Les Bigger than life, un groupe de femmes épanouies

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

Les drames familiaux

Les conflits familiaux dont on ne se relève pas sont aussi au coeur de l’exil. Partir, c’est essayer de s’accomplir, de se reconstruire. Partir, c’est aussi un peu mourir chez soi pour re-naître ailleurs, même si parfois c’est en dépit de la volonté de l’individu. Ainsi que l’énonce Jacques Hassoun : Tout le monde ne se précipite pas de gaieté de coeur vers l’inconnu. Ceux qui se mettent en marche ne sont-ils pas ceux qui inconsciemment, subjectivement savent reconnaître le moment de partir, de se séparer pour prendre le chemin de l’exil, de l’exode, de l’extériorité, quitte à en mourir, plutôt que de rester confinés dans l’horreur de la peur acceptée, de l’emprise tolérée, de la dictature subie62.
Ainsi, pour Elise, son mari Raymond ainsi que leur fille Estelle, le départ de leur Cameroun natal pour la France devient plus qu’une urgence. La famille de Raymond, s’étant opposée au mariage du couple, mettait tout en oeuvre pour le disloquer, tout en avançant des arguments pernicieux : Il était dangereux d’épouser une femme instruite, même si elle n’était allée qu’à l’université locale. Elle n’aurait de respect ni pour son mari, ni pour sa belle-famille. Ensuite, contrairement à lui qui appartenait à la noblesse, Elise descendait en partie – mais c’était suffisant – d’une esclave.63 Néanmoins, l’exil de Raymond et de sa petite famille fut consécutif au viol de sa femme Elise, par un de ses cousins. Ce dernier, pour toute réponse à Raymond lança que « rien de ce qu’il pensait posséder n’était à lui. Pas même sa femme. Tout appartenait à la famille.64»
A partir de ce moment, il fallait tout envisager sauf rester, car chaque jour qui passait pouvait être pire que le précédent. De fait, Raymond qui, auparavant, avait effectué ses études au Nord, précisément en France, choisit ce lieu comme refuge.
Dans Tels, l’un des personnages, Amok, même s’il a été contraint par ses parents de partir au Nord, pour faire des études, était destiné à s’exiler, quel que soit le lieu. En effet, ce personnage est en proie à des maux et troubles indicibles, subséquents à son quotidien infernal. Amok, celui-là même dont les parents étaient « de grands malades (…) le produit d’histoires intimes compliquées, jamais contées, »65 avait fort besoin de refuge, de « retraite ».
Amok et sa soeur Ajar, baignent dans une enfance douloureuse, depuis leur tendre enfance. Son père : Le maître de maison battait son épouse. Il déployait autant d’énergie et de vigueur que s’il s’était agi de terrasser une bête sauvage. Un ennemi mortel. Il y allait avec les poings et les pieds. Il balançait tout ce que sa main pouvait saisir. Il cognait à la tête. Il cognait au ventre. Lorsqu’elle était à terre, il l’empoignait par les cheveux. Il lui décochait une droite à la mâchoire. Ivre de la tenir en son pouvoir.66
Par ailleurs, le patronyme d’Amok– jamais cité dans l’oeuvre – est source de malaise pour le personnage. Il voulait s’en débarrasser à tout prix, afin de pouvoir exister et être, sans que ce soit à travers ce patronyme. Petit-fils d’un collaborateur, Amok vivait mal cet héritage. De plus :
Lorsqu’il était arrivé au Nord, il avait vite su qu’on se fichait de services rendus par les collabos. Ils s’étaient déshonorés pour rien (…) On avait raison. Ceux qui n’avaient pas eu d’orgueil ne méritaient pas le souvenir.»67
Au pays, tout le monde connaissait le patronyme, il ne passait pas inaperçu, alors que son poids l’écrasait. Son patronyme pourtant était un laisser-passer, lui conférant presque tous les pouvoirs : « chez lui, (…) il serait de ceux qui faisaient le monde. Il était né de ce côté-là de la barrière. Il aurait un travail, celui qu’il voudrait. »68 Cependant, même s’il est un nanti, ce patronyme était « tout ce qu’on avait de plus que les autres. : Une chance d’échapper au drame familial. »69 De cette façon, l’Ailleurs, le Nord donc, quoi qu’on puisse dire, constitue une réelle aubaine :
Il avait payé pour s’affranchir du nom. (…) Il s’avouait dans son for intérieur que la vie au Nord ne lui plaisait pas. Elle n’avait pour unique avantage que l’anonymat qu’elle lui garantissait. Ici, il n’avait pas de généalogie ; il n’était qu’un point sombre rasant les murs.70
Par ailleurs, Gerty Dambury, cette femme de lettres, a quitté la Guadeloupe pour les mêmes raisons, alors qu’elle était âgée seulement de douze ans71.
Ainsi, les drames familiaux sont la cause de bon nombre d’exils.

Autres motifs

Outre le reclassement social, d’autres motifs expliquent le départ pour l’Europe. C’est la quête du savoir, de l’avoir entre autres exemples.

La précarité

Les candidats à l’émigration et dont la quête est absolument déterminée par l’avoir, empruntent rarement des voies légales. Issues de familles pauvres et démunies, ils vont d’un continent à un autre, soit par la traversée de l’Atlantique à bord d’une pirogue, soit par le passage dans le désert. De plus en plus de jeunes mettaient leur vie en danger, pour cet Ailleurs qu’ils appelaient l’Eldorado, le paradis terrestre puisque « tout ce qu’ils savaient de leurs pays, c’était l’urgence de le quitter. »72 En effet, les pays du Nord sont « ces contrées rêvées, inaccessibles aux simples mortels »73 et, « où à ce qu’on disait, même les poubelles ne puaient pas. »74
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle Frantz Fanon a pu dire que le Noir qui connait la métropole est un demi-dieu.75 Ainsi, telle est l’image que la plupart des Noirs se font du Nord. Mais qu’en est-il du Continent ? Il y avait que :
Trop de loups avaient pris place dans sa bergerie. Il en avait enfanté un certain nombre. Des dirigeants illégitimes travaillaient à sa perte avec une ardeur surprenante. Y compris pour leurs comparses nordistes. (…) il rêvait de devenir un Nord en miniature. Agressif et pollué. (…) Il voulait privatiser l’instruction. L’eau. La santé. L’électricité. (…) Il ne voulait pas prendre le temps (…) de trouver comment s’inscrire à sa manière dans l’avenir du monde. (…) On ne pouvait envisager son bien-être en ne prenant en compte que des règles dictées par d’autres. On ne pouvait espérer les battre à un jeu qu’ils avaient inventé. Dont ils modifiaient les règles à l’envi. C’était cette impossibilité qui faisait bouillir de rage certains nationalistes noirs.76
De cette manière, il est clair que cette quête de l’avoir est déclenchée par les régimes dictatoriaux qui ne laissent aux populations que deux possibilités : « voir le pays dévorer leurs aspirations ou essayer de fuir ce lieu où la moindre espérance semblait un délit.»77
Pour ce sous-chapitre, deux personnages nous intéressent : il s’agit de Shrapnel dans Tels et de Thamar dans Ces âmes. Tous les deux aspirent à se rendre au Nord, pour trouver une vie meilleure. Seulement, Shrapnel concrétise son projet par des canaux illégaux, c’est-à-dire par l’émigration illégale, comme bon nombre de ses pairs. Néanmoins, soulignons que : Tous ne venaient pas de territoires frappés par la guerre ou la famine, c’était un fait. Tous n’étaient pas des activistes menacés par un régime autocratique. Leur attitude ne faisait que conforter le monde entier dans l’idée que le Continent était une vaste benne à ordures, un immense dépotoir, un lieu crée pour la consomption des âmes damnées, le tombeau de l’humanité.78
N’ayant pu décrocher sa licence après quelques années à l’université locale, Shrapnel tente sa chance au Nord. Son peuple : Dès le point du jour,(…) faisait la queue devant les grilles des ambassades nordistes. Le peuple n’aimait plus être lui-même, ne savait d’ailleurs plus qui il était. Il pensait, en fuyant, abolir la question. Dans les quartiers populaires où Shrapnel avait vécu, on s’efforçait de mettre de l’argent de côté, pour prendre le large au péril de sa vie. (…) On ne voulait que se fondre dans ce que d’autres avaient forgé, se dispenser d’accomplir sa propre tâche.79
Dans Retour d’un si long exil de Nafissatou Dia Diouf, c’est la même chanson. Il fallait : [Pour le personnage]conquérir le monde pour revenir chez lui un jour en messie, en héros adulé et charismatique. Dans ses rêves, Londres n’était qu’un tremplin pour rebondir vers d’autres cieux, à la conquête du monde.80
Dans Ces âmes, Thamar qui vit dans le dénuement, connait le Nord, par le truchement de Pierre, son compagnon blanc. Or, aller en Europe est ce à quoi aspirent presque toutes les jeunes filles du Mboasu qui : (…) la tête farcie de délires chimériques, squattaient les web cafés de Sombé ou de Nasimapula, s’inscrivaient sur des sites de rencontre à la recherche de l’homme blanc, se faisaient créer des pages sur la toile. (….) Elles voulaient s’en aller, tenter de devenir autres. Les ruelles des quartiers populaires comme Osikékébobé, Embényolo, Asumwé, étaient pleines d’enfants abandonnés par de jeunes mères s’étant enfuies à la poursuite du rêve. (…) le plus souvent, elles ne revoyaient jamais leur progéniture.81
Ceci démontre la toute-puissance des pays occidentaux dans l’imaginaire des Noirs. Le Nord était un rêve qu’on souhaitait grandement concrétiser.

L’obsession de la dette coloniale

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les obsédés de la dette coloniale figurent parmi les candidats qui aspirent fortement à l’émigration. Mais, nous ne disons guère que des individus quittent leur terre natale, se lançant à la quête de l’Ailleurs, au seul et unique but d’essayer d’ «assouvir » une vengeance. La réalité est toute autre. En effet, il s’agit de personnes venues faire leurs études au Nord, venues faire fortune…. Il peut s’agir de n’importe quel émigré pour lequel la dette coloniale est et reste une obsession puisque c’était sur le sol du Nord que tout était parti. Le Nord donc était mauvais, parce qu’il :
Avait truandé le Continent et s’était bercé d’illusions. Ses avancées techniques n’étaient que matérielles. Elles n’avaient pas modifié le fonds humain qui était tel qu’en tout autre lieu. Le Nord avait policé la barbarie. Ne l’avait nullement abolie. Il donnait le nom de plans sociaux à des opérations dont on pouvait affirmer qu’elles étaient des meurtres de masse. Le Nord avait inventé la destruction propre : celle qui ne faisait pas couler le sang. 87
Mieux, « des conférenciers noirs confirmaient cela. Ils énuméraient la longue liste des crimes commis par le Nord au cours des âges. »88 .» Cela étant, l’unique solution qui s’imposait était « de demeurer là. Tel un cheval de Troie subsaharien au coeur de la mécanique nordiste. En réguler le fonctionnement.»89
Ainsi, à la question de savoir s’il était en faveur d’une indemnisation pour les descendants d’esclaves, Amos Gitaï, un cinéaste israélien répond par l’affirmatif : « Pourquoi pas ? Les Occidentaux ont exploité les Africains comme des bêtes. Ils ont aussi exploité les Indiens.90 »Egalement, les Occidentaux ont tendance à croire à cette « vengeance », pour eux, le mariage gris91 est un subterfuge des « snipers d’un genre nouveau »92 des immigrés « dont on pensait que le but ultime était d’envahir l’Europe pour récupérer, par ce moyen s’il n’y en avait pas d’autre, tout ce dont l’Occident les spoliait ».93
Ces obsédés de la dette coloniale sont traumatisés par l’Histoire. Toutefois, on ne saurait réécrire l’histoire. C’est un fait. Elle ancre ses ventouses dans le présent pour sa continuité. De cette façon, l’histoire ne pourrait être à l’image d’une maille qu’on tricote et détricote à souhait, comme le ferait une Pénélope, dans l’attente de son mari Ulysse.
Par conséquent, nous considérons les propos de l’auteure, lors d’une interview, d’une grande sagesse :
Mais on a envie d’être vengé. On a envie d’avoir une vengeance sur cette histoire. Mais les bourreaux ne seront jamais punis. Puisque, de toute façon, certains ne sont même plus là. Donc, la seule vraie revanche qui pourrait exister c’est d’arriver à accepter son histoire et de se construire quand même et malgré tout.94
Par ailleurs, nous avons constaté que la moitié des personnages constitutifs de notre corpus, (Ces âmes, Tels, Blues) ne sont pas des immigrés. Et ceux qui le sont, ayant passé une bonne partie de leur vie dans les pays de l’Occident, en ont la nationalité. Egalement, parmi les personnages de notre corpus, il y a seulement deux candidats pour l’émigration économique : Amok, Thamar. Cette classification d’ailleurs n’est pas entièrement valide pour Thamar dans la mesure où, ce fut un compagnon blanc qui fut à l’origine de sa migration. Ce mythe de l’homme blanc… un autre rêve concomitant.
Ainsi, la plupart des émigrés sont ceux qui partent pour continuer leurs études, ou pour un reclassement social. Ils ne sont pas des démunis.
Le phénomène de la migration en tant que tel, est un prétexte dont Léonora Miano use pour parler d’un autre problème plus complexe et délicat. Il s’agit de la frustration, du blocage, de la névrose que ressent le Noir pour sa couleur ou surtout à cause de celle-ci. La couleur noire est associée à une petite histoire imbriquée dans la grande. Rares sont ceux qui ont pu la dépasser et guérir de leurs blessures. Nous parlons des hommes aussi bien que des femmes. Prenons un passage, pour illustrer nos propos :
Nombreuses étaient celles qui, parmi les jeunes femmes défavorisées de ce pays, étaient prêtes à tout pour s’en aller. Traverser le désert jusqu’aux limites du Continent, tenter leur chance là-bas. De l’autre côté. Au Nord. Là où, disait-on, l’âme des subsahariens avait été emprisonnée dans des musées, dans des collections privées, dans des coffres de banque, depuis des générations. Ces femmes, dont le désir le plus cher était de plier bagage pour s’établir au Nord, incarnaient un peuple auquel on avait enseigné la honte de soi, auquel on avait dit que tout valait mieux, plutôt que d’être un Subsaharien vivant sur le Continent.

Les radiés de la douceur1

Dans cette sous-partie, il s’agira de montrer comment les personnages perçoivent leur identité hybride. Pour la plupart, c’est la recherche de nouvelles perspectives qui s’impose.

Afropéa : le territoire intérieur

A partir de ce moment, l’espace s’énonce en trois dimensions. D’abord, il y a l’espace d’origine constitué par l’Afrique ou les Caraïbes. Notons, que dans les trois ouvrages de notre corpus, le nom de l’Afrique n’est mentionné qu’une seule fois. A la place, figurent le Continent, Mère des mondes, Terre originel, Pays d’Avant…
Ensuite, le deuxième espace est constitué par l’espace d’accueil, le Nord. Il s’agit de l’Europe, et principalement de la France. Mais dans les oeuvres, concernant l’appellation, il est question du Nord, de Babylone. Enfin, la troisième dimension est l’espace psychologique. Il est le centre du récit, l’espace clé. C’est ce que l’auteure appelle Afropéa :
Un lieu immatériel, intérieur, où les traditions, les mémoires, les cultures dont ils ont dépositaires s’épousent, chacune ayant la même valeur. Afropéa, c’est, en France, le terroir mental que se donnent ceux qui ne peuvent faire valoir la souche française (…) C’est l’attachement aux racines parentales parce qu’on se sent le devoir de valoriser ce qui a été méprisé, et parce qu’elles charrient, elles aussi, de la grandeur, de la beauté (…) C’est l’unité dans la diversité. C’est un écho au modèle africain américain qui a fourni les figures valorisantes que la France ne donnait pas(…) C’est ce que l’Europe peut encore espérer produire de neuf, sans doute sa dernière chance de rayonner. C’est le commencement de la post-occidentalité, qui n’est pas la négation du substrat européen, mais sa transformation.»132
Ainsi, ce concept d’afropéa nous éclaire quant au territoire intérieur des personnages. Il est le lieu de genèse, de formation d’une nouvelle identité dans la mesure où la fixité identitaire demeure une aberration. En effet, tout exil implique une redéfinition de son identité, un recadrement selon les espaces.
Au demeurant, qu’est-ce que l’identité ? Sinon cette entité que tous les humains ont en partage, cette mêmeté de l’entité – idem/entité. Comme telle, elle se redéfinit à souhait et chaque fois qu’il sera nécessaire de le faire. Elle est fonction des lieux et du temps.
Toutefois, habiter sereinement l’afropéa, demeure une impossibilité pour certains migrants parce que tout d’abord, il y a le regard des autres sur eux. C’est la couleur de leur peau qui fait d’eux des figures, des guignols, un peuple de bouffons mais aussi les « damnés de la terre. »133
Ensuite, il y a l’image stéréotypée que les Occidentaux ont en général des Noirs car : L’image des Subsahariens, telle que véhiculée en France, est celle de gens arriérés, sales, pauvres et violents par nature. (…) l’image des Caribéens est celle de personnes paresseuses par essence, ne vivant que dans l’attente des allocations familiales et du bal du samedi soir. Il n’arrive jamais qu’on les regarde avec la conscience que leur existence, tout comme leurs conditions de vie, renseignent sur ce qu’est la France. (…) Qu’on soit d’ascendance subsaharienne ou caribéenne, on est de toute façon étrange et étranger, inapte à représenter valablement la France hors des terrains de sport.134
Ce sentiment d’exclusion entraîne le repli sur soi, du spleen contre-productif.135 Ce territoire d’Afropéa est au centre du récit, c’est une façon d’ « habiller » par les mots le sentiment de frustration qui anime ces minorités, afin que le monde entier entende leurs voix. N’est-il pas vrai, comme le chantait, en créole, ce jeune homme à la guitare que : An pati kaloué tèt a yo, pou dot moun palé pa bouch a yo. Vèyé pou vwé ki lang ka palé 136. Par ailleurs, ce n’est pas le personnage physique en tant que tel qui compte, mais son intériorité, sa psychologie, comme le dit l’auteure :
J’ai choisi de travailler principalement mes personnages de l’intérieur, de décrire très peu les corps même si je peux donner quelques détails, quelques indices, mais je ne les écris pas intégralement, pour laisser une plus grande place à leur intériorité, leurs émotions, leurs idées, leur perception des choses. Je pense que ces aspects de l’humain sont universels. Et j’aimerais qu’on lise des textes où les personnages sont africains, ou vivent dans un décor africain, mais en se disant que ces personnages sont une représentation de l’humanité.137
Puisque qu’ils sont repliés sur eux-mêmes, les personnages ont tendance à se mouvoir seul. En lisant Blues, mais surtout Ces âmes et Tels, on est pris de malaise, de crispation. C’est comme si cette indisposition des personnages se transmettait au lecteur. D’ailleurs, les voix des personnages sont quasi absentes. En effet, il n’y a presque aucun dialogue entre les personnages dans Ces âmes et dans Tels, les paroles sont simplement rapportées. Mais il faudra souligner qu’il y a peu de contact entre les personnages se contentant de cogiter dans leur coin, ou tissant des liens au gré de leur concordance idéologique.
Cette esthétique du silence passe aussi à travers la structure des textes qui sont bien compacts. Ainsi dans Tels, les différentes sections consacrées à chacun des personnages servent de différentes parties. Dans Ces âmes à part l’intro et l’outro138, il n’y a aucune délimitation de l’oeuvre, néanmoins au bout de quelques pages, l’auteure concédait-elle à laisser une marge en guise de partie. Cette structure découle du mode de vie des migrants, mais au-delà de ce récit saccadé, écrit de trait, nous voyons les préoccupations de l’auteure : faire comprendre le péril d’une telle position dans le monde, l’urgence de se ressaisir, de se refaire dans un monde où « personne ne saurait se sauver seul. Aucune société, aucune économie. Aucune langue n’est sans le concert des autres. Aucune culture, aucune civilisation n’atteint sa plénitude sans relation aux Autres. »139
Par ailleurs, parler est un acte, un « faire-être » du moment où la voix est perçue comme le cri qui légitime l’être au monde. N’est-ce pas que c’est le verbe qui est au commencement de toute chose ?
Ainsi le refus de la parole, est le refus d’être de l’être, donc de ces subsahariens ou caribéens de notre corpus. Au demeurant, comme l’écrit Fanon : « parler, c’est être à même d’employer une certaine syntaxe, posséder la morphologie de telle ou telle langue, mais c’est surtout assumer une culture, supporter le poids d’une civilisation. » 140
De la même manière :
L’acte de parler est un désir d’exister, une re-naissance. La parole est engagement et affirmation d’une ou de plusieurs consciences : la conscience individuelle, mais aussi la conscience communautaire intrinsèquement liées au devenir actuel et futur des sociétés postcoloniales (…) La parole est le refus du silence, qui peut lui-même être un acte de contrôle et de domination des victimes. Le silence exige le sacrifice des victimes, éloigne la justice et encourage la répétition des actes de violence.141
Or, si Afropéa signifie une quelconque attache à l’Europe et que certains de ces migrants refusent d’habiter leur territoire intérieur de manière confiante, le meilleur des cas pour eux est d’essayer de s’oublier dans quelques mouvements communautaires. Au pire des cas, l’individu en proie à un tourbillon infernal tombe de Charybde à Scylla.

Le communautarisme

Chaque fois que des individus sont en minorité sur un territoire ou subissent une quelconque injustice, ils ont tendance à se rassembler, à former un bloc pour n’être plus qu’un. Ceci est le propre de l’homme car « les humains [craignent] la mort. Toutes les formes de mort. A commencer par la mise à l’écart. Ils [savent] leur vie perdue hors des collectivités. Les Noirs comme les autres. »142Aussi, quelques migrants de notre corpus, ne trouvant ou ne voulant trouver aucune issue quant à leur tiraillement identitaire, choisissent-ils d’intégrer des mouvements communautaires. L’adhésion à ces organisations n’est pas le propre de quelque personne tourmentée, mais la majeure partie de ces individus sont mûs inconsciemment par un désir de s’ancrer dans quelque chose de palpable, de concret, et donner ainsi un sens à sa vie. Presque tous se sont, au moins une fois, étonné :
Comment ? Alors que moi j’avais toutes les raisons de haïr, détester, on me rejetait ? Alors que j’aurais dû être supplié, sollicité, on me refusait toute reconnaissance ? Je décidai, puisqu’il m’était impossible de partir d’un complexe inné, de m’affirmer en tant que Noir. Puisque l’autre hésitait à me reconnaître, il ne restait qu’une solution : me faire connaître.143
En quoi faisant? Telle était la vraie question.
Pour certains, il s’agit d’intégrer un de ces mouvements où « on rendait aux Noirs ce qui appartenait aux Noirs», en célébrant leur participation à l’Histoire du monde pour qu’ils aient une plus grande estime d’eux-mêmes puisqu’ «ils ne pouvaient pas vieillir là, en contemplant une tour Eiffel qui n’aura jamais rien à leur raconter sur eux-mêmes, qu’ils ne pourraient jamais s’approprier. »144
Pour quelques-uns, la communauté est une sorte de famille, un passage obligé mais aussi et surtout un lieu d’accomplissement incontournable, un lieu où :
On voulait cacher le frêle arbuste qu’on était derrière la grande forêt où l’Histoire avait mis le feu. Les arbres avaient perdu en stature et en nombre. La forêt n’était plus qu’une haie chétive. Bientôt, il n’en resterait que des broussailles. Parce que aucun groupe n’existait en soi. Il ne pouvait être qu’un assemblage d’individus conscients de détenir chacun une part vitale des forces de l’ensemble auquel ils décidaient d’adhérer. La faute incombait aussi à ceux qui, rencontrant ces personnes dans la rue, ne s’intéressaient pas à elles en tant qu’êtres. On les renvoyait toujours à leur origine. 145

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
PARTIE I : Les motifs de l’émigration
Chapitre1 : Le reclassement social
1-1 L’exclusion sociale
1-2 Pression et/ou contrainte
1-3 Les drames familiaux
Chapitre 2 : Autres motifs
2-1 La précarité
2-2 La quête du savoir
2-3 L’obsession de la dette coloniale
PARTIE II : La situation de l’immigré
Chapitre 1 : Babylone : le pays des chimères
1-1 Un réveil brutal
1-2 La marginalité
1-3 La dis- crimi -nation
Chapitre 2 : Les radiés de la douceur
2-1 Afropéa : le territoire intérieur
2-2 Le communautarisme
2-3 L’a-culturation
Chapitre 3 : Les Afropéens
3-1 Les Bigger than life, un groupe de femmes épanouies
3-2 Les Afro-révolutionnaires
3-3 Les Apatrides culturels
PARTIE III : De nouveaux référents identitaires
Chapitre 1 : Le Garveyisme
1-1 Le Moïse Noir
1-2 Le rastafarisme
1-3 Terre Mère
Chapitre 2 : le Kémitisme
2-1 La re-kémitisation, une re-naissance
2-2 La Fraternité Atonienne, une nouvelle voie de reconstruction
2-2-1 Per Ank, Medu Neter et « egyptiennetés »
Chapitre 3 : La musique
3-1 Le jazz
3-2 La soul
3-3 Blues et autres musiques
3-3-1 Le blues
3-3-2 Reggae, R’n’b, Rap
PARTIE IV : Enjeux littéraires
Chapitre 1 : Autour des « Inter »
1-1 L’intertextualité
1-1-1 De l’influence neutre de l’intertextualité
1-1-2 De l’influence positive de l’intertextualité
1-2 L’intermédialité/ l’interartialité
1-2-1 La musique
1-2-2 Le cinéma
Chapitre 2 : Une écriture Tout-Monde
2-1 Polyphonie scripturale
2-2 Des langues en fusion
Conclusion
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *