LES ATTENUATIONS DU PARADOXE : L’INTERNATIONALISATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL, UN INSTRUMENT DE CONVERGENCE DES ORDRES JURIDIQUES

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LA PRECISION TERMINOLOGIQUE AUTOUR DE LA NOTION D’ « INTERNATIONALISATION »

En adoptant une démarche cartésienne, il s’avère que c’est avec la définition de la notion d’« internationalisation » qu’on pourra mieux appréhender l’expression d’ « internationalisation du droit constitutionnel ». Par conséquent, il est opportun de préciser le contenu mais aussi le sens de la notion d’internationalisation avant de dégager sa pertinence supposée dans la perspective envisagée dans cette étude à savoir l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace communautaire spécifique de la CEDEAO.

La notion d’ « internationalisation »

En analysant la construction de la communauté européenne, Sylvie Torcol notait que la lecture d’un phénomène inédit (la construction d’une entité politique supra-étatique) au moyen des théories élaborées par le droit constitutionnel classique soulève bien des équivoques. Cette crainte, somme toute légitime, nous domine, au moment d’analyser le phénomène de l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace de la CEDEAO. En effet, la notion d’internationalisation fait partie de ces concepts élusif voire ambiguë, difficile à cerner, faisait dire à Charles Rousseau, que « peu de concepts sont aussi équivoques que celui d’internationalisation36 ». Toutefois, même si la doctrine ne semble pas s’accorder sur une définition unique et unanime, plusieurs tendances se dégagent. Ainsi, longtemps limité au droit privé, l’internationalisation a été souvent assimilée aux notions de mondialisation ou de globalisation alors qu’ils n’ont pas le même sens que celui de l’internationalisation37. En effet, la globalisation signifie « réunir en un tout des éléments dispersés 38». Elle est liée aux idées d’intégration, d’interdépendance, de multilatéralisme mais aussi d’universalisation, d’homogénéité et de réduction des espaces. Elle est un phénomène qui résulte en grande partie de facteurs extérieurs aux Etats, tels que l’amélioration des communications ou les flux de personnes à travers le monde39. En revanche, l’internationalisation, comme produit de normes internationales ou de normes internes qui s’y conforment, implique une part de volonté des Etats40. De même, la mondialisation ne désigne pas le même phénomène que l’internationalisation. Car elle concerne essentiellement l’économie et correspond à la circulation des biens, des services, des capitaux et à la facilité des échanges internationaux que ces flux reflètent41. L’internationalisation se distingue de la mondialisation et de la globalisation dans le sens où elle consiste en un processus en partie maitrisé par les Etats42.
Au surplus, si internationaliser, au début du XXème siècle correspond à « l’action de rendre international 43», on peut logiquement désigner par internationalisation la soumission de rapports juridiques de droit interne à des règles internationales44. Ici référence est faite à la situation de conflits faisant intervenir plusieurs Etats ou concernant plusieurs Etats. Dans ce cas précis, on parlera d’internationalisation du conflit45. Cette définition de l’internationalisation par un conflit international renvoie à celle donnée par le Dictionnaire de droit international public, pour qui le concept d’internationalisation désigne en principe le « caractère international acquis par une affaire, un conflit ou une crise, qui était à l’origine de nature purement interne ou avait un champ géographique restreint, à la suite d’une intervention d’Etats tiers ou d’une évocation par une organisation internationale46 ». Cette définition bien que pertinente du reste ne prend en compte qu’un aspect de l’internationalisation surtout en temps de crise ou de conflit. On parle d’internationalisation dans ces cas précis pour désigner l’intervention d’un organisme international dans les affaires intérieures d’un Etat lorsque ces dernières ont des incidences internationales, ou pour désigner le régime d’administration d’un territoire par une autorité internationale47.

L’internationalisation du droit constitutionnel dans notre perspective

Vouloir étudier la question de l’internationalisation du droit constitutionnel dans un contexte d’intégration régionale ouest-africaine en l’occurrence la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) revient à analyser deux processus en gestation dans un même espace géographique, à savoir une construction communautaire d’une part voulu et consenti par les Etats, et d’autre part, et de plus en plus l’internationalisation du droit, sous la forme d’influence internationale, qui touchent désormais le « domaine réservé » de l’Etat, des compétences qui jadis lui étaient exclusivement réservées. Ne peut-on pas considérer dans cette réflexion que le processus de communautarisation soit le fait ou une manifestation de l’internationalisation du droit ? En effet cette interrogation trouve toute sa pertinence au regard du processus de la construction européenne qui dans une certaine mesure a subi l’influence du droit international avant que la jurisprudence ait consacré la spécificité et l’autonomie du droit communautaire62 eu égard à l’importance des compétences transférées à l’Union européenne. En faisant le parallèle avec le processus d’intégration régionale ouest-africaine, et loin de comparer les deux organisations d’intégration que sont l’Union européenne (UE) et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), force est de reconnaitre que le phénomène d’internationalisation, en même temps qu’elle touche aux principes constitutionnels étatiques, favorise et influence la construction communautaire au sein de l’espace ouest-africain.
Au vrai, dans le contexte de l’intégration régionale ouest-africaine et par rapport à la question de l’internationalisation qui nous intéresse dans cette étude, le droit constitutionnel désigne ce droit de la constitution sanctionné par le juge et qui rassemble les règles relatives à la forme de l’Etat, à la constitution du gouvernement et des pouvoirs publics et à la participation des citoyens à l’exercice de ces pouvoirs. Dans cette perspective, étudier l’internationalisation du droit constitutionnel dans un contexte de construction communautaire peut être comprise non pas comme étant nécessairement une menace pesant sur les identités nationales ou la démocratie mais comme une chance de promouvoir ce qui forme leur identité commune et la justification de leur volonté d’autonomie, tout en maitrisant ensemble désormais un destin partagé63. Le professeur Vlad Constantinesco notait à ce propos « la forme juridique et politique particulière que prend cette construction originale, loin d’écarter une perspective constitutionnelle, la rend particulièrement nécessaire et pertinente aujourd’hui ». Ce qui sonna comme un apophtegme, une prophétie au regard de l’histoire de la construction de l’Union européenne, semble être un paradoxe en l’état du processus d’intégration régionale ouest-africaine et au-delà de l’impact que le phénomène de l’internationalisation du droit a à la fois sur l’organisation régionale qu’est la CEDEAO et sur les Etats membres de ladite organisation.
Il s’agit au demeurant dans cette réflexion pour une meilleure compréhension de l’internationalisation du droit dans l’espace communautaire de la CEDEAO, d’analyser les processus d’évolution et le jeu des relations (verticales ou horizontales, ascendantes ou descendantes voire interactives entre différents espaces juridiques (national, régional et international). D’où la formulation « Réflexions sur les interactions normatives, institutionnelles et politiques dans l’espace CEDEAO ». Dans cette perspective, il sera question d’analyser le phénomène de l’internationalisation, à travers d’une part l’organisation internationale (CEDEAO) fruit de la volonté et du consentement des Etats en vue d’une meilleure intégration politique et d’un développement économique et social et d’autre part, l’impact de cette internationalisation, voire ses diverses manisfestations dans l’ordre constitutionnel des Etats membres. En d’autres termes le processus d’intégration régionale en gestation en Afrique de l’Ouest subi une influence à la fois du droit interne et du droit international, qui est sans conséquence pour les Etats et leur souveraineté. En vérité cette dynamique, qu’il soit un effet de mode ou le fruit du consentement des Etats ou encore la conséquence de la mondialisation économique et de la globalisation juridique, entraine de facto des mutations institutionnelles et politiques importantes allant jusqu’à une redéfinition des notions de souveraineté, de nation, de pouvoir constituant, et donc de l’Etat et de la Constitution mais aussi une reconfiguration des rapports entre le droit constitutionnel et le communautaire/international. Comme le relève pertinemment Madame Delmas-Marty, « l’expression internationalisation du droit ne désigne pas une catégorie juridique stabilisée, comme le droit interne ou international, mais un processus, une dynamique qui marque une ouverture des systèmes de droits et atténue les frontières entre le dedans et le dehors64 ».
C’est le jeu des relations réciproques et interactives entre des systèmes de droits différents que va privilégier cette étude. On parlera dés lors de communicbilité entre ordres juridiques suivant l’heureuse formule de Jean-Claude Escarras. En effet cette démarche, en se basant à la fois sur la dynamique de l’internationalisation du droit et du processus intégratif de la construction communautaire ouest-africaine, permettra de saisir les interactions existantes entre les deux ordres constitutionnel et communautaire. Le second ayant engendré le premier se verra à son tour soumis au droit de ce dernier. C’est là tout l’intérêt de notre recherche dans la mesure où elle va chercher à saisir les transformations du droit et les mutations institutionnelles et politiques qu’opère le processus de l’internationalisation dans les ordres juridiques des Etats et communautaire. Un tel choix amène à situer la recherche non pas dans un système qui sera déjà stabilisé mais au croisement de systèmes qui interagissent. Et cette notion d’interaction ne désigne pas seulement une internationalisation au sens strict, c’est-à-dire une relation purement horizontale entre des systèmes qui resteraient autonomes et indépendants, mais un « processus d’interaction65 » comportant une part d’intégration qui peut aller de la coordination (coopération purement horizontale) au rapprochement66 (harmonisation stricto sensu qui n’exclut pas les différences mais implique leur mise en compatibilité ) ou même à l’hybridation (unification par la fusion des différents systèmes67).
Ainsi, si les règles relatives à la forme de l’Etat, à la constitution du gouvernement et des pouvoirs publics et à la participation des citoyens à l’exercice de ces pouvoirs, matières par essence constitutionnelle et relevant de la compétence exclusive de l’Etat, sont désormais prévus et consacrés par des instruments juridiques internationaux et communautaires comme le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, force est de constater que l’internationalisation du droit constitutionnel, du moins dans l’espace CEDEAO est un phénomène complexe voire paradoxal car en même temps qu’elle perturbe les ordres juridiques nationaux et renforce la construction communautaire, elle se révèle être l’expression de l’entrecroisement des droits constitutionnels nationaux et du droit communautaire/international et de ce fait témoigne de l’existence d’un carrefour entre eux, pour ne pas dire, d’une convergence entre normes nationales, régionales et internationales

LA PRECISION DU CHAMP DE L’OBJET DE LA RECHERCHE

Préciser le champ de l’objet d’étude consiste essentiellement à déterminer l’espace géographique sur lequel porte principalement la recherche proprement dite. Ce qui permettra d’expliquer le choix de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) par rapport aux autres organisations d’intégration sous régionales. A cet effet, un bref rappel historique est nécessaire à la compréhension du processus de création et d’évolution de l’entreprise communautaire ouest-africain.
Dans sa préface à l’ouvrage d’Alioune Sall, Les mutations de l’intégration des Etats en Afrique de l’Ouest. Une approche institutionnelle69, le professeur Jean-Pierre Queneudec notait qu’ « après leur accession à l’indépendance dans le cadre des anciens territoires coloniaux, les Etats africains n’ont eu de cesse de mettre sur pied diverses formes de regroupements pour tenter de surmonter les inconvénients inhérents à ce qui fut naguère appelé la « balkanisation » du continent. C’est dans ce contexte que l’Organisation de l’Unité Africaine fut créée en 1963 par trente-deux Etats à Addis-Abeba (Ethiopie)70. Et parmi ses objectifs principaux, l’organisation continentale visait notamment l’élimination des derniers vestiges du colonialisme et de l’apartheid, de renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains, de coordonner et d’intensifier la coopération en faveur du développement, de défendre la souveraineté et l’unité territoriale des Etats membres et de favoriser la coopération internationale dans le cadre des Nations Unies. De facto, lorsque, à la fin des années 70-80, le débat sur les modalités de l’unité continentale s’estompe, et que les intégrations sous régionales (« régionales », selon la terminologie de l’OUA71) sont perçues dans cette perspective non comme des entraves mais comme des préalables nécessaires, les chefs d’Etats et de gouvernement de l’OUA adoptent le Plan de Lagos (1980), qui se veut la Charte de cette nouvelle vision72. Ce plan procède à un découpage en sous régions, chacune devant réaliser son intégration à l’intérieur d’organisations nommément citées.

DE L’INTERET DE LA RECHERCHE

DECRAENE Paul, Le Panafricanisme, PUF 1970, p.121, cité par Alioune SALL, op.cit. L’auteur à ce propos notait que Le Président Senghor avait ainsi voulu « la réalisation d’une unité africaine dans le cadre d’une République Fédérale dont la Fédération du Mali constitue la première étape. Voir également BORELLA F., Le régionalisme africain à l’OUA », AFDI 1963, p.838.
Comme l’avait relevé Paul Bastid, « la première obligation des juristes, c’est de garder le contact avec les faits, surtout lorsque ceux-ci sont considérables et qu’ils se renouvellent106 ». Et au regard de l’abondante littérature sur la question de l’internationalisation du droit en général, et de l’internationalisation du droit constitutionnel en particulier 107, force est de constater que la doctrine et les juristes notamment se sont intéressés à une problématique qui modifie très clairement les notions traditionnelles d’Etat, de constitution et de souveraineté ou encore de pouvoir constituant, de nation, de peuple et de territoire. Ainsi étudier l’internationalisation du droit constitutionnel en Afrique en général et plus particulièrement dans l’espace CEDEAO notamment à travers les interactions normatives, institutionnelles et politiques entre l’organisation communautaire et les Etats membres atteste tout l’intérêt de cette recherche et relance le débat sur une nouvelle appréhension, du moins une relecture des notions classique de définition du droit constitutionnel à l’issue de son internationalisation. Ceci étant, on essayera d’appréhender cet intérêt à un triple niveau : institutionnel, fonctionnel et jurisprudentiel.

De l’intérêt institutionnel

L’étude de l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace CEDEAO à travers ses interactions normatives, institutionnelles et politiques avec les Etats membres apparait clairement nécessaire et théoriquement intéressante, en ce sens qu’elle présente une actualité qui en fait nécessairement un objet d’analyse particulièrement pertinent. En effet, lors du Sommet d’Abuja de 2006, les Chefs d’Etats et de Gouvernement ont approuvé une modification des institutions de l’organisation communautaire en décidant de remplacer le Secrétariat Exécutif par une Commission108. Ce réajustement institutionnel loin d’être seulement « technique », procède d’une philosophie de l’intégration beaucoup plus ambitieuse, et qui tend à mettre les Etats devant leurs responsabilités en énonçant clairement les sacrifices de souveraineté qu’implique la nouvelle approche communautaire. La transformation du Secrétariat exécutif de la CEDEAO en Commission constitue la continuité des changements institutionnels observés depuis les années 1990 puis 2000 avec le passage du modèle inter-étatique au modèle supranational guidé par un souci d’efficience, c’est-à-dire une quête d’efficacité maximale avec le minimum de moyens109. Cette vision pragmatique et « managériale » adoptée par la CEDEAO conduit à une restructuration de l’appareil institutionnel, une simplification ou une agrégation des institutions de l’intégration en Afrique de l’Ouest, qui mérite que l’on s’y attarde. Ainsi, il sera question dans cette étude d’examiner, au-delà de la problématique générale110, cette nouvelle architecture institutionnelle de la CEDEAO, c’est-à-dire d’analyser les nouveaux mécanismes institutionnels mis en place, les processus décisionnels, la nomenclature et leurs impacts à la fois dans le fonctionnement de l’organisation internationale communautaire mais aussi dans l’ordre juridique des Etats membres.
Par ailleurs, la question de l’intégration en Afrique a été pendant longtemps un objet d’étude pour les économistes et les historiens, les approches de celle-ci ont rarement été institutionnelles111. Et l’ambition modeste de ce travail est de contribuer à combler cette lacune. Un autre intérêt qui découle de ces transformations institutionnelles est l’analyse des normes créées par ces nouveaux organes communautaires et qui par conséquent s’appliquent de facto dans l’ordre juridique des Etats. Les droits communautaires ouest-africains en général et le droit communautaire de la CEDEAO en particulier ont subi des évolutions considérables, d’une ampleur telle qu’il n’est pas exagéré de parler à leur sujet de métamorphoses du droit112. A ce propos, l’observateur attentif du processus d’intégration sous régionale ouest-africaine constatera l’évolution de la philosophie même de regroupement des Etats au sein de la CEDEAO et celle-ci s’en est ressentie à la fois dans les Etats et au sein de l’organisation supranationale. En outre, l’analyse des compétences et des pouvoirs transférés aux nouvelles institutions témoignent de la rupture avec le modèle traditionnel interétatique.
Même si certaines pratiques interétatiques demeurent, l’intérêt d’une étude sur l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace CEDEAO permettra d’analyser le jeu des relations interactives à la fois ascendantes et descendants mais aussi horizontales et verticales entre systèmes juridiques différents et dont la finalité est le rapprochement des législations nationales, leur unification ou du moins leur harmonisation par le truchement de normes, principes, valeurs et standards constitutionnels communs113 dans le contexte actuel de perméabilité des ordres juridiques114, à tout le moins, de communicabilité entre systèmes juridiques. A cet égard, les précisions sur un « droit institutionnel et materiel de la CEDEAO » seront apportées à l’instar du parangon européen. Ainsi, l’étude que l’on se propose de mener s’intéressera à l’articulation internationalisation du droit/droit constitutionnel/droit communautaire et international dans une sphère géographique relativement homogène ou en voie d’homogénéisation, voire d’harmonisation du fait des courants d’influence réciproque qui la traversent sur le plan de la conception normative ou de l’élaboration du droit, de la production jurisprudentielle, des pratiques institutionnelles et politiques et des voies de leur traitement. Le rapprochement entre plusieurs Etats au niveau des principes directeurs ou par le biais de standards internationaux, des méthodes et des procédures issus d’un patrimoine constitutionnel commun pouvant être le fait d’une inspiration commune au plan sous-régional, régional ou international dans le cadre d’organisations internationales d’intégration économique et politique mais aussi dans le cadre d’organisations spécialisées adéquates. A cet effet, nous envisagerons un cadre géographique relativement vaste (espace CEDEAO) constitué à la fois d’Etats appartenant majoritairement à des traditions juridiques et juridictionnelles différentes mais qui se sont inspirés, pour la plupart du modèle français, et pour d’autres de la tradition anglo-saxonne (Commonwealth). Aujourd’hui, le droit international et le droit communautaire affichent de plus en plus leur volonté de saisir les ordres constitutionnels étatiques115, et par conséquent, face à phénomène, il devient opportun d’analyser l’impact réel de ce dernier dans les ordres étatiques mais aussi dans leur jeu de relations interactives avec l’organisation supranationale, en l’occurrence ici la CEDEAO.

De l’intérêt fonctionnel

On assiste dans le cadre de la CEDEAO à des innovations de taille qui procède à une combinaison de deux approches de la construction communautaire à savoir le préalable de la mise en place d’institutions fortes, indépendantes et autonomes mais aussi de la nécessité d’une intégration par le Droit qui postule la réalisation d’une communauté de droit. En effet si le Préambule du Traité du 28 mai 1975 instituant la Communauté MANESSIS A., « La Constitution au seuil du XXIe siècle », op.cit., L’auteur dira à ce propos que « le phénomène juridico- politique essentiel de notre époque est l’infiltration de règles internationales (supra-étatiques et supranationales) dans l’ordre juridique national (interne), infiltration qui entraîne altération et relativisation du caractère normatif de la Constitution, qui tend ainsi à devenir « volontairement » perméable ».
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest reflète les préoccupations des pères fondateurs de la CEDEAO à savoir, « un développement harmonieux, l’amélioration du niveau de vie des populations, l’intégration progressive des économies des pays de la sous-région, la répartition juste et équitable des avantages de la coopération inter-étatique, la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes », le Traité révisé de 1993 ne trahit pas ces préoccupations et va même plus loin en estimant que l’intégration des Etats membres en une Communauté régionale viable doit requérir la mise en parenthèse partielle de leur souveraineté nationale au profit de la Communauté. En conséquence, les Etats membres reconnaissent la nécessité de créer des institutions communautaires auxquelles seront conférés des pouvoirs conséquents aux fins de rendre réelle et effective le processus d’intégration régionale et donc de la construction d’une communauté politique et de droit.
La nécessité d’une intégration par le droit mis en exergue explique en pratique et en partie l’institution de la Cour de Justice de la Communauté. De ce fait, l’ambition affichée par la « Nouvelle CEDEAO » est claire et les évolutions récentes de son droit traduisent la nouvelle dimension prise par le projet communautaire. En effet, la philosophie même du regroupement des Etats a évolué, la physionomie de l’organisation s’en est ressentie, le droit faisant désormais mention de modalités de sanction. Cette perspective nouvelle de la CEDEAO, somme toute logique, au regard des nouvelles matières concernées par l’intégration traduisent inéluctablement les besoins récemment ressentis par les Etats en terme de préservation de la paix et de la sécurité, de la protection des droits humains et des libertés publiques, en matière de démocratie et de bonne gouvernance, à l’épineuse question des élections ainsi que du contentieux électoral, en somme, à la nécessité de l’Etat de droit. La liste des enjeux et des préoccupations, loin d’être exhaustive, traduit, aujourd’hui la nécessité de leur règlement à un niveau international, dans un cadre multilatéral ou les sacrifices de souveraineté seront considérables. Et pour ce faire, l’organisation internationale qu’est la CEDEAO offre aux Etats un cadre propice et adéquat pour faire face à ces nouveaux défis de l’internationalisation du droit constitutionnel.
En vérité, l’étude du phénomène de l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace CEDEAO va permettre de mettre en lumière cette nouvelle dimension prise par l’organisation communautaire face aux nouveaux défis et menaces qui interpellent les Etats et imposent pour leur règlement un transfert considérable d’une partie de leur souveraineté au profit de la Communauté. Ainsi, la politisation récente et progressive des organisations sous régionales, avec au prmier chef la CEDEAO justifiée en partie par le phénomène de l’internationalisation se traduit manifestement par une certaine adhésion des Etats à des principes cardinaux et des valeurs essentielles reconnus et partagés universellement116. On a pu parlé à cet égard de « patrimoine commun de l’humanité » ou encore de « patrimoine constitutionnel commun ». Aussi à ce propos a-t-on pu parlé dans le contexte de la globalisation du droit caractérisé par une circulation soit volontaire soit imposée d’idées et de modéles constitutionnels de l’existence d’un « constitutionnalisme global117 ». Ce dernier désignant ce phénoméne qui tend à soiligner le passage des constitutions concues comme de simples instruments d’expression de l’identité nationale à celles consues commes des marques d’appartenance à la communautaé globale. On parle aussi de world constitutionalism (B. Ackerman) ou de « standardisation constitutionnelle » ou encore de « global constitutional reservoir 118».
Les perspectives institutionnelles récemment tracées, qui procèdent essentiellement de l’objectif d’Union économique et monétaire ainsi que d’une intégration politique avec la primauté reconnue au droit ou du moins dans une certaine mesure par la conquête de nouveaux secteurs d’activités sensibles voire de matières constitutionnelles appartenant en principe à l’Etat constituent une autre raison d’entreprendre une étude d’ensemble du droit de l’intégration ouest-africaine dans la perspective de l’internationalisation du droit.

De l’intérêt jurisprudentiel

Incontestablement, le développement des tendances régionalistes dans la société internationale contemporaine constitue un des facteurs explicatifs d’une donnée des relations internationales qui fait l’objet depuis quelques années d’une réflexion poussée : la multiplication des juridictions sur la scène internationale119. Nombre d’auteurs s’accordent sur le fait que si les juridictions se multiplient ainsi c’est du moins en partie parce que les Etats sont de plus en plus tentés par des formes de regroupements fondées sur la proximité géographique ou la communauté d’intérêts et que la mise en place de tels regroupements s’accompagne souvent de la création d’organes juridictionnels chargés de dire et de promouvoir le droit de l’organisation régionale ou sous régionale120. Aussi, dans le cadre spécifique de la CEDEAO, le Traité de 1975 avait prévu de doter la Communauté d’un
Tribunal » qui n’a jamais vu le jour. Et à la faveur des profondes mutations des organisations internationales qui sont intervenus sur le continent africain à la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix et sous l’influence croissante de l’internationalisation du droit et de la globalisation juridique, et de la multiplication des juridictions internationales, en particulier, la « Nouvelle CEDEAO » avec le Traité révisé de 1993 s’est pourvue un organe juridictionnel établie à Abuja121 (Nigéria). Malgré la tardiveté de la consécration d’un tel organe dans le processus d’intégration de la CEDEAO,force est de reconnaitre qu’avec l’élargissement du droit de saisine avec la possibilité donnée aux personnes physiques et morales122 de saisir directement la Cour mais aussi de l’autorité attachée aux décisions judiciaires123, on est pas loin d’une véritable révolution juridique et judiciaire dans le processus d’intégration de la CEDEAO.

DE LA PROBLEMATIQUE PROPOSEE

Au regard de ces précisions terminologiques et définitoires mais aussi des intérêts qui en découlent, l’étude du paradoxe de l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace CEDEAO apparait clairement comme nécessaire et théoriquement intéressante. En effet, il ne s’agira pas dans cette étude de reprendre la querelle entre monisme et dualisme, ni de procéder à une systématisation des rapports établis par la constitution entre le droit international et le droit interne, notamment la place des traités internationaux dans la hiérarchie des normes, même si cette question nous intéresse dans cette réflexion, elle sera analysée comme un élément d’un ensemble plus vaste d’interconnexions, d’interdépendances entre le système juridique international communautaire et les systèmes juridiques internes des Etats membres de la CEDEAO, en l’occurrence. Autrement dit, il sera question en réalité d’aborder la question de l’internationalisation du droit à travers plus précisément les interactions entre droit constitutionnel et droit communautaire sous le prisme des phénomènes politiques, économiques et sociales qui caractérisent la spécificité du processus d’intégration ouest-africaine voire la construction communautaire de la CEDEAO dans son ensemble.
La tendance actuelle avec le processus de construction communautaire en Afrique, et plus particulièrement dans l’espace CEDEAO, est la pénétration croissante de normes communautaires internationales dans des matières constitutionnelles étatiques, d’autres parlent de « rapports de compénétration » ou de « rapports intersystémiques ». Cette nouvelle donne inédite dans le cadre ouest-africain, en ce sens que le modèle étatique traditionnel est désormais, non pas supprimé ou substitué mais superposé, juxtaposé concurrencé, confronté voire concilié dans ses domaines de compétences par un autre système supra-étatique, disons supranational, a bouleversé la distribution du pouvoir au sein de l’Etat et internationalisé certaines domaines qui, jadis relevaient de la compétence exclusive de ce dernier sans parler de la nouvelle appréhension qui pèse sur la définition du droit constitutionnel classique.
L’objectif général assigné à cette recherche sera de saisir les transformations d droit et les mutations institutionnelles et politiques qu’induit le processus d’internationalisation du droit dans les ordres constitutionnels étatiques et communautaire. Pour le dire autrement, l’ambition de ce travail sera de mesurer l’intensité du processus de l’internationalisation du droit dans l’espace CEDEAO.
Aussi, s’inspirant des autres systémes d’intégration régionale ou communautaire notamment africains (UEMOA, CEEAC-CEMAC, SADC, OHADA) et dans une moindre mesure aux systémes européen et américain, l’intensité du phénoméne de l’internationalisation du droit sera mesurée ici sous le prisme des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit au niveau des ordres constitutionnels étatiques et communautaire. Au carrefour du droit interne et du droit international, l’interationalisation se caracterise par son ambiguité. De meme qu’en s’appliquant au droit constitutionnel et en se saissisant progresivement du phénoméne ntégratif et par conséquent du droit communautaire de la CEDEAO, elle apparait diffuse et complexe car elle saisit concomittament les niveaux national, régional et international. A cela s’ajoute une dimension transnationale d’internationalisation du droit constitutionnel qui désoriente les analyses classisques du constitutionnalisme. Ce faisant, cette réflexion tentera d’apporter un éclairage à cette complexité et cette ambiguité du phénoméne d’internaionalisation plus singuliérment dans l’espace CEDEAO marqué par une instabilité politique, normative et institutionnelle recurrente.
Face à cette nouvelle configuration des rapports internationaux139, marqué par l’infiltration croissante de normes internationales (supra étatiques et supranationales) dans l’ordre juridique national qui entraine une altération et une relativisation du caractère normatif de la Constitution, qui tend ainsi à devenir « volontairement perméable 140», cette étude essayera de donner des réponses aux questions suivantes : Quel est l’impact réel de l’internationalisation du droit constitutionnel dans l’espace CEDEAO ? Dans quelle mesure les ordres constitutionnels étatiques subissent-ils le droit communautaire supranational ? Le phénomène de l’internationalisation du droit constitutionnel ne traduit-elle pas une nouvelle articulation des rapports entre ordre juridique national et ordre juridique communautaire ? Ou bien ne conduit-elle pas à une redéfinition des notions d’Etat, de Constitution, de Souveraineté, de Pouvoir constituant ou encore de Nation, de Peuple et de Territoire ? Enfin peut-on pas voir dans le phénomène de l’internationalisation du droit, l’émergence progressive d’un ordre juridique universel avec la définition de standards constitutionnels mondiaux ainsi que le prône une partie de la doctrine en évoquant l’existence d’un constitutionnalisme global voire un droit global défini comme un ensemble très cohérent de mesures cherchant à traduire au plan mondial les préceptes de l’idéologie libérale 141»
La pluralité des questions révèle, même si ce n’est pas visible de prime abord, une unicité de la problématique qui porte essentiellement sur les manifestations de l’internationalisation du droit constitutionnel à la fois dans les ordres constitutionnels et communautaire. En d’autres termes, toutes ces interrogations induit à une réflexion fondamentale et centrale sur la nature, les manifestations et la portée de l’internationalisation du droit constitutionnel dans les ordres constitutionnels et communataire, présenté comme un processus inachevé, une dynamique de communicabilité entre systémes juridiques et tendant à l’harmonisation des droits contitutionnels notamment ici de ceux de l’espace CEDEAO.

ANNONCE DU PLAN

Au vrai, dans un contexte caractérisé tout à la fois par le foisonnement et le buissonnement des ordres juridiques, un cap significatif d’internationalisation des droits nationaux, en général et du droit constitutionnel en particulier est franchi142. Aussi, l’internationalisation est un phénomène protéiforme dans la mesure ou il peut prendre un sens matériel par l’harmonisation des normes constitutionnelles nationales, régionales et internationales autour des standards ; ensuite il peut prendre aussi un sens institutionnel par l’identification du rôle international des institutions nationales et enfin il s’entend à l’aune des rapports de systèmes qui soulèvent la question de l’impact du droit international/communautaire sur le droit constitutionnel et inversement143. Aussi, l’internationalisation du droit constitutionnel dans le processus de construction communautaire de la CEDEAO à travers ses interactions normatives, institutionnelles et politiques traduit une tendance à l’harmonisation de systèmes constitutionnels de deux ordres juridiques différents, elle confirme paradoxalement leur existence formelle autonome, tout en minimisant les aspects conflictuels de leur cohabitation par un renforcement de leur complémentarité.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. LES TERMES DU PARADOXE : L’INTERNATIONALISATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL, UN PHENOMENE PERTURBATEUR DES ORDRES JURIDIQUES
TITRE I. UNE DYNAMIQUE INSTITUTIONNELLE CONSOLIDANT SENSIBLEMENT LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE : L’INTERNATIONALISATION DES STRUCTURES, DES FORMES ET DES PROCEDURES AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE
Chapitre I. LE CHOIX DE LA SUPRANATIONALITE COMME MODE DE GOUVERNANCE
Chapitre II. LA TIMIDE EVOLUTION DU CADRE NORMATIF DE LA COMMUNAUTE
TITRE II. UN PROCESSUS JURIDICO-POLITIQUE LIMITANT RELATIVEMENT LA SOUVERAINETE DE L’ETAT : L’INTERNATIONALISATION DES STRUCTURES, DES FORMES ET DES PROCEDURES AU NIVEAU DE L’ETAT
Chapitre I. UNE RECONFIGURATION HORIZONTALE DES POUVOIRS CONSTITUTIONNELS ETATIQUES
Chapitre II. UNE REORGANISATION VERTICALE DU POUVOIR DANS L’ETAT
PARTIE II. LES ATTENUATIONS DU PARADOXE : L’INTERNATIONALISATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL, UN INSTRUMENT DE CONVERGENCE DES ORDRES JURIDIQUES
TITRE I. L’ADHESION DES ORDRES JURIDIQUES AUX STANDARDS CONSTITUTIONNELS UNIVERSELS : L’INTERNATIONALISATION DE REGLES MATERIELLES ET SUBSTANTIELLES
Chapitre I. LES CONVERGENCES CONSTITUTIONNELLES EN MATIERE DE DROITS FONDAMENTAUX : Le standard des droits de l’homme
Chapitre II. LES CONVERGENCES CONSTITUTIONNELLES EN MATIERE DE LEGITIMITE DEMOCRATIQUE : Le standard électoral
TITRE II. L’EMERGENCE D’UN CONSTITUTIONNALISME REGIONAL. CONTRIBUTION A LA THEORIE JURIDIQUE DE LA CEDEAO
Chapitre I. LES SIGNES PERCEPTIBLES D’UNE COMMUNAUTE POLITIQUE
Chapitre II. LES SIGNES PERSISTANTS D’UNE COMMUNAUTE DE DROIT
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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