Les besoins des enfants
La négligence se caractérise par l’omission ou l’absence de certains comportements qu’adopte une majorité de parents pour assurer le bien-être des enfants à l’ intérieur d’une société donnée (Lacharité et al., 2006; Milot et al., 2009). Cette défInition sous-tend un lien étroit entre négligence, besoins et réponses à ces besoins. En effet, les normes et les conceptions qu ‘une collectivité, à une époque donnée, se construit des besoins fondamentaux des enfants constituent un concept central dans la compréhension de la négligence (Lacharité et al., 2006). Ces normes qui régissent les besoins des enfants sont habituellement le résultat d’une conciliation entre les valeurs culturelles collectives et les prescriptions découlant de l’expertise professionnelle et scientifique (Boulet, Éthier, & Couture, 2004). Au Québec, la refonte récente de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) (Gouvernement du Québec, 2008) fait donc foi d’une entente collective quant à la manière d’ envisager ce phénomène auquel est confrontée notre société. À travers l’ article 38 de la LPJ (Gouvernement du Québec, 2008), trois types de besoins fondamentaux sont déterminés, soit les besoins sur le plan physique (p. ex., les soins d’ordre alimentaire, vestimentaire, d’hygiène ou de logement), sur le plan de la santé (p. ex., en ne permettant pas à l’ enfant de recevoir les soins que requiert sa santé physique ou mentale) et sur le plan éducatif (p. ex., la surveillance, l’ encadrement, la scolarisation).
Cette définition, ainsi que la majorité de celles produites par les auteurs de la recherche au cours des dernières années (Dubowitz, Black, Starr, & Zuravin, 1993; Dumais et al., 2004; Erikson & Egeland, 2002; Trocmé et al., 2010), annoncent un consensus relatif à ces trois types de besoins fondamentaux chez les enfants. Par contre, les besoins spécifiques d’ordre psychologique (émotionnel ou socioaffectif) suscitent davantage de divergences d’opinions (Lacharité et al., 2006; Sullivan, 2000). Afm de ffileux conceVOIr les besoins d’ordre psychologique ou socioaffectif, Lacharité et al. (2006) proposent la prémisse que tous les enfants ont besoin dans leur entourage d’un adulte qui a une théorie implicite de leurs besoins. La négligence survient donc dans les situations où cette théorie implicite des besoins utilisée par l’ entourage immédiat d’un enfant s’écarte de la théorie sociale validée et instituée des besoins des enfants. Ainsi, cette proposition met de l’avant le besoin spécifique à tous les enfants que leurs parents, ou la personne qui en a la garde, lui portent attention et lui soient disponibles psychologiquement afin d’ identifier et de combler ses besoins.
Les mauvais traitements envers les enfants La maltraitance envers les enfants est un phénomène très large qui englobe toutes les formes de violence, d’abus ou de négligence qui sont commises par des adultes envers des mineurs (Kitzman, 2012). Elle représente tout acte ou toute omission d’ agir, intentionnelle ou non, par un parent ou un dispensateur de soins, qui cause un préjudice à l’enfant, qui a un potentiel de dommage élevé ou qui menace de faire du tort à l’enfant (Gilbert et al., 2009). Selon Trocmé et al. (2010), la maltraitance des enfants englobe 32 formes de mauvais traitements regroupés selon cinq catégories principales dont la négligence. En fait, la littérature montre que la négligence se distingue des autres formes de mauvais traitements, notamment par l’absence de comportements bénéfiques à l’ enfant plutôt que par la présence de conduites parentales néfastes (Dubowitz et al., 1993; Lacharité et al., 2006). Au Québec, la maltraitance est malheureusement un phénomène de grande ampleur.
Au cours de l’année 2011-2012, les directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) ont traité 77 244 signalements, ce qui représente plus de 200 situations d’ enfants signalées par jour. De ces signalements, 32661 ont été retenus et ont fait l’objet de services spécialisés (Association des centres jeunesse du Québec, 2012). Entre 2010 et 2011 , une augmentation significative de 8,2 % des signalements traités a été constatée. Il s’ agit de la plus importante hausse au cours des cinq dernières années. Cette augmentation représente clairement l’ampleur de ce phénomène au Québec, mais rend également compte de l’ évolution des valeurs de notre société quant à la reconnaissance des droits de l’enfant et des préoccupations sociales pour son bien-être et son développement. La maltraitance est maintenant reconnue intemationalement comme un problème majeur de santé publique (Gilbert et al., 2009) et malgré qu’elle demeure difficile à comprendre, elle ne doit laisser personne indifférent.
La négligence envers les enfants Depuis quelques années, les études épidémiologiques démontrent que la négligence est la forme de mauvais traitement la plus répandue au Canada et au Québec (Association des centres jeunesse du Québec, 2012; Tourigny & Lavergne, 2000; Trocmé et al., 2005, 2010). Au Canada, l’Étude canadienne sur l’ incidence des signalements de cas de viol,ence et de négligence envers les enfants (ECI-2008 : Trocmé et al., 2010) est l’un des programmes de surveillance nationaux de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) oeuvrant pour la santé des enfants au Canada. L’ECI examine l’ incidence de la maltraitance envers les enfants et les caractéristiques des enfants et des familles sur lesquels ont fait enquête des centres de protection de l’enfance des 13 provinces et territoires. Les données présentées dans ce rapport permettent de mieux comprendre la violence et la négligence envers les enfants et de se pencher sur cet enjeu très important que constituent la santé et le bien-être des enfants. L’ECI-2008 indique que la négligence représente 34 % des cas de mauvais traitements corroborés. Malgré que ces statistiques soient préoccupantes, elles minimisent probablement l’ampleur réelle de ce phénomène.
Contrairement aux cas de violences physiques ou d’abus sexuels, qui impliquent habituellement des évènements spécifiques, la négligence suppose souvent des situations chroniques qui ne sont pas aussi facilement observables, ce qui rend parfois leur identification plus complexe (Hildyard & Wolfe, 2002). Dubowitz (2007) suggère de considérer la négligence sous l’ angle d’un continuum, allant des situations impliquant les enfants dont les besoins sont adéquatement comblés aux situations impliquant des enfants dont les soins sont à ce point inadéquats que leur sécurité ou leur développement sont directement compromis. En considérant les situations de négligence sur un tel continuum, il est possible de croire que seuls les cas où les situations de négligence sont majeures risquent de bénéficier des services des Cl. Cela laisse ainsi de multiples familles en situation de négligence sans les services spécialisés dont elles ont besoin. Ce constat met en évidence la possibilité que les cas connus des Cl ne constituent que la pointe de l’ iceberg (Tourigny & Lavergne, 2000; Trocmé et al., 2010). Les chiffres les plus modérés ne donneraient ainsi qu ‘un aperçu du nombre réel de situations comparables dans la population, soulignant l’ampleur des cas qui ne seront jamais signalés aux autorités de la protection de la jeunesse, mais qui sont habituellement connus d’ autres organisations de services telles que les CSSS, les services de garde et les organismes communautaires (Milot et al., 2009).
Vers une théorie écosystémique de la négligence En 2006, Lacharité et al. proposent une théorie écosystémique de la négligence. Cette théorie s’ inscrit dans la lignée des modèles multivariés, mais se démarque en proposant un modèle novateur du processus de production de la négligence. Les auteurs proposent une combinaison de deux mécanismes distincts sur lesquels repose la négligence. Le premier mécanisme produit une perturbation de la relation entre les figures parentales et l’ enfant, et se caractérise par la présence d’un faible taux d’ interactions parent-enfant et d’un haut taux de conduites réciproques négatives par rapport aux conduites réciproques positives. Le second mécanisme donne lieu à une perturbation du rapport entre la famille et la collectivité, qui se caractérise par l’ isolement fonctionnel des figures parentales et de l’enfant par rapport à leur entourage familial et social, par un faible soutien à l’exercice des rôles parentaux et par une faible occurrence d’expériences développementales normatives pour les enfants.
Ce modèle écosystémique de la négligence propose également une définition de la négligence qui favorise une compréhension plus large du phénomène que les définitions centrées sur les conduites parentales. La négligence est définie comme une carence, voire une absence de réponses aux besoins d’un enfant reconnus comme fondamentaux sur la base des connaissances scientifiques actuelles. Ici, les besoins fondamentaux sont identifiés comme les besoins d’ordre physique (incluant les besoins reliés à la santé de l’ enfant) ou éducatif (incluant l’encadrement et la supervision de l’ enfant), mais la satisfaction de ces besoins repose ultimement sur un besoin primaire d’ordre psychologique chez l’ enfant, soit le besoin d’ attention ou de disponibilité psychologique de la part de son entourage. Les carences ou lacunes dans la satisfaction des besoins reposent, selon cette théorie, essentiellement sur une difficulté ou une incapacité des adultes appartenant à l’entourage des enfants à porter attention et à se soucier de ses besoins fondamentaux c’est-à-dire de posséder une théorie implicite des besoins de l’enfant et de la réviser au fur et à mesure que ce dernier grandit.
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
Les besoins des enfants
Les mauvais traitements envers les enfants
La négligence .envers les enfants
Incidence de la négligence
Conséquences de la négligence
Facteurs de risque associés à la négligence
Vers une théorie écosystémique de la négligence
L’initiative AIDES et le P APFC
Méthode
Participants
Critères d’inclusion et d’exclusion des familles dans le cadre de la présente étude.
Évaluation du contexte de négligence
Évaluation de la perturbation dans la relation « famille – collectivité »
Évaluation de la perturbation dans la relation « parent – enfant »
Évaluation du développement de l’enfant
Démarche d’analyse
Résultats
La perturbation de la relation « famille – collectivité »
La perception des mères de leurs relations familiales et sociales
Le cas de la famille de BenoÎt
Le cas de la famille de Bastien
Le cas de la famille de Jasmine
L’ isolement fonctionnel des familles
Le cas de la famille de Benjamin
La perturbation de la relation « parent – enfant »
L’ occurrence des conduites abusives ou négligentes
Le cas de la famille de Billy
Le cas de la famille de Bryan
Le cas de la famille de Juliette
Le cas de la famille de Bruno
Le stress parental
Le cas de la famille de Barth
L’ attitude parentale
Le cas de la famille de Julie
Discussion
L’hétérogénéité des familles en situation de négligence
Le fonctionnement familial
Le faible niveau de sensibilité maternelle comme facteur associé à la négligence
La perception des mères de leur enfant
Les processus cognitifs chez les mères
La capacité de mentalisation et d’empathie des mères
L’attitude parentale dissimulatrice ou désengagée et le biais de désirabilité sociale
comme facteurs influençant l’ intervention
Conclusion
Références
Appendice A Description des outils de mesures utilisés
Appendice B Grilles de compilation des résultats
Appendice C Grilles de scores d’ équivalence utilisées pour l’accord inter-juges
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