Les Barrières Thermiques (BT) : Généralités et problématiques associées

Les systèmes métal/BT

Principe et structure des systèmes de BT aéronautiques

Les zones chaudes des turbines aéronautiques constituent des environnements hostiles où règnent des températures largement supérieures à 1000°C. Les composants de tels systèmes, majoritairement de nature métallique, sont alors susceptibles d’être affectés par de nombreux phénomènes préjudiciables pour leur durabilité : oxydation, fluage, corrosion, fatigue thermique etc. Les performances en termes de rendement et de durabilité des premières générations de turbines ont ainsi été rapidement limitées par la température de fusion des superalliages base nickel utilisés dans la fabrication des différents composants tels que les aubes de turbine[1].

Ces alliages, originellement sélectionnés pour leurs bonnes caractéristiques mécaniques à hautes températures (Tf ≈ 1380°C pour un alliage de super-nickel typique [1,31]), maintiennent intactes leur propriétés mécaniques jusqu’à 80% de leur température de fusion. À l’heure actuelle, les températures d’entrée de turbine (typiquement 1480°C en phase de décollage [1,31]) sont telles que ces pièces en l’état ne survivraient pas à plus de quelques heures d’exposition [32]. Cet accroissement des températures de fonctionnement des moteurs a été en grande partie rendue possible grâce à l’utilisation de Barrières Thermiques (BT) afin de protéger les composants sensibles à la chaleur. Dans le cas des systèmes métal/BT, il s’agit d’un revêtement de quelques centaines de micromètres à quelques millimètres d’épaisseur dont la fonction est de réduire le flux de chaleur transmis par l’environnement aux composants métalliques qu’il recouvre (Figure 1.1). Par conséquent la température chute significativement dans l’épaisseur de la BT, réduisant la température vue par la surface du métal [1,3]. Comme indiqué sur la Figure 1.1 (b) il est nécessaire d’associer à la BT un système de refroidissement par flux d’air afin de maintenir le gradient thermique entre les deux faces de la BT.

L’amplitude de la réduction de température est fonction de l’épaisseur de la BT et de l’inverse de la conductivité thermique du matériau qui la constitue [1,3]. À titre d’exemple, les BT standards déposées sur les aubes de turbine de moteurs d’avion permettent une réduction de la température de l’ordre de 120-130°C pour une épaisseur totale d’environ 250 μm [4,31]. Selon le type de composant et de revêtement la réduction de température peut atteindre des valeurs de 0.5 -1°C/μm [4,20].

La complexité des sollicitations thermiques, mécaniques et chimiques générées par un environnement de turbine nécessite de la part d’une BT de posséder un nombre important de propriétés essentielles, impossibles à réunir dans un matériau unique. Les BT aéronautiques sont donc des systèmes multicouches et multi-matériaux. La structure d’un système classique utilisé sur les aubes de turbines est illustrée sur la Figure 1.2. Celleci se compose d’une sous-couche (Bond Coat) en contact avec le substrat et d’une couche supérieure isolante (Top Coat) séparées par une couche d’oxyde dont la croissance est thermiquement activée (Thermally Grown Oxide ou TGO).

Le terme de barrière thermique au sens strict fait référence à la combinaison de la couche de céramique et de la sous-couche. Chacune de ces couches remplit un rôle spécifique:

Couche supérieure (Top Coat) 
Cette couche directement exposée à l’environnement contribue à l’isolation thermique du substrat. L’épaisseur de cette couche peut varier de 100 μm à quelques millimètres selon les applications. En plus d’une faible conductivité thermique et d’une certaine résistance à l’érosion et à l’exposition à des températures élevées, cette couche doit aussi posséder une certaine tolérance à la déformation et un coefficient de dilatation thermique élevé pour limiter les contraintes pendant les phases de chauffage et de refroidissement. Les couches supérieures sont ainsi généralement des oxydes réfractaires, ces derniers offrant en général le meilleur compromis entre performances thermiques et mécaniques.

Sous couche (Bond Coat) 
Cette sous-couche ajoute au système les fonctions de barrière environnementale (protection du substrat contre l’oxydation) et assure une meilleure adhésion de la couche réfractaire isolante en permettant la croissance d’une couche d’oxyde stable à sa surface. Il s’agit en général d’une couche d’intermétalliques alumino-formeurs de 10 à 120 μm d’épaisseur. Son caractère métallique lui permet ainsi d’accommoder par fluage les contraintes liées aux différences de coefficients de dilatation thermique entre les couches supérieures et le substrat [1,3].

Thermally Grown Oxyde (TGO)  
Cette couche d’oxyde qui sépare la sous-couche et la couche supérieure résulte de l’oxydation thermo-activée de la sous-couche. En tant qu’oxyde stable à cinétique de croissance lente de type parabolique, son rôle est d’assurer une protection contre l’oxydation en limitant la diffusion d’oxygène vers le substrat. Sa nature d’oxyde accroît également la compatibilité et donc l’adhérence avec la couche supérieure.

Matériaux constitutifs standard

Les nombreuses recherches menées aux cours des dernières décennies ont abouti à une combinaison standard de matériaux pour l’industrie aéronautique que l’on retrouve sur la majorité des systèmes.

Couche supérieure: zircone yttriée (YSZ) 

Le choix d’un matériau céramique pour la couche supérieure découle naturellement des excellentes propriétés réfractaires de cette classe de matériaux dont les principaux avantages résident dans leurs très hauts points de fusion et leurs faibles conductivités thermiques. Le choix s’est rapidement porté sur les céramiques à base de zircone (ZrO2) qui présentent l’avantage de combiner de bonnes propriétés mécaniques avec une conductivité thermique faible (2.17 W.m-1 .K-1 à 1000°C pour la zircone pure [35]) peu dépendantes de la température dans la plage de fonctionnement des turbines [1]. En particulier, leur coefficient de dilatation thermique (env. 10-15.10⁻⁶ K-1 [35,36]) et leur ténacité (env. 6-30 MPa.m1/2 [36]) élevés permettent la réalisation de couples céramique/sous-couche métallique avec des propriétés mécaniques adaptées à une utilisation sur des composants de turbines. Les standards actuels sont les zircones partiellement stabilisées avec 6 à 11 % en masse d’yttrine Y2O3 (6-11 Yttria Stabilized Zirconia ou 6-11YSZ) qui ont démontrées les meilleures propriétés thermomécaniques parmi les matériaux commercialement disponibles pour la fabrication de BT [1,3,35,37]. La composition la plus commune correspond à une zircone partiellement stabilisée avec 7 % en masse de Y2O3 (4 % molaire), identifiée comme celle conférant les meilleures durées de vie en oxydation cyclique à haute température .

Monoclinique m à température ambiante, la zircone présente un polymorphisme de phase à haute température, cristallisant dans une structure quadratique t à partir d’environ 1100°C [3,36,37], et cubique c au-delà de 2350°C [36], chacune dérivées de la structure fluorine CaF2. L’alliage de la zircone à 6-11 % en masse de Y2O3 stabilise une phase quadratique métastable de la zircone semblable à la phase quadratique haute température (mais de tétragonalité légèrement moindre [41]) en inhibant la transformation vers une phase monoclinique (t’→m) ayant lieu vers 950-1170°C [3,37] (Figure 1.3 (b)). Cette dernière provoque dans la zircone pure un changement de volume de la maille cristalline de l’ordre de 4-4.5% [1,36], entrainant de possibles fissurations à l’origine des faibles performances en cyclage thermique du matériau. La phase quadratique t’ présente également de meilleures performances thermomécaniques (tenue en oxydation cyclique et ténacité KIC(t’) = 7,7 MPa.m1/2 > KIC(c) = 2,4 MPa.m1/2 [42]) que la zircone complètement stabilisée dans la structure cubique c obtenue pour des concentrations en Y2O3 supérieures à 12-15 % en masse [7,42], .

L’ajout d’ions yttrium qui se substituent aux ions Zr4+ dans le réseau cristallin introduit un grand nombre de défauts ponctuels sous forme de lacunes d’oxygène pour compenser la charge des ions Y3+ [43]. En plus de contribuer à la stabilisation de la phase t’, ces dernières fournissent des sources efficaces de dispersion des phonons. Le matériau résultant possède ainsi une conductivité thermique plus faible et indépendante de la température, en particulier lorsque celle-ci est élevée [44–46] (1.32 W.m-1 .K-1 à 1000°C [35]). La zircone peut également accueillir dans sa structure cristalline des ions métalliques de nature différente ayant pour effet de stabiliser la phase t’ et/ou de réduire davantage la conductivité thermique. En particulier la substitution de tout ou partie des atomes d’yttrium par de petites quantités d’éléments de la famille des lanthanides (ou ions terre rares), de rayon ionique proche mais de masse beaucoup plus importante, tels que le praséodyme (Pr3+)[45,47], le néodyme (Nd3+)[45,47], le gadolinium (Gd3+)[45,47–49], le dysprosium (Dy3+)[50], l’erbium (Er3+)[45,47] ou l’ytterbium (Yb3+)[45,47,50] permet de réduire significativement la conductivité thermique de ZrO2 (>40%) tout en stabilisant la phase quadratique t’ ou cubique. Le développement de ce nouveau type de composition constitue l’une des pistes à l’étude pour l’amélioration des performances des BT base zircone actuelles ; cette amélioration étant motivée par le souhait des acteurs du secteur d’accroître la durabilité et les performances des moteurs [45–48,51–53]. Par ailleurs, la plupart de ces dopants confèrent également des propriétés de fluorescence au matériau, qui peuvent alors être exploitées pour déterminer la température ou le degré d’endommagement du revêtement .

Couche d’oxyde (TGO) : Alumine α (α- Al2O3)

La couche de TGO consiste en une couche d’alumine α (α-Al2O3) de quelques micromètres d’épaisseur produite par l’oxydation de la sous-couche. Du fait de sa cinétique de croissance lente de type parabolique, l’alumine est l’un des oxydes les plus stables. Elle protège ainsi mieux le substrat de l’oxydation induite par la diffusion aisée des ions O2- au travers de la couche de YSZ contenant un grand nombre de lacunes d’oxygène [3]. Elle possède également l’avantage d’être compatible avec la zircone yttriée, jouant ainsi un rôle important dans l’adhérence de cette dernière [3].

Sous-couche (Bond Coat) : MCrAlY ou (Ni, Pt)Al

Selon les cas, deux types d’intermétalliques alumino-formeurs sont utilisés industriellement pour la fabrication de BT aéronautiques : les MCrAlY et les aluminures de nickel stabilisés avec du platine (Ni, Pt)Al. Dans le premier cas, il s’agit d’un intermétallique de formule générale MCrAlY où le M peut être du Ni et/ou du Co ou du Fe. La présence de chrome augmente la réparabilité de la sous-couche en accroissant l’activité de l’aluminium, ce qui lui permet de diffuser plus rapidement [1,31,54]. L’yttrium améliore quant à lui l’adhérence de la couche d’alumine en fixant les atomes de soufre diffusant depuis le substrat [55]. L’autre alternative consiste en une couche de NiAl créée par diffusion d’aluminium à la surface du superalliage de nickel, et stabilisée avec du platine. Le dépôt d’une fine couche d’environ 8 μm platine avant la diffusion d’aluminium permet d’augmenter la stabilité du revêtement au-delà de 1000°C en stoppant l’interdiffusion entre la sous-couche et le substrat [31]. Les sous-couches en MCrAlY possèdent de meilleures propriétés mécaniques que les (Ni, Pt)Al mais sont moins stables thermodynamiquement [1,31].

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Potentiel des méthodes de photoluminescence pour diagnostiquer l’endommagement et mesurer les températures dans les barrières thermiques aéronautiques YSZ (zircone stabilisée à l’yttrine)
Contexte de l’étude
1. Les Barrières Thermiques (BT) : Généralités et problématiques associées
1.1 Les systèmes métal/BT
1.1.1 Principe et structure des systèmes de BT aéronautiques
1.1.2 Matériaux constitutifs standard
1.1.3 Procédés d’élaboration de la couche supérieure et microstructures associées
1.2 Dégradation en service des BT aéronautiques
1.2.1 Principaux modes d’endommagement
1.2.2 Importance des variations de température et des gradients de température dans
les processus d’endommagement
1.2.3 Limites des méthodes de mesure de température conventionnelles
2. Mesure de température par fluorescence
2.1 Rappels sur le phénomène de photoluminescence
2.1.1 Définition, mécanismes et manifestations
2.1.2 Matériaux fluorescents inorganiques
2.1.3 Influence de la température
2.1.4 Autres facteurs d’influence
2.2 Mesure de température par fluorescence : Méthodes principales
2.2.1 Principe
2.2.2 Méthodes temporelles
2.2.3 Méthodes intensimétriques
3. Application des méthodes de fluorescence à la mesure de température dans le volume et au contrôle non destructif de l’endommagement de systèmes de BT
3.1 Concept de BT fonctionnalisées
3.1.1 Spécificités de la matrice YSZ
3.1.2 BT capteur
3.2 État de l’art de l’utilisation de luminophores dans les systèmes de BT
3.2.1 Mesure de la température
3.2.2 Contrôle non destructif de l’endommagement de BT
Bilan du chapitre
Chapitre 2 : Matériaux, protocoles expérimentaux et moyens d’essais et de caractérisation de BT YSZ photo-luminescentes déposées par voie sol-gel
Contexte
1. Élaboration des systèmes YSZ:Ln3+ photoluminescents
1.1 Synthèse par voie sol-gel de poudres de zircone fonctionnalisées
1.1.1 Principe de la synthèse d’oxydes par voie sol-gel
1.1.2 Synthèse de gels de zircone YSZ:Ln3+
1.1.3 Synthèse de poudres d’aérogel
1.1.4 Synthèse de poudres de xérogel
1.1.5 Traitement thermique additionnel
1.2 Élaboration de pastilles par frittage flash (SPS)
1.3 Dépôt des BT fonctionnalisées par trempage-retrait
1.3.1 Préparation des substrats
1.3.2 Formulation et préparation des sol-chargés
1.3.3 Dépôt des revêtements par trempage-retrait
1.3.4 Conditions de frittage
1.3.5 Recyclage des poudres d’aérogel
2. Caractérisation des systèmes YSZ:Ln3+
2.1 Analyse par diffraction des rayons X
2.1.1 Détermination des phases cristallines
2.1.2 Détermination des paramètres de maille cristalline
2.2 Caractérisations morphologiques et chimiques
2.2.1 Détermination des épaisseurs et des états de surface
2.2.2 Microscopie électronique à balayage
2.2.3 Analyses chimiques par microsonde
2.3 Mesure de la conductivité thermique de zircones YSZ:Ln3+
2.4 Transmission optique dans le domaine UV visible
3. Évaluation des propriétés de photo-luminescence – Moyens d’essais
3.1 Conception d’un banc d’essai polyvalent pour l’application des méthodes de fluorescence aux systèmes de BT sol-gel
3.1.1 Rappels des objectifs
3.1.2 Présentation du moyen d’essai
3.2 Évaluation des propriétés de fluorescence
3.2.1 Spectres d’excitation
3.2.2 Spectres d’émission
3.2.3 Temps de vie
Bilan du chapitre
Chapitre 3 : Synthèse de poudres de zircone YSZ:Ln3+ pour le dépôt par voie sol-gel de systèmes de BT capteurs
Contexte de l’étude
1. Synthèse des poudres de YSZ:Ln3+
1.1 Sélection des marqueurs photoluminescents
1.2 Faisabilité de la synthèse par voie sol-gel
1.3 Comparaison des poudres issues des voies xérogel et aérogel
2. Effets de la concentration en marqueurs sur les propriétés de fluorescence et microstructurales des poudres de YSZ:Ln3+
2.1 Objectifs de l’étude
2.2 Impact sur l’intensité de fluorescence
2.3 Impact sur le temps de vie de fluorescence
2.4 Impact sur la structure cristalline
3. Optimisation des compositions des luminophores YSZ:Ln3+
3.1 Approche : substitution partielle des ions Y3+
3.2 Effets de la substitution sur la structure cristalline de la zircone YSZ:Eu3+
3.3 Effets de la substitution sur les propriétés de fluorescence de YSZ:Eu3+
3.4 Proposition de compositions optimisées
4. Propriétés thermiques des luminophores YSZ:Ln3+
4.1 Conductivité et diffusivité thermique
4.2 Stabilité thermique à 1150°C
Bilan du chapitre
Conclusion générale

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