Le cancer du sein reste la premiรจre cause de mortalitรฉ par cancer chez la femme dans le monde . En Afrique, il vient en deuxiรจme place aprรจs le cancer du col de l’utรฉrus (67). La thรฉrapeutique anticancรฉreuse basรฉe sur l’amรฉlioration de la survie et de la qualitรฉ de vie des malades est inscrite dans une stratรฉgie multidisciplinaire incluant le traitement locorรฉgional, la chimiothรฉrapie et l’hormonothรฉrapie. L’hormonothรฉrapie antitumorale est basรฉe sur le principe de l’hormonodรฉpendance de certaines tumeurs dont le cancer du sein. Elle a un effet inhibiteur sur la prolifรฉration tumorale induite par les hormones .Elle regroupe des moyens thรฉrapeutiques trรจs diffรฉrents, puisqu’on y retrouve : la chirurgie ; la radiothรฉrapie ; le traitement mรฉdicamenteux. Ces moyens ont tous cependant le mรชme but : agir sur la cellule hormonodรฉpendante. L’intรฉrรชt majeur de cette mรฉthode rรฉside dans le fait qu’elle joue un rรดle complรฉmentaire efficace dans le traitement des cancers hormonodรฉpendants. En effet, un pourcentage important de patientes porteuses de ce cancer prรฉsente dรฉjร une dissรฉmination micromรฉtastatique au moment oรน le diagnostic initial est posรฉ, ce qui explique, que le traitement locorรฉgional ร lui seul soit insuffisant et qu’un traitement adjuvant soit toujours nรฉcessaire. D’autre part l’hormonothรฉrapie n’altรจre pas l’รฉtat gรฉnรฉral et reste tout ร fait compatible avec la radiothรฉrapie et/ou la chimiothรฉrapie. Aucun accident hรฉmatologique n’est ร craindre du seul fait de l’hormonothรฉrapie (72). De plus on peut prรฉfรฉrer l’hormonothรฉrapie ร la chimiothรฉrapie en particulier chez les femmes mรฉnopausรฉes, dans la mesure oรน cette derniรจre est souvent mal tolรฉrรฉe physiquement et psychologiquement, et que le bรฉnรฉfice qu’elle apporte en matiรจre d’intervalle libre sans rรฉcidive ou de survie doit รชtre comparer aux inconvรฉnients de la mรฉthode (65). i Actuellement, le dosage des rรฉcepteurs hormonaux aux oestrogรจnes et ร la progestรฉrone au niveau des tumeurs mammaires permet de prรฉvoir quelles seront les malades qui ont le plus de chance de rรฉpondre ร une hormonothรฉrapie. Il a รฉtรฉ constatรฉ que 30% environ des patientes ne possรจdent pas de rรฉcepteurs hormonaux et que sur les 70% restantes, 40% environ sont susceptibles de rรฉpondre ร une hormonothรฉrapie (65). L’hormono dรฉpendance d’une tumeur reprรฉsente un critรจre de moins mauvais pronostic que l’hormono-indรฉpendance, et que les taux de survie ร long terme sans rรฉcidive ou sans apparition de mรฉtastases sont trรจs significativement amรฉliorรฉs dans le groupe des patientes hormono-dรฉpendantes. En outre le traitement par un anticestrogรจne par exemple comporte l’avantage d’avoir un effet protecteur vis ร vis du sein controlatรฉral; car prรจs de 17% des patientes ayant prรฉsentรฉes un cancer du sein d’un cรดtรฉ seront atteintes par un autre processus cancรฉrologique mammaire du cรดtรฉ opposรฉ. Comme toute thรฉrapeutique anticancรฉreuse l’hormonothรฉrapie prรฉsente quelques inconvรฉnients. En effet, la plus part des mรฉthodes chirurgicales suppressives (hypophysectomie, surrรฉnalectomie, ovariectomie) sont abandonnรฉes ou de moins en moins utilisรฉes du fait du traumatisme psychologique qu’elles provoquent, des effets secondaires lourds de consรฉquences qu’elles engendrent, et de la mortalitรฉ opรฉratoire relativement รฉlevรฉe de ces mรฉthodes.
HISTORIQUE
L’hormonothรฉrapie du cancer du sein a plus de cent ans aujourd’hui, puisque la premiรจre castration rรฉalisรฉe dans le cadre de ce traitement date de 1896. En effet, George BEATSON (8) rapportait avoir obtenu une rรฉduction de la taille de cancers du sein รฉvoluรฉs chez trois jeunes femmes aprรจs ovariectomie. A partir de ce moment, de nombreuses investigations ont รฉtรฉ entreprises pour mieux comprendre cette relation hormone-cancer. Dรฉjร , ร partir de 1919, LOEB et collaborateurs (in 61) avaient รฉtabli aprรจs leurs travaux, que chez les souris :
– la survenue de cancer mammaire n’รฉtait observรฉe que chez les femelles ;
– l’incidence variait selon les lignรฉes familiales (ou selon les souches) ;
– l’incidence รฉtait pratiquement stable ร l’intรฉrieur de chaque souche l’incidence รฉtait plus รฉlevรฉe et la moyenne d’รขge plus faible en cas de tumeur mammaire chez les souris ayant dรฉjร eu une portรฉe que chez celles n’ayant pas mis bas.
Ils รฉtablirent รฉgalement qu’une ovariectomie ร l’รขge de trois mois avait considรฉrablement rรฉduit l’incidence des tumeurs mammaires dans une population de souris ร forte incidence et n’ayant pas eu de portรฉe. Quelques annรฉes plus tard, MURRAY (in 61) confirme les observations de LOEB en dรฉmontrant que des tumeurs mammaires ont รฉtรฉ obtenues chez des souris mรขles castrรฉes ayant subies une greffe subcutanรฉe d’ovaires.
TAYLOR (83) a รฉtรฉ l’un des premiers ร suggรฉrer vers 1930 que l’induction d’une mรฉnopause par la radiothรฉrapie รฉtait susceptible d’amรฉliorer les rรฉsultats du traitement local du cancer du sein chez la femme jeune. Une autre รฉtape importante fut l’isolement des hormones stรฉroรฏdes. En 1932, les hormones stรฉroรฏdes de synthรจse รฉtaient dรฉjร disponibles. LACASSAGNE (1932-1939) fut le premier auteur ร rapporter la survenue de cancer de la mamelle chez la souris sous estrogรฉnothรฉrapie ร forte dose (65). Les recherches sur le rรดle que peuvent jouer les hormones stรฉroรฏdes dans le cancer du sein se sont multipliรฉes, et il est ressorti l’idรฉe selon laquelle les oestrogรจnes รฉtaient cancรฉrigรจnes si elles sont administrรฉes ร des doses รฉlevรฉes. Entre 1939 et 1942 (in 61), plusieurs explorations cliniques ont montrรฉ les effets bรฉnรฉfiques de l’ovariectomie et des androgรจnes dans le cancer avancรฉ du sein chez la femme, et de l’orchidectomie dans le cancer de sein chez l’homme (FARROW et ADAIR ; LOESER 1941). En 1944, HADDOW, WATKINSON et PATERSON ont rapportรฉ que les oestrogรจnes de synthรจse entraรฎnaient un ralentissement significatif de l’รฉvolution du cancer du sein, chose surprenante car les oestrogรจnes รฉtaient jusque-lร considรฉrรฉs comme des agents responsables du cancer du sein et thรฉoriquement capable d’aggraver la maladie. En 1951, HUGGINS et BERGENSTAL (in 61) ont introduit la surrรฉnalectomie dans le traitement du cancer avancรฉ du sein et de la prostate, et dรฉjร en 1955 l’hypophysectomie est devenue l’objet d’รฉtudes en clinique expรฉrimentale pour รฉlucider les relations hormones et cancer chez l’homme. Mais ces gestes chirurgicaux, souvent lourds de consรฉquence, ont รฉtรฉ rapidement concurrencรฉs par l’hormonothรฉrapie mรฉdicamenteuse basรฉe sur l’administration des oestrogรจnes ou d’androgรจnes. L’oestrogรฉnothรฉrapie, bien que controversรฉe, a permis aux cliniciens d’obtenir des taux de rรฉponses intรฉressants malgrรฉ quelques rรฉsultats allant ร l’inverse du but recherchรฉ (36). L’รฉtape importante qui suit fut celle de la dรฉcouverte des rรฉcepteurs hormonaux ร partir de 1960. La notion de rรฉcepteurs stรฉroรฏdiens a รฉtรฉ dรฉveloppรฉe aprรจs les travaux de JENSEN et AL (38) qui ont montrรฉ que l’oestradiol marquรฉ par le tritium et injectรฉ dans un organisme se concentre sรฉlectivement dans ces organes cibles. C’est en 1962 que des rรฉcepteurs aux oestrogรจnes et la progestรฉrone ont รฉtรฉ mis en รฉvidence dans une culture de cellules mammaires cancรฉreuses. On a montrรฉ que les oestrogรจnes faisaient passer les cellules d’un รฉtat de quiescence (phase Go du cycle cellulaire) ร un รฉtat actif de multiplication cellulaire (76, 50). Les recherches se sont poursuivies sur le mรฉcanisme de la synthรจse des hormones stรฉroรฏdes, sur leurs effets biologiques, leur rรฉgulation et leur mรฉcanisme d’action et รฉgalement sur les rรฉcepteurs hormonaux . Ces nouvelles dรฉcouvertes ont permis l’utilisation d’une nouvelle hormonothรฉrapie dite additive basรฉe sur l’utilisation des progestatifs, des inhibiteurs de l’aromatisation, et plus rรฉcemment, des anti-oestrogรจnes et des analogues de GnRH. D’autres rรฉcepteurs ont รฉtรฉ inventoriรฉs au niveau des cellules tumorales, ce sont les rรฉcepteurs pour les androgรจnes, la prolactine, la vitamine D3 hydroxylรฉe, les glucocorticoรฏdes. Ces dรฉcouvertes orientent actuellement les recherches vers d’autres antitumoraux tels les antiprolactines (bromocriptine et somatostatine qui bloquent sa sรฉcrรฉtion antรฉ-hypophysaire).
