Les atouts des organisations internationales pour la protection des baleines dans l’océan Indien

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Les effets des réserves formulées

Les États réservataires peuvent réaliser des opérations commerciales entre eux, sous couvert d’un permis d’exportation et d’importation valide, en dépit de l’état de conservation inquiétant de certaines espèces. Malgré le caractère scientifique de sa chasse, le Japon pouvait ainsi utiliser et vendre de la viande de baleine et des produits dérivés sur son territoire et à l’étranger, uniquement avec des pays qui ont émis des réserves sur les mêmes espèces.
Si la fragmentation des obligations des Parties à la CITES est nette, elle s’illustre aussi dans la pratique à travers le transit de la viande de baleine. Certes, si deux États réservataires peuvent commercer entre eux, quid du transit de la chair de baleine dans le port d’un État opposé à la chasse et à la commercialisation de ces produits ?
La question a créé de vives tensions au niveau international notamment lors d’un scandale aux Pays-Bas, lorsque les produits de la chasse islandaise, destinés au Japon, devaient transiter par le port de Rotterdam191. Les autorités portuaires avaient d’ailleurs réagi en conséquence annonçant qu’elles n’accepteraient plus de chair de baleine même en transit192.
Or, la législation européenne en vigueur n’interdit pas le transit de la viande de baleine dans les ports de l’Union européenne. Conformément au règlement (CEE) n° 338/97/CE du Conseil du 9 décembre 1996 qui met en œuvre les règles de la CITES dans l’Union européenne, le transit des espèces inscrites aux annexes de la CITES est possible à condition que la marchandise soit accompagnée de documents d’exportation ou de réexportation valables193. Ce transit est donc légal même au sein du port d’un pays s’étant déclaré contre la chasse de la baleine et le commerce de sa viande. Néanmoins, comme le démontre le cas de Rotterdam, les autorités portuaires peuvent renverser cette réglementation pour une question d’image et de positionnement politique, sur le fondement de leur marge de manœuvre194.
Si aucun État de l’océan Indien ouest n’a émis de réserve sur les baleines à la CITES, rien n’interdit pour autant le transit de leur chair sur ces territoires. Les États impliqués dans le projet de protection des baleines, dans un objectif de cohérence avec la protection de ces cétacés et d’harmonisation de la politique commerciale régionale, pourraient néanmoins prévoir cette interdiction du transit.
La protection des baleines, à travers les traités à vocation universelle, sur les espèces, apparaît considérablement fragmentée au titre de mécanismes juridiques mobilisés par les États. Il convient alors d’explorer les conventions régionales de protection spatiale afin d’analyser leur pertinence pour un projet de protection des baleines et mieux appréhender les risques de fragmentation auquel un accord dans la région pourrait s’exposer.

La fragmentation ratione loci des traités sur l’espace

Les traités sur l’espace règlementent généralement une large zone à travers l’adhésion de plusieurs États côtiers ou voisins. Ces traités pourraient contribuer à une protection cohérente des baleines en tant qu’espèce migratrice grâce à des règles communes qui s’appliqueraient indépendamment des frontières entre chaque État. En ce sens, les accords régionaux pour la protection du milieu marin représentent un réel avantage (A) mais posent néanmoins la problématique des zones non couvertes (B).

L’avantage des accords régionaux pour la protection du milieu marin

Soucieux d’une nécessaire coopération pour protéger le milieu marin, plusieurs États riverains se sont associés autour de diverses zones marines du globe à travers des conventions régionales.
Les territoires ultra-marins de la France apparaissent alors comme un atout de taille puisque qu’ils lui permettent de s’engager au sein de diverses conventions dans de nombreuses régions du monde.
La Convention de Carthagène195 pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes l’illustre grâce à la présence des Antilles françaises dans cette région. C’est également le cas pour la Convention de Nouméa pour la protection des ressources naturelles et de l’environnement du Pacifique Sud196 et la Convention d’Apia197 pour la protection de la nature pour le Pacifique Sud au titre de la Polynésie française, Wallis et Futuna et la Nouvelle Calédonie. La France affirme aussi sa place dans l’océan Indien par la Convention de Nairobi198 pour la protection, la gestion et le développement de l’environnement marin et des zones côtières de la région de l’Afrique orientale avec La Réunion et Mayotte, et même dans les zones très éloignées comme l’illustre la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR)199 grâce à la présence des Terres Australes Antarctiques Françaises (TAAF). Plus près des côtes de la France métropolitaine, l’État français s’est engagé au sein de la Convention « OSPAR »200 pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, ou encore dans la Convention de Barcelone201 sur la Protection du Milieu Marin et du Littoral de la Méditerranée. Certaines de ces conventions régionales ont permis de définir de larges zones dédiées à la protection des cétacés. C’est le cas de l’accord « ACCOBAMS » sur la Conservation des cétacés de la Mer Noire, de la Mer Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente202, créé entre autres grâce à la Convention de Barcelone203 qui tend à protéger toutes les espèces de cétacés évoluant dans la zone de l’Accord dont les États Parties sont riverains.
Le sanctuaire Pelagos pour les mammifères marins en Méditerranée a, de son côté, été créé en tant qu’Aire Spécialement Protégée d’Importance Méditerranéenne (ASPIM). Les ASPIM sont établies par le Plan d’Action pour la Méditerranée (PAM), programme de « mer régionale » créé sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement, dans le cadre du protocole « Biodiversité »204, un des sept protocoles de la Convention de Barcelone. L’Accord Pelagos205 réunit trois États membres, la France, l’Italie et Monaco. Le cas du sanctuaire Pelagos est assez spécifique au regard du fait qu’en Méditerranée, certains États n’ont pas revendiqué leur ZEE, et s’ils le faisaient, cette mer pourrait être totalement recouverte, sans laisser place à de la haute mer, tant les États y sont voisins. Si la France possède une partie de la Méditerranée en ZEE depuis 2012206, elle dispose également d’une zone de protection écologique (ZPE)207, au-delà de sa mer territoriale (12 milles marins) qui avait été créée en 2004. Cette large zone qui démarre après la mer territoriale française jusqu’à la haute mer, lui permettait d’établir certains droits en matière de protection de l’environnement, notamment celui de sanctionner les faits de pollution commis dans cette zone par des navires battant pavillon d’États tiers. La ZEE lui confère désormais plus de prérogatives208, mais la ZPE, couverte par la ZEE, continue d’exister. L’Italie, qui n’a pas déclaré sa ZEE, possède en revanche elle aussi une ZPE. La zone de Pelagos se partage alors entre les eaux territoriales des États, ZPE, ZEE et haute mer209.
Le sanctuaire Agoa pour les mammifères marins dans les Antilles françaises couvre de son côté, la totalité de la ZEE des Antilles françaises. S’il diffère de Pelagos en matière de couverture de ZEE, le sanctuaire Agoa s’inscrit en revanche dans une même logique que Pelagos en étant reconnu comme aire spécialement protégée au titre du protocole « SPAW » (Specially Protected Areas and Wildlife) de la Convention de Carthagène.
L’avantage incontestable des accords régionaux réside dans la couverture spatiale des États Parties, souvent riverains, grâce à leur occupation du domaine maritime (à travers leur ZEE, leur mer territoriale ou une ZPE par exemple). L’assemblage de la couverture spatiale des États apparait ainsi particulièrement adapté aux espaces utilisés par la migration des baleines qui traversent les différentes zones maritimes. De fait, un cadre de protection limité à la ZEE d’un seul État se révèlerait insuffisant.

La problématique des zones non couvertes

Afin de combler l’absence de règles qui caractérise la haute mer, certains outils spatiaux ont tenté d’assurer une protection dans cette zone (1) en attendant qu’un traité règlementant la haute mer voie le jour (2).

L’émergence de zones de protection en haute mer

La haute mer est située au-delà des zones maritimes dites « sous juridiction » de l’État côtier. Elle commence au-delà des limites du plateau continental210 des États, à 200 milles marins ou à 350 milles marins lorsque le plateau continental est étendu211.
La haute mer est gouvernée par le principe de liberté d’utilisation, dont chaque État est détenteur212. Devant cette zone immense et un temps difficile d’accès, il n’était jadis pas dénué de sens d’envisager ce vaste espace comme « inépuisable dans sa substance et dans ses usages »213 selon la théorie développée par Grotius dans Mare liberum, écrit passé à la postérité et inspirateur de la philosophie du droit international de la mer.
C’est cette approche qui a largement imprégné les règles écrites actuelles relatives à la haute mer. Ainsi, l’espace constituant la haute mer n’est pas susceptible d’appropriation étatique214. Néanmoins, conscients de la nécessité de protéger les espèces migratrices dans cette zone, certains États, à travers des accords, tentent d’y imposer des règles de protection spatiale. A ce titre, le protocole relatif aux ASPIM a permis de couvrir des zones de haute mer : le sanctuaire Pelagos comporte ainsi une partie en haute mer. Dans cette zone, chacun des États Parties est compétent pour assurer l’application des dispositions de l’Accord à l’égard des navires battant son pavillon, mais aussi, « dans les limites prévues par les règles de droit international, à l’égard des navires battant le pavillon d’États tiers »215. Deux interprétations pourraient alors être proposées pour analyser cette disposition. Une première consisterait à penser que les Parties à l’Accord ne peuvent pas imposer leurs règles à l’égard des navires battant pavillon d’États tiers dans les zones de haute mer du sanctuaire puisque cela porterait atteinte au principe de liberté dans cette zone. Une autre interprétation laisse entendre que si les États Parties déclarent leur ZEE (notamment l’Italie), alors elles couvriront les zones actuelles de haute mer du sanctuaire et les règles de l’État côtier pourront donc s’appliquer aux navires battant pavillon d’États tiers216.
Des aires marines protégées en haute mer ont également pu être créées dans l’océan Austral grâce à la Convention CCAMLR pour répondre à l’objectif international, conformément à la décision prise lors du Sommet mondial sur le développement durable en 2002, de créer un réseau représentatif d’aires marines protégées avant 2012. Bien que les États Parties ne soient pas côtiers du fait de l’éloignement de la zone, ils se sont mobilisés devant la nécessité de préserver cette zone aussi riche en biodiversité qu’exploitée, en sanctuarisant notamment la mer de Ross fin 2016217.
En Atlantique, c’est la Convention OSPAR qui a permis la création d’un réseau d’aires marines protégées (AMP) en haute mer dans l’océan Atlantique. Néanmoins, il ne s’agit pas d’aires marines protégées au sens où on l’entend dans les zones côtières. En effet, les activités telles que la pêche, l’extraction de ressources minérales ou encore le transport maritime ne relevant pas du champ de compétence de la Convention, la gestion de ces AMP ne peut alors se faire qu’à travers le recours aux organisations internationales « sectorielles ». Parmi elles figurent alors l’organisation maritime internationale (OMI) chargée d’établir des normes « pour la sécurité, la sûreté et la performance environnementale des transports maritimes internationaux »218, l’autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui contrôle les activités menées dans la « Zone », c’est-à-dire dans les fonds marins et leur sous-sol en haute mer219, ou encore les organisations régionales de gestion de la pêche compétentes dans la région, notamment ici, la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est. Les missions de la Commission d’OSPAR s’orientent alors davantage vers de la sensibilisation, le recueil d’informations, le respect des bonnes pratiques en termes de recherche scientifique en haute mer et la promotion des objectifs de conservation de ces AMP auprès des États tiers et des organisations internationales compétentes220.
Ces différents exemples qui tendent, avec plus ou moins de difficultés, à la protection de la biodiversité en haute mer démontrent néanmoins la fragmentation du paysage maritime au- delà des zones sous juridiction étatique. Dans l’océan Indien, considérant la zone de migration des baleines qui prend sa source en Antarctique et qui traverse la haute mer avant de parvenir aux îles du sud-ouest de l’océan Indien, il faudrait alors envisager, certes de manière utopique tant les enjeux géopolitiques sont forts221, d’étendre l’espace protégé à travers un projet de protection des baleines depuis l’Antarctique et de créer une continuité avec le sud-ouest de l’océan Indien. La situation des TAAF et de leur ZEE entre ces deux espaces, bien qu’intéressantes, se révèle largement insuffisante au regard des zones considérables de haute mer qui les entourent. La solution permettant de pallier l’insuffisance des protections dans cet espace réside sans doute dans le traité sur la haute mer qui devrait prochainement voir le jour.

LA FRAGMENTATION MATERIELLE DE LA PROTECTION INTERNATIONALE DES BALEINES

Si la chasse à la baleine est encore pratiquée mais de manière assez isolée grâce aux règlementations combinées de la CIRCB et de la CITES, les menaces qui pèsent sur les baleines évoluent avec le développement de différents secteurs d’activités.
L’augmentation du trafic maritime, le développement de nouvelles technologies d’exploration des fonds sous-marins et les techniques de pêche toujours plus performantes représentent des risques directs sur les populations de cétacés que le projet de protection des baleines dans l’océan Indien doit prendre en considération.
La réglementation de ces activités, à travers les traités ou le droit dérivé des organisations internationales génère une multitude de règles dont la finalité n’est pas la protection spécifique des baleines, mais ces dernières en bénéficient néanmoins. En effet, cette protection « par ricochet » peut découler des réglementations dont l’objectif initial est, par exemple, l’encadrement d’une activité en mer225, ou la protection du milieu marin, sans viser précisément les baleines.
Une approche exhaustive peut sembler difficile, tant elle conduit au constat d’une profusion normative. De plus, les contours de cette « protection par ricochet » sont flous, mais peuvent être désignés par la notion de « complexe de régimes »226. A ce titre, le droit positif pertinent se caractérise par la considération de plusieurs « ilots » normatifs, qu’il convient de décloisonner pour adopter une approche holistique. Il apparaît donc nécessaire d’analyser la protection des baleines « par ricochet » à travers la fragmentation sectorielle qu’elle implique (§1) avant d’envisager l’articulation de ces espaces normatifs par l’application du principe d’intégration systémique (§2).

La fragmentation sectorielle dans la protection par ricochet

Une lecture empirique des réglementations susceptibles de contribuer par ricochet à la protection des baleines implique de s’intéresser principalement à celles qui concernent les activités qui leur sont les plus préjudiciables dans l’océan Indien.
Ainsi, les réglementations relatives à la navigation (A), la pollution (B) et la pêche (C) seront étudiées en tant que composantes du « complexe de régimes » relatif à la protection des baleines dans le sud-ouest de l’océan Indien.

La réglementation de la navigation

Les règles relatives à la navigation sont nombreuses, ce qui s’avère ici être un atout qui a permis l’adaptation de règles existantes à des enjeux environnementaux comme la nécessité de protéger les baleines. Les règles adaptatives de la navigation à la protection des baleines (1) méritent une analyse approfondie avant d’envisager les différentes options possibles pour la protection des baleines de l’océan Indien (2).

Les règles adaptatives de la navigation

Parmi les règles de navigation les plus intéressantes bénéficiant aux baleines, il existe la modification des dispositifs de séparation de trafic (a), les règles relatives aux limitations de vitesse (b) et les areas to be avoided (c).

Les options de protection des baleines de l’océan Indien par la réglementation de la navigation

La Réunion se trouve sur une route maritime majeure, avec un trafic particulièrement dense, qui relie l’océan Atlantique et l’océan Indien par la pointe de l’Afrique du Sud. Considérant la place géostratégique maritime de La Réunion dans l’océan Indien et les nombreuses baleines à bosse migrant dans cette zone, il est évident que des collisions se produisent. Cette théorie ne peut être que renforcée avec les risques de piraterie qui règnent dans le canal du Mozambique ayant conduit au déroutement des navires par l’est de Madagascar251. Par conséquent, les baleines à bosse s’exposent davantage à des risques de collisions face à un trafic maritime qui interfère directement avec les populations de baleines migrant dans la région entre les Mascareignes et Madagascar252. Les collisions restent néanmoins difficiles à comptabiliser du fait de la grande envergure des navires qui ne permettent pas à l’équipage, bien souvent, de réaliser qu’elles sont survenues. L’absence de données relatives aux collisions entre les navires et les baleines dans la région conduit à penser qu’une mesure adaptative de la navigation n’y sera pas développée, même si la menace est réelle.
Néanmoins, si un statut particulier est octroyé à la zone associée au projet de protection des baleines qui considèrerait l’importance de protéger ces cétacés à un cycle biologique de leur vie aussi déterminant (mise bas, vulnérabilité des baleineaux, zone de reproduction), alors un DST ou des mesures de contournement auraient plus de chance d’aboutir. C’est ce qu’illustre le sanctuaire Pelagos au sein duquel l’OMI a désigné une zone maritime particulièrement vulnérable (Particularly sensitive sea areas ou PSSA)253 qui s’accompagne d’un DST et même d’une ATBA254. En effet, l’OMI a adopté une résolution255 en 2005 lui permettant d’instaurer des PSSA à travers une résolution de son Comité de la protection du milieu marin suite à une proposition d’un ou plusieurs États côtiers. La résolution de 2005 définit les PSSA comme des zones dont les caractéristiques écologiques, socioéconomiques ou scientifiques sont reconnues et qui sont exposées aux dommages causés par les activités des transports maritimes internationaux256. Elles doivent donc bénéficier d’une protection du fait de leur vulnérabilité. Lorsqu’une PSSA est désignée, des mesures de protection associées sont adoptées par l’OMI (sur proposition d’un État ou d’États côtiers) qui tiennent compte de la spécificité de la zone pour prévenir ou réduire les menaces identifiées. Il peut s’agir de mesures d’organisation de trafic maritime parmi lesquelles se trouvent les ATBA ou les DST par exemple, comme dans le sanctuaire Pelagos.
Ces différentes mesures de protection qui peuvent être cumulatives sont la marque de la profusion des normes internationales relatives à la navigation pouvant être mobilisées pour les baleines. Un projet de protection des baleines dans le sud-ouest de l’océan Indien, s’il n’acquiert pas un statut à l’image du sanctuaire Pelagos, pourrait a minima bénéficier du statut de PSSA auprès de l’OMI s’il réunit au moins un des critères requis par l’Organisation. L’OMI prévoit en effet plusieurs critères permettant de classer une zone en PSSA257.

La réglementation relative à la pêche

La pêche industrielle se différencie de la pêche artisanale ou encore de la pêche semi-industrielle  notamment par les différentes tailles des navires ou le nombre de personne dans l’équipage279. Malgré leurs différences, ces formes de pêches sont toutes concernées par la sérieuse problématique des prises accessoires des mammifères marins280. Les prises accessoires font référence aux animaux marins, oiseaux compris, piégés dans des engins de pêche destinés à capturer d’autres espèces rendant ainsi la prise involontaire. Les grands cétacés peuvent ainsi, par exemple, être concernés par les prises indirectes résultant de filets maillants dérivants. Positionnés verticalement à la surface de l’eau (filet dérivant), ou sur le fond (filet calé), ils permettent de sélectionner les poissons selon leur taille en fonction des mailles du filet. Ils peuvent être volontairement détachés des navires et parfois perdus ou abandonnés, devenant alors « filets fantômes », et augmentant considérablement le risque d’enchevêtrement chez les espèces non ciblées.

L’application du principe d’intégration systémique entre espaces normatifs de protection des baleines

Devant la multiplicité des régimes relatifs à la navigation, à la pollution et à la pêche, plusieurs outils peuvent être mobilisés afin de renforcer la cohérence du droit international et de le défragmenter »289. Le principe de « l’intégration systémique » relevant de l’article 31.3.c de la CV, largement commenté dans la doctrine, est un outil à analyser pour l’harmonisation du droit encadrant la protection des baleines. Si son application nécessite de réunir des conditions strictes (A), son succès dans la défragmentation du droit relatif à la protection des baleines dépend de sa considération des différentes sources du droit international (B).

Les conditions strictes de l’application de l’intégration systémique

Le droit relatif à la protection des baleines se manifeste par la multiplicité de secteurs spécialisés. L’intégration systémique peut alors permettre de décloisonner ces différents régimes souvent autonomes les uns par rapport aux autres. En effet, le droit international suppose parfois d’identifier les liens entre deux ou plusieurs règles à mobiliser « valables », c’est-à-dire qu’elles couvrent chacune les faits constituant une même situation, et applicables » en d’autres termes, les règles ayant force obligatoire pour les sujets de droit sur la situation donnée290.
Une norme peut alors en préciser une autre, la mettre à jour, la modifier ou servir à son application291. C’est à cette nécessité de mise en cohérence des règles applicables que l’intégration systémique peut répondre. Ce principe est souvent invoqué dans le cadre de l’article 31.3 de la CV292 : à ce titre, il serait un moyen d’appliquer « les relations d’interprétation »293. L’article dispose que l’interprète d’un traité doit tenir compte « en même temps que du contexte, […] de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les Parties ». L’article pose les fondements du raisonnement juridique à adopter dans l’interprétation de règles conventionnelles : la prise en compte des règles pertinentes du droit international est donc nécessaire à l’interprétation et l’application d’un traité entre Parties.
Un des objectifs de l’article serait alors de guider l’interprète dans la conciliation entre des dispositions conventionnelles et d’autres normes acceptées par les États Parties au traité afin d’éviter des conflits de normes. Le processus de l’intégration systémique apparaît ainsi comme une « passerelle jetée entre systèmes juridiques différents »294 et nécessite, pour son application, de réunir certains critères.

Les limites de l’intégration systémique pour la protection des baleines

L’article 31.3, à travers le raisonnement interprétatif qu’il met en exergue, favorise la cohérence des règles internationales. Néanmoins, son efficacité pratique reste limitée notamment lorsqu’il s’agit de mettre en cohérence des règles relatives à la protection des baleines. Le critère de l’identité des Parties est difficilement rempli (1) tandis que la soft law est évincée (2).

Le critère de l’identité des Parties difficilement rempli

La question relative au choix des normes pertinentes en fonction de l’identité de leurs Parties avec le traité interprété n’est pas résolue. L’option consistant à ne tenir compte que des règles, au sein d’un traité dont les Parties sont identiques à celles du traité interprété, est particulièrement fragile dans le cas d’un traité à vocation universelle. A ce titre, il faudrait par exemple imaginer un différend portant sur l’interprétation de la Convention de Nairobi303 dans la zone de l’océan Indien qui pourrait concerner un litige sur l’exploitation gazière ou pétrolière dans le canal du Mozambique304. Cette activité est alors néfaste pour la biodiversité marine et plus spécifiquement pour les baleines par la pollution et les nuisances sonores provoquées. L’application de l’article 31.3 laisse apparaître que le sort des baleines ne relèvera pas de l’interprétation de la CIRCB, Madagascar, l’île Maurice, les Comores ou même le Mozambique n’y étant pas Parties. Il faudrait alors peut-être envisager de mobiliser la CMS mais contrairement aux autres États de la Convention de Nairobi, les Comores n’y sont pas Parties. Cet exemple démontre la faiblesse de l’article 31.3 qui dans le cas donné, ne permet pas d’intégrer dans les règles internationales pertinentes, deux conventions pourtant majeures pour la protection des baleines.

La soft law évincée

Le droit international de l’environnement s’illustre non seulement par sa profusion normative, comptant plus de cinq cents traités multilatéraux parmi les instruments juridiquement obligatoires à l’égard des États qui y sont membres, mais aussi par son adaptabilité. Cette dernière caractéristique n’est pas sans lien avec la première : les normes intentionnellement vagues des traités permettent de rassembler les États autour d’une même cause sans menacer leurs intérêts et ainsi freiner les négociations305. Le contenu générique des dispositions conventionnelles leur permet également d’être ultérieurement précisées en s’adaptant à l’évolution des connaissances scientifiques306 et des menaces sur l’environnement. Ces précisions peuvent prendre la forme de déclarations, recommandations, résolutions internationales ou autres instruments de droit non juridiquement obligatoire. Or, comme le rappelle le Professeur Cazala, « dans le processus interprétatif, le recours aux instruments de soft law peut être pertinent dans le cadre de la prise en compte du contexte de la norme objet de l’interprétation »307. Pourtant, l’article 31.3 ne mobilise que les règles formelles du droit international public, les traités, la coutume internationale et les principes généraux du droit, clairement rappelés par le statut de la Cour internationale de Justice (CIJ) dans son article 38§1308.
Ainsi, la soft law, en tant que règle matérielle, n’apparaît que comme une source subsidiaire du droit international public. Néanmoins, la nature de l’instrument issu de la soft law importe peu dans sa prise en compte par le juge international : qu’elle soit une convention qui n’est pas encore entrée en vigueur ou une simple recommandation, la soft law est évincée de la procédure d’interprétation de l’article 31.3. Cette remarque s’applique également au droit dérivé pourtant largement présent sur la scène internationale. En effet, l’OMI joue un rôle déterminant dans la protection des baleines en tant qu’unique Organisation dédiée à l’encadrement de la navigation. Elle est désignée comme l’Organisation compétente en matière de navigation et de pollution des navires au sein de la CNUDM309, mais seule la Convention portant création de l’Organisation maritime internationale310, en tant que source formelle du droit international public, peut servir au processus interprétatif décrit à l’article 31.3.
Si l’article 31.3 est un facteur de cohérence des différentes branches du droit international, il n’apparaît pas adapté à la fragmentation matérielle du droit international sur la protection des baleines. Il n’envisage que partiellement l’articulation des normes, privilégiant les rapports entre traités et évinçant ainsi le droit dérivé et la soft law en général.

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Table des matières

PREMIÈRE PARTIE LES INTERACTIONS NORMATIVES NÉCESSAIRES À LA PROTECTION RÉGIONALE DES BALEINES
Titre I. La protection des baleines à l’épreuve d’un droit positif fragmenté
Chapitre 1. L’inévitable fragmentation de la protection des baleines selon une approche descendante
Chapitre 2. L’improbable défragmentation de la protection des baleines selon une approche ascendante
Titre II. La protection des baleines soutenue par le droit recommandatoire
Chapitre 1. Le droit recommandatoire au soutien du droit obligatoire à l’échelle locale
Chapitre 2. Le droit recommandatoire au soutien d’un ordonnancement à l’échelle globale
SECONDE PARTIE L’ÉTABLISSEMENT DE RÉSEAUX D’ACTEURS PERTINENTS DANS LA PROTECTION RÉGIONALE DES BALEINES
Titre I. Les liaisons nécessaires entre les sujets de droit international pour la protection régionale des baleines
Chapitre 1. Les difficultés relatives à une coopération interétatique dans l’océan
Indien pour la protection des baleines
Chapitre 2. Les atouts des organisations internationales pour la protection des baleines dans l’océan Indien
Titre II. Les liaisons opérationnelles entre acteurs subsidiaires des relations internationales pour la protection régionale des baleines
Chapitre 1. L’implication croissante des acteurs publics infra-étatiques dans la coopération régionale
Chapitre 2. L’implication déterminante des acteurs privés dans la coopération régionale
CONCLUSION GÉNÉRALE

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