était en effet communément admise (16). De nombreuses manifestations psychopathologiques étaient alors considérées comme étant les symptômes des aliénations héréditaires.
MAGNAN, comme MOREL, admet que la dégénérescence mentale est le plus souvent héréditaire, mais qu’elle peut aussi être acquise. Il distingue ainsi dans la pathologie délirante celle des :
✘ «dégénérés supérieurs», marqués de stigmates physiques et psychiques, porteurs d’une lourde hérédité psychique et dont les délires sont chroniques;
✘ dégénérés à «prédisposition intermédiaire», susceptibles d’avoir des «folies intermittentes»;
✘ «prédisposés simples» chez qui «la folie est passagère et en général ne réapparaît pas». Ainsi furent reconnus des états délirants particuliers de par leur évolutivité aiguë et curable, et de par leurs conditions de survenue chez les dégénérés .
La naissance de la bouffée délirante a correspondu au temps où, en France, pénétraient les idées de KRAEPELIN, puis celles de BLEULER qui bouleversèrent les idées existant sur les psychoses fonctionnelles, alors que parallèlement s’affaiblissait l’idée de la dégénérescence. De plus, la description de la confusion mentale par CHASLIN occulta ce concept de bouffée délirante (18). Ainsi, de façon quelque peu paradoxale, diminuait progressivement l’utilisation du diagnostic de bouffées délirantes alors que nombre d’auteurs attachaient leur nom à des descriptions qui, pour l’essentiel, se rapportaient à des épisodes psychotiques aigus dont ils soulignaient certains aspects sémiologiques. Certaines de ces «entités» sont encore actuellement considérées comme des formes cliniques de la bouffée délirante; les idées de MAGNAN et son école ont ainsi survécu sous des appellations diverses :
– le nom de «paranoïas aiguës» (19), ou d’«états crépusculaires épisodiques» (20) ou «oniroïdes» (21), et dans les pays anglo-saxons sous celui de «paranoïd reaction»;
– les «psychoses hallucinatoires aiguës» (22); des phénomènes hallucinatoires de toutes natures y prédominent; les thèmes délirants sont vécus dans une atmosphère imaginaire qui ne revêt pas d’aspect onirique, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’euphorie, réalisant parfois un état comparable à celui des effets des toxiques hallucinogènes;
– la «psychose imaginative essentielle» (23): apparition brutale d’une fabulation aux thèmes divers, rocambolesques et pittoresques, rapportés avec de nombreux détails; cette psychose survient de façon plus fréquente chez des sujets ayant une «constitution mythomaniaque»;
– les «psychoses dégénératives autonomes aiguës» (24), n’ont guère, semble-t-il, survécu à leurs auteurs;
– les «états interprétatifs aigus curables», ont été repris par VALENCE (25), élève de SERIEUX, (26) sous le terme de «psychoses interprétatives aiguës» où dominent des phénomènes interprétatifs intensément vécus;
– les «états oniriques» ou des rêves décrits par REGIS puis repris par GIRAUD et par FOLLIN en 1967 sous le terme «d’états oniroïdes» (27);
– les «schizomanies» (28) sont des variétés des schizoses, dont la schizomanie représente la forme la moins grave, considérée comme la résultante d’une agression physique ou psychique sur une personnalité de type schizoïde;
– l’«expérience délirante primaire» (29);
– les «états aigus d’automatisme mental» .
Ces appellations variées des épisodes psychotiques aigus, données par différents auteurs français, reflètent des variations sémiologiques. Mais toutes les entités ont une évolutivité semblable à celle des bouffées délirantes.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CONSIDERATIONS GENERALES
1.1 DEFINITION
1.2. HISTORIQUE
1.3. ELECTRO-NEUROPHYSIOLOGIE DES ETATS DELIRANTS AIGUS
1.4. PHYSIOPATHOLOGIE
1.5. ETUDE CLINIQUE
1.5.1. Forme typique
1.5.2. Formes cliniques
1.6. DIAGNOSTIC
1.6.1 Diagnostic positif
1.6.2. Diagnostic étiologique
1.6.3. Diagnostic différentiel
1.7. EVOLUTION ET PRONOSTIC
1.8. PRISE EN CHARGE
1.8.1 Phase aiguë
1.8.2. Traitement ultérieur
DEUXIEME PARTIE : ETUDE PROPREMENT DITE
2.1. METHODOLOGIE
2.1.1. Population source
2.1.2.Recrutement
2.1.3. Critères d’inclusion
2.1.4. Traitement des données
2.2. RESULTATS
2.3. MATERIEL D’ETUDE
2.3.1. Caractéristiques des 176 Cas de BDA observés
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION ET COMMENTAIRES
3.1. DU POINT DE VUE EPIDEMIOLOGIQUE
3.1.1. Selon la fréquence
3.1.2. Selon le sexe
3.1.3. Selon l’âge
3.1.4 Selon la situation matrimoniale
3.1.5. Selon la profession
3.1.6. Selon le lieu de résidence
3.2. DU POINT DE VUE PATHOGENIQUE
3.2.1. L’élément primaire et négatif
3.2.2. L’élément secondaire et positif
3.3. SUR LE PLAN SEMEIOLOGIQUE
3.3.1. Le début de la BDA
3.3.2. La période d’état
3.3.3. Le comportement
3.3.4. L’état somatique
3.3.5. L’évolution
3.4. CONCERNANT L’ETIOLOGIE
3.5. CONCERNANT LE TRAITEMENT
3.6. RECAPITULATIF DES CARACTERISTIQUES DE NOS OBSERVATIONS
CONCLUSION
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE