Les besoins de comprendre les critères d’évaluation des producteurs
CONTEXTE ET ETAT DE L’ART
Les enjeux de la reconception de systèmes de culture en ananas et agrumes à La Réunion Les ananas et agrumes font partie des cultures fruitières les plus importantes de la Réunion : l’ananas arrive en première position en terme de volume produit (15 800 t/an) et les agrumes en troisième (8 400 t/an). L’écoulement de l’ananas Queen Victoria, variété principale de l’île, se fait auprès de bazardiers (revendeur locaux) et de commerçants du marché de gros, en coopérative ou en vente directe. Une filière organisée avec des coopératives (VIVEA, SCA Fruits de la Réunion, ANAFRUIT) permet aux producteurs de prétendre aux subventions et présente une exigence plus élevée en terme de qualité visuelle du fruit, dont une partie est réservée à l’export ce qui permet d’augmenter la valeur ajoutée des produits (Cambournac, 2013).
La culture d’agrumes à La Réunion ne s’inscrit actuellement dans aucune démarche de valorisation et vise uniquement à satisfaire le marché local. Malgré la création d’organisation de producteurs à partir des années 2000, permettant aux agrumiculteurs de prétendre aux subventions, seulement 10% de la production en agrumes de La Réunion serait commercialisée par le biais des coopératives. La très grande majorité de cette production est vendue par les bazardiers, au marché de gros et en vente directe (Dupré et al., 2017). Les agrumes doivent par contre faire face au marché très concurrentiel des importations, principalement d’Afrique du Sud. Les agrumiculteurs peinent parfois à écouler leur production ce qui encourage en partie un nombre non-négligeable de producteurs à abandonner cette production (Dupré, comm. pers.).
Les travaux sur agrumes et ananas à La Réunion ont fait ressortir les principales contraintes que rencontrent les producteurs (voir le cadre de contraintes, Annexe 1). Sur la culture d’ananas, l’environnement pédoclimatique est important puisqu’il détermine l’accès à l’eau ou l’excès d’eau selon les microrégions. La conduite de la culture est physiquement difficile : opérations au sol, abondance des fourmis de feu (Solenopsis invicta), pas d’ombre. Certaines opérations peuvent être mécanisées, à condition que le terrain soit adapté, avec une faible pierrosité et peu pentu. La gestion de l’enherbement est rendue compliquée par la fréquence des pluies dans l’Est de l’île qui empêche souvent l’application d’herbicides. Alors que le Mercantor® (S-metolachlore) est le seul produit homologué, de nombreux autres herbicides continuent d’être utilisés (Cambournac, 2013).
La faible disponibilité en main d’oeuvre rend le désherbage manuel plus rare et pénalise de manière plus générale les producteurs pour l’ensemble des opérations techniques. L’utilisation, le stockage des bâches plastiques et leur évacuation est aussi un frein à une production plus écologique. Les maladies et ravageurs constituent enfin une forte contrainte, d’autant qu’aucun insecticide n’est homologué sur culture en cours en ananas (Cirad Réunion, 2015). Les producteurs d’agrumes rencontrent des contraintes différentes. Comme évoqué précédemment, les contraintes du marché rendent la filière agrumes très fragile à la Réunion. Les producteurs font face à des produits importés et vendus à bas coûts lesquels déterminent le prix du marché.
Ce faible prix de vente des agrumes sur le marché local et une productivité modeste (entre 15-20 tonnes par ha) sont des contraintes financières importantes. Face à la faible rentabilité de cette culture, les jeunes reprennent rarement cette activité. Les agrumes sont également soumis à une forte pression des bioagresseurs et notamment avec des maladies telles que le greening qui, s’il se déclare sur un arbre, nécessite son arrachage et la replantation avec des plans sains certifiés (Dupré, comm. pers.). Il y a donc un besoin pressant de gérer les bioagresseurs et adventices avec des méthodes agroécologiques de prévention et de lutte afin de conserver la production sur l’île et de valoriser la qualité sanitaire et environnementale de ces produits.
Pour répondre à ces enjeux locaux de développement des deux cultures, mais aussi à des objectifs de réduction des usages des produits phytosantaires (plan national Ecophyto) sur ces cultures, deux projets de reconception de systèmes de cultures ont vu le jour en 2015 et 2016. Ces projets ont pour finalité de proposer des systèmes de culture biologiques en ananas (AnanaBio, 2015-2018) et de co-construire des systèmes de culture permettant de diminuer l’usage des pesticides (objectif affiché de -75%) en agrumes (Agrum’aide, 2014-2017). Les objectifs sont de combler un manque de références techniques pour permettre le développement de SdC d’ananas en AB et de promouvoir la lutte biologique par conservation des habitats en vergers d’agrumes en vue de développer des SdC plus durables.
La reconception des systèmes de cultures, nécessaire pour répondre aux objectifs affichés, se fait grâce à des échanges entre organismes mais aussi avec une implication importante des producteurs qui sont les utilisateurs finaux de ces SdC. Les besoins de comprendre les critères d’évaluation des producteurs L’implication des producteurs dans les projets de reconception de SdC peut permettre d’améliorer l’adoption des SdC imaginés, par une prise en compte des besoins et attentes de ces parties prenantes et ce, dès les premières étapes du processus (Le Bellec et al., 2012). Cette approche participative est utilisée depuis de nombreuses années dans le domaine du développement et plus récemment dans celui de la recherche, et vise à s’adapter au contexte local pour permettre la mise en place de processus de changements sociaux du point de vue écologique et économique (Leguenic, 2001). Utiliser cette approche durant toute la démarche de reconception de SdC peut alors permettre de comprendre les critères d’appropriation des SdC par les producteurs afin de s’assurer que ces SdC répondent à des enjeux locaux et aux attentes particulières des utilisateurs finaux (producteurs), en plus des attentes de l’aval (acheteurs ou consommateurs) et des enjeux de durabilité plus globaux.
La prise en compte des besoins et attentes des producteurs fait partie de la phase d’évaluation des SdC. Cette phase consiste à juger de la compatibilité des SdC, d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles, au regard des exigences de durabilité, et à porter un diagnostic sur des éléments particuliers du fonctionnement des peuplements végétaux au champ (Meynard et al., 2001). Le besoin d’évaluer les systèmes de culture est né de la prise de conscience globale sur la nécessité d’aller vers un développement durable, à savoir de « satisfaire les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs », comme énoncé dans le rapport Brundtland en 1987 (Brundtland, 1987). La FAO a défini en 2015 (Objectifs du millénaire pour le développement) que « l’agriculture doit favoriser des écosystèmes sains et une gestion durable de la terre, de l’eau et des ressources naturelles, tout en garantissant une sécurité alimentaire mondiale ». Mais l’évaluation des systèmes de culture par rapport à ces grands enjeux définis par la FAO nécessite de diagnostiquer les enjeux locaux du système à évaluer et demande une prise en compte de l’évolution rapide du contexte, qui pourra être différent selon les sites et les cultures évaluées. C’est dans la prise en compte de cette dynamique temporelle et contextuelle que l’approche participative prend alors tout son sens, puisqu’elle permet de diagnostiquer les enjeux et objectifs propres aux producteurs locaux, supposés différents de ceux d’autres acteurs.
LES METHODES D’EVALUATION DES SYSTEMES DE CULTURE
Différentes méthodes pour évaluer la performance On définit ici la performance d’un SdC comme la performance à long terme, s’inscrivant dans un contexte de contribution de l’agriculture au développement durable. La performance prend alors sens dans ses dimensions environnementale, agronomique, économique, et sociale. Ce sont ces multiples performances que l’on cherche à évaluer au travers du regard des producteurs. On peut traduire cette performance par la durabilité du système de culture, définie par Lairez et al. (2016) comme « le caractère soutenable d’un modèle, quel qu’il soit (économique, social, techniques, etc.) » et « l’état d’un système et ses capacités à perdurer dans le temps ». Il existe à ce jour de nombreuses méthodes d’évaluation multicritères pour évaluer la durabilité, et on peut distinguer deux grands types de méthodes : les analyses de cycles de vie (ACV) et les méthodes à partir d’indicateurs (Feschet et Bockstaller, 2014). Les ACV permettent de quantifier les impacts d’un produit depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur élimination.