LES BASES BIOLOGIQUES DE L’HORMONOTHรRAPIE
Il est parfaitement รฉtabli aujourd’hui que de nombreuses hormones stรฉroรฏdes (androgรจnes, progestรฉrone, oestrogรจnes) et peptidiques sont impliquรฉes dans la croissance des tumeurs mammaires. Ce rรดle dans le processus carcinologique n’est pas encore parfaitement รฉlucidรฉ. Ce sont surtout les oestrogรจnes qui sont incriminรฉes. Elles sont rรฉputรฉes avoir un rรดle promoteur (non initiateur) dans la cancรฉrogenรจse mammaire (63), et un rรดle de stimulation des mitoses, d’accroissement du volume tumoral et probablement dans l’extension mรฉtastatique. Ces hormones agissent par l’intermรฉdiaire de leurs rรฉcepteurs qui รฉgalement ont รฉtรฉ mis en รฉvidence au niveau des cellules tumorales . La suppression de l’action de ces hormones est donc la base du traitement hormonal. Cela a รฉtรฉ possible grรขce aux nombreuses connaissances sur les hormones stรฉroรฏdes impliquรฉes (leur synthรจse, leur action et mรฉcanisme d’action) ; et les rรฉcepteurs auxquels elles se lient pour produire les effets biologiques.
LES ANDROGENES OU HORMONES MรLESย
Nature des hormones mรขlesย
Ce sont des stรฉroรฏdes ร 19 atomes de carbone. Ils dรฉrivent de l’androstane. Ils sont caractรฉrisรฉs par un noyau cyclopentanophรฉnantrรจne ; un premier noyau ฮ4 et deux groupements mรฉthyles en 18 et 19. Le chef de fil est la testostรฉrone qui est synthรฉtisรฉe en quantitรฉ importante ; l’androstรจne dione et la dรฉhydroรฉpiandrostรฉrone sont sรฉcrรฉtรฉs en faible quantitรฉ.
Biosynthรจse des androgรจnesย
Les androgรจnes sont synthรฉtisรฉs ร plusieurs niveaux : testicules, corticosurrรฉnale et ovaires.
La synthรจse au niveau des testiculesย
Rappel physiologique sur les glandes sexuelles mรขlesย
Les testicules assurent ร partir de la pubertรฉ essentiellement la double fonction de sรฉcrรฉtion des androgรจnes et d’รฉlaboration des spermatozoรฏdes. Ces fonctions s’exercent dans deux compartiments diffรฉrents :
โข les cellules de Leydig pour la synthรจse des androgรจnes ;
โข les tubes sรฉminifรจres et les cellules pรฉritubulaires pour la spermatogenรจse.
Dans les testicules en activitรฉ, les cellules de Leydig sont hautement diffรฉrenciรฉes et spรฉcialisรฉes dans la synthรจse et la sรฉcrรฉtion des androgรจnes. Elles prรฉsentent les ultrastructures caractรฉristiques des cellules stรฉroรฏdogรจnes : mitochondries ร crรชtes lamellaires ou tubulaires, gouttelettes lipidiques abondantes, systรจme microtubulaire bien dรฉveloppรฉ, noyau rond ou ovale contenant un ou deux nuclรฉoles. Les cellules de Leydig contiennent tous les systรจmes enzymatiques et cofacteurs nรฉcessaires ร la biosynthรจse des hormones stรฉroรฏdes sexuelles ร partir du cholestรฉrol. Elles sont la source majeure de la testostรฉrone circulante. Les besoins en cholestรฉrol sont vรฉhiculรฉs dans le sang sous forme de ยซย low density lipoproteinย ยป (LDL), captรฉs par un processus endocytotique. Les cellules de Leydig sont รฉgalement capables d’effectuer la biosynthรจse du cholestรฉrol ร partir de l’acรฉtyl-coenzyme A grรขce ร l’hydroxymรฉthyl glutaryl CoA ; mais cette capacitรฉ reste cependant limitรฉe.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES
I. HISTORIQUE
II. LES BASES BIOLOGIQUES DE L’HORMONOTHERAPIE
A- LES ANDROGENES
1.NATURE DES HORMONES SEXUELLES MรLES
2. BIOSYNTHESE DES ANDROGENES
2-1- Synthรจse au niveau des testicules
2-1-1- Rappel physiologique sur les glandes sexuelles mรขles
2-1-2- Biosynthรจse des androgรจnes dans les cellules de Leydig
2-2-Biosynthรจse des androgรจnes surrรฉnaliens
2-3-Synthรจse au niveau des ovaires
3- REGULATION DE LA SECRETION DES ANDROGENES
3-1- Contrรดle par la LH hypophysaire
3-2- Contrรดle de LH par la LHRH
3-3-Contrรดle de LHRH
3-4- Contrรดle de la corticosurrรจnale
4- ACTIONS PHYSIOLOGIQUES DES ANDROGENES
B-LES HORMONES SEXUELLES FEMELLES
1. NATURE DES HORMONES SEXUELLES FEMELLES
2. SYNTHESE DES HORMONES SEXUELLES FEMELLES
2-1-Lieux de synthรจse
2-2- Biosynthรจse de la progestรฉrone
2-3- Biosynthรจse des oestrogรจnes
3. REGULATION DE LA SECRETION DES HORMONES SEXUELLES FEMELLES
3-1- Rรฉgulation pendant la vie de reproduction
3-2- Rรฉgulation ร partir de la mรฉnopause
4. EFFETS BIOLOGIQUES DES HORMONES SEXUELLES FEMELLES
C-LES RECEPTEURS HORMONAUX ET CANCER DU SEIN
1. DEFINITION-STRUCTURE D’UN RECEPTEUR HORMONAL
1.1. Dรฉfinition
1 -2- Structure des rรฉcepteurs hormonaux
1-3- Localisation intracellulaire des rรฉcepteurs hormonaux
2. MECANISME D’ACTION DES HORMONES STEROIDES
3. DOSAGE DES RECEPTEURS HORMONAUX DANS LES TISSUS CANCEREUX MAMMAIRES
3-1- Dosage des rรฉcepteurs d’esrtradiol
3-1-1- Le prรฉlรจvement
3-1-2- Techniques de dosage
3-1-3- Les rรฉsultats
3-2- Intรฉrรชt du dosage des rรฉcepteurs hormonaux
III . CLASSIFICATION CLINIQUE DES CANCERS DU SEIN
DEUXIEME PARTIE : HORMONOTHERAPIE DANS LE TRAITEMENT DU CANCER DU SEIN
I- LES DIFFERENTES METHODES DE L’HORMONOTHERAPIE
A. LES METHODES CHIRURGICALES
1- LA CASTRATION OVARIENNE
2- L’HYPOPHYSECTOMIE
3- LA SURRรNALECTOMIE BILATรRALE
B โ LA RADIOTHรRAPIE
C โLES MOYENS CHIMIQUES
1. LA CASTRATION MรDICALE PAR LES ANALOGUES DES LA LHRH
1-1 Mรฉcanisme d’action
1.2 Les produits utilisรฉs
1.3 Les effets secondaires
2. LES ANTI-AROMATASES
2-1 Mรฉcanisme d’action
2-2 Les produits utilisรฉs
2-3 effets secondaires
3- LES ANTIHORMONES
3-1 Les anti-oestrogรจnes de synthรจse
3-1-1 Mรฉcanismes d’action
3-1-2 Les produits utilisรฉs
3-1-3 Les effets secondaires
3-2 Les progestatifs de synthรจse
3-2-1 Mode d’action
3-2-2 Les produits utilisรฉs
3-2-3 Les effets secondaires
3-3 Les androgรจnes
II. EFFICACITร DES METHODES UTILISEES
1. LA CASTRATION OVARIENNE
2. EFFICACITE DES METHODES CHIMIQUES
III . INDICATION DE L’HORMONOTHรRAPIE DANS LE CANCER DU SEIN
1.TRAITEMENT DES TUMEURS LOCALISรES (TRAITEMENT ADJUVANT)
1.1 chez la femme non mรฉnopausรฉe
1.2 chez la femme mรฉnopausรฉe
2. TRAITEMENT DES MรTASTASES
2.1 chez la femme non mรฉnopausรฉe
2.2 chez la femme mรฉnopausรฉe
IV. LA SURVEILLANCE DE L’HORMONOTHรRAPIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE