Les biomatériaux textiles en chirurgie vasculaire

Les biomatériaux textiles en chirurgie vasculaire 

Notice historique

Entre les travaux d’Alexis Carrel ayant abouti à Lyon (France) à la mise au point des techniques de l’anastomose vasculaire (28, 29), et l’implantation réussie à Paris (France) en 1951 de la première allogreffe artérielle chez l’homme par Jacques Oudot (30), il s’est écoulé une cinquantaine d’années. Le premier substitut vasculaire de synthèse fut développé parallèlement aux Etats-Unis d’Amérique puis évalué dans un modèle canin de pontage aortique par Voorhes et ses collaborateurs au cours des années quarante (1). La première implantation de ce substitut synthétique chez l’homme est à porter au crédit de ces mêmes auteurs américains. Elle est datée d’une dizaine d’années plus tard, en 1952, soit un an après l’exploit chirurgical d’Oudot à Paris. Cette première implantation chez l’homme d’un matériau synthétique en position vasculaire se conclut toutefois une trentaine de minutes plus tard par la mort du malade (1). Cette tentative malheureuse eut en revanche le mérite de susciter très tôt un intérêt croissant pour les matériaux textiles en chirurgie vasculaire. D’ailleurs, l’évolution de la chirurgie cardiovasculaire a par la suite suivi les progrès dans la conception et la fabrication des biomatériaux en général et des biomatériaux textiles en particulier.

Cette première prothèse historique (poreuse et tubulaire) fut réalisée en fibres tricotées de chlorure de polyvinyle (Vinyon®) (1). Des matériaux divers ont été ensuite évalués dans la confection des substituts vasculaires synthétiques. La soie, l’ivoire, certains métaux, des fibres de verre, des fibres de polyamide 6.6 (Orlon®, Ivalon® et Nylon®) ont tous été testés avec des fortunes diverses. Leur usage a très rapidement périclité du fait de mauvaises propriétés physiques. Leur talon d’Achille commun fut constitué par une faible résistance au « Shear Stress » une fois exposés au courant sanguin, responsable de nombreux états catastrophiques de dégradations rapides et de ruptures secondaires fatales. Le PET (Dacron®) fut développé en Grande Bretagne par les chimistes J. R. Whinfield et J.T. Dickinson vers les années 1941. Le point de fusion élevé de ce matériel thermoplastique facilement façonnable en fils le rend idéal pour des applications textiles industrielles. Le PET oppose en plus aux situations de stress mécanique une résilience importante conférée par la présence de cycles aromatiques renforçant les liaisons chimiques au sein du polymère. Michael De Bakey fut dans ce contexte le premier à utiliser le PET pour une reconstruction aortique après l’avoir modelé artisanalement en utilisant la machine à coudre de son épouse. Quant au PTFE, il fut d’abord développé par Roy Plunkett en 1938 puis commercialisé en 1945 sous le nom de Teflon® avant d’être modifié sous sa forme microporeuse actuelle d’ePTFE (expansed PTFE ; GoreTex®) par des chercheurs de W.L. Gore & Associates, inc.(8).

Usage actuel des biomatériaux textiles en chirurgie vasculaire

L’utilisation de matériaux synthétiques (PET et ePTFE) pour la confection de substituts vasculaires a vite supplanté les allogreffes pour devenir depuis De Bakey et coll.(31) le gold standard dans des indications précises comme le traitement des lésions anévrismales ou occlusives à l’étage aorto-iliaque.

Les matériaux prothétiques sont également utilisés en nombre élevé (Figure 2) pour remplacer les artères périphériques mais avec des résultats cliniques largement perfectibles. Dans une grande étude prospective randomisée, le taux de perméabilité des pontages prothétiques infra-géniculés était ainsi de seulement 54% à 4 ans comparé au taux de 76% obtenu dans les mêmes conditions avec un matériel veineux autologue (32).

L’amélioration de la composante textile des endoprothèses couvertes a été déterminante dans l’essor exponentiel qu’a connu la chirurgie vasculaire mini invasive au cours des deux dernières décennies. Le problème des endofuites de type IV par excès de porosité du matériau textile, rencontré avec les premières générations d’endoprothèses couvertes aortiques, a par exemple été résolu. Les nouveaux dispositifs vasculaires implantés par voie percutanée en cas de lésions artérielles occlusives ou anévrismales ont ainsi permis de traiter des malades qui seraient parfois inopérables avec les méthodes chirurgicales classiques (33).

Les revêtements prothétiques d’étanchéification

La porosité relative des matériaux synthétiques vasculaires est apparue très tôt comme un critère déterminant favorable de leur incorporation au niveau des tissus de l’hôte (34). Une porosité très élevée reste toutefois délétère par l’importance des pertes sanguines qu’elle peut occasionner. Ainsi, jusqu’au début des années quatre vingts une étape de « pré-caillotage » était nécessaire lors des implantations humaines de prothèses vasculaires afin de limiter les pertes sanguines (35). Une étape cruciale du développement des biomatériaux vasculaires a été sans doute l’obtention de substituts synthétiques en PET déjà étanchéifiés industriellement. Les agents utilisés pour obtenir cette étanchéité ont fait l’objet de nombreuses investigations à la fois en pratique clinique et en laboratoire. Les revêtements prothétiques (« coating ») utilisés pour étanchéifier les prothèses en PET ont en commun de se résorber en 4 à 12 semaines après l’implantation, laissant ainsi la place pour l’incorporation du PET aux tissus de l’hôte (36). Ces revêtements doivent de plus être non toxiques, non allergisants et peu thrombogènes. Ceux en usage actuellement sont des polymères protéiques d’origine humaine ou animale, mais sont de plus en plus souvent obtenus par synthèse chimique ou génie génétique depuis la découverte des infections rétrovirales et des zoonoses à prions. On peut citer l’albumine, la gélatine et le collagène utilisés sous une forme réticulée ou non réticulée. Ces protéines de revêtement offrent pour certaines la possibilité d’établir des liaisons ioniques avec des antibiotiques comme la rifampicine (37-39), et pour d’autres celle d’emprisonner dans leur matrice des antiseptiques comme le triclosan ou les sels d’argent (40, 41). Les substances ainsi emprisonnées sont libérés plus ou moins rapidement au fil de la biodégradation de la matrice après l’implantation prothétique.

Problématique liée à l’utilisation des prothèses en chirurgie vasculaire

Les prothèses vasculaires classiques comme les endoprothèses sous leur forme actuelle constituent une solution mécanique à des problèmes biologiques. Elles sont exposées, une fois implantées dans le corps humain, à un certain nombre de complications comme l’infection, la resténose et les occlusions tardives, chacune avec morbidité et mortalité propres.

La thrombogénicité intrinsèque des biomatériaux vasculaires 

La thrombogénicité résulte de l’activation des plaquettes et de la cascade de coagulation au contact d’un matériel exogène. Quoiqu’il existe des matériaux qui soient moins thrombogènes qu’un autre, tout matériau étranger implanté dans l’organisme déclenche un certain degré de thrombogénicité (43, 44). Quand vient le sang en contact d’un implant étranger, des protéines plasmatiques s’adsorbent à la surface du biomatériau (Figure 3) et y forment une couche protéique d’environ 100–200 Â d’épaisseur (44, 45). La nature et la quantité de protéines adsorbées dépendent des propriétés physiques et chimiques du biomatériau implanté (46). Cette couche protéique constitue le substrat pour l’adhésion plaquettaire et l’activation de la voie intrinsèque de la coagulation. Les plaquettes au contact s’agrègent, s’activent, se dégranulent et s’adhèrent à la surface (47, 48). Ils contribuent ainsi à constituer le thrombus par polymérisation du fibrinogène en fibrine et recrutement de globules rouges (Figure 3).

Les matériaux étrangers implantés dans le réseau vasculaire provoquent de plus des niveaux plasmatiques élevés de : thombomoduline, thromboxane B2, facteur XIIa, éléments du complément et leucocytes circulants qui sont tous des facteurs susceptibles de promouvoir les phénomènes thrombotiques (47). La thrombogénicité est rarement un problème immédiat quand il est question de prothèses et d’artères de bon calibre. La thrombogénicité intrinsèque des matériaux textiles reste un critère déterminant et actuellement rédhibitoire pour la conception des prothèses et des endoprothèses vasculaires couvertes de petits diamètres (< 6 mm) (8). Les substituts prothétiques textiles sont dépourvus de la couche native de cellules endothéliales produisant l’oxyde nitrique (NO) capable d’empêcher les phénomènes de thrombose in situ. De plus la circulation relativement ralentie dans des conduits de tels calibres exposerait encore davantage aux phénomènes thrombotiques (8). Une approche possible pour obvier à ces difficultés serait de doter les biomatériaux textiles en un système capable de bloquer ou de limiter l’activation plaquettaire et/ou d’interagir avec la cascade de la coagulation. Des substituts vasculaires de petits calibres pourraient être ainsi synthétisés (2).

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Table des matières

1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
2 REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
2.1 Les biomatériaux textiles en chirurgie vasculaire
2.1.1 Notice historique
2.1.2 Usage actuel des biomatériaux textiles en chirurgie vasculaire
2.1.3 Les revêtements prothétiques d’étanchéification
2.1.4 Le cahier des charges du greffon prothétique idéal
2.2 Problématique liée à l’utilisation des prothèses en chirurgie vasculaire
2.2.1 La thrombogénicité intrinsèque des biomatériaux vasculaires
2.2.2 Les infections prothétiques
2.2.3 Les occlusions tardives par hyperplasie myo-intimale
2.3 Inventaire des systèmes expérimentés pour améliorer les matériaux prothétiques vasculaires
2.3.1 Les modifications à l’oxyde nitrique (NO)
2.3.2 Les revêtements organiques
2.3.2.1 Revêtement de Carbone
2.3.2.2 Revêtement fluoré
2.3.2.3 Revêtement de sulfure de polypropylène sulfure—polyéthylène glycol
2.3.2.4 Revêtement phospholipidique
2.3.2.5 Revêtement en poly-1,8-octanediol citrate
2.3.3 Les revêtements protéiques
2.3.3.1 Revêtement par l’albumine
2.3.3.2 Revêtement par un polymère d’élastine
2.3.3.3 Revêtement par le peptide P15
2.3.3.4 Revêtement par les anticorps anti-CD34
2.3.3.5 Revêtement par le peptide Arg-Gly-Asp cyclique liant les intégrines
2.3.3.6 PTFE modifié avec le facteur de croissance fibroblastique
2.3.4 Revêtement cellulaire des prothèses vasculaires et ingénierie tissulaire
2.3.4.1 Le revêtement par les cellules endothéliales ou par les cellules souches
2.3.4.2 Le revêtement par des cellules mésenchymateuses génétiquement modifiées (Prothèses biohybrides)
2.3.4.3 Le revêtement par des nanofibres
2.3.5 Les systèmes d’immobilisation et de libération de médicaments
2.3.5.1 Molécules anticoagulantes
2.3.5.2 Les agents thrombolytiques
2.3.5.3 Les agents antiagrégants plaquettaires
2.3.5.4 Les agents anti-mitotiques
2.4 Limitations des systèmes inventoriés pour améliorer les matériaux prothétiques vasculaires
3 BUT ET STRUCTURATION DES PRESENTS TRAVAUX
4 PARTIE EXPÉRIMENTALE
CHAPITRE I : Les prothèses vasculaires fonctionnalisées par un polymère d’hydroxypropyl-β-cyclodextrine pour la libération contrôlée et prolongée de principes actifs.
4.1 Généralités sur la fonctionnalisation des prothèses vasculaires par les cyclodextrines
4.1.1 Les cyclodextrines
4.1.2 Le concept du PET fonctionnalisé par un polymère de cyclodextrines
4.1.3 Résumé des travaux antérieurs du groupe sur le concept
4.1.3.1 Développement et optimisation du procédé de fonctionnalisation des prothèses en PET par les cyclodextrines
4.1.3.2 Étude des interactions de l’HPβCD avec certains antibiotiques
4.1.3.3 Validation du concept de libération de principes actifs à partir de prothèses vasculaires en PET fonctionnalisées par la cyclodextrine
4.1.4 Limitations des connaissances sur le PET fonctionnalisé par poly-CTR-HPβCD
4.1.5 Objectifs des travaux suivants
4.2 Matériels et méthodes
4.2.1 Matériels
4.2.1.1 Les prothèses vasculaires
4.2.1.2 Les agents antimicrobiens
4.2.1.3 Les modèles animaux
4.2.1.3.1 Le modèle murin de contamination bactérienne intense
4.2.1.3.2 Le modèle canin d’implantation prothétique en position fonctionnelle
4.2.2 Méthodes
4.2.2.1 Cinétique d’adsorption et de libération des agents anti-microbiens
4.2.2.1.1 Capacité d’adsorption de PLM-CD
4.2.2.1.2 Cinétique de libération en flux continu (méthode USP-IV)
4.2.2.1.2.1 La méthode USP IV
4.2.2.1.2.2 Dosage des antibiotiques libérés
4.2.2.2 Evaluation du temps et des produits de dégradation du poly-HPβCD
4.2.2.2.1 Dégradation in vitro en milieu salin (NaCl 0.9%)
4.2.2.2.2 Dégradation in vitro dans le plasma humain
4.2.2.2.3 Dégradation in vivo dans le modèle canin d’implantation prothétique
4.2.2.3 Innocuité de PLM-CD implantée dans un modèle canin
4.2.2.4 Efficacité antimicrobienne de PLM-CD chargée d’antibiotiques
4.2.2.4.1 Les souches bactériennes
4.2.2.4.2 Test d’adhésion bactérienne (in vitro)
4.2.2.4.3 Test d’inhibition de la croissance bactérienne (in vitro)
4.2.2.4.4 Activité antibactérienne in vivo
4.2.2.5 Analyse statistique
5 CONCLUSION

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