Les ACV amènent aussi à hiérarchiser les étapes du cycle de vie selon plusieurs impacts environnementaux et à fournir des éléments précis de choix aux acteurs locaux sur ces impacts (Feschet et Bockstaller, 2014). Les indicateurs sont eux des variables qui intègrent les savoirs de différentes disciplines pour répondre aux enjeux multidimensionnels de la durabilité. Ils permettent alors de mesurer à quel point le système répond aux critères d’évaluation définis. La méthode d’évaluation basée sur des indicateurs est plus facilement appropriable et utilisable par les producteurs dans le cadre d’une auto-évaluation de SdC. Dans la littérature, il n’y a pas toujours consensus derrière les termes critères, indicateurs et variables. Ici, nous faisons le choix de définir les indicateurs suivant Lairez et al. (2016) comme des outils permettant de mesurer les critères de la performance en simplifiant l’information. Il y a une idée de jugement derrière ces indicateurs, qui sont composés d’une ou plusieurs variables reposant sur une construction propre aux producteurs. Les indicateurs composent les critères qui sont définis suivant les objectifs de performance fixés pour chaque dimension de la durabilité.
Diversité des méthodes basées sur les indicateurs Les méthodes d’évaluation de la durabilité de l’agriculture basées sur des indicateurs sont nombreuses, et étudient différentes échelles, dont celle du système de culture. Le tableau 1 présente quelques méthodes existantes et leurs avantages et inconvénients. Il donne une première idée sur les approches qui peuvent être utilisées pour la construction d’une liste d’indicateurs. Ces quelques méthodes d’évaluation des SdC laissent entrevoir le large choix existant et la complexité que peut représenter la prise de décision dans le choix de la méthode. La plateforme PLAGE1 du RMT ERYTAGE offre une vision globale du panel de méthodes d’évaluation de SdC existant et permet grâce à une typologie des outils de les comparer en fonction de différents critères.
Il apparaît essentiel de définir la méthode en fonction des finalités de l’évaluation, du public visé, de la hiérarchie des enjeux, du système évalué, de sa facilité en fonction du budget et du temps disponible (Bockstaller et al., 2013; Lairez et al., 2015). Ces méthodes d’évaluation sont construites avec des démarches plus ou moins participatives (Tableau 1) ce qui entraîne des domaines de validité plus ou moins larges et adaptables. Binder et al. (2010) définissent trois grands types de méthodes d’évaluation de la durabilité : top-down, top-down avec approche participative, et bottom-up (méthodes intégrées participatives ou transdisciplinaires avec la participation des parties prenantes tout au long du processus). La méthode bottum-up semble, d’après les résultats, la plus durable et la plus efficiente pour avoir une approche prenant en compte la complexité des SdC et de leur réponse aux enjeux de durabilité locaux.
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Table des matières
Engagement de non plagiat
Abstract
Résumé
Liste des figures
Liste des tableaux
Abréviations
Remerciements
Introduction
I – Contexte et état de l’art
1.1 La co-conception de systèmes de culture d’ananas et agrumes à La Réunion
Les enjeux de la reconception de systèmes de culture en ananas et agrumes à La Réunion
Les besoins de comprendre les critères d’évaluation des producteurs
1.2 Les méthodes d’évaluation des systèmes de culture
Différentes approches pour évaluer la performance
Diversité des méthodes basées sur les indicateurs
La co-construction de grilles d’indicateurs dans la littérature
II – Problématique et hypothèses
III – Matériel et méthode
3.1 Démarche générale adoptée
3.2 Entretiens individuels
Echantillonnage des producteurs
Les entretiens
3-3 Atelier de restitution, validation et pondération avec les producteurs
3-4 Réflexion exploratoire pour donner du sens aux indicateurs
IV – Résultats
4-1 La Grille d’indicateurs et les variables les composant
4-2 Analyse exploratoire : la stratégie de gestion des producteurs ou l’espèce cultivée ont-ils une influence sur les variables d’évaluation utilisées ?
Influence de l’espèce cultivée par le producteur sur les variables citées pour évaluer les SdC
Influence de la stratégie de gestion du producteur sur les variables citées pour évaluer la performance des SdC
4-3 Une pondération des indicateurs semi-consensuelle
Poids attribué à chaque dimension de la performance
Poids attribué à chaque indicateur au sein de chacune des dimensions de la performance
4-4 Proposition de valeurs seuils par variable
V- Discussion
5-1 Interprétation des résultats
5-2 Une démarche participative efficace, un échantillonnage à agrandir pour étudier les effets zones et stratégie de gestion
5-3 Quelles différences entre la vision de la performance des SdC par les producteurs, et par les chercheurs et experts ? Cas de DEXiFRUIT
5-4 Perspectives de développement et d’utilisation de l’outil d’évaluation co-conçu
Conclusion
Références citées
Annexes
